Après "La Soupe au canard" (1933) avec les Marx Brothers, Leo McCAREY remet le couvert avec Harold LLOYD (très bon encore dans le cinéma parlant) pour la "Soupe au lait". Pas de canard au menu cette fois-ci mais quelques animaux sont de la partie, notamment un tigre, le surnom donné à Harold LLOYD et surtout une jument facétieuse nommée Agnès et son poulain (Agnès junior) qui vont donner du fil à retordre au champion de boxe Speed (William GARGAN) et son garde du corps Spider (Lionel STANDER), deux types qui en dépit de leurs surnoms cocasses ne sont vraiment pas des flèches. Quand ils ne sont pas bourrés, le second donne au premier un somnifère juste avant le combat en croyant lui prescrire un anti-inflammatoire. De quoi saboter les plans de Gabby Sloan, leur patron auto-proclamé l'homme "le plus honnête" du monde (Adolphe MENJOU) qui monte une magouille autour du laitier loser joué par Harold LLOYD qu'un quiproquo avec Speed transforme en champion de boxe. Ce n'est pas le seul d'ailleurs, le film, très bien rythmé en regorge et offre en prime une satire des médias contemporaine de "L'Extravagant Mr. Deeds" (1935) (outre Lionel STANDER dans le rôle de l'homme de main on retrouve Charles LANE dans celui du journaleux) qui annonce en mode comique la célèbre phrase de "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962), "Entre la légende et la vérité, imprimez la légende".
"Lune de miel mouvementée" s'est fait complètement éclipser par le film de Ernst LUBITSCH sorti la même année "To Be or Not to Be" (1942) qui mêle également la comédie au drame sur fond de guerre et d'antinazisme. On pense également à "Le Dictateur" (1940) de Charles CHAPLIN qui lui est contemporain. Cependant force est de constater qu'on est loin des deux illustres chefs d'oeuvre pré cités et que le relatif oubli du film de Leo McCAREY est justifié. En effet la greffe ne prend pas dans "Lune de miel mouvementée". Si les passages de screwball comédie dont Leo McCAREY est un des maîtres sont évidemment très réussis, les moments dramatiques semblent plaqués de façon artificielle et l'intrigue d'espionnage ne prend pas vraiment. Le résultat est donc inégal avec des moments franchement poussifs. Le film vaut surtout pour le plaisir de voir se donner la réplique deux grands acteurs rôdés au genre, Cary GRANT et Ginger ROGERS (qui dix ans plus tard se retrouveront dans le délicieux "Chérie, je me sens rajeunir" (1952) de Howard HAWKS). Il émane de leurs échanges plein d'entrain beaucoup de complicité et la scène des "mesures" a même un petit caractère coquin qui donne d'emblée du piment à leur relation hélas ensuite plombée par les malheurs qui leur tombent dessus. Le rôle d'agent double de Kathie O-Hara souffre en outre terriblement de la comparaison que l'on ne peut manquer de faire avec "Les Enchaînés" (1945) car Leo McCAREY n'est pas Alfred HITCHCOCK.
L'archétype de la comédie américaine du remariage des années 30 (selon les critères définis par Stanley Cavell dans son ouvrage de référence: "A la recherche du bonheur: Hollywood et la comédie du remariage") est aujourd'hui un peu oubliée. Elle souffre sans doute de sa mise en scène théâtrale étriquée. Mais on peut également retourner ce reproche en considérant le film de Leo McCAREY comme une épure du genre. La construction scénaristique rigoureuse fonctionne comme une équation. Jerry (Cary GRANT, acteur né pour la screwball comédie) et Lucy (Irene DUNNE) sont faits l'un pour l'autre. Mais ils ont besoin de pimenter leur vie de couple qui s'enlise. Pour cela, ils l'aèrent avec des mensonges où chacun teste les limites de sa liberté vis à vis de l'autre puis jouent à le rendre jaloux avec un/une fiancée trop plouc ou trop snob pour constituer une menace sérieuse. Les détours leur permettent de mieux se retrouver.
Outre le brio des acteurs, la rigueur du scénario et un tempo parfait, le film se distingue également par ses dialogues caustiques assez hilarants, des touches de burlesque (Cary GRANT qui se viande au milieu d'un concert) et de nonsense (le chat qui tient la porte!) Une marque de fabrique pour le réalisateur de la célèbre "La Soupe au canard (1933)" des Marx Brothers et de nombreux courts-métrages de Stan LAUREL et Oliver HARDY.
