Un portrait nourri d'archives inédites de Alain RESNAIS, décédé il y a tout juste 10 ans, de ses premières années à ses derniers films. On y apprend notamment qu'il était timide, de santé fragile et qu'il a passé son enfance dans un relatif isolement ce qui l'a amené à jeter sur le monde un regard décalé, notamment par rapport à son milieu bourgeois conservateur qui le prédestinait à une carrière de pharmacien. Sa filmographie est montrée comme scindée en deux parties. Dans la première, il s'avère être un expérimentateur de génie notamment grâce à sa maîtrise du montage et un grand cinéaste de l'histoire et de la mémoire, n'hésitant pas à se heurter à la censure vis à vis de la collaboration du régime de Vichy comme vis à vis de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Dans la seconde partie que Pierre ARDITI qualifie de "comédie Resnais" éclate son amour de la musique et du théâtre qui magnifie les performances d'acteurs, en particulier celles de Pierre ARDITI, Andre DUSSOLLIER et Sabine AZEMA qui forment une véritable petite troupe, enrichie par la suite de nombreux autres apports. Si le goût de la collaboration artistique et littéraire est mis en avant pour les premiers films de Alain RESNAIS (avec Chris MARKER, Marguerite DURAS puis Alain ROBBE-GRILLET) plus le documentaire avance, plus cet aspect pourtant fondamental de son cinéma est expédié voire occulté. Agnes JAOUI fait partie des intervenants mais son travail avec Jean-Pierre BACRI, fondamental pour "Smoking/No Smoking" (1993) et "On connait la chanson" (1997) n'est pas analysé. Le partenariat avec la troupe de Arnaud DESPLECHIN sur "Les Herbes Folles" (2008) est passé sous silence. D'autres thèmes (son amour pour la BD par exemple) sont sous-exploités. Mais il aurait fallu 1h30 de film au moins: Alain RESNAIS le méritait!
J'ai failli ne pas voir "Le dernier des juifs" étant donné que j'ai acheté la dernière place disponible dans une salle pleine à craquer. Heureusement que le film au sujet sensible a pu sortir dans les conditions prévues. Il s'agit d'un premier film à petit budget, plein d'imperfections (un rythme mollasson, des répétitions) mais attachant et pertinent, plus mélancolique que drôle. Le film repose sur la relation fusionnelle d'une mère et d'un fils séfarades (Michael ZINDEL et Agnes JAOUI) vivant repliés sur eux-mêmes dans un territoire réduit aux dimensions d'un modeste appartement de HLM de banlieue. Autour d'eux, c'est le désert, la communauté juive a fui le quartier devenu hostile, la synagogue et les commerces spécialisés ont fermé. Ruben Bellisha a beau essayer de cacher la vérité à sa mère en lui racontant des bobards, elle dépérit, incapable de partir mais incapable aussi de rester autrement que dans la nostalgie d'un passé fantasmé (parce que l'Algérie coloniale n'était pas vraiment un succès en terme de vivre-ensemble c'est le moins que l'on puisse dire!) Plus que "Goodbye Lenin" (2001) auquel on l'a comparé (un monde disparu que le fils cache par ses mensonges à la mère malade et alitée), c'est à "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975) que j'ai pensé en terme d'atmosphère entre désaffiliation et solitude. A cette différence près que Bellisha est une sorte de Pierrot lunaire dont l'incapacité à s'intégrer où que ce soit -y compris et surtout dans sa propre communauté, que ce soit en France ou en Israël, destination un temps envisagée- se marie avec son goût du mensonge, lequel lui sert à créer un monde sans clivages identitaires où il serait heureux. Son imperméabilité vis à vis des codes et son caractère tendre et doux lui permettent de rester imperturbable face aux attaques antisémites dont lui et sa mère font l'objet mais également de susciter la sympathie aussi bien chez les jeunes du quartier d'origine africaine que chez un vieux franchouillard adepte de la bonne franquette rouge-camembert sans parler de sa copine mariée que l'on devine d'origine arabo-musulmane. Bellisha est un avatar contemporain du juif errant, une figure chaplinesque que l'on voit s'éloigner avec sa valise et son baluchon pour un exil sans perspectives après l'échec de toutes les tentatives pour le récupérer.
