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Articles avec #kitano (takeshi) tag

Kids Return

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (1996)

Kids Return

L'âge des possibles version Takeshi KITANO ce sont les trajectoires croisées de deux amis inséparables ainsi que celles en arrière-plan de certains de leurs camarades de lycée. Les deux amis, Shinji (en bleu) et Masaru (en rouge) sont des cancres qui vivotent en marge du système. En marge mais pas en dehors puisque la mise en scène les montre seuls et un peu perdus tels deux taches de couleur au milieu des immenses espaces gris et désertés de leur lycée: principalement la cour et le toit d'où ils s'amusent à jouer les éléments perturbateurs pour leurs camarades assis sagement en classe pendant qu'eux sèchent ostensiblement les cours. Camarades dont ils rackettent par ailleurs les éléments les plus vulnérables dans les couloirs pour se payer des cigarettes et des coups au bar du coin, leur autre lieu de prédilection dans lequel traîne aussi un gang de yakuzas. Un troisième lieu névralgique fait son apparition lorsque Masaru est mis KO par un lycéen: la salle de boxe dans laquelle Masaru qui désire se venger vient s'entraîner mais qui s'avère mieux taillée pour Shinji.

L'école, la mafia et le sport de haut niveau: trois destins, trois cheminements offerts par la société japonaise qui ont pour point commun d'aboutir selon Kitano à des impasses. La première, voie soi-disant royale débouche sur l'enfer de la machine à broyer l'individu qu'est le monde du travail au japon. Avec son art consommé de l'ellipse mais aussi du détail, un simple objet (une petite poupée en porcelaine qui peut symboliser le coeur) suffit à résumer le triste sort de celui qui l'emprunte. Les deux autres, incarnés par les deux rebelles que sont Shinji et Masaru sont aussi des voies qu'a exploré ou voulu explorer Takeshi KITANO. Et de ce point de vue, "Kids Return" devrait être une référence du film de boxe, tant on sent la patte du connaisseur derrière la caméra qui confère dynamisme et réalisme au ring et à ses coulisses. Quant aux yakuzas et à leur univers, ils constituent une part essentielle du cinéma de Kitano. Tout comme la musique de Joe HISAISHI qui signe l'une de ses plus belles partitions. Mais Shinji tout comme Masaru sont voués à rater leurs carrières respectives. S'ils ne finissent pas dans le fossé comme leur camarade pris dans la "job machine", ils semblent condamnés à tourner en rond. Reste la quatrième voie, explorée par deux lycéens timides ayant joué le rôle de bouc-émissaires (les ijime, une véritable "institution" sociale dans les lycées du Japon servant de défouloir à l'extrême normativité du parcours scolaire) à savoir le spectacle au travers des duos comiques de Manzai par où a commencé Takeshi Kitano à l'époque où il était Beat Takeshi au sein des "The Two Beats". L'humour est la politesse du désespoir mais aussi peut-être sa seule porte de sortie.

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Dolls

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (2002)

Dolls

Les différents visages de Takeshi Kitano sont réunis au sein de cette œuvre-somme qu'est "Dolls". Le peintre, le poète, l'ex-animateur TV comique défiguré par son "accident" et reconverti en observateur contemplatif et mélancolique de la nature sans parler des activités de sa famille (père fricotant avec le milieu des yakuzas, grand-mère conteuse de bunraku et joueuse de shamisen).

