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Articles avec #jarmusch (jim) tag

Paterson

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (2016)

Paterson

Paterson, titre de la gémellité (il désigne à la fois la ville où se déroule l'action dans le New-Jersey et le patronyme du personnage principal, d'ailleurs il signifie père-fils) fait partie de ce que l'on peut appeler un "film en creux". Il est construit sur ce qui n'est pas: le non-événement, le non-mouvement, le non-changement, le non-agir. Son caractère épuré et l'intervention à la fin de Masatoshi Nagase qui avait joué 27 ans auparavant dans "Mystery Train" du même Jarmusch en font une sorte de balade contemplative zen où les poèmes qui s'affichent à l'écran résonnent comme des haïkus. Une manière de souligner que le jumeau spirituel de Paterson est japonais et vit à Osaka alors même que celui-ci semble ne jamais avoir de sa vie franchi la limite invisible qui sépare sa ville du New-Jersey du reste du monde.

En effet un autre aspect marquant du film réside dans sa structure qui épouse l'agenda routinier et réglé au millimètre de Paterson (Adam Driver).  Comme dans "Un jour sans fin" mais sans une once de fantastique, celui-ci vit enfermé dans un temps cyclique et dans un périmètre étroit dont il ne sort jamais. Ses journées sont donc routinières et marquées par les mêmes rituels (le lever à heure précise, le petit déjeuner toujours identique, le départ au travail par le même chemin, les heures de boulot, le déjeuner près des chutes d'eau, le retour, le dîner, la promenade du chien et la bière au bar avec l'écriture pour combler les interstices). Paterson déteste tout ce qui peut troubler cet ordre. On le voit à trois reprises redresser le poteau qui soutient la boîte aux lettres lorsqu'il rentre le soir, poteau qu'il retrouve de travers le lendemain après le passage de Marvin le bouledogue (seul personnage imprévisible qu'il n'aime d'ailleurs pas). Le moindre petit accroc (comme la panne du bus qu'il conduit) le laisse démuni. Jarmusch en profite pour faire de l'humour en le montrant téléphonant avec le smartphone customisé d'une petite fille puisque lui-même n'en possède pas tant il vit en dehors de son temps. Ce qui nous ramène à la gémellité. Paterson est double, son corps est enfermé dans un ici et maintenant étriqué mais son esprit vagabonde sur une autre planète hors du temps.

Car et c'est tout l'intérêt du film, Paterson est un poète qui sait déceler la beauté dans les moindres détails du quotidien. "Paterson" rejoint de ce point de vue "Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain" en dressant le portrait d'introvertis à la riche vie intérieure qui savent célébrer le plaisir du petit détail qui tue comme le logo d'une boîte d'allumettes en forme de mégaphone ou les sonorités du mot "waterfall" ou encore les récits entendus dans le bus. Sa femme Laura (Golshifteh Farahani) bien qu'ayant un tempérament opposé au sien manifeste le même caractère paradoxal, sa créativité bouillonnante (qu'elle exprime dans la musique, la décoration, la fabrication de vêtements ou encore la pâtisserie) tournant de façon obsessionnelle autour des mêmes couleurs (noir et blanc) et des mêmes motifs géométriques avec une prédilection pour le cercle (en cela elle ressemble bien à Paterson). De plus à l'exception de sa sortie au marché pour vendre ses créations, elle ne sort jamais de chez elle, son talent s'exprimant à huis-clos.

 

 

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Dead Man

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (1995)

Dead Man

Il y a plusieurs niveaux de lecture dans ce film qui prend la forme d'une longue odyssée onirique en négatif. Odyssée parce qu'il s'agit d'une histoire de voyage, voire même d'une superposition de voyages et que la référence à Homère est limpide au travers du personnage de "Nobody" (Gary Farmer). Onirique parce que William Blake le "héros" (Johnny Depp) semble vivre ce périple sous hypnose (la musique de Neil Young y contribue beaucoup) tant il a l'air perpétuellement hébété voire narcoleptique. En fait son état de mort-vivant fait de lui plus un fantôme qu'un homme. Nobody et lui forment ainsi une sorte de duo de héros en "négatif" qui accompagne la photo en noir et blanc du film et participe de son ambiance irréelle. Tous deux sont des parias, solitaires, sans attaches, en route pour la mort. Leur périple funèbre ne prend sens qu'au niveau spirituel, bref on est dans un négatif de western. Par exemple il y a le pré-générique magistral qui dans un silence assourdissant voit le jeune et frêle comptable de Cleveland quitter le monde civilisé en train pour le far ouest. Progressivement, les hommes et les femmes propres et bien habillés disparaissent au profit de trappeurs patibulaires, hirsutes et armés jusqu'aux dents. La ville terminus du train, la bien nommée "Machine" qui fusionne mécanisation industrielle et sauvagerie du far ouest est une assez bonne illustration de l'enfer américain (un "négatif" bien ironique). Cette halte est par ailleurs l'occasion de croiser quelques grands acteurs dont Robert Mitchum dans son dernier rôle, celui du patron/seigneur de guerre Dickinson entouré de ses sbires. Ensuite vient la deuxième partie du voyage, celle de la cavale contemplative dans la forêt avec pour guide spirituel "Nobody", amérindien atypique parce que métissé ethniquement et culturellement (ce qui en fait objectivement un déraciné, hors du monde et hors du temps). Lui voit en William Blake l'incarnation du poète britannique homonyme dont il connaît l'œuvre par cœur et dont il veut sauver l'âme à défaut du corps. Privé de tabac (à mon avis c'est une private joke tant ce film semble avoir été fait sous l'influence de substances diverses et variées ^^) il lui reste l'ivresse des vers du poète qu'il accompagne jusqu'à son dernier voyage au pays des morts. Voyage vers l'au-delà qui prend alors la forme d'une traversée en barque le long d'un fleuve (comme dans l'Egypte antique) jusqu'au miroir, là où le ciel et la mer se rejoignent.

