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Articles avec #kubrick (stanley) tag

Orange mécanique, les rouages de la violence

Publié le par Rosalie210

Benoît Felici, Elisa Mantin (2023)

Orange mécanique, les rouages de la violence

Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. Comme "Lolita" de Nabokov, autre roman incompris (et adapté au cinéma par Stanley KUBRICK), "Orange mécanique" est un roman "extralucide" qui s'avère aujourd'hui d'une brûlante actualité. Hélas, il a voyagé dans le temps avec le contresens tenace consistant à y voir une apologie du crime. Contresens qui pour mémoire (le documentaire ne l'évoque pas) avait conduit à la censure du film jusqu'à la mort de Stanley KUBRICK. Un contresens largement basé sur une vision tronquée de l'oeuvre. Que ce soit le livre ou le film, c'est la première partie, celle des exactions de Alex et de sa bande qui absorbe la lumière alors que la suite montre la violence infiniment plus grande qu'exerce l'Etat vis à vis des individus déviants. Une occultation significative puisqu'elle permet aux sécuritaires d'instrumentaliser l'oeuvre (par exemple dans "La France Orange Mécanique") pour réclamer d'un Etat supposé laxiste davantage de mesures coercitives. Or nous dit Anthony Burgess dont le catholicisme irrigue philosophiquement le livre, qu'est ce qu'un individu privé de la liberté de choisir sinon un être privé d'humanité?

Le documentaire se penche sur l'histoire personnelle de l'auteur marquée par plusieurs drames (dont une agression sur son épouse qui fait écho à celle de l'écrivain dans "Orange Mécanique" et ce d'autant plus que cet écrivain est en train de rédiger le roman que l'on est en train de lire, une redoutable mise en abyme) mais aussi sur le contexte socio-culturel du Royaume-Uni des années cinquante et soixante marqué par l'acculturation américaine et la fin de l'Empire colonial. Une crise existentielle qui a favorisé la montée en puissance d'une jeunesse rebelle et nihiliste avec la formation de gangs violents, le tout attisé par la consommation de drogues. Une énergie créative retournée en pulsion destructrice, voilà comment Anthony Burgess définit Alex et sa bande qui n'incarne pas seulement la jeunesse britannique. Le fameux argot "nadsat" étant une manière d'effacer le rideau de fer ou plutôt de le déplacer d'une frontière géopolitique vers une frontière générationnelle, Anthony Burgess ayant remarqué lors d'un séjour en URSS que le mal-être de la jeunesse était tout aussi important à l'est qu'à l'ouest. Mais la plus grande préoccupation de Burgess et ce qui rend son oeuvre intemporelle est son profond humanisme. Le documentaire se penche sur un manuscrit inachevé retrouvé récemment, "A Clockwork Condition", dans lequel Burgess livre son inquiétude sur le monde à venir. Un monde "freak control" où le mécanique (dont fait partie le conditionnement pavlovien ayant servi de modèle au programme Ludovico) réussirait à dompter l'organique. Avec à la clé certes, la disparition du "mal" mais aussi du "bien", l'un n'allant pas sans l'autre et l'être humain ne l'étant que parce qu'il est doté de la capacité de choisir. En inhibant le mal chez Alex, le programme étouffe également le bien en lui, son potentiel artistique lié à son amour de la musique. Cette réflexion n'est pas très éloignée de celle du géographe François Terrasson qui montrait dans ses livres sur la civilisation anti-nature que l'homme occidental détruisait tout ce qu'il ne pouvait contrôler et que son idéal était un monde minéral et non un monde vivant. Il suffit de regarder l'allure de nos métropoles avec leurs alignements de tours de verre et d'acier pour comprendre ce que cela signifie. Burgess était tout simplement visionnaire.