Le film commence par une représentation de bunraku, le théâtre de marionnettes traditionnel japonais qui donne son titre mais aussi son unité au film. D'emblée nous sommes placés dans le domaine de la représentation et de la tragédie. Les personnages du film, tirés de contes sont effectivement dépeints comme des marionnettes qui paient le prix du sacrifice de leur moi authentique à l'illusion de la réussite sociale. Bien qu'il suit trois histoires en parallèle, dispositif que j'apprécie peu habituellement, il ne leur donne pas la même importance. L'une d'entre elles constitue le "fil rouge" des autres, au sens propre comme au sens figuré et s'impose comme LE morceau de bravoure du film. Il s'agit des "mendiants enchaînés", Matsumoto et Sawako, figures spectrales reliées l'une à l'autre par une corde rouge qui errent à travers les paysages du Japon (et s'invitent dans les autres histoires) au fil des quatre saisons. La transition de l'une à l'autre s'effectue comme un changement de décor au théâtre alors que les deux personnages déambulent dans des tenues signées du grand couturier Yohji Yamamoto. Impression d'artifice renforcée par le fait qu'à la fin de l'histoire ils revêtent les kimonos des marionnettes vues au début du film dont ils sont donc l'incarnation. Matsumoto est écrasé par la culpabilité d'avoir cédé à la pression sociale en abandonnant sa fiancée pour faire un mariage d'intérêt. Sawako est coincée quelque part entre le monde des morts et celui des vivants depuis sa tentative de suicide. Son comportement est devenu celui d'une autiste. Elle a perdu l'usage de la parole, regarde dans le vide, marche de façon mécanique, ne réagit plus à son environnement et fixe son attention sur des objets, notamment un jouet dans lequel elle souffle inlassablement, fascinée par la petite balle qui s'élève dans les airs. Mouvement de balancier répété à l'infini également lorsque Matsumoto l'attache pour la première fois à la voiture avec la corde.

Ces amants tragiques sont omniprésents dans le film, soit au premier plan, soit en toile de fond. Ils donnent donc sens aux deux autres histoires qui semblent anecdotiques à première vue mais constituent en fait des fragments de l'histoire personnelle de Kitano. Haruna est une version féminine de lui-même, une pop idol de studios TV dont l'image est vénérée par ses fans jusqu'au jour où elle est défigurée par un accident et se retire du monde pour contempler la mer avec l'œil qui lui reste. Son fan réussit à parvenir jusqu'à elle… en se crevant les yeux comme Oreste avant de crever tout court. Un nihilisme qui fait froid dans le dos mais qui ressemble bien à la philosophie de Kitano. Ainsi en va-t-il de ce yakuza* qui au moment d'aborder la retraite comprend qu'il est peut-être passé à côté de l'essentiel mais c'est trop tard.

C'est ainsi que le sens du titre du film s'enrichit. Les "Dolls" ce ne sont pas seulement les marionnettes de bois mais aussi celles de chair et de sang qui préfèrent se laisser manipuler par le destin (un fatum lié aux pressions sociales dans le film) que d'assumer leurs propres choix. A l'exception de Matsumoto qui finit par lâcher prise avec le matérialisme pour suivre Sawako, comme le souligne l'évolution de sa voiture tape à l'œil qui finit à l'état d'épave au fur et à mesure que les deux amants se clochardisent.

* Milieu souvent dépeint par Kitano en raison des fréquentations de son père démissionnaire et de sa propre proximité avec les voyous dans sa jeunesse.

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L'été de Kikujiro (Kikujirō no natsu)

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (1999)

L'été de Kikujiro (Kikujirō no natsu)