Une masterclass avec Agnes JAOUI dans la ville rose, cela ne se refuse pas. Certes, on dira qu'un cours magistral n'a rien de très cinématographique. Que les personnages secondaires ont du mal à s'imposer. J'ajoute pour ma part que l'histoire de Noémie, le personnage joué par Agnes JAOUI est pétrie de clichés sentimentaux censés certes nourrir ses scénarios. Mais la mise en abyme est un peu facile. L'homme qui trente ans après s'être fait larguer soupire encore après son premier amour comme un adolescent attardé, saigne du nez en la voyant et conserve pieusement sa lettre d'adieu sans l'avoir ouverte, c'est plus pathétique que vraiment touchant. Mais passons sur tous ces défauts. L'intérêt du film est ailleurs. D'abord dans la présence de Agnes JAOUI que l'on pourrait écouter des heures sans se lasser. Le réalisateur, Frederic SOJCHER qui est également scénariste et professeur d'université à la Sorbonne trouve en elle un alter ego pour exprimer et transmettre la passion du cinéma. La mise en abyme fonctionne cette fois de façon positive étant donné le charisme de la réalisatrice et scénariste qui dans un rôle taillé pour elle explique aux élèves comment écrire un bon scénario. Pas de recettes mais des pistes destinées à stimuler l'imagination tout en ancrant les récits dans un vécu (dans toutes ses dimensions) ainsi que quelques exemples dont celui de Paul SCHRADER (un autre réalisateur-scénariste) élaborant l'histoire de "Taxi Driver" (1976) ou du moins donnant une version de cette élaboration contredite par un élève qui en donne une autre, sans doute plus proche de la vérité mais Noémie préfère la légende (la vérité, ce serait plutôt le goût de Agnès ^^). L'autre aspect réussi du film, c'est le cadre. D'après le journal "La Dépêche", "Le Cours de la vie" (2022) est le premier film tourné intégralement à Toulouse, principalement dans les locaux de l'ENSAV, la troisième école de cinéma française mais personne n'en parle s'amuse à dire son directeur fictif dans le film, Vincent (Jonathan ZACCAI). Il serait peut-être temps d'en parler davantage alors de cette école et aussi de la cinémathèque, située juste à côté dans un bâtiment identique et qui est la deuxième de France. Des institutions phare de la rue du Taur qui donnent sur la place St-Sernin, autre lieu filmé abondamment puisque c'est là que les protagonistes font leur pause déjeuner. Le progressif refoulement hors du centre-ville des parkings a libéré de l'espace pour des esplanades, des cafés et des restaurants autour de la splendide basilique et du lycée où j'ai fait mes études. Des lieux plein de charme et qui n'avaient jamais été aussi bien mis en valeur.
Une approche du cinéma de Alain RESNAIS par le son. On retrouve dans les témoignages comme dans l'interview du réalisateur certains aspects de sa personnalité tels que l'importance de la musique dans son oeuvre, son éclectisme et sa recherche permanente de renouvellement.
L'importance de la musique dans son oeuvre se manifeste d'abord par ses films musicaux tels que "On connait la chanson" (1997) ou l'opérette "Pas sur la bouche" (2003). Mais aussi par les personnages de musiciens dans son oeuvre ("Melo") (1986) et son attention à la musicalité des voix. Personnellement, je suis particulièrement sensible à cette musicalité lors des longs monologues de Andre DUSSOLLIER dans "Melo" (1986) et de Pierre ARDITI dans "Smoking" (1992) dont les modulations sont lyriques au possible, en accord avec la corde intérieure qu'ils font vibrer. Et que dire du magnifique "L'Amour a mort" (1984) construit comme les touches d'un piano, les blanches étant privées de musique et les noires, d'image (hormis la neige qui tombe).
L'éclectisme musical de Alain RESNAIS se manifeste dans les choix des compositeurs de ses musiques comme dans la variété des morceaux choisis, allant de la musique contemporaine à la variété. De même, il change de compositeur d'un film à l'autre, faisant parfois des choix surprenants comme celui de Mark SNOW qui a signé la célèbre musique de la série "X-Files" (et qui témoigne dans le documentaire). Un point commun se dessine avec deux de ses scénaristes fétiches, Jean-Pierre BACRI et Agnes JAOUI (qui témoigne dans le documentaire): le refus de s'enfermer dans une chapelle. Ainsi le cinéma de Resnais est à la fois expérimental, exigeant et pour certains de ses films, populaires.
