Personne n'y comprend rien
Yannick Kergoat (2025)
Le nouveau documentaire de Yannick KERGOAT, co-réalisateur de "Les Nouveaux chiens de garde" (2011) reprend pour titre les propos de Nicolas Sarkozy tenus en 2023 dans le Figaro "Les Français sont bien en peine de résumer ce que l'on me reproche. Personne n'y comprend rien." Chiche! Le documentaire, d'utilité publique, se donne pour mission de rendre lisible l'affaire Sarkozy-Kadhafi dont le procès vient de s'ouvrir en établissant les faits, rien que les faits à partir des dizaines d'articles du journal Mediapart qui a révélé l'affaire puis l'a étayée sur une période de près de quinze ans à partir de sources soigneusement vérifiées (aspect méthodologique sur lequel insiste le documentaire qui est aussi une démonstration pédagogique du travail du journalisme d'investigation). Les nombreux procès intentés à Médiapart et perdus par les protagonistes de l'affaire sont également édifiants d'autant que, c'est bien connu, Sarkozy ne porte guère dans son coeur les contre-pouvoirs, tout particulièrement la Justice. Les journalistes-enquêteurs sont les principaux narrateurs avec l'appui de quelques témoins tels que François Molins, l'ancien procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris ou la soeur de l'une des victimes du crash de l'avion UTA 772. Une fois de plus, la duplicité du fonctionnement de la République française est révélée au grand jour grâce à ses liens très spéciaux avec un régime africain. Alors que l'on pensait la "Françafrique" révolue avec la fin de la guerre froide, le film nous prouve la vitalité des réseaux occultes et notamment de la diplomatie parallèle, dominée par des hommes tels que l'homme d'affaires Ziad Takieddine qui a joué un rôle d'intermédiaire dans l'affaire Karachi puis dans celle du financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Dans cette affaire de corruption d'une démocratie par une dictature, le spectateur oscille entre fous rires (les propos de Nicolas Sarkozy qui surjoue la respectabilité outragée contredits par les pièces à conviction, les retournements de veste de Ziad Takieddine dont on nous explique les dessous) et effroi. La proximité entre le monde politique et une partie des médias qui était le sujet de "Les Nouveaux chiens de garde" (2011) est épinglée une fois de plus, l'implication de "Paris-Match" dans la fausse rétractation de Ziad Takieddine étant avérée (et le fait que Nicolas Sarkozy siège au conseil d'administration du groupe Lagardère, propriétaire du média jusqu'en 2024 n'est certainement pas une coïncidence). On constate également que les ravages de la corruption entravent tous les maillons du fonctionnement de nos démocraties, jusqu'au niveau international avec la rocambolesque exfiltration de Béchir Salah (interlocuteur privilégié dans la relation franco-libyenne après la victoire de Sarkozy en 2007 et qui a participé aux tractations du financement de sa campagne) par la France en 2012 pour le soustraire au mandat d'arrêt d'Interpol. La guerre menée par une coalition dominée par la France en Libye sous égide de l'ONU dans le contexte des printemps arabes en 2011 est ainsi éclairée par une logique cachée de destruction de preuves et de neutralisation de témoins gênants.