"L'été de Kikujiro" est l'un des plus beaux films de Takeshi KITANO. L'un de ses plus personnels aussi. Il s'agit ni plus ni moins de sa version de "Le Kid / Le Gosse" (1921) de Charles CHAPLIN, cinéaste avec lequel il partage un solide sens du burlesque forgé sur les planches (puis pour "Beat Takeshi", à la TV) mais aussi une histoire familiale traumatique qu'il répare dans un film thérapeutique où il va en quelque sorte chercher en lui l'enfant qu'il a été pour lui offrir le père qu'il n'a jamais eu. Le titre et l'affiche parlent d'eux-mêmes. On y voit un petit garçon au premier plan si bien que l'on croit que "Kikujiro" c'est lui. Or il s'appelle Masao et Kikujiro est en fait le nom du personnage interprété par Takeshi KITANO que l'on voit en arrière-plan et c'est aussi le prénom du père du cinéaste. L'aspect autobiographique du film est renforcé par le fait que Kikujiro (le vrai et son double de fiction) sont d'anciens yakuzas. Dans le film ce n'est jamais dit explicitement mais cela est révélé par l'énorme tatouage que Kikujiro porte dans le dos (un signe distinctif des yakuzas). De plus, Kikujiro est un joueur compulsif (comme l'était le père de Kitano) qui a les plus grandes difficultés à s'occuper du gamin qu'on lui fourre entre les pattes. Car lui-même se comporte en irresponsable, son impulsivité n'ayant d'égale que sa grossièreté et son amoralité. Leur périple pour retrouver la mère de Masao se transforme en un road-movie déjanté où chaque étape, chaque galère est le prétexte d'un gag remarquablement mis en scène. Démuni matériellement, Kikujiro utilise le système D (pour ne pas dire l'escroquerie) pour se déplacer, manger ou se loger avec une spontanéité presque enfantine qui fait de lui le double de Masao. Comme dans le film de Charles CHAPLIN, le jeu et la survie ne font qu'un. Chaque séquence est le prétexte d'un gag burlesque où le sens du cadrage et de l'ellipse de Kitano font merveille. Pour ne citer qu'un exemple, Kikujiro a l'idée de crever les pneus d'un véhicule pour entrer en contact avec son propriétaire, l'aider à le réparer et se faire prendre en stop. Mais voilà que tout en échafaudant à haute voix son plan, penché sur le véhicule, il ne voit pas Masao se figer et le cadre s'élargir, révélant la présence du propriétaire de la camionnette à sa gauche.

Mais le film n'est pas qu'humoristique, il est sous-tendu par une poignante mélancolie. Masao est un orphelin qui voit ses amis partir en vacances en famille pendant que lui reste à quai. Exclu des vacances et exclu de la famille. C'est (inconsciemment) pour lui offrir une réparation (et une seconde chance pour lui-même) que Kikujiro s'embarque avec lui dans ce qui s'apparente à une quête initiatique. En effet il ressort métamorphosé de cette expérience. La séquence où ils retrouvent la mère de Masao est un moment de basculement où Kikujiro l'homme-enfant et le voyou mal dégrossi devient Kikujiro le père responsable. A partir de ce moment, il réoriente ses actions frauduleuses de façon à protéger l'enfant et l'empêcher ainsi de sombrer dans le désespoir. Ce faisant il devient son ange gardien, lui offre une vraie enfance (la séquence du camping avec des complices est un beau moment de tendresse et de jeux partagés) et par un effet miroir, se remet en contact avec sa propre histoire familiale. L'attachement entre Masao et Kikujiro se renforce au point de rompre quelque peu l'inexpressivité caractéristique des visages filmés dans le cinéma de Takeshi KITANO, le masque de théâtre cédant la place à la comédie humaine. "L'été de Kikujiro" est un film qui donne les clés des ruptures de ton si caractéristiques du cinéma de Takeshi KITANO, un cinéma où cohabitent l'enfant et le gangster, des images naïves et une violence graphique souvent brutale. La musique de Joe HISAISHI est une nouvelle fois (après "Hana-Bi" (1996)) particulièrement inspirée.

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Tabou (Gohatto)

Publié le par Rosalie210

Nagisa Oshima (1999)

Tabou (Gohatto)

Dernier film de Nagisa Oshima, « Tabou » se situe dans la continuité de « Furyo » en continuant d’explorer les ravages que le désir homosexuel suscite dans des communautés fermées de guerriers.  Se déroulant au XIX° siècle contrairement à « Furyo » qui se déroulait pendant la seconde guerre mondiale, il met en scène la danse de désir et de mort qui se développe autour de Kano, un jeune samouraï androgyne dont la beauté envoûtante ne laisse personne indifférent. Même ceux qui semblent les plus imperméables sont déstabilisés, tels le commandant Isami Kondo et le capitaine Toshizo Hijikata. Je n’ai pas « ce penchant » disent-ils, comme pour se justifier avant de s’en aller patauger dans la brume ^^. Plusieurs moments humoristiques montrent qu’aucun samouraï n’est à l’abri de ce « penchant », y compris ceux qui revendiquent haut et fort leur hétérosexualité. Kano est d’autant plus mystérieux et fascinant qu’il ne se départit jamais de son masque d’impassibilité que ce soit face à Eros ou à Thanatos. Son visage est une page blanche sur lequel chacun peut projeter ses fantasmes. La continuité avec « Furyo » est également assurée par le retour de Ryuichi Sakamoto à la musique et de Takeshi Kitano dans le rôle du capitaine.

