"Brigadoon" est le premier film tourné par Vincente MINNELLI en Cinémascope, une rêverie enchantée dans laquelle deux américains échappés de l'enfer citadin new-yorkais partent se ressourcer dans la vieille Europe. Plus exactement dans une Ecosse fantasmée où les décors naturels de landes et de lochs sont remplacés par des toiles peintes noyées dans la brume d'où émerge peu à peu un village endormi qui ne figure sur aucune carte. Tommy (Gene KELLY) tombe amoureux de Fiona (Cyd CHARISSE) avec laquelle il forme un duo "de rêve". Et c'est bien là le problème. Car Fiona ne peut quitter le village, tout comme les autres habitants sous peine de voir celui-ci être anéanti. C'est le prix à payer pour pouvoir vivre hors du temps. Dès lors, Tommy est écartelé entre son rêve irréel et la réalité désenchantée. Car "Brigadoon" n'est censé prendre vie qu'une journée tous les 100 ans et il pense donc que quitter ce paradis perdu (ou cette prison dorée, le film ne lève pas tout à fait l'ambiguïté et c'est très bien ainsi), c'est le perdre pour toujours.
Selon que l'on adhère ou non aux conventions du genre, de l'époque et de l'histoire qui est proche du conte de fées (ou de sorcières), "Brigadoon" peut être perçu comme une merveille ou bien comme légèrement désuet. Néanmoins, on ne peut lui retirer la beauté de ses décors, de ses costumes, la qualité de sa photographie, de sa lumière et la virtuosité des numéros chantés et dansés, ma préférence allant à l'entraînant "I'll go home with Bonnie Jean".
Il m'a fallu près de 48 minutes pour entrer dans "Designing Woman". Même si le film est bien structuré (le début et la fin se répondent en alignant la même galerie de personnages qui présentent dans le même ordre leur point de vue sur le début et la fin de l'histoire) il est également assez allusif. Mike et Marilla se rencontrent et se marient sur un coup de tête durant leurs vacances. On ne voit donc pas tout de suite qu'ils n'appartiennent pas au même monde en dépit de la différence entre leurs deux appartements (ce qui n'est pas spécialement drôle). Ok, il y a une scène dans laquelle Gregory PECK est bourré et une autre où il se fait renverser des raviolis sur le pantalon mais ça n'a pas suffi à me convaincre qu'il avait un talent comique. En revanche, lorsque leurs deux univers se télescopent à l'occasion d'une soirée où chacun a invité son entourage en même temps, le film devient franchement désopilant. D'un côté, une table de chroniqueurs sportifs et joueurs de pokers un peu bourrins dominés de la tête et des épaules par l'inénarrable Maxie Stultz (Mickey SHAUGHNESSY), un ancien boxeur au nez enfoncé, aux yeux toujours ouverts et au QI dangereusement bas depuis qu'il s'est pris un peu trop de coups sur la tête. De l'autre, l'équipe de la comédie musicale dont Marilla (Lauren BACALL, parfaite en femme de la haute société) a créé les costumes qui vient répéter avec cette fois en tête de gondole le très exubérant chorégraphe Randy (Jack Cole) qui vient perturber la table de poker et dont Mike doute de la virilité. Mais Randy, comme Gene KELLY dans "Les Trois mousquetaires" (1948) sait transformer la danse en combat à la manière des capoeiristes et finit par mettre tout le monde d'accord.
A ce "choc des cultures" vu sur un mode comique (même Mike et Marilla finissent par rire des particularités de leurs amis hauts en couleur) vient s'ajouter le malentendu lié au fait que Mike ne veut pas parler à Marilla de son ancienne liaison avec Lori Shannon (Dolores GRAY), une danseuse dont Marilla dessine également les costumes. Plus celui-ci cherche à maquiller son passé, plus il s'enfonce et plus la jalousie paranoïaque de Marilla se renforce, bien aidée par les négligences de ce dernier qui laisse traîner une photo compromettante dans son appartement et porte une chaussure trouée dont est particulièrement amateur le caniche de Lori: dans ces moments-là, on se sent transporté dans l'âge d'or de la comédie hollywoodienne sophistiquée des années 30, au temps des meilleurs Howard HAWKS et Ernst LUBITSCH.
"Tous en scène" de Vincente MINNELLI est la quintessence du second âge d'or de la comédie musicale dominé par la MGM, à égalité avec l'autre sommet que constitue "Chantons sous la pluie" (1952) de Stanley DONEN. Les deux films ont d'ailleurs plus d'un point commun:
- C'est le même duo de scénaristes qui est aux commandes, Betty COMDEN et Adolph GREEN et par conséquent les thématiques des deux films sont voisines avec dans l'un et l'autre cas une mise en abyme de l'univers du show business à un moment délicat de son histoire (passage du cinéma muet au cinéma parlant, de la comédie musicale années 30 à la comédie musicale années 50). On peut imaginer que le duo de scénaristes de film joué par Nanette FABRAY et Oscar LEVANT est leur double de fiction. Par ailleurs le rôle de Cosmo Brown dans "Chantons sous la pluie" (1952) est inspiré de Oscar LEVANT et avait été écrit à l'origine pour lui.