Léo McCarey est l'un des rares cinéastes à avoir fait un remake de l'un de ses propres films. Il s'agit de Love Affair (Elle et lui) qu'à la manière d'un Gus Van Sant il a décalqué plan par plan pour le technicoloriser en 1957 sous le nom d'An Affair to Remember (Elle et lui également en VF). Mais la version noir et blanc de 1939 est déjà un film totalement accompli. Il commence comme une screwball comédie avec la rencontre électrique sur un bateau entre Michel, un riche playboy et Terry, une jeune femme qui n'a pas sa langue dans sa poche. La mise en scène suggère la gémellité des deux personnages avec de nombreux effets de miroirs. Ce qui n'est au départ qu'un jeu de séduction se transforme complètement à la suite d'une séquence de 17 minutes devenue culte, celle de la visite chez la grand-mère de Michel lors d'une escale sur les hauteurs de Madère. Dans cet endroit magique, hors du temps le flirt léger se transforme en amour profond teinté de mysticisme. Parallèlement ces deux oisifs voient leurs talents artistiques respectifs s'exprimer au grand jour. En tous points cette séquence est celle de la "révélation" qui transforme la comédie en romance. Transfigurés, Michel et Terry revenus sur terre décident de se donner 6 mois pour changer de vie avant de se retrouver au sommet de l'Empire State building (choix d'un sommet, en souvenir de Madère). Mais Léo McCarey n'hésite pas à basculer dans le mélodrame en confrontant les amoureux à l'épreuve de la séparation, de la pauvreté et du handicap afin de tester la solidité de leur amour. Love Affair pratique donc avec aisance le mélange des genres, des lieux et des temporalités. Le récit est en effet à la fois très linéaire en apparence avec des repères temporels très marqués (8 jours 1/2 de traversée, 4h d'escale, 6 mois pour se retrouver, 6 mois supplémentaires de séparation) et en même temps il est cyclique, reliant passé, présent et futur par un système d'échos. La première apparition de Terry, filmée comme un portrait a lieu derrière un hublot ce qui annonce la plus belle peinture que réalisera Michel. De même lorsque Terry raconte à un petit garçon sur le point de faire une bêtise qu'elle est tombée et s'est cassé la jambe dans sa jeunesse elle pressent que cela risque de lui arriver de nouveau. Et l'idée de cycle trouve son accomplissement avec le remake de 1957 tout aussi réussi qui souligne l'universalité et l'intemporalité de cette histoire.
Comme les lieux de l'action reflètent les états d'âme des deux protagonistes principaux faits de hauts et de bas, le remake de Léo Mc Carey se situe au carrefour de plusieurs époques et genres. Les premiers échanges de Nickie et Terry sur le bateau relèvent de la screwball comédie des années 30 (ping-pong verbal, femme à la forte personnalité capable de tenir tête au tombeur présumé qu'est Nickie, comédie du remariage puisque chacun est déjà engagé ailleurs etc.) Mais au fur et à mesure que les sentiments des protagonistes s'approfondissent, le film évolue vers le mélodrame flamboyant des années 50 façon Douglas Sirk. La traversée en bateau illustre cette mutation d'un monde à l'autre. Le mélodrame est par ailleurs empreint de mysticisme. La scène clé où Nickie présente à Terry sa grand-mère lors d'une escale sur les hauteurs de Villefranche, véritable pivot de l'histoire l'illustre parfaitement. La perception du personnage change du tout au tout car il nous révèle sa facette la plus intime. La grand-mère est une figure tutélaire quasi-religieuse qui reconnaît immédiatement en Terry l'âme sœur de son petit-fils. Elle lui révèle également son talent de peintre mais aussi le rapport compliqué qu'il entretient avec son art (à l'image de Mc Carey, très critique envers son œuvre) À partir de là, la transformation de Nickie est en marche. Au prix d'un véritable chemin de croix dont le sommet est l'Empire State Building, Nickie va transformer sa vie stérile en y introduisant l'amour et l'art jusqu'à ce qu'il retrouve Terry que son accident (envoyé par Dieu pour mettre les amants à l'épreuve?) à contraint à se tenir éloigné de lui.