Dans « Tabou » comme dans « Furyo », Oshima montre le caractère profondément subversif du désir qui menace de détruire toute une communauté bâtie sur des règles strictes qui se veulent intangibles et immuables mais ne résistent ni au désir, ni au temps. Kano, le seul samouraï vêtu de blanc (symbole de mort au Japon) est un ange exterminateur annonciateur de la fin du Shogunat. L’histoire se déroule en effet en 1865 soit deux ans seulement avant la révolution Meiji qui abolira le système féodal japonais et sa caste de samouraïs. Cette « chute » est admirablement suggérée par un plan final d’anthologie quand le capitaine tranche d’un seul coup de sabre le tronc d’un cerisier en fleurs, le symbole même de l’impermanence au Japon.

« Tabou » est également un film superbe sur le plan esthétique que ce soit par la musique, le choix des couleurs, les chorégraphies ou la composition des cadres. Le film se déroule à plus de 90% dans le huis-clos très cadré du temple Nishi-Honganji de Kyoto mais la scène de fin très onirique se déroule dans un univers fantomatique nocturne et marécageux qui n’est pas sans rappeler le marigot sensuel et vénéneux des premières séquences de « l’Aurore » de Murnau.

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Furyo (Senjō no merī kurisumasu)

Publié le par Rosalie210

Nagisa Ôshima (1983)

Furyo (Senjō no merī kurisumasu)


"Furyo" est un film d'une grande puissance émotionnelle et au sous-texte très riche. Ce n'est pas vraiment un film de guerre ou si cela en est un, le réalisateur Nagisa ÔSHIMA le subvertit complètement. Il nous offre donc un film profondément humaniste, antimilitariste et transgressif. Ce dernier aspect est rendu possible par le huis-clos du camp de prisonniers qui exacerbe toutes les émotions et fait peu à peu surgir la vérité. Une vérité à contre-courant des codes et des normes ce qui entraîne de violents conflits intérieurs et des relations torturées entre les protagonistes. Mais le sado-masochisme défouloir de l'homo-érotisme qui sature l'atmosphère n'a rien de sulfureux. Il est montré comme une tragédie humaine. Le film lui-même ressemble à une tragédie antique avec ses héros beaux comme des dieux, deux
Orphée passés maîtres de l'art lyrique (Ryuichi SAKAMOTO dont la BO fait chavirer et David BOWIE) tous deux promis au martyre au faîte de leur jeunesse. Comment oublier leur première rencontre avec le travelling avant qui nous fait entrer dans la fascination du commandant pour l'ange blond, lequel apparaît comme un kamikaze dont l'autodestruction programmée a pour cause une faille intime dont le dévoilement révèle les similitudes de deux cultures qu'a priori tout oppose. Les extrêmes se touchent et c'est bien un britannique d'origine japonaise Kazuo Ishiguro qui a écrit "Les Vestiges du jour", fascinante plongée au cœur de l'esprit traditionnel british, ses rites et coutumes (livre adapté au cinéma par James IVORY). Japonais et anglais sont réunis par l'insularité, l'impérialisme, le code d'honneur qui chez les british est renommé "flegme". Ce sont deux civilisations rigides, coincées, cousues pour reprendre l'expression de Roberto ROSSELLINI et qui ont un ennemi commun: la nature humaine. Les "doubles populaires" de ces héros aristocratiques forment un chœur qui commente et redouble l'action. Il y a le sergent Hara alias Takeshi KITANO vedette comique d'avant le triomphe artistique international mais aussi d'avant la tentative de suicide. Un personnage frustre et burlesque dont la brutalité s'adoucit lorsqu'il apprend à parler...l'anglais grâce à son amitié pour l'ex-diplomate John Lawrence (Tom CONTI), véritable pont culturel dont on se demande ce qu'il doit à l'écrivain D.H Lawrence,, le médecin des âmes plaidant pour une libération de l'être des carcans qui le dénaturent.