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Lolita, méprise sur un fantasme

Publié le par Rosalie210

Olivia MOKIEJEWSKI (2021)

Lolita, méprise sur un fantasme

Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. "Lolita, méprise sur un fantasme" revient sur la fabrication de toutes pièces d'une icône populaire de la littérature et du cinéma à partir du livre "le plus incompris de toute l'histoire de la littérature", à savoir "Lolita" de Vladimir NABOKOV. Un contresens lourd de sens en réalité. Son auteur apatride n'ayant pu publier son sulfureux livre aux USA, c'est un éditeur français de roman érotiques qui s'en chargea en 1955. L'adaptation du livre par Stanley KUBRICK fit le reste. Contrairement aux intervenants du documentaire, je ne trouve pas le film (trop superficiellement analysé) si éloigné du véritable sens du livre. Mais passé à la moulinette du puritanisme américain, avec une actrice Sue LYON trop âgée pour le rôle et une affiche aguicheuse, l'imagerie attachée au film de Stanley KUBRICK effaça le contenu du livre au profit de photos de couvertures montrant de jeunes femmes aux poses suggestives. Celui-ci devint ainsi le support de fantasmes masculins porté à l'extrême au Japon avec le phénomène "Lolicon" ou "Lolita complex" (l'attirance d'hommes adultes pour les écolières). Un contresens lié à la subtilité dans le procédé d'écriture du livre où l'auteur se place du point de vue du narrateur qui est Humbert Humbert mais sans se confondre avec lui. Une incompréhension qui a poussé certains à penser que le livre faisait l'apologie de la pédophilie. Un contresens surtout lié à une interprétation du livre dominée durant des décennies par le "male gaze" ce qui poussa Vladimir NABOKOV à faire une mise au point sur le plateau du magazine "Apostrophes" en 1975. Mise au point qui ne fut pas entendue par Bernard PIVOT puisque 15 ans plus tard, il recevait sur son plateau Gabriel Matzneff avec le même regard égrillard et le même vocabulaire sur les "nymphettes" emprunté aux fantasmes de Humbert Humbert pris pour argent comptant. Sans se rendre compte que contrairement à Nabokov, il n'y avait aucune différence entre Matzneff le narrateur et Matzneff l'auteur, ce dernier se servant de la littérature pour assouvir une perversion bien réelle. Les mouvements Metoo et Metoo inceste qui ont permis aux femmes victimes d'abus d'accéder à une bien plus grande visibilité ont démystifié Matzneff et au contraire rendu au roman de Nabokov sa signification première. Vanessa Springora, ancienne victime de Matzneff témoigne du rôle que le livre a joué dans sa vie et si celui-ci n'avait pas été réalisé en 2021 mais aujourd'hui, il inclurait sûrement le témoignage de Neige Sinno qui dans "Triste Tigre" se livre à une relecture radicale du roman qui rejoint les mots que l'écrivain avait prononcé en 1975 mais qui n'avaient alors pas été entendus.

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Lolita

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1962)

Lolita

"Moi je m'appelle Lolita
Lo ou bien Lola, du pareil au même."

Et bien non Mylène FARMER, Lolita ne s'appelle ni "Lo" ni "Lola", mais Dolores. Autrement dit elle n'est pas une invitation au plaisir mais à la douleur. De même, le roman de Nabokov fut pendant des décennies interprété par le "male gaze". Celui d'un Bernard Pivot aux yeux égrillards et au rire gras en osmose avec celui d'un pédophile notoire (Gabriel Matzneff) sachant s'entourer de "nymphettes" (sous entendu "toutes des vicieuses qui n'attendent que ça"). Sauf que c'était bien entendu un contresens. Nabokov avait d'ailleurs tenu à rétablir la vérité sur le plateau de ce même Bernard Pivot. Lolita n'était pas une jeune fille perverse mais une pauvre enfant qu'on débauchait et dont les sens ne s'éveillaient jamais sous les caresses de l'immonde monsieur Humbert. "En dehors du regard maniaque de monsieur Humbert, il n'y a pas de nymphette." Comme l'ont révélé les mouvements #MeToo et #Metoo Inceste, c'est la domination patriarcale qui est au coeur de ces déviances et le soi-disant "consentement" voire les attitudes "provocantes" de l'objet du désir ne sont qu'une projection de leur prédateur qui satisfait ainsi ses archaïques besoins de possession.