Pour le deuxième anniversaire de sa disparition, France 5 rend hommage à Jean-Pierre BACRI en proposant après la diffusion de "Les Sentiments" (2003) dans lequel il joue un rôle inhabituel le documentaire de Erwan LE GAC et Stéphane BENHAMOU qui retrace sa vie et sa carrière. Narré par Gilles LELLOUCHE, le film est assez classique sur la forme, faisant intervenir des amis et des collaborateurs entre deux scènes d'archives (mais pas tous. Agnès JAOUI brille ainsi par son absence). Sans prétendre éclairer toutes les facettes de sa personnalité, le film parvient tout de même par moments à sortir de l'anecdotique ou des platitudes. Il y a déjà tous les passages où à l'occasion de remises de prix ou d'émissions radio ou tv, Jean-Pierre BACRI a marqué les esprits avec son intelligence et son franc-parler. On peut ainsi rapprocher deux moments où il manie l'ironie pour dénoncer l'hypocrisie bien-pensante sur l'écologie (se payant la tête de Hulot au passage), l'autre dans lequel il feint de n'avoir aucune revendication à porter sur la place publique, preuve selon laquelle il est bien entré dans le système. Tant sur la forme que sur le fond, on reconnaît le Bacri observateur critique de son milieu et de son époque et ne s'épargnant pas lui-même. Ensuite il y a son rapport à ses origines dans lesquelles il a refusé de se laisser enfermer. Avant sa rencontre avec Agnès JAOUI qui l'a hissé au rang de co-auteur de pièces de théâtre et de scénarios de films, Jean-Pierre BACRI était l'acteur pied-noir de service, ce type de rôle culminant dans "Le Grand pardon" (1981) qui lui a permis de connaître une certaine notoriété. Mais contrairement à Roger HANIN avec lequel il a fini par se brouiller, Jean-Pierre Bacri détestait le communautarisme sous toutes ses formes. Il y a beaucoup de lui dans Castella, le chef d'entreprise autodidacte de "Le Goût des autres" (1999) (un des rôles dans lesquels je le préfère) qui s'ouvre à l'art, à la culture et aux autres en bravant courageusement le mépris et les humiliations des chapelles d'intellos snobinards. Et côté coulisses, c'est à lui et à Agnès JAOUI que l'on doit d'avoir enfin vu au cinéma dans un rôle important Anne ALVARO, cette formidable actrice qui était jusque-là cantonnée dans le milieu du théâtre (comme Jean-Pierre BOUVIER qui lui a mis le pied à l'étrier et que j'ai eu plaisir à revoir*). Le théâtre qui est aussi la matrice de la rencontre fructueuse avec Alain RESNAIS dont pourtant il n'avait rien compris dans sa jeunesse à "Hiroshima mon amour" (1958). Cet universalisme, on le retrouve jusque dans "Le Sens de la fête" (2016) où il dirige une brigade de carpes et de lapins qu'il cherche à fédérer, tel le double du duo de réalisateurs Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE qui réunissent dans un même film des acteurs jouant dans des univers très éloignés.
* Au cinéma, en dehors de Roger HANIN, son autre "parrain" a été Lino VENTURA.
Alors que j'ai vu et revu la plupart des films du brillant duo formé par Agnès JAOUI et Jean-Pierre BACRI dont je suis fan, je n'avais jamais vu leur première oeuvre, celle qui les a révélés. Je connaissais seulement quelques extraits comme celui dans lequel le personnage joué par Bacri refuse de se plier au diktat de la majorité à la façon de Alexis de Tocqueville ^^. On reconnaît les qualités d'observation et d'écriture qui feront leur succès, en particulier leur talent pour mettre à jour les fractures sociales derrière le vernis des apparences. La pièce qui a engendré le film ne s'appelle pas pour rien "Cuisine et dépendances" (1993): la cuisine qui est quasiment le lieu unique du film est l'équivalent des coulisses du spectacle dans laquelle deux personnages qui n'existent que par leur rôle social n'apparaissent jamais. Quant aux "dépendances", elles sont à prendre au sens figuré et évoquent les nombreuses relations de sujétion qui se sont créées dans un groupe d'amis autrefois unis: dépendance de l'épouse vis à vis de son mari, dépendance du frère immature et irresponsable vis à vis de la soeur et du beau-frère, dépendance de l'ami raté vis à vis du couple qui l'héberge, dépendance enfin de ce même couple dont la cuisine délabrée révèle les failles vis à vis d'un ancien ami perdu de vue qui a mieux réussi qu'eux et est devenu une vedette de la télévision. Leur réunion sous le même toit à l'occasion d'un dîner est le prétexte à un grand déballage en arrière-plan des rancoeurs, frustrations, haines, regrets avec l'originalité que ce qui d'ordinaire est caché est ici mis au centre du jeu alors que le dîner en lui-même est occulté.