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A Scene at the Sea (Ano natsu, ichiban shizukana umi)

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (1991)

A Scene at the Sea (Ano natsu, ichiban shizukana umi)

Troisième film de Takeshi KITANO après "Violent cop" (1989) et "Jugatsu" (1990), "A Scene at the Sea" marque un tournant dans sa filmographie. Pas sur le plan de sa réception qui reste encore confidentielle. Le film n'est pas plus que les précédents distribué en dehors du Japon qui boude son œuvre de cinéaste. Le pays du soleil levant n'a aucune considération pour celui qu'elle considère seulement comme l'amuseur public numéro 1 à la télévision. Mais sur le plan du contenu, "A Scene at the Sea" est une petite révolution par rapport aux deux précédents films par son caractère d'épure contemplative et poétique. Takeshi KITANO n'apparaît pas à l'écran et la violence est totalement absente d'un film où ne figure ni flic ni yakuza. D'autre part il s'agit d'un film quasiment sans paroles du fait qu'il nous plonge dans la bulle sensorielle de deux sourds-muets. Peu de paroles donc (comme dans les films ultérieurs peuplés de personnages plus mutiques les uns que les autres) ainsi qu'une expressivité faciale et corporelle minimaliste qui renvoie à toute une tradition culturelle (l'estampe et le théâtre notamment) mais aussi au clown blanc du type Buster KEATON ou Jacques TATI. Mais par ailleurs une sensibilité exacerbée dans la perception d'un univers où la musique et la peinture jouent un rôle crucial. C'est le premier film auquel participe Joe HISAISHI qui sera le fidèle compositeur des films de Takeshi KITANO jusqu'à "Dolls" (2002). Pour "A Scene at the Sea", il compose des mélopées lancinantes qui font penser au flux et au reflux des vagues. D'autre part les scènes sont composées comme des tableaux ce qui renvoie à l'activité d'artiste-peintre de Takeshi KITANO. Les scènes-tableaux de "A Scene at the Sea" se composent de lignes claires parallèles ou perpendiculaires à la mer qui se répètent de façon hypnotique jusqu'à créer un paysage géométrique à la Mondrian. On pense également aux rimes d'un poème. Rimes et lignes qui se répètent jusqu'à l'infini ou jusqu'au néant. Car cet appel du large qui obsède Shigeru et le pousse à apprendre le surf (et à délaisser son travail d'éboueur on ne peut plus symbolique!) finit-il par l'engloutir ou bien au contraire le libère-t-il de la pesanteur et de l'enfermement de son existence? Le mystère reste entier, le film laissant son acte en hors-champ. Seule reste sa planche de surf et un carton affiché sur l'écran "il est devenu poisson".

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Achille et la tortue (Akiresu to kame)

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (2008)

Achille et la tortue (Akiresu to kame)


"Achille et la tortue" est une fable sur les affres du processus créatif empreint du style si particulier de Takeshi KITANO où l'humour est sous-tendu par un profond désespoir. Le personnage principal, Machisu désire de façon obsessionnelle devenir un grand artiste peintre et se faire reconnaître comme tel par ses pairs. C'est la vanité, l'absurdité et l'aspect profondément autodestructeur de cette quête sans fin que raconte le film. Le cheminement artistique de Machisu qu'on voit passer par plusieurs périodes, de l'enfance à l'âge mûr, de l'académisme aux recherches formelles les plus audacieuses n'est jalonné que de tragédies et de désillusions. Quoiqu'il réalise, le résultat n'est jamais satisfaisant, ni à ses propres yeux, ni à ceux du marchand d'art qui critique ses œuvres ce qui nous interroge sur la dépendance de l'artiste vis à vis du regard d'autrui et les critères de valeur attachés aux oeuvres. En effet Takeshi KITANO fait une satire féroce du milieu de l'art. Le marchand qui ne cesse de repousser les œuvres du Machisu adulte a acheté sans le savoir un tableau peint par Machisu enfant. Il s'est fait escroquer par des créanciers qui ont saisi les biens du père de Machisu après qu'il ait fait faillite et se soit donné la mort. Ils ont facilement écoulé les tableaux peint par Machisu enfant en les faisant passer pour des œuvres exceptionnelles. Ce n'est donc pas la valeur intrinsèque du tableau qui entraîne l'acte l'achat mais la peur de passer à côté d'une bonne affaire. Machisu n'arrive pas à vendre ses œuvres non parce qu'elles sont mauvaises mais parce qu'il ne sait pas se vendre.

