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Articles avec #lifshitz (sebastien) tag

Adolescentes

Publié le par Rosalie210

Sébastien Lifshitz (2019)

Adolescentes

J'aime décidément beaucoup Sébastien LIFSHITZ, la pertinence de ses questionnements, sa finesse et sa délicatesse d'approche de l'humain, son absence de jugement. Il est sans doute l'un des portraitistes les plus doués de sa génération. "Adolescentes" est au documentaire ce que "Boyhood" (2014) est à la fiction. L'accompagnement sur le temps long d'êtres en devenir avec en arrière-plan, un environnement qui s'obscurcit de plus en plus.

Les deux jeunes filles que filme Sébastien LIFSHITZ de la fin du collège jusqu'au bac sont deux amies d'enfance qui en réalité n'ont pas grand-chose en commun. Dès les premières séquences, on saisit à la faveur du montage tout ce qui les sépare et tout ce qui rend leur divergence d'orientation inéluctable. Emma, belle jeune fille brune filiforme suit des cours au conservatoire, est coaché par sa mère pour tout ce qui touche à ses études, a droit à des soins dentaires, part en vacances bref, tout en elle dénote le milieu aisé. Alors qu'Anaïs, beaucoup plus rondelette est issue d'un milieu défavorisé avec une famille qui cumule les handicaps sociaux, physiques et mentaux. Une famille de "sans dents", de "derniers de cordées" qui aurait été regardée avec mépris par un cinéaste moins sensible à la différence. Mais la finesse du regard de Sébastien LIFSHITZ fait que le portrait de ces jeunes filles dépasse leur caractérisation sociale. Anaïs est une battante et une grande gueule qui prend très tôt son destin en main au point que c'est sa mère qui apparaît la plus dépendante des deux. De plus, elle a une conscience politique qui lui fait très tôt percevoir les dangers de la radicalisation (d'extrême-droite) de son milieu qui nourrit en réaction l'élection de Macron dont elle perçoit qu'il est l'ennemi des classes populaires. Alors que Emma subit l'enfer d'un foyer dysfonctionnel avec un père toujours absent et une mère étouffante, exigeante, toujours insatisfaite et dépréciative. Une mère-coach typique des milieux sociaux aisés obsédés par la stratégie de réussite sociale de leurs enfants. Parce que Emma a une forte personnalité, elle résiste aux injonctions de sa mère mais au prix d'une épuisante tension nerveuse à force d'être toujours en conflit avec elle.

Bien entendu, le film ne se contente pas d'explorer la relation de ces deux jeunes femmes en construction avec leur famille et leur milieu social ainsi que leur parcours scolaire, il évoque aussi leur découverte de l'amour et de la sexualité mais de façon très pudique. Surtout, il filme une expérience universelle: comment une amitié née sur les bancs d'une école symbolisant l'égalitarisme républicain est appelée à se déliter lorsque les déterminismes sociaux reprennent le dessus. Il est assez clair que sans le réalisateur, les deux jeunes filles qui ne fréquentent pas le même lycée se seraient perdues de vue bien avant leurs 18 ans. Le tournage du film ne fait que retarder l'inéluctable.

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Petite Fille

Publié le par Rosalie210

Sébastien Lifshitz (2020)

Petite Fille

Sébastien LIFSHITZ est décidément le créateur d'une oeuvre d'utilité publique. J'avais déjà beaucoup apprécié son documentaire "Les Invisibles" (2012) dans lequel il donnait une généalogie à l'homosexualité, qu'elle se vive en solo ou en couple, détruisant au passage nombre de clichés en montrant par exemple des couples d'hommes ou de femmes de longue durée, âgés, au physique quelconque et vivant à la campagne de façon très simple. Bref, l'inverse du cliché collé au personnage LGBT: jeune, beau et glamour comme une gravure de mode, branché, urbain, fêtard, à la sexualité débridée etc.

C'est dans cette même perspective qu'il poursuit ce travail de déconstruction et de réhabilitation de tout un pan de l'humanité laissé dans la pénombre avec "Petite fille", remarquable documentaire sur la transidentité d'une enfant de 8 ans. Ce thème avait déjà été abordé dans la fiction avec "Ma vie en rose" (1997) mais la différence de l'enfant se heurtait presque jusqu'au bout à une réprobation générale, y compris de ses parents. "Petite fille" montre au contraire une famille qui accepte et soutient Sasha inconditionnellement. En revanche en dehors des médecins spécialisés (et donc informés) sur la question, on peut dire que l'attitude des adultes ne brille pas par sa tolérance. C'est même le parcours du combattant pour que Sascha obtienne le droit de venir à l'école avec des habits féminins qu'elle porte naturellement chez elle ou en vacances et qu'elle aimerait bien sortir du placard dans sa vie scolaire. Je rappelle qu'on est censé vivre dans un pays libre (mais qui continue à dicter aux femmes la façon dont elles doivent s'habiller, notamment à l'école alors les garçons qui se sentent filles n'en parlons même pas). Ce n'est pas la première fois que je mesure le retard de notre pays sur ces sujets. A Montréal par exemple, j'ai croisé plusieurs personnes transidentitaires dans la rue et parmi elles, une qui travaillait au supermarché du coin en tant qu'hôtesse de caisse. En France, il y a quelques années, une employée d'une célèbre enseigne dont je tairai le nom avait été obligée de retirer son piercing au nez pour être embauchée. Alors un personnage excentrique à la Almodovar derrière le comptoir, ce n'est pas pour demain. Certains articles ont reproché au réalisateur de ne pas avoir filmé le directeur et le personnel de l'école dans laquelle est inscrite Sascha mais ces derniers ont été invités à dialoguer avec la famille et les médecins et ne sont pas venus. Est-ce la caméra qui leur a fait peur ou bien n'ont-ils rien de constructif à dire sur la question? Leur absence en tout cas interroge. Les absents ont toujours tort de toute façon.