C'est exactement cela que l'on retrouve dans le film de Stanley KUBRICK qui décrit l'itinéraire d'un homme malade, remarquablement joué par James MASON. Sans jamais montrer ni même surligner le caractère sulfureux de la relation entre un homme mûr et une gamine (Sue LYON qui a donné un visage à Lolita était plus âgée de deux ans que le personnage du roman), il fait ressentir le caractère intenable d'une relation fondée sur l'oppression (la jalousie maladive de Humbert Humbert qui veut contrôler tous les faits et gestes de celle qu'il considère comme sa propriété) et la clandestinité (le regard social pesant et la destructivité de la confusion des rôles, le beau-père étant décrédibilisé par l'amant lui-même démonétisé par le beau-père). Par conséquent, ce couple aberrant est marqué du sceau de l'errance et de la culpabilité. Humbert Humbert est en effet poursuivi par sa conscience, laquelle prend le visage de différentes figures d'autorité (flic, psy). Mais ces surmoi ne sont que les divers déguisements du dramaturge pédophile Clare Quilty (avatar de guilty, coupable) interprété par le génial Peter SELLERS (qui se démultipliera encore plus dans Docteur Folamour) (1963). Chez Stanley KUBRICK, Peter SELLERS incarne des monstres aussi grotesques qu'inquiétants. Dans une scène mémorable, il emmène son personnage jusqu'aux portes de la folie lorsqu'il exprime son désir pour Lolita. Quilty est le ça de Humbert Humbert, hommes aux deux visages, d'un côté universitaire et père de famille , de l'autre criminel et pédophile incestueux. Pas étonnant qu'en éliminant ce double monstrueux qui lui pourrit la vie, Humbert Humbert se détruise lui-même.

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Barry Lyndon

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1975)

Barry Lyndon

Lorsque je suis amenée à voir un navet, je compense aussitôt avec l'un des plus beaux films du monde, un régal pour l'œil, l'oreille et l'esprit. "Barry Lyndon" est une œuvre d'art totale. C'est un film qui se contemple, qui s'écoute, qui se lit mais surtout qui se vit. "Barry Lyndon" fait partie de ces films qui rappellent que le septième art est celui du mouvement, de l'anima(tion). Stanley KUBRICK avait déclaré qu'il avait voulu réaliser un documentaire sur le XVIII° siècle c'est à dire transformer le passé (film historique) en présent (film documentaire). Ce tour de force, il l'a accompli en réalisant une œuvre vivante, humaine, naturelle et par conséquent une œuvre sur laquelle le passage du temps n'a pas de prise.

- "Barry Lyndon" est un film qui se contemple. Son rythme volontairement lent permet au spectateur d'apprécier la beauté de chaque image, conçue comme un tableau vivant faisant référence à la peinture anglaise du XVIII° siècle (Gainsborough, Hogarth, Constable etc.). C'est le résultat de la photographie exceptionnelle de John ALCOTT et du sens du cadre tout aussi exceptionnel de Stanley KUBRICK: harmonie des proportions, symétrie de la composition, zooms arrières découvrant progressivement des paysages plus sublimes les uns que les autres dans lequel sont insérés les personnages. La sensibilité photographique de Stanley KUBRICK se ressent aussi dans le travail époustouflant accompli sur la lumière naturelle qu'elle soit extérieure ou intérieure. La plupart des plans d'extérieur ont été filmés à l'aube ou au crépuscule, nimbant les images d'un voile poétique et mélancolique alors que ceux d'intérieur sont éclairés de côté, soit par la lumière provenant des fenêtres soit par celles des bougies. Outre la prouesse technique qui a fait couler beaucoup d'encre, ce travail a nécessité beaucoup de temps et de patience, Stanley KUBRICK n'hésitant pas à user les nerfs de son équipe pour capter un passage nuageux ou un ensoleillement précis. C'est ce travail sur la lumière qui contribue à donner au film de Stanley KUBRICK un aspect naturel d'une qualité incomparable à tous ceux qui sont réalisés en studios avec des lumières factices.

-"Barry Lyndon" est un film qui s'écoute. Stanley KUBRICK savait redonner vie et sens à la musique classique en la mariant aux images de ses films mais avec "Barry Lyndon", il atteint un degré de perfection inédit dans cette fusion. Parmi les morceaux présents dans le film, j'en citerai trois qui me paraissent particulièrement remarquables: la mélancolie poignante des chants celtiques évoquant le paradis perdu de l'Irlande natale de Redmond Barry, la sarabande solennelle de Haendel qui souligne le "fatum" qui pèse sur lui et enfin le romantisme tragique du trio de Schubert qui épouse à la perfection la sublime scène intimiste quasi-muette de séduction entre Redmond Barry et Lady Lyndon (Marisa BERENSON). Non seulement l'anachronisme du morceau ne se remarque pas mais il souligne l'un des aspects les plus modernes du XVIII° siècle: l'invention de l'intimité notamment par l'investissement croissant de la sphère domestique dans les milieux nobles et bourgeois. Marie-Antoinette se réfugiant dans le cocon du petit Trianon pour échapper à la cour de Versailles où sa vie était un spectacle permanent en est l'un des exemples les plus célèbres. Le XIX° ne fait que couronner ce triomphe de l'intimisme notamment avec le développement de la musique de chambre et les améliorations du piano (inventé au XVIII° mais qui n'atteint sa plénitude expressive qu'au XIX°).

