Adaptation en court-métrage du spectacle "Chiroptera" par la réalisatrice italienne Alice ROHRWACHER. "Chiroptera" a été créé en novembre 2023 sur la façade de l'opéra Garnier en travaux recouverte d'une immense fresque représentant l'allégorie de la caverne de Platon, puis dans un second temps, transformée en échafaudage en forme de grille sur lequel ont évolué 153 danseurs pour une performance gratuite de 20 minutes dans lequel ceux-ci figuraient les chauve-souris de la caverne. On voit des extraits de ce spectacle dans le film qui réunit le réalisateur français Leos CARAX, l'artiste plasticien JR (auteur de la fresque et de la scénographie du spectacle) et l'ex-membre de Daft Punk Thomas BANGALTER (compositeur de la musique et de la bande sonore du spectacle). Qu'apporte de plus le court-métrage? Rien au niveau du propos plutôt lourd et abscons. Heureusement, le point de vue adopté est pour l'essentiel celui d'un enfant de 7 ans dont la mère (jouée par Lyna KHOUDRI) va passer une audition pour danser dans "Chiroptera". Et lorsque mis dans le secret par le metteur en scène (Leos CARAX), il s'échappe de la caverne, c'est pour entrer dans une autre dimension, révélant les oeuvres d'art en trompe-l'oeil sous les "défense d'afficher" et se transformant lui-même en figure animée en deux dimensions et en noir et blanc. On reconnaît bien l'art de JR, celui-là même qui illuminait les maisons de "Visages, villages". (2017)
C'est un drôle de road movie documentaire qui l'air de rien ausculte la mémoire et le temps. Et qui questionne le regard. Un regard pluriel, fait de rencontres successives avec des lieux (le plus souvent en sursis) et des gens (humbles, marginaux et souvent âgés donc eux-mêmes en sursis). On roule ainsi d'une rue de corons dont la démolition est suspendue à la mort de sa dernière résidente à un village côtier à demi-construit puis abandonné en passant par un empilement de conteneurs, un bunker échoué sur une plage etc. De ces rencontres sans lendemain et de ces installations vouées à disparaître, Agnès Varda et JR tirent des instants d'éternité et rendent visibles l'invisible. JR, le jeune photographe plasticien magnifie par des collages géants sur les murs les visages des ceux qui vivent et travaillent dans ces lieux. Agnès Varda filme comme elle l'a toujours fait la mort au travail pour paradoxalement lui voler ces moments en les fixant pour toujours sur pellicule. Le passage le plus emblématique est celui où elle filme le collage sur le bunker d'une photo géante de Guy Bourdin jeune qui semble dormir dans un berceau et aussitôt après le même bunker balayé par la marée et le collage totalement effacé.
La relation entre Agnès et JR, tendre et humoristique est le fil conducteur de l'histoire. Agnès Varda aime les tandem à la Laurel et Hardy (comme dans "Jeanne B. par Agnès V.") Leur duo assez insolite est intrigant et attachant. Et tourne lui aussi autour de la question du temps, de la mémoire et du regard. JR vit au présent, Agnès Varda vit dans le passé. Comme dans son précédent film "Les plages d'Agnès", elle retrouve au hasard de ses pérégrinations ses chers disparus: Nathalie Sarraute, Guy Bourdin, Henri Cartier-Bresson. Et aussi les fantômes de Jacques Demy et de Jean-Luc Godard dont l'opacité lui rappelle JR. En effet si le regard d'Agnès est de plus en plus flou à cause de la maladie dégénérative qui lui voile les yeux, celui de JR est caché par d'épaisses lunettes noires qu'il ne veut pas enlever devant sa caméra. Sauf à la fin lorsque pour consoler Agnès il lui donne cette part de lui-même. Son visage devient alors celui de son regard à elle: flou.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.