Cependant, comparativement à leurs productions ultérieures, celle-ci est en dessous. D'abord parce que le réalisateur, Philippe MUYL n'est ni Cédric KLAPISCH, ni a fortiori Alain RESNAIS et n'a pas beaucoup d'idées pour animer ce qui reste du théâtre filmé. Et ensuite parce qu'en dépit des plaintes du caractère trop salé des plats dans le film, les Jabac sont plutôt des spécialistes des recettes douce-amère (dont je raffole, l'un de mes films préférés est d'ailleurs "La Garçonnière" (1960) de Billy WILDER qui est un modèle de réussite du genre) et que je trouve ici la recette bien plus amère que douce. Autrement dit s'il y a beaucoup de vacheries, il manque la tendresse qui fait justement tout le sel de "Un air de famille" (1996), "On connaît la chanson" (1997) et des films réalisés par Agnès JAOUI comme Le Goût des autres" (1999).
La deuxième saison de la série "En Thérapie" qui avait créé l'événement l'année dernière et que je viens de terminer en seulement cinq jours est une éclatante réussite. Elle est même supérieure à la première saison qui était déjà d'un niveau remarquable mais qui présentait quelques défauts qui ont disparu de cette nouvelle saison. Je pense en particulier à l'intérêt très inégal des différents patients que recevait le docteur Dayan. Le succès de la première saison a sans doute libéré le champ des possibilités d'enquête intérieure (car qu'est ce que l'analyse sinon une enquête sur soi afin que l'éclairage des zones d'ombre de sa personnalité et de son histoire vienne apaiser les souffrances, rendre compréhensible ses actes et son cheminement et ainsi permette de vivre plus en harmonie avec soi, les siens et le monde) car les scénaristes du tandem Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE osent aller beaucoup plus loin et affronter le tabou de la mort ainsi que s'approcher au plus près de la véracité d'un travail analytique (actes et paroles manquées, interprétation des rêves etc.). L'intervention du psychiatre et psychanalyste Serge Hefez dans l'écriture du scénario se ressent. Exit donc les affaires de coeur et autres dissensions de couple qui polluaient la première saison à la manière d'une rengaine sentimentale un peu éculée. Le penchant du docteur Dayan (Frédéric PIERROT, extraordinaire dans sa capacité à exprimer par le moindre de ses regards, de ses expressions, par les postures de son corps tous les états d'âme de son personnage) à sortir de son rôle pour jouer les sauveurs et sa profonde culpabilité liée au fait de ne pas y parvenir sont ici profondément questionnés:
- Au travers des fantômes de la saison 1 (dont les événements sont situés cinq ans avant la saison 2 qui s'ouvre au sortir du premier confinement de l'ère covid) qui reviennent le hanter, la mort de Adel Chibane (Reda KATEB) s'étant muée en procédure judiciaire aboutissant sur un procès dans lequel intervient Esther (Carole BOUQUET), l'ancienne superviseuse de Philippe.
- Au travers de sa propre enfance et adolescence qu'il affronte avec l'aide d'une nouvelle superviseuse qui devient au fil du temps une égale et presque un miroir de lui-même, forte et fragile à la fois, remarquablement interprétée par Charlotte GAINSBOURG (qui avait déjà joué sous la direction de Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE dans "Samba") (2014). Le titre de son livre est programmatique du sens de la série comme de ce qu'elle apporte à Dayan: "la psychanalyse réenchantée".