- Comme la majorité de ses films, "Barry Lyndon" est une adaptation littéraire, celle des "Mémoires de Barry Lyndon du royaume d'Irlande" de William Makepeace Thackeray. Il s'agit donc d'une autobiographie fictive ce qui explique d'une part le caractère profondément mélancolique du film et d'autre part la présence de la voix-off qui ne se contente pas de commenter l'action mais l'anticipe, nous révélant ainsi que le destin tragique de Redmond Barry est déjà scellé. La voix-off permet aussi au spectateur d'acquérir une certaine distance par rapport à l'histoire. Elle coupe court au pathos qui pourrait surgir de scènes particulièrement dramatiques comme celle de la mort de Bryan (David MORLEY). Le ton décalé employé dans certaines situations a le même objectif. Par exemple l'extrême politesse du langage employé par le Captain Feeney (Arthur O SULLIVAN) fait oublier qu'il s'agit d'un voleur qui plonge Redmond Barry dans une situation dramatique en le dépouillant de tous ses biens. L'aspect littéraire du film réside également dans le fait qu'il s'agit d'un bildungsroman, du moins dans sa première partie. Le film est en effet divisé en deux parties égales: l'ascension et la chute (toujours ce goût pour la symétrie!) qui elle est en rapport avec la tragédie. La première partie du film appartient également au genre picaresque de par l'errance et les aventures d'un héros toujours en mouvement et qui ne parvient pas à trouver sa place. La deuxième partie en revanche est un quasi huis-clos théâtral plus propice au déroulement de la tragédie. Le héros enfin, Redmond Barry est un personnage complexe dont le comportement, dicté par le ressentiment est lui aussi "symétrique". Dans un premier temps, il est victime de sa naïveté lorsqu'il découvre que sa cousine dont il est amoureux l'a manipulé avec la complicité de la famille pour faire un mariage d'argent. Dans un second temps, endurci et aguerri par les épreuves qu'il a traversé, il se venge en faisant lui-même un mariage d'intérêt avant de le détruire en dilapidant la fortune de sa femme, en bafouant cette dernière ainsi que les codes sociaux en vigueur dans les hautes sphères. Comme le héros de "Eyes wide shut" (1999), Edmond Barry est un personnage falot (d'où le choix du lisse Ryan O NEALpour l'interpréter) qui réussit à entrer de façon opportuniste dans un milieu fortuné et décadent dont il ne maîtrise pas les codes. Il finit donc par être rejeté et par retourner dans son milieu d'origine. Mais la tragédie propre à Redmond Barry est d'être un déraciné privé d'ascendance comme de descendance. Il n'est guère étonnant que les moments où il se montre le plus sincère et le plus vulnérable soient liés à la perte: celle de son père de substitution le capitaine Grogan (Godfrey QUIGLEY), celle de sa terre natale ravivée par la rencontre avec le chevalier de Balibari (Patrick MAGEE et enfin celle de son fils.

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Full Metal Jacket

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1987)

Full Metal Jacket


"Full Metal Jacket", l'avant-dernier film de Kubrick est une éprouvante initiation où celui-ci démontre avec une impressionnante rigueur formelle par A+B comment la machine de guerre US déshumanise ses jeunes recrues et combien il est difficile voire impossible de conserver un tant soit peu sa personnalité et son libre-arbitre une fois qu'on a mis les doigts dans l'engrenage militariste. Un thème cher à Kubrick, même en dehors de ses films de guerre ("Orange mécanique" en est le plus bel exemple).