D'autre part la recherche artistique prend une telle place dans la vie de Machisu qu'elle finit par le dévorer. Au point que l'on se demande si son échec en tant qu'artiste n'est pas lié au fait que sa peinture est dénuée d'âme. En effet, Machisu a utilisé son art comme un écran le protégeant de la violence du monde qui l'entourait, sa vie étant jalonnée de tragédies. Mais elle l'a paradoxalement rendu insensible, lui faisant sacrifier sa famille et le poussant au suicide. Il finit par considérer le cadavre d'un automobiliste accidenté puis de sa propre fille comme un simple objet d'étude. Cette indifférence au monde, aux autres et à lui-même a quelque chose de terrifiant.

Comme c'est Takeshi KITANO qui interprète le rôle du Machisu d'âge mûr (et qui a peint toutes les œuvres), on ne peut s'empêcher de se demander quelle est la part d'autoportrait dans le film. Contrairement à Machisu, Takeshi KITANO a réussi à atteindre une notoriété internationale, non en tant que peintre mais en tant que cinéaste. Cependant cette reconnaissance n'est pas venue de son propre pays qui ne le prenait pas au sérieux mais de la critique internationale qui n'était pas aveuglée par le préjugé lié à sa première vie d'amuseur public sous le nom de Beat Takeshi. Les changements incessants de style de Machisu sont ainsi le reflet des différentes périodes de la vie de Takeshi KITANO ainsi que de sa personnalité écartelée entre le comique et le tragique. L'un des autoportraits de Machisu le dépeint en clown triste et c'est une très bonne définition de Takeshi KITANO dont l'humour masque mal la mélancolie profonde et un désespoir abyssal qui se traduit par des pulsions suicidaires. La séquence où pour faire de l'action painting, un étudiant se tue en précipitant sa voiture contre un mur est une allusion à peine voilée à la tentative de suicide de Takeshi KITANO en 1994 qui laissa son visage à moitié paralysé. D'autre part après "Zatoïchi" (2003), Takeshi KITANO a connu une période difficile faite de panne d'inspiration et de doutes sur ses réelles capacités artistiques dont il témoigne dans le film en se dépeignant en artiste raté.

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Tokyo Eyes

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Limosin (1998)

Tokyo Eyes

Si le personnage principal de "Tokyo Eyes" se prénomme K, c'est parce qu'il arpente une ville labyrinthique où l'occidental perd tous ses repères. Car son surnom "Le Bigleux" tout comme le titre du film fait référence au regard.

Regard d'un français, Jean-Pierre LIMOSIN sur la capitale nippone d'abord, forcément infidèle à la réalité mais qui reflète son propre désir et sa propre image du pays. L'aspect documentaire de son film fascine en captant un certain air du temps, notamment les passe-temps de la jeunesse tokyoïte au milieu d'une technologie made in 1997 omniprésente (jeux vidéos, ordinateurs, cabines téléphoniques, camescopes, photomatons). La caméra en liberté, façon Nouvelle Vague prend également le temps de flâner le long des rues du bas-quartier de Shimo-Kitazawa situé entre les deux plus importants centres névralgiques de Tokyo, Shinjuku et Shibuya. Et surtout, l'air de rien, Limosin montre des maux que le pays cache: la misère avec le plan d'un SDF dans une ruelle masquée par un poteau, le racisme avec le chauffeur de bus qui houspille une famille iranienne, la brutalité machiste avec un homme qui quitte brutalement sa petite amie en pleine rue.

