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Molière ou la vie d'un honnête homme

Publié le par Rosalie210

Ariane Mnouchkine (1978)

Molière ou la vie d'un honnête homme

"Molière ou la vie d'un honnête homme" qui totalise quatre heures (en version cinéma avec deux époques de deux heures, il existe aussi une version en épisodes télévisés de cinq fois une heure) est l'équivalent cinématographique du haut-relief de l'Arc de Triomphe "La Marseillaise" de François Rude: ces deux monuments historiques avec leurs visages si expressifs saisis dans la pierre/le nitrate d'argent sont traversées par un souffle épique saisissant et intense sur lesquels le temps n'a pas de prise. D'ailleurs s'il y a une chose qui définit la fresque monumentale que Ariane Mnouchkine a consacrée au prince de la comédie à la fin des années 70 c'est paradoxalement sa légèreté et son dynamisme. Ce "Molière" est une ode au mouvement avec de nombreuses scènes d'itinérance utilisant une diagonale qui accentue la profondeur de champ dans des paysages superbes. Dans ces scènes en particulier, le vent joue un rôle essentiel. D'ailleurs, l'une de celles qui m'était le mieux resté en mémoire montre le théâtre de la troupe Dufresne jouant en plein air emporté par le vent, poursuivi par la troupe de Molière jusqu'au bord d'un précipice. Ce n'est pas non plus un hasard si le crasseux et obscurantiste maître d'école rejette les grands principes de la circulation qui venaient alors d'être découvert par Harvey à l'échelle de l'homme (la circulation sanguine) et par Galilée à l'échelle de l'univers (la rotation des planètes autour du soleil).

Mais ce qui frappe l'esprit lorsqu'on regarde "Molière", c'est également l'importance de la terre (ou plus précisément de la boue) qui elle aussi est du voyage. En dépit de l'indéniable parfum de liberté et d'aventure picaresque qui accompagne la troupe mue également par une circulation du désir sur lesquels les dévots jettent l'opprobre faute de pouvoir le contrôler, la pénibilité, la dureté de cette époque ne nous est pas cachée. En parcourant les campagnes de France, les acteurs croisent des vagabonds mais aussi des paysans affamés qui mangent la viande crue de leurs chevaux. L'ombre de la grande faucheuse n'est jamais très loin, que ce soit au travers de la répression (morale et politique) d'un carnaval transformé en rébellion contre la religion et la pression fiscale (superbe morceau de bravoure là aussi) ou bien des maladies qui s'acharnent particulièrement sur les femmes et les enfants. Lorsque la troupe de Molière s'installe à Versailles et devient dépendante du roi, la sédentarisation s'accompagne elle aussi d'un paradoxe: c'est à la fois le temps de la gloire (les succès qui s'enchaînent) et le début de la fin avec la description de la mort au travail sur le corps de Molière qui se consume sous les différentes pressions dont il fait l'objet (haine des courtisans dont il raille les travers mais surtout des dévots redoutablement influents). Tout est prêt pour l'ultime scène-choc, celle de l'agonie de Molière après la quatrième représentation du "Malade imaginaire" sous l'égide du "King Arthur" de Purcell dans laquelle la troupe court encore mais n'avance plus: elle fait du sur-place, elle s'enlise alors que le maquillage de Molière se défait, non cette fois sous le poids de l'échec lorsqu'il essayait de se couler dans des habits qui n'étaient pas faits pour lui mais sous celui des fluides qui s'échappent de son corps et de sa mémoire qui rembobine les images marquantes de sa vie. Cette façon de travailler la matière organique comme de faire cohabiter harmonieusement les contraires d'une époque aussi glorieuse que miséreuse, aussi obscurantiste qu'éclairée est la marque des grands.

En effet "Molière", porté par la prestation très puissante de Philippe Caubère (qui ne s'est jamais tout à fait remis de son expérience avec Ariane Mnouchkine) est aussi un témoignage du génie de cette metteuse en scène et de son théâtre du Soleil dont les deux représentations que j'ai pu voir dans les années 90 (l'une d'Iphigénie d'Euripide dans un théâtre à l'antique construit en plein air au bord de la Garonne et l'autre du Tartuffe à la Cartoucherie transposé dans un pays oriental qui faisait alors référence à la guerre civile en Algérie et annonçait l'obscurantisme des islamistes radicaux) ont laissé en moi une empreinte ineffaçable.

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