"Full Metal Jacket" se divise en deux grandes parties reliées par une transition un peu faible. La première partie est consacré au conditionnement des recrues par le terrifiant et grotesque sergent-instructeur Hartman (L. Lee Hermey), lequel utilise l'humiliation et les brimades pour les mettre au pas et détruire leur personnalité et leur humanité (considérée comme une impardonable faiblesse). On peut d'ailleurs faire un parallèle avec les camps de concentration: les recrues portent un uniforme, ont les cheveux rasés et sont affublés de sobriquets dévalorisants en lieu et place de leurs noms véritables ("Blanche-Neige", "Grosse Baleine", "Guignol" etc.) Les plans-séquences se succèdent, montrant la répétition des mêmes entraînements de forçat, des mêmes chants virilistes, des mêmes insultes racistes, antisémites, sexistes, homophobes jusqu'à ce que le bourrage de crâne produise ses effets: l'adaptation servile ou le pétage de plombs sanglant. Il n'y a que deux voies possible. Kubrick nous montre dès cette première partie que les efforts de "Guignol" (Matthew Modine) pour conserver son individualité sont voués à l'échec, il finit par rentrer dans le rang et même par se montrer plus zélé que les autres lors de l'expédition punitive contre "Grosse Baleine" (Vincent d'Onofrio).

La deuxième partie montre ce que ce conditionnement produit sur le terrain. Là encore les efforts du dénommé "Guignol" pour préserver son identité de sujet pensant et critique dans le conflit échouent et il sombre corps et âme dans la pire des visions du monde, celle du darwinisme où on tue pour ne pas être tué. La scène du sniper filmée comme une partie d'échecs est une grande leçon de mise en scène mais c'est aussi une leçon d'histoire. Kubrick filme ce qu'est un conflit asymétrique entre une armée et une guérilla qui a l'avantage du terrain. Un ennemi invisible et insaisissable réussit à abattre méthodiquement plusieurs hommes et à terrifier tout un groupe qui l'imagine puissant et musclé... alors qu'il s'agit d'une frêle jeune fille isolée. Et le conditionnement de la première partie de révéler non seulement sa cruauté (ça on le savait déjà) mais aussi son insondable bêtise. De quoi faire réfléchir sur les causes de l'échec des USA au Vietnam et du traumatisme durable de ses soldats.

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L'Ultime Razzia (The Killing)

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1956)

L'Ultime Razzia (The Killing)

"L'Ultime Razzia" est le troisième film de Stanley Kubrick et son premier film majeur. Puisant son inspiration dans les films noirs de John Huston à qui il emprunte également l'un de ses acteurs phares, Sterling Hayden, il n'en reste pas moins que le long-métrage porte la marque d'un style original. Kubrick utilise les codes du genre (mythe du "dernier coup", femme fatale etc.) et démonte minutieusement les mécanismes du film de casse en déstructurant la narration. Il n'était pas si fréquent à l'époque de briser ainsi la linéarité de l'intrigue pour faire des flashbacks en montrant une même scène avec des points de vue différents. Une mise en scène qui influencera beaucoup le style de Quentin Tarantino par exemple.

Mais ce qui intéresse vraiment Kubrick, c'est l'écart entre la théorie et la réalité. Sur le papier, le plan a l'air parfait, dans la pratique, la belle mécanique va s'enrayer et s'autodétruire. Dans chacune des pièces du puzzle, Kubrick introduit une part d'imprévisibilité qui fait monter la tension. Par exemple Micky Arano (Timothy Carey), le tireur est sans cesse importuné par le gardien du parking dans lequel il s'est posté pour tuer le cheval vedette de la course. Ou encore le policier véreux, Randy Kennan (Ted De Corsia) qui est interpellé par une femme juste au moment où il doit aller se poster sous la fenêtre d'où Johnny Clay (Sterling Hayden) doit balancer l'argent du braquage. Or, la voix off du film le martèle, chaque seconde compte. C'est pourquoi les quinze minutes de retard de Clay auront un impact décisif sur le dénouement du film. Dénouement dans lequel un petit chien jouera le rôle non de l'ultime razzia mais du grain de sable de trop!

Mais encore plus que l'imprévu, ce sont les faiblesses humaines qui vont priver les protagonistes des fruits de leur hold-up et les vouer à une fin tragique. C'est dans ce domaine que le scénario s'avère le moins convaincant. On sent bien que la mécanique de précision de sa narration et mise en scène importe plus à Kubrick que ses personnages. Il n'est pas crédible deux secondes qu'un gangster aguerri comme Johnny Clay prenne pour complice un homme aussi faible que George Peatty (Elisha Cook Jr) qui vit sous le joug de son épouse vénale et manipulatrice, Sherry (Marie Windsor) qui veut récupérer le magot pour elle et son amant Val Cannon (Vince Edwards). Agissant dans la précipitation, Clay commet d'ailleurs d'autres erreurs d'amateur qui lui seront fatales. C'est pourquoi la résolution de l'histoire est un peu trop sèche et mécanique pour satisfaire pleinement.