- Au travers de ses nouveaux patients qui sont tous à un titre ou à un autre en danger de mort (physique, symbolique, filiale ou sociale): l'avortement, le suicide, le cancer, le cyberharcèlement, la dénutrition poussent le docteur Dayan dans ses retranchements tandis que les acteurs qui les interprètent, tous brillants, offrent des compositions subtiles et complexes. On mesure une fois de plus le talent de Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE à faire travailler harmonieusement des gens d'horizons très différents voire opposés et à sortir le meilleur d'eux-mêmes que ce soit au niveau des différents réalisateurs des épisodes (Agnès JAOUI qui a également un petit rôle dans la série, Arnaud DESPLECHIN dont je me suis rappelé qu'il avait déjà abordé la psychanalyse dans "Jimmy P. (Psychothérapie d un Indien des Plaines)" (2013), Emmanuelle BERCOT, Emmanuel FINKIEL) ou bien au niveau des acteurs (Eye HAÏDARA qu'ils avaient d'ailleurs révélé dans "Le Sens de la fête" (2016), le jeune Aliocha Delmotte dont le rôle est autrement plus intéressant et touchant que celui de ses parents dans la saison 1, Suzanne LINDON, fille de qui affirme une présence forte bien à elle et enfin le grand Jacques WEBER que l'on est plus habitué à voir au théâtre et dont l'intensité des échanges, non-verbaux surtout avec Frédéric PIERROT atteint des sommets).
Le dernier des cinq films co-écrits par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri et réalisé par Agnès Jaoui est passé relativement inaperçu à sa sortie, éclipsé par "Le Sens de la fête" sorti quelques mois auparavant et présentant certaines similitudes (oeuvre d'un duo, casting masculin intégrant dans les deux cas Jean-Pierre Bacri et Kevin Azaïs, cadre identique d'une fête dans une demeure luxueuse à l'écart de la ville). Mais là où "Le Sens de la fête" conservait un ton bon enfant et rendait ses personnages attachants tout en faisant beaucoup rire, "Place publique", satire visant l'air du temps, les bobos parisiens et le show-biz délocalisant leurs fêtes bling-bling dans le rural périurbain a un ton amer, limite aigri, qui vire au jeu de massacre. Le résultat est inégal. Si les dialogues sont globalement savoureux, les personnages tendent à être réduits à des caricatures (le présentateur TV people has-been inspiré d'Ardisson qui refuse de vieillir et étouffe sa compagne de sa jalousie, son ex-femme engagé dans l'humanitaire qui emmerde à peu près tout le monde, leur fille qui surfe sur la notoriété de son père pour vendre ses livres tout en crachant dans la soupe, la productrice cynique, le quinquagénaire en plein démon de midi, l'agriculteur bio sans TV ni internet, l'agriculteur bourrin et son fusil, le youtubeur influenceur* et ses fans incarnant la jeune génération célèbre pour le seul fait de passer à l'écran, la serveuse groupie qui n'en fiche pas une rame et n'est là que pour faire des selfies etc.) Tout ce remue-ménage paraît bien vain à force de tourner en rond en ne remuant que des lieux communs et de l'artificiel. Quelques séquences un peu plus denses humainement entre Kevin Azaïs (qui incarne un chauffeur qui n'est pas sans rappeler celui que jouait Gérard Lanvin dans "Le Goût des autres") et Nina Meurisse ("la fille de" qui rappelle lointainement la Lolita de "Comme une image") ainsi que la mélancolie que distille Jean-Pierre Bacri valent le détour. Sa reprise du "Osez Joséphine" de Alain Bashung lors du générique de fin lui offre une porte de sortie à sa hauteur dans le cinéma français auquel il continue de manquer terriblement.
* La passe d'arme entre lui et Castro (alias Bacri) fait certainement allusion à la séquence de "Salut les terriens" en 2017 durant laquelle Ardisson se montra méprisant envers le youtubeur Squeezie et ses 9 millions d'abonnés, illustrant le fossé culturel et technologique entre les générations et l'incapacité des plus anciens d'accepter leur déclin (les exemples sont légion d'anciens rois du petit écran incapables de raccrocher les gants et débarqués de force, de PPDA à Julien Lepers ou qui continuent de s'accrocher à leur poste en dépit de leur âge avancé comme Michel Drucker ou... Thierry Ardisson).
Le quatrième film de Agnès JAOUI confirme un certain déclin qui se faisait déjà sentir dans "Parlez-moi de la pluie" (2007). Le début est laborieux et le dispositif de transposition des contes dans une satire du monde d'aujourd'hui est beaucoup trop appuyé pour ne pas paraître artificiel. A cela s'ajoute l'aspect choral du