Regard sur les personnages ensuite qui est appelé à évoluer au cours du film, les apparences s'avérant trompeuses. Dans la scène d'introduction, "Le Bigleux" (Shinji TAKEDA) nous est présenté comme un serial killer. On apprend cependant assez vite que son surnom est dû au fait qu'il rate systématiquement sa cible. Il apparaît alors comme un jeune homme étrange, limite déséquilibré. Mais Hinano (Hinano YOSHIKAWA), séduite par l'image de son portrait-robot décide de mener sa propre enquête pour le découvrir avec son propre regard. Comme on pouvait s'y attendre, K est un geek et un otaku pour qui la frontière entre le réel et le virtuel est tellement poreuse qu'il n'a pas conscience de jouer un jeu dangereux. C'est aussi un jeune homme révolté par le comportement machiste et xénophobe des hommes japonais et qui fait justice à sa manière. Jusqu'à ce que le yakuza raté à qui il vend son arme (joué par Takeshi KITANO que Jean-Pierre LIMOSIN admire et qui fait partie de ces cinéastes invités à jouer dans le film d'un autre: Jean-Pierre MELVILLE dans "À bout de souffle (1959)", Fritz LANG dans "Le Mépris (1963)", François TRUFFAUT dans "Rencontres du troisième type (1977)" etc.) ne le blesse involontairement. De même, la relation entre Hinano et Roy (Tetta SUGIMOTO), le lieutenant de police chez qui elle vit n'est pas immédiatement clarifiée. Car Hinano, femme-enfant qui minaude beaucoup dégage un érotisme chaste paradoxal, très semblable à celui de Lola (1960), l'héroïne du premier film de Jacques DEMY. Ce n'est d'ailleurs certainement pas un hasard si notre couple de tourtereaux fredonne la chanson de Serge GAINSBOURG "Pauvre Lola" en français dans le texte.

"Tokyo Eyes" est donc un film qui sous ses dehors modestes dégage un charme fou et durable.
 

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Sonatine, mélodie mortelle (Sonachine)

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (1993)

Sonatine, mélodie mortelle (Sonachine)

Quatrième film de Takeshi KITANO, "Sonatine, mélodie mortelle" est le premier à avoir été distribué en France. Il est une bonne introduction à son style, décalé voire déconcertant. La quintessence du cinéma kitanien peut être résumée en quelques traits:

- Une dynamique filmique fondée sur le principe d'opposition, de paradoxe, de contradiction. "Sonatine" alterne ainsi de longues plages contemplatives bercées par la musique de Joe HISAISHI et de fulgurantes explosions de violence sèche, l'un se nourrissant de l'autre. L'opposition réside aussi dans toute une série de contrastes: entre le jour et la nuit, la ville et la campagne, la paix et la guerre, l'eau et le feu, le jeu et la mort, le fixe et le mobile, le champ et le hors-champ.

- Des plans fixes composés comme des tableaux sur lesquels Takeshi KITANO s'attarde longuement. Certains de ces plans fonctionnent comme des arrêts sur image: on y voit un ou plusieurs personnages immobiles qui regardent fixement la caméra. D'autres sont animés au ralenti comme ces trois personnages mitraillés qui s'écroulent l'un après l'autre. D'autres enfin ressemblent à des vues Lumière, enregistrant les mouvements au naturel à l'intérieur d'un cadre fixe. La première image du film est d'ailleurs un tableau: on y voit un poisson bleu embroché par un harpon sur fond rouge. C'est une image-programme, elle résume la situation de ces yakuzas exilés sur une île où le temps d'une parenthèse enchantée ils s'amusent comme des gamins avant que la mort ne les rattrape.

- Des personnages indéchiffrables dont le visage ressemble à un masque. Le visage neutre fait partie intégrante de la culture japonaise aussi bien dans la culture de l'estampe qu'au théâtre. Chez Takeshi KITANO, les personnages sont particulièrement peu expressifs et quand ils le sont, leurs expressions restent énigmatiques. Il en va ainsi du personnage de Murakawa joué par Takeshi KITANO dont les sourires sont plutôt annonciateurs de mort que de joie.