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Eyes Wide Shut

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1999)

Eyes Wide Shut

Dernier film de Kubrick fidèlement adapté d'un roman d'Arthur Schnitzler "Rien qu'un rêve", "Eyes Wide Shut" est une oeuvre magistrale sur la pulsion érotique et son dévoiement par les élites sociales qui en ont fait un instrument de pouvoir.

"Eyes Wide Shut" ("Les yeux grands fermés") est construit sur une série de dualités en constante interactions. La première de ces dualités est évidemment sociale. Il y a deux mondes dans "Eyes Wide Shut": celui de l'arc-en-ciel et ses lumières multicolores qui symbolise la masse. Et celui de l'élite décadente, une petite société secrète se livrant à des rituels occultes sataniques. Bill et Alice Hartford (Tom Cruise et Nicole Kidman) bien qu'aisés appartiennent au premier monde mais ils sont inexorablement attirés par le second. Chacun d'eux rêve de transgresser les limites pour y pénétrer. "Bill" utilise son fric et son insigne pour se frayer un passage sans jamais parvenir à faire illusion (il est démasqué à la soirée parce qu'il est venu en taxi alors que les grands de ce monde se déplacent en limousine). Quant à "Alice", elle regarde un peu trop du côté du miroir. Les tentateurs et tentatrices qu'ils rencontrent au bal organisé par l'un des riches clients de Bill, Ziegler (joué par Sydney Pollack) leur promettent le 7eme ciel qui se trouve non "Under the Rainbow" mais "Over the Rainbow".

Mais comme chaque réalité est porteuse de son contraire, on suit la nage en eaux troubles de ce couple entre des dualités aux limites de plus en plus poreuses. Le rêve et la réalité s'entremêlent, le présent côtoie le passé (la valse de Vienne 1900, la Renaissance vénitienne), le mariage monogame subit les assauts de la débauche anonyme, les masques s'allient avec la nudité comme la lumière avec l'obscurité et le mensonge avec la vérité. Chaque proposition sexuelle que reçoit Bill possède un pendant morbide qui prend la forme d'un cadavre, du VIH ou d'une overdose. Car la dualité majeure du film est bien entendu celle d'Eros et de Thanatos. L'orgie satanique et ses incantations inversées est une représentation frappante de l'anti-ciel qui exploite et détruit la pulsion sexuelle à des fins mercantiles. On est fasciné par l'impression de vertige qui se dégage de la mise en scène et notamment tous ces travelling labyrinthiques qui ne semblent jamais finir. Même si Bill et Alice finissent par se retrouver non seulement "lucky to be alive" mais chauffés à blanc par leur plongée dans la dialectique du désir.

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Shining (The Shining)

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1980)

Shining (The Shining)

Je ne suis pas d'accord avec tous ceux qui pensent que Shining n'est pas un film effrayant. En 1980, il faut croire qu'il n'existait aucun filtrage des bandes-annonces en fonction du public ciblé. Car c'est juste avant la projection de "Blanche-Neige et les 7 nains" que j'ai eu tout à coup cette vision traumatique qui m'a poursuivie pendant des années: celle d'une pièce se remplissant de sang. J'ai gardé de cette expérience une répulsion pour les motifs et couleurs seventies (l'orange et le marron surtout) ainsi que pour les longs couloirs.