De façon magistrale, cet anti-western chamanique déconstruit la mythologie du far ouest et de façon plus large, celle de la conquête de l'Amérique par l'homme blanc en renversant les notions de sauvagerie et de civilisation. Les blancs sont montrés comme des dégénérés (le personnage monstrueux de Cole Wilson cumule les pires tares dont l'homme est capable) alors que l'Indien empli de noblesse est l'exemple même de la sagesse et de la sérénité. La culture blanche importée en Amérique est montrée sous son angle le plus repoussant (le culte du flingue, de la machine, de l'argent, l'évangélisation qui prend la forme d'un ethnocide motivé par la haine raciste). En chaussant les lunettes de Blake (le film est parsemé de private joke ^^), Nobody s'affirme comme étant le vrai lettré de l'âme là où les blancs pataugent dans leur fange de bêtise, d'ignorance et de sauvagerie. 

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Down by Law

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (1986)

Down by Law

Je n'avais pas revu ce film depuis environ un quart de siècle dans le cadre d'un cycle Jim JARMUSCH mais si je ne me souvenais plus de l'intrigue, je me rappelais en revanche très bien de l'ambiance. Celle d'un film qui commençait de façon aussi neurasthénique que ses deux prédécesseurs, "Permanent Vacation" (1980) et "Stranger than Paradise" (1984) avant d'être revitalisé d'un coup de baguette magique par la joie de vivre et la chaleur humaine dégagée par le personnage de Roberto BENIGNI. Mais en fait le film a un côté bouffon dès le début avec une première partie construite en montage parallèle nous narrant les mésaventures tragi-comiques de Jack (John LURIE) et Zack (Tom WAITS) alias "Bonnet blanc et Blanc bonnet". Leurs prénoms sont quasi identiques (Roberto d'ailleurs les confond) et leurs trajectoires sont parfaitement parallèles ce que souligne aussi bien la mise en scène que la narration. Tous deux sont des types minables du genre avachi qui ont l'air de passer leur temps à se défoncer ou à broyer du noir à longueur de journée sous l'œil consterné ou goguenard d'une femme alanguie ou furibarde qu'ils n'ont pas l'air de vraiment voir. Il n'est guère étonnant que ces types un peu à côté de leurs pompes se fassent grotesquement piéger (ça ne m'avait pas fait rire la première fois mais le comique de situation m'est apparu assez savoureux la seconde) et se retrouvent dans la même cellule de prison d'abord à s'ignorer superbement puis à force de promiscuité forcée, à se bouffer le nez.

Et c'est donc au moment où ils vont s'entretuer qu'apparaît le troisième larron Roberto qui est enfermé avec eux. D'un dynamisme et d'une jovialité à toutes épreuves malgré un anglais approximatif il va d'abord alléger l'épreuve du confinement ^^ au point de réussir à tirer une esquisse de sourire (à mon avis il n'a pas eu besoin de se forcer) à John LURIE qui est plutôt du genre à tirer la tronche. Puis par ses connaissances littéraires et cinématographiques il va ouvrir une fenêtre dans le mur de la cellule et permettre à ses camarades d'infortune de s'évader au sens propre comme au sens figuré. Commence alors une drôle d'odyssée dans le "Deep South" (l'histoire se déroule à la Nouvelle-Orléans) où là encore la générosité de Roberto est décisive pour maintenir la cohésion du groupe. Dans ce film où la beauté de la photographie se combine avec une précision géométrique de la mise en scène, celle où Roberto cuisine un lapin pour eux trois tandis que les deux autres après s'être disputés tentent de partir chacun de leur côté montre que le parallélisme des destins de Jack et de Zack s'est transformé en une figure triangulaire dont Roberto constitue le sommet (là où les lignes de fuite convergent). Cette figure triangulaire culmine dans la scène de l'auberge. Alors que Roberto s'y engouffre avec confiance les deux autres, manifestant leur nature fuyante partent se cacher avant que la faim ne les poussent à rappliquer une fois de plus vers le sommet du triangle, là où se nichent la chaleur et la convivialité. Ils découvrent alors le rapport que Roberto entretient avec le sexe opposé, à l'opposé du leur (évidemment). C'est tout le sens de la scène de danse où Jack et Zack dont la relation aux femmes est fondée sur une impossibilité glaciale regardent depuis l'arrière plan Roberto et Nicoletta, son double féminin (Nicoletta BRASCHI) danser étroitement enlacés et visiblement très amoureux. Il n'est guère étonnant qu'en perdant celui qui les liait, Jack et Zack repartent, cette fois définitivement sur des chemins divergents, reformant le V du triangle, ouvert vers des perspectives inconnues.

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