Il faut avoir la foi pour aimer "Tralala" mais la magie n'a pas opéré sur moi. Certes, il s'agit d'un film soigné notamment au niveau de la bande-son, de la photographie et des décors, un film qui a du style, du bon goût (clin d'oeil à Jacques DEMY, hommage à Alain BASHUNG avec un Bertrand BELIN à la troublante ressemblance y compris dans le phrasé) mais il manque l'essentiel: des personnages qui aient un tant soit peu de consistance et un scénario qui tienne la route. Le personnage de vagabond joué par Mathieu AMALRIC (abonné aux rôles distanciés) n'est pas suffisamment construit pour exister, il n'est qu'une enveloppe qui se glisse dans la peau d'une autre enveloppe, un jeune homme dont on ne sait rien sinon qu'il était un musicien et un séducteur irrésistible. Cet aspect est particulièrement peu crédible. La condition de SDF n'est pas vraiment ce qu'il y a de mieux pour tomber les filles à moins de s'en faire une idée très éloignée du réel. Il s'agit davantage d'une rêverie qu'autre chose. Le personnage de Melanie THIERRY en particulier semble avoir passé au moins vingt ans dans une grotte (^^) à attendre le retour de son amour de jeunesse, d'ailleurs elle dit que le temps n'a pas passé mais qu'elle va avoir quarante ans. J'espère pour elle qu'elle a vécu des choses intéressantes entretemps! L'autre ex jouée par MAIWENN n'est guère plus consistante en propriétaire d'hôtel de luxe qui elle aussi ne s'est jamais remise de ses parties de jambes en l'air dans la chambre 617 avec "Pat". Elle prétend avoir une fille de lui, Virginie (Galatea BELLUGI) alors que le vagabond était justement venu à Lourdes pour tenter une aventure avec cette dernière qu'il avait rencontré alors qu'elle faisait une fugue à Paris. Ce n'est pas de chance d'avoir endossé l'identité du père! Au moins si cela nous épargnait une scène gênante d'inceste à la "Trois places pour le 26" (1988)? Et bien même pas, puisque Tralala n'est pas son vrai père! Tout est à l'avenant, sans importance aucune. Les belles idées de mise en scène, c'est bien (Josiane BALASKO filmée à contre-jour et dont le visage peu à peu se dessine au fur et à mesure qu'elle dit reconnaître son fils disparu), mais sans aucune émotion pour leur donner vie, à quoi bon?
Mon avis sur "Peindre ou faire l'amour" est très partagé. D'un côté, le film des frères Larrieu est une expérience d'immersion sensuelle séduisante. Cinéastes des montagnes, ils invitent le spectateur -à 80% urbain- à se mettre au vert et à reprendre contact avec la nature. L'une des plus belles scènes du film se déroule ainsi complètement dans le noir. William (Daniel AUTEUIL) et Madeleine (Sabine AZEMA), couple de bourgeois vieillissants en crise larvée qui a acheté une maison dans le Vercors traversent à pied, de nuit la forêt, guidé par le maire du village, Adam (Sergi LOPEZ) qui est aveugle. On "voit" donc par ses yeux ou plutôt par ses oreilles puisque faute d'images, les sons y sont exacerbés. Cette immersion étroite dans la nature, non exempte d'effroi de par la perte de contrôle qu'elle suppose rejoint évidemment le lâcher-prise du corps, invité à exulter sans entrave. C'est ainsi qu'une attirance naît entre les deux couples, William et Madeleine trouvant en Adam et Eva (bonjour le symbole) plus jeunes et plus libres d'esprit qu''eux de quoi raviver leur libido en berne. Leur réaction de peur, suite à leur première nuit d'amour est également très bien observée avec un retour en ville et à une sexualité de couple, dans des repères rassurants loin de l'étrange étranger dépeint comme le diable en personne, tout à fait dans la lignée de ce qu'observait déjà M.J. Forster dans "Maurice" (1987) adapté au cinéma par James IVORY.
Néanmoins, le film pèche de par le cadre social étriqué qu'il choisit, celui d'une bourgeoisie oisive pour qui "la propriété est une émotion", comme si la nature et la jouissance sexuelle s'achetaient. L'échangisme se pratique en effet entre gens du même monde, ayant les mêmes codes sociaux: les relations sexuelles s'y déroulent sous couvert de transactions immobilières, après l'apéro et le dîner et se terminent une fois le service rendu. Si Adam et Eva suscitent non seulement du désir mais des sentiments forts (tendresse, jalousie), le couple William-Madeleine referme vite la parenthèse et préfère s'adonner à un échangisme contrôlé avec des inconnus aussitôt consommés aussitôt oubliés: sous couvert de voyage, une routine succède à une autre routine et tout cela retombe comme un soufflé. On est à des années lumières d'un Pier Paolo PASOLINI qui en faisant découvrir l'extase à ses bourgeois dans "Theoreme" (1968) les convertissaient à jamais. Et en dehors de Sergi LOPEZ toujours parfait dans les rôles troubles (mais au lieu d'être maire il aurait dû être un hippie!), les autres personnages s'avèrent extrêmement convenus et tout à fait creux à l'intérieur.