En dehors des grimaces outrancières de Nicholson (que l'on peut diversement apprécier mais qui sont caractéristiques du "masque kubrickien" que l'on retrouve dans "Orange mécanique" ou "Full Metal Jacket"), l'horreur n'est pas démonstrative, elle est plutôt tapie dans l'ombre ce qui crée un climat de tension troué de temps à autre par des images subliminales d'horreur pure. La comparaison de l'hôtel avec un cerveau malade s'impose d'autant plus que l'on passe l'essentiel du temps à en suivre les méandres labyrinthiques avec une répétition obsessionnelle (à l'image de la phrase unique que Jack écrit à longueur de journée sur sa machine).Le surgissement brusque de flots d'hémoglobine dans le dédale de couloirs et de pièces froidement géométriques peut s'interpréter de plusieurs façons. On peut y voir le triomphe des pulsions sur la rationnalité mais aussi l'expression d'un inconscient refoulé fait de crimes. L'hôtel Overlook est en effet un lieu maudit dès l'origine puisque le site a été volé aux indiens. Par conséquent il n'est guère étonnant que son gardien se mue en criminel autodestructeur. Enfin et paradoxalement, le sang représente aussi la vie. Jack s'est en quelque sorte enterré vivant avec sa femme et son fils dans le huis-clos de l'hôtel coupé du monde. Mais le petit Danny possède le shining, la lueur intérieure qui lui permet de briser son isolement en communiquant avec le passé, le futur et les autres êtres ayant le même don. Dont le chef cuisinier de l'hôtel, un "nègre" pour reprendre l'expression du précédent gardien, Grady que l'on devine profondément raciste. C'est pour empêcher l'intrus -l'altérité- de pénétrer son foyer (l'Amérique blanche) que Jack bascule dans la folie meurtrière tentant par tous les moyens d'empêcher sa femme et son fils de s'échapper. Peine perdue, il rejoindra les fantômes pour l'éternité mais seul.

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Orange mécanique (A Clockwork Orange)

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1971)

Orange mécanique  (A Clockwork Orange)

Orange mécanique (dont le titre en VO est encore plus évocateur "A Clockwork orange") repose sur une mise en scène magistrale privilégiant la répétition et la symétrie, l'ensemble formant un cercle ou un cycle comparable à celui d'une horloge. Le cercle apparaît d'ailleurs en tant que tel dans la cour de la prison où les détenus sont condamnés à tourner en rond. Et pour parachever la parfaite circularité de son film, Kubrick n'a pas hésité à changer la fin du livre d'Antony Burgess dont il s'inspire. Au lieu de se ranger de façon linéaire Alex retourne à la case départ, pour un nouveau petit tour de manège ou plutôt de rodéo avec les autorités.

Le film est construit en trois parties d'importance équivalente et qui se répondent en miroir. La première partie montre les agissements criminels d'Alex et de sa bande qui se comportent en véritables barbares des temps modernes. La deuxième nous montre l'incarcération d'Alex dans un centre pénitentiaire et sa terrifiante "rééducation" à l'aide de la méthode pavlovienne Ludovico. La troisième, construite en parfaite symétrie avec la première montre Alex désormais sans défense livré en pâture à ses anciennes victimes qui se comportent à leur tour en bourreaux. La symétrie est soulignée de manière frappante par la répétition des mêmes plans. Ainsi les nombreuses plongées et contre-plongées soulignent les rapports de force de manière spectaculaire. Dans première partie, Alex est vu en contre-plongée ce qui souligne son sentiment de toute puissance alors que dans la deuxième et troisième il est aux pieds de ses nouveaux maîtres tout puissants que nous voyons à leur tour en contre-plongée. Le travelling latéral dans la maison de l'écrivain que nous voyons par deux fois a pour fonction de nous montrer le changement de son état psychologique. Dans la première partie (avant l'agression), il nous dévoile sa femme sortant d'un siège-cocon et dans la troisième (après l'agression), un bodyguard faisant des exercices de musculation à l'emplacement exact où se trouvait sa femme. Autre dispositif récurrent, le gros plan suivi d'un travelling arrière se terminant sur un plan d'ensemble. Le gros plan met en lumière l'absence d'humanité des personnages dont les visages se réduisent à des masques grimaçants (un caractère commun à de nombreux films de ce cinéaste) alors que le plan d'ensemble a pour but de confirmer que dans la société dystopique qui nous est présentée les êtres humains sont devenus des objets (les femmes-tables et femmes-fontaines du Korova milkbar en étant l'exemple le plus éclatant. Mais la boule de billard qui roule aux pieds de l'écrivain symbolise tout autant ce que représente Alex pour lui: un pion.) On peut en dire autant en ce qui concerne la musique, des airs très connus, tournant en boucle mais pervertis. "Singin in the rain" n'est plus un hymne à la joie mais au sadisme, "Funeral of Mary Queen" de Purcell tordue par le synthétiseur prend une tonalité inquiétante et la "Neuvième symphonie" de Beethoven n'est plus qu'un instrument de torture.