- Le caractère énigmatique des personnages est renforcé par la rareté de leur parole. Takeshi KITANO est un représentant d'une culture japonaise qui sait admirablement mettre en relief le poids dramatique du silence. Il n'est guère étonnant qu'il y ait des séquences burlesques dans les films de Takeshi KITANO, ce genre étant associé au muet.


- Des personnages aux prises avec un monde qui se défait. Dans "Sonatine", le fils a tué le père si bien que le milieu n'a plus de règle. Le monde devient lui-même absurde, indéchiffrable. Murakawa et ses hommes préfèrent prendre la tangente, profiter des instants qui leur reste en renouant avec leur enfance avant de disparaître (voir les plans post-générique qui filment les paysages vidés de toute présence). Car la mort est toujours au bout du chemin.

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Hana-Bi

Publié le par Rosalie210

Takeshi Kitano (1997)

Hana-Bi

Les japonais ont eu beaucoup de mal à admettre que leur Hanouna local cachait un immense cinéaste. Il a fallu pour cela la reconnaissance internationale d'Hana-Bi qui a récolté notamment le Lion d'or à Venise. Hana-Bi réussit l'exploit de combiner harmonieusement toutes les facettes si contradictoires de ce réalisateur hors-norme. Comme l'ont dit les Inrocks, "A la fois Beat Takeshi le bouffon et Takeshi Kitano le cinéaste de génie, il trouve ici la voie étroite qui lui permet de concilier les contraires, de féconder sa schizophrénie structurelle et d'inventer le lyrisme grinçant."

A l'image de Kitano, Hana-Bi est un film profondément déconcertant de par son mélange des genres. C'est avant tout un poème visuel contemplatif d'une bouleversante beauté où Kitano se réincarne en Horibe (joué par Ren Osugi), ex-flic devenu paraplégique à la suite d'une fusillade et qui se réfugie dans la peinture. Des peintures dont Kitano est en réalité l'auteur. En 1994, il a a été victime d'un terrible accident qui lui a laissé des séquelles irréversibles, notamment une paralysie faciale partielle. Son visage impassible secoué de temps à autre par des tics nerveux hante le film. De même, les scènes contemplatives sont brusquement déchirées par des éclairs de violence secs et tranchants comme des haïkus. Des explosions qui jaillissent à la surface dont le calme et la sérénité apparentent nous trompent. Comme cette énorme tache sanglante signifiant "suicide" s'étalant au milieu des idéogrammes blancs et jaunes signifiant "neige" et "lumière". Kitano a avoué que son accident était en fait une tentative de suicide.

Il ne faut pas s'y tromper en effet, Nishi, autre facette de Kitano, joué cette fois par Kitano lui-même, Nishi a la rage. Une rage froide qui lui fait décharger son arme sur un cadavre, crever un œil à l'aide de baguettes ou braquer une banque avec un calme olympien. Nishi est une sorte de Robin des bois qui règle ses comptes à la société japonaise, sa corruption, son hypocrisie, sa brutalité vis à vis des plus faibles. Les plus faibles justement, il les prend sous son aile: Horibe à qui il offre le matériel de peinture, la veuve de son collègue assassiné à qui il offre une partie du butin pris à la banque et enfin sa propre épouse condamnée par la maladie à qui il offre un beau voyage à la montagne et à la mer. Un voyage ponctué de petites séquences burlesques et enfantines qui montrent que Takeshi le clown n'est jamais très loin. Mais un voyage profondément mélancolique aussi: les peintures qui l'accompagnent en contrepoint font ressurgir le fantôme de l'enfant du couple, trop tôt disparu. C'est pourquoi l'amour (dont le symbole est la fleur "Hana" en japonais) cohabite avec la mort ("bi" le feu, symbole de la mort "Hana bi" les fleurs de feu signifiant "feu d'artifice") jusque dans la scène finale où la sublime musique lyrique de Joe Hisaishi (le compositeur des films de Miyazaki) est interrompue brusquement par des coups de feu.

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