Le documentaire ne s'en tient pas qu'à la seule question de l'intégration à l'école même si elle est centrale compte tenu de l'âge de Sasha. Il évoque aussi d'autres pesanteurs: la transphobie d'une professeure de danse du conservatoire dans lequel est inscrite Sasha. Les questionnements et les doutes de sa mère (car c'est toujours la mère que l'on accuse lorsque l'enfant est différent, c'est toujours la mère qui se sent coupable et de ce point le vue les propos du médecin sont une délivrance: les parents ne sont pour rien dans la dysphorie de genre*). Et enfin l'avenir forcément compliqué de la petite fille qui pour ne pas subir le traumatisme de se retrouver dans un corps de garçon à l'adolescence doit se préparer à un cheminement compliqué tant médical que social. Peut-être que Sébastien LIFSHITZ prolongera ce documentaire passionnant avec un deuxième volet sur l'adolescence de Sasha si celle-ci y consent pour que l'on mesure les difficultés d'être à sa place et comprendre qu'il ne s'agit en rien d'une lubie ou pire encore (car la question est évoquée dans le documentaire) le fruit d'une maltraitance parentale.

*La dysphorie de genre est caractérisée par une identification forte et permanente à l'autre genre associée à une anxiété, à une dépression, à une irritabilité et, souvent, à un désir de vivre en tant que genre différent du sexe attribué à la naissance.

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Les Invisibles

Publié le par Rosalie210

Sébastien Lifshitz (2012)

Les Invisibles

"Les Invisibles" est un documentaire intimement lié au besoin de combler un vide mémoriel. Le réalisateur, Sébastien Lifshitz confie dans les bonus du DVD que l'idée du film est partie d'une dizaine d'albums photos qu'il a trouvé dans une brocante qui appartenaient à un couple de femmes vivant dans les années 50. Des photos en décalage avec "l'histoire officielle" (moi je dirais plutôt les clichés) attachés à l'homosexualité qui aurait été en ce temps là forcément tragique. Poussé par le besoin de combler l'absence de transmission générationnelle liée à l'invisibilité sociale des homo seniors (sans parler du vide laissé par la génération fauchée par le sida), il décida de mener une enquête auprès d'hommes et de femmes âgés de 60 à 80 ans venant de tous les milieux sociaux et géographiques et capables de produire du sens c'est à dire ayant un recul sur leur vie, des archives et vivant dans un environnement signifiant.

Le résultat, passionnant démonte un certain nombre de clichés sur l'homosexualité mais aussi sur la vieillesse. Tout d'abord et à sa grande surprise, Sébastien Lifshitz a découvert que la plupart des témoins vivaient au sein de couples de longue durée, qu'ils étaient plutôt épanouis et que leur parole était franche voire crue sur la sexualité. Certains ont toujours su qu'ils étaient homosexuels, d'autres l'ont découvert sur le tard. Certains sont passés par la voie du militantisme pour s'affirmer, d'autres non. A cause de leur différence et de la forte répression familiale et sociale qu'ils ont vécu pour la plupart, ces hommes et ces femmes ont dû aller plus loin que les autres sur le chemin de leur vérité intime afin de vivre en harmonie avec leur nature. Ce qui frappe d'ailleurs dans ce documentaire, c'est justement l'omniprésence de la nature, qu'elle soit filmée ou évoquée. A contre-courant de l'idée reçue selon laquelle la ville serait le milieu "naturel" des homos, une partie d'entre eux ont vécu toute leur vie ou trouvé refuge à la campagne. Les propos de Pierrot sur les pratiques sexuelles des animaux vont dans le même sens. A savoir que l'homosexualité est naturelle, que sa place est dans la nature et que ce sont les constructions sociales qui sont à l'origine de son bannissement.

Au final, le film dépasse son sujet initial pour évoquer le travail qu'il est nécessaire d'effectuer pour être soi c'est à dire être libre, heureux, vivant tout simplement. Pierrot, le chevrier philosophe évoque d'ailleurs le fait que renoncer à sa sexualité c'est comme s'assoir sur une chaise pour regarder la TV au moment de la retraite, cela conduit tout droit au cimetière.

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