- On y trouve le même salutaire sens de l'autodérision. A la voix de crécelle de Lina Lamont joué par Jean HAGEN se substituent les caprices de diva de Fred ASTAIRE à propos de son âge, de sa carrière et de la taille de ses partenaires de danse transposés sur son personnage de fiction, Tony Hunter. Le caractère mégalo de la comédie musicale que doit préparer la troupe (un "Faust moderne" défendu avec force mimiques outrancières et effets spéciaux ridicules par le metteur en scène Jeffrey Cordova interprété par Jack BUCHANAN et inspiré de l'acteur-réalisateur José FERRER) aboutit par ailleurs à un bide monumental obligeant la troupe à revenir à plus de simplicité.
- La structure des numéros musicaux présente des similitudes avec une longue séquence finale où les deux films (et les deux arts, théâtre et cinéma) se croisent: "Tous en scène" qui raconte la création d'un spectacle finit dans l'univers des privés, gangsters et femmes fatales des films noirs ("Girl Hunt") alors que "Chantons sous la pluie" (1952) qui raconte le tournage du premier film parlant "Lockwood et Lamont" se termine par un hommage aux comédies musicales de Broadway ("Broadway Melody"). Cyd CHARISSE est par ailleurs présente dans les deux numéros. Dans "Chantons sous la pluie" (1952), elle porte une cigarette à sa bouche. Dans "Tous en scène" on découvre qu'elle déteste fumer (autre détail autobiographique, on y découvre ses origines de danseuse classique). Et les deux films possèdent leur hymne fédérateur avec "Make 'Em Laugh" dans un cas et "That's Entertainment" de l'autre (doublé d'un grand moment burlesque, celui des fameux "Triplets"). Enfin chaque film a son moment de grâce gravé dans toutes les mémoires: le "Singin' in the rain" de Gene KELLY contre le "Dancing in the dark" de Fred ASTAIRE et Cyd CHARISSE dont c'était par ailleurs le premier grand rôle "parlant" au cinéma.
Si la qualité d'un film se mesurait juste au scénario, "Le Chant du Missouri" serait un épouvantable navet. Il n'y a pas vraiment d'histoire d'ailleurs dans le film qui se résume à de jolies cartes postales célébrant les valeurs et les rites familiaux les plus traditionnels (Halloween, Noël) avec une grande et belle maison, une grande progéniture (5 enfants!), un pater familias chargé de faire vivre son foyer et donc presque toujours absent, une mère au foyer ménagère modèle assistée d'une domestique intégrée dans le cercle familial et un aéropage de petites filles modèles (le seul garçon, on ne le voit presque pas). Il est amusant de constater que cinq ans plus tard, Mervyn LeROY reprendra une partie du casting pour sa version de "Les Quatre filles du Dr March" (1949) avec Mary ASTOR une fois de plus dans le rôle de la mère (dans les systèmes patriarcaux, il n'y a que deux rôles possibles pour une femme, celui de la maman et celui de la putain, rôle que Mary ASTOR a parfaitement endossé dans "Le Faucon maltais") (1941) ainsi que la jeune Margaret O BRIEN dans le rôle de l'une de ses filles.
Il y aurait donc tout pour s'ennuyer ferme devant cette bluette passéiste (le film date de 1944 mais l'histoire se déroule en 1903) sans autre intrigue que de petits flirts parfaitement inintéressants et un déménagement avorté qui confirme s'il en était encore besoin le caractère viscéralement réac de cette famille qui rejette la grande ville pour les charmes de l'entre-soi à la campagne. Mais voilà c'est Vincente MINNELLI qui est aux commandes pour son troisième film "en chanté" (le premier en couleurs) et c'est un régal aussi bien pour l'oeil (l'utilisation des couleurs, notamment dans les gammes de costumes est prodigieuse) que pour l'oreille (les chansons à l'inverse de l'histoire sont toutes très réussies), le tout enlevé par une sublime Judy GARLAND hyper bien mise en valeur. De plus Vincente MINNELLI peut être considéré avec ce film comme le fondateur de la comédie musicale moderne, celle qui intègre les numéros musicaux et chorégraphiés dans le fil de l'histoire, aussi mince soit-elle, une structure qui donnera plus tard avec des scénarios plus étoffés et plus audacieux des chefs d'oeuvre tels que "Chantons sous la pluie" (1952), "Mary Poppins" (1964) ou "Les Demoiselles de Rochefort" (1967).
Un américain à Paris n'est pas un chef-d'oeuvre car il est trop inégal pour cela. La faute à un scénario bourré de clichés qui tient sur un timbre-poste assorti avec un Paris de carte postale reconstitué en studio et donc assez figé. Mais dans ce médiocre canevas sont incorporés des morceaux de génie qui composent à la fois une invitation au rêve et un hommage à l'art sous toutes ses formes. A ce titre l'Américan in Paris Ballet final, morceau de bravoure de 17 minutes est une des expérience d'art total les plus réussies du cinéma avec son hommage aux grands peintres dont le style donne lieu à une ambitieuse tentative de correspondance avec la musique et la danse. Autre morceau mythique le concerto en fa où Oscar Levant se duplique pour jouer tous les rôles à l'intérieur d'une salle de concert. Enfin les pas de deux sous les ponts du duo Kelly-Caron sont magiques et gracieux.
Ces moments de grâce on les doit à la collaboration de plusieurs talents. Gershwin pour la musique, Gene Kelly pour les chorégraphies et la danse, Minelli pour la mise en scène et le sens de la couleur. Ancien peintre, il conçoit le film comme une sucession de tableaux. Enfin le producteur Arthur Freed a joué un rôle important dans la création du film. Dommage que celui-ci n'ait pas bénéficié d'un scénariste à la hauteur.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.