Tourné en 1934, L'extravagant Mr Ruggles appartient aux premiers films Paramount de Léo McCarey. Il est également considéré comme son premier chef-d'oeuvre. Mais de même que Duck Soup réalisé l'année précédente est considéré comme le chef d'oeuvre des Marx Brothers (et non de McCarey), Ruggles doit beaucoup à Charles Laughton. En effet au départ L'extravagant Mr Ruggles était un film de commande, la troisième adaptation tirée du roman éponyme et un film de studio. C'est l'alliance McCarey-Laughton qui lui donne sa personnalité. McCarey aime le choc des cultures. Avec cette histoire de majordome anglais gagné au poker par un redneck de Red Gap (un trou perdu des USA) et sa femme issue de la bourgeoisie de Boston on est servi en la matière ce qui donne lieu à de savoureux moments de comédie. Vie parisienne contre Amérique profonde, culture aristocratique british contre culture US (caricaturée à gros traits: chemise à carreaux, moustache en guidon de vélo, grands cris et free hugs, biêre à volonté etc.) on passe de l'un à l'autre avec beaucoup d'amusement. Mais si on creuse un peu la vraie confrontation du film c'est Laughton contre Laughton. Laughton compassé jamais très loin du Laughton comique et du Laughton monstrueux " J'ai laissé parler la bête en moi." "Je me suis battu contre moi-même" etc. Ce majordome qui découvre le rêve américain, l'individualisme et l'égalité est amené à laisser entrevoir à la fois un côté Jeckyl et un côté Hyde. Son côté Jeckyl c'est bien sûr son émancipation " Mon père était valet, le père de mon père était valet. Moi je suis un homme insignifiant mais un homme. Je suis mon propre maître." Et de réciter le discours de Lincoln à Gettysburg. Le grand-père de Laughton était valet ce qui donne à ce discours une résonance autobiographique. Le côté Hyde c'est un personnage qui trouve normal d'avoir été joué au poker comme s'il était une marchandise mais qui trouve anormal de s'assoir à la même table que son nouveau maître (qui ne supportant pas les hiérarchies l'appelle colonel et le considère comme son pote.) L'éloge du rêve américain prend la forme d'une humanisation et d'une réalisation personnelle autant qu'une abolition des distinctions sociales (le personnage snob de l'histoire finit expulsé du restaurant de Ruggles par ce dernier.) Cet éloge n'est pas dénué d'ironie concernant un pays ayant connu l'esclavage et connaissant au moment de l'action du film et du tournage la ségrégation raciale.
S'il ne fallait garder qu'un seul film des Marx, ce serait celui-là. Cinquième et dernière collaboration des frères avec la Paramount, La Soupe au canard bénéficie d'un réalisateur de premier choix en la personne de Leo McCarey. Certes, celui-ci n'était pas enthousiaste à l'idée de diriger des acteurs notoirement ingérables sur le plateau (à l'image de leurs rôles) mais le résultat est tout simplement ébouriffant, un feu d'artifices de gags, un festivals de scènes plus cultes les unes que les autres.
Comme Plumes de Cheval, Soupe au canard tourne en dérision une institution qui est l'Etat. Il se moque entre autre des gouvernements, des ambassades, des protocoles, des patriotismes, de l'espionnage, de l'armée et de la guerre (scène tordante où Groucho arbore toutes les 3 secondes un "look" militaire différent de l'uniforme des gardes britanniques à celui de la première guerre mondiale en passant par ceux de la guerre de Sécession), du code Hays (la scène où Harpo monte chez une femme mais dort avec son cheval est un clin d'oeil au fait qu'il était interdit de montrer un homme et une femme dans un même lit.) On le compare aujourd'hui au Dictateur et à Docteur Folamour à la différence près que Soupe au canard ne se présente que comme une grosse farce destinée à faire rire. Un rire d'autant plus nécessaire qu'Hitler venait de prendre le pouvoir et que pendant le tournage les frères l'entendaient entre deux prises vociférer à la radio.
On retrouve également toutes les formes de comique propres aux Marx issues des précédents films mais à la puissance 10. L'intensité des gags et le rythme effréné des scènes dans le film donne le tournis. C'est une tornade de jeux de mots et de calembours. Exemple: "Taxes/Texas" et "Dollars/Dallas", "Mice-Maestro" (traduit en français par le piètre "Rats-Opéra") "Vous êtes perdus! Comment être perdu si on me trouve?" Sans parler des mots à double sens comme "record" le dossier qui devient chez Harpo le disque 33 tours aussitôt transformé en disque de ball-trap. L'absurde et le surréalisme y atteignent leur apogée avec par exemple un chien qui surgit du tatouage de la poitrine de Harpo, le side-car qui démarre sans son passager, des phrases nonsensiques comme "Vous nous avez dit de suivre cet homme. On s'est aussitôt mis au travail et à peine une heure après, on l'avait perdu de vue." Ou encore la célébrissime scène du miroir entre Groucho, Harpo puis Chico (ces deux derniers déguisés en Groucho) qui est aussi une mise en abyme de la notion de gémellité fraternelle. Leur ressemblance est stupéfiante et donne lieu également à une savoureuse scène de vaudeville où chacun prend la place de l'autre au nez et à la barbe de l'inénarrable Margaret Dumont dont le comique (involontaire) fait merveille une fois de plus. Dans la vraie vie, Chico empruntait souvent l'identité de Harpo pour échapper aux embrouilles dans lesquelles il se fourrait et les gens n'y voyaient que du feu!
Une scène entière du film est visible dans le film de Woody Allen, Hannah et ses soeurs car Groucho est l'une des références majeures de ce réalisateur (avec Bergman, Fellini, Tchékov, Dostoïevski...)
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.