Par curiosité, j'ai eu envie de découvrir une autre version du roman de Léon Tolstoï que celle de Clarence BROWN que je connaissais déjà. Celle de Julien DUVIVIER n'est pas déshonorante mais elle m'a parue moins réussie. Déjà on a une impression de redite au début avec le choix identique de mettre en avant le couple Anna-Vronsky au détriment de celui formé par Kitty et Lévine. Ensuite il y a un abus d'effets mélodramatiques avec les épisodes de maladie nerveuse de Kitty puis d'Anna. Et enfin Greta GARBO était plus proche du personnage que Vivien LEIGH qui m'a semblé trop "petite fille capricieuse" pour être à la hauteur des tourments de la jeune femme tiraillée entre son amant et son fils (dont la relation est sacrifiée par rapport à celle de Brown). A moins que ce ne soit le scénario, très confus qui en soit la cause. Entre son mari qui veut divorcer puis qui ne le veut plus (sans être mauvais, Ralph RICHARDSON hésite entre plusieurs attitudes alors que Basil RATHBONE était droit dans ses bottes), Anna qui veut quitter Vronsky (joué par un acteur encore plus fade que celui de la version de 1935) puis qui ne le veut plus, la bonne société qui oscille entre compassion et médisance, le moins que l'on puisse dire, c'est que la progression de l'histoire n'est pas fluide et que les 2h13 sont le fruit de ce refus de trancher dans le vif. Reste la superbe photographie de Henri ALEKAN et une mise en scène qui offre quelques moments inspirés: celle de fin est tout à fait remarquable et Vivien LEIGH pour une fois dans son élément.
"Anna Karénine" est moins une adaptation du roman éponyme de Tolstoï qu'une illustration du savoir-faire hollywoodien des années 30 dans toute sa splendeur. Jamais le mot "star" n'aura autant brillé que lors de la première apparition de "La Divine" dans un nuage de vapeur (je pense que c'est une pure coïncidence mais cette scène me fait penser à la première apparition de Marilyn MONROE dans "Certains l'aiment chaud" (1959) également sur un quai de gare, également dans un puissant jet de vapeur mais dont le cadrage n'est plus de l'ordre de la sublimation romantique mais plutôt de l'assouvissement des instincts ^^.) Greta GARBO qui avait déjà interprété le personnage au temps du muet (avec son amant de l'époque John GILBERT) trouve le parfait écrin qui sied à son magnétisme. L'histoire est épurée, laissant dans l'ombre le contexte historique et les intrigues secondaires pour se concentrer sur le trio principal: Anna, son mari psycho rigide obsédé par son travail et sa réputation (impeccablement joué par Basil RATHBONE) et son amant Vronsky (joué par le fade Fredric MARCH). La mise en scène de Clarence BROWN (qui a remplacé George CUKOR qui était pressenti pour réaliser le film) met bien en lumière le dilemme d'Anna, déchirée entre l'espoir chimérique d'effacer les erreurs du passé en cédant à la flamme qu'elle éprouve pour le frivole Vronsky et celui, bien réel que lui porte son fils. En faisant le mauvais choix, elle perd tout dans une société qui ne pardonne aucun écart. En témoigne la scène où son mari, en position de juge suprême coupe définitivement le lien qui la reliait à Serguei, la précipitant vers l'abîme (suggéré par une descente d'escalier chancelante et un travelling arrière). Mais la fatalité suit comme une ombre Anna dès sa première rencontre avec Vronsky, marquée par le coup de foudre mais aussi de son propre aveu un "funeste présage": la mort d'un cheminot écrasé par le train. Lorsque Anna le reprend et que Vronsky la rejoint, un courant d'air glacé les enveloppe, annonçant également la tragédie à venir. Si la photographie éclaire magnifiquement le visage de Garbo, saisissant la moindre de ses expressions (mais elle joue avec tout son corps et les cadrages alternent entre gros plans et plans plus larges, mettant en valeur l'ensemble de son jeu), les scènes de groupe sont également très bien menées, alternant elles aussi entre des plans d'ensemble et des plans plus rapprochés permettant de saisir les enjeux émotionnels qui se nouent autour de Anna, Vronsky, Lévine ou Kitty (le deuxième couple de l'histoire de Tolstoï, volontairement laissé en arrière-plan dans cette adaptation).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.