Si l'on peut discuter de la pertinence aujourd'hui de l'esthétique années 70 du film ("vieilli/rétro"? "pop"? "punk?), la mise en scène elle n'a pas pris une ride, pas plus que la musique ou l'interprétation mémorable de de Malcolm McDowell. Son personnage a l'âme totalement corrompue mais ses souffrances nous rappellent qu'il s'agit bien d'un être humain. Et c'est bien la question humaine confrontée à la machine politico-judiciaire (et par extension, aux systèmes totalitaires) que pose Kubrick. De même que le film a trois parties, il y a trois réponses possibles dans le film à la question de la délinquance juvénile: la coercition (symbolisée par une prison aux allures de camp militaire avec un gardien-chef fasciste qui préfigure l'instructeur de "Full Metal Jacket"), le lavage de cerveau (avec le conditionnement pavlovien préconisé par les scientifiques) ou bien l'idéalisme humaniste représenté par l'aumônier de la prison qui n'apporte pas de réponse mais se dresse contre des solutions éthiquement contestables "La vertu est un choix. Quand un homme ne peut plus choisir, il cesse d'être un homme." Ce à quoi les politiques lui répondent "L'éthique ne nous intéresse pas, ce qui nous intéresse, c'est la baisse de la criminalité. L'essentiel est que cela agisse." Et c'est aussi par ce questionnement moral que le film de Kubrick rejoint son titre. L'emprise de l'Etat sur les individus allié à une science sans conscience (comme dans "Docteur Folamour") produit une société de robots décérébrés. Incapables d'agir pour le pire comme pour le meilleur. Alex ne peut plus frapper, tuer et violer. Mais il ne peut plus non plus écouter la 9° de Beethoven. C'est ce qu'on appelle un "dommage collatéral."

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Les sentiers de la gloire (Paths of Glory)

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1957)

Les sentiers de la gloire (Paths of Glory)

Les sentiers de la gloire met en lumière les scandaleuses injustices commises par l'armée française pendant la première guerre mondiale et longtemps étouffées. Il s'inspire en effet d'un fait réel: En 1915, 4 officiers accusés de lâcheté furent exécutés pour l'exemple à la suite d'un ordre du sinistre général Réveilhac qui face au refus de ses troupes de se lancer dans un assaut impossible n'avait pas hésité à ordonner de faire tirer sur ses propres hommes. Comme dans le film, le colonel d'artillerie avait refusé d'obéir sans un ordre écrit.

Ce que le film met parfaitement bien en lumière, c'est que l'armée est une société en miniature reproduisant les barrières et rapports de force entre les classes sociales. Les simples soldats issus de milieux populaires s'entassent dans les tranchées boueuses et puantes et servent de chair à canon tandis que les officiers aristocrates vivent abrités dans des châteaux, donnent des réceptions et ont droit de vie et de mort sur une populace qu'ils méprisent. Le colonel Dax joué par Kirk Douglas qui est avocat dans le civil représente les classes moyennes en essor. Il va et vient entre les deux mondes, à la fois supérieur des soldats et subordonné des généraux.

Le film montre également que l'armée est une institution où règne une culture de l'irresponsabilité généralisée. Chacun peut se défausser de ses actes sous le prétexte qu'il obéit à un ordre et se défouler sur les autres sans être inquiété. En cela il souligne à quel point la première guerre a préfiguré la monstruosité de la seconde où sous les mêmes prétextes, des milliers de civils hommes, femmes et enfants ont subi le même sort. Il dénonce également les manipulations psychologiques dont sont victimes les soldats à qui on inculque le culte du courage pour qu'ils perdent tout discernement et aillent se faire massacrer ou exécuter sans broncher.

Les sentiers de la gloire est donc moins un film contre la guerre qu'un film contre l'armée dans lequel Kubrick donne toute la mesure de son antimilitarisme humaniste. Les autorités françaises ne s'y sont pas trompées. Sorti en 1957 en pleine guerre d'Algérie, le film fut invisible en France jusqu'en 1975. Il ne fut pas officiellement censuré mais le Quai d'0rsay fit pression sur les distributeurs pour qu'ils renoncent à l'exploiter. Le gouvernement tenta même de s'ingérer dans les affaires intérieures de la Belgique pour y faire interdire le film (car c'est là que les cinéphiles français se rendaient pour le voir).

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