"La Brèche de Roland" est l'un des premiers films des frères Jean-Marie LARRIEU et Arnaud LARRIEU, réalisé après leur premier long-métrage "Fin d'été" mais avant "Un homme, un vrai" (2003) qui les a fait connaître. "La Brèche de Roland" est une excellente introduction à leur univers si singulier: première collaboration avec Mathieu AMALRIC qui tient le rôle principal dans la majorité de leurs films, le deuxième rôle étant tenu par leurs Pyrénées originelles (même s'ils peuvent lui faire quelques infidélités pour leur soeur des Alpes). En effet chez les frères Larrieu, le paysage n'est pas un décor, il fait corps (et esprit) avec les personnages. Ainsi dans "La Brèche de Roland", quand Roland part retrouver sa femme qui a littéralement coupé le cordon, il traverse une grotte à la nage et ce qui se trouve au bout est une piscine naturelle dans laquelle a lieu une renaissance. Les autres caractéristiques du cinéma des frères Larrieu (après Amalric et les Pyrénées) que l'on retrouve dans "La Brèche de Roland" sont le voyage guidé par l'inconscient, le retour à l'état de nature (nudité comprise) et l'étroite relation qu'entretiennent le plaisir et le danger. Tous ces ingrédients, les frères Larrieu les marient avec un genre très codifié, la comédie du remariage où un couple en crise se perd et se retrouve. Les deux adolescents du couple ont un rôle intermittent qui est également caractéristique de leur cinéma. Chez les Larrieu les enfants ont souvent quitté le nid et quand ils ne l'ont pas fait, ils sont capables de se débrouiller seuls, leurs parents ne s'inquiétant pas plus que ça de leur disparitions/réapparitions. S'y ajoute une dimension identitaire, le fameux Roland se rend sur la brèche qui porte son prénom afin d'avoir des éclaircissements sur ses origines. Un film vivifiant porté par le talent déjà éclatant à l'époque de Mathieu AMALRIC.
J'ai une certaine sympathie pour les films français qui sortent des sentiers battus, notamment lorsqu'il s'attaquent à des genres tels que le thriller, le fantastique, l'épouvante ou la science-fiction dont le plus gros contingent provient des USA (et secondairement d'Asie). Alors ça donne quoi un film-catastrophe à la française? Quelque chose d'atypique en tout cas. Loin de singer leurs confrères d'outre atlantique (ils n'en auraient de toutes façons pas eu les moyens) les frères Larrieu adaptent deux livres de Dominique Noguez pour narrer l'odyssée régionaliste picaresque d'un Robinson anti-héros au possible (Mathieu Amalric). Sauver le monde, très peu pour lui. D'ailleurs il ne cherche même pas à se sauver lui-même, naviguant à contre-courant de la foule qui cherche (ou pas d'ailleurs, les suicides sont légion dans le film) à échapper à l'apocalypse. Lui cherche au contraire à la heurter de plein fouet car cette apocalypse se confond avec l'objet de son désir obsessionnel, celui qu'il a pour Lae (Omahyra Mota), belle métisse androgyne brésilienne insaisissable, rencontrée un an avant "les 10 derniers jours du monde" pour laquelle il laisse tomber femme (Karin Viard) et maîtresse (Catherine Frot).
Assez étrangement, le film n'est pas anxiogène bien qu'il évoque en toile de fond des menaces qui ont une résonance actuelle (les virus, les attentats terroristes ou les catastrophes écologiques). En effet on baigne dans une ambiance complètement irréelle de vacances et de fête perpétuelle liée au choix des lieux (sud-ouest de la France et pays basque espagnol principalement), à la photographie lumineuse, au milieu socio-économique des personnages (CSP ++++++) et enfin à leur comportement hédoniste sachant prendre la vie (et aussi la mort) du bon côté: l'eau est contaminée? Buvons du vin et du champagne! C'est le chaos? Profitons-en pour buller à l'ombre des relais-châteaux et chiper des truffes dans les cuisines. On va tous mourir? Raison de plus pour courir tout nu dans la rue comme aux premiers jours du monde et coucher avec tout ce qui passe à sa portée sans tenir compte de l'âge, du sexe ou même du lien de filiation puisque plus rien n'a de sens et que toutes les structures se sont effondrées! Ce sont d'ailleurs les scènes d'orgie (au sens large) qui sont les plus réussies. Hypnotiques et enivrantes tout en charriant leur part de morbide, elles ont quelque chose de transcendant qui évoque les danses macabres du Moyen-Age: c'est la marée humaine de la feria de Pampelune mais aussi la représentation de "La vie brève" au théâtre du Capitole de Toulouse avec Sergi Lopez dans le rôle du ténor (un habitué des frères Larrieu et du cinéma "atypique" français) et enfin le morceau de bravoure de l'orgie du château dans le Lot qui reprend l'esthétique de "Eyes Wide Shut" tout en faisant un gros clin d'oeil à "La Règle du jeu" (et on a droit à un caméo surréaliste d'une autre habituée du cinéma des Larrieu, Sabine Azéma en marquise décatie et gothique). Bref si l'on peut déplorer la froideur, l'insensibilité de personnages réduits à leurs pulsions les plus primitives, l'inventivité des frères Larrieu rend le film surprenant et réjouissant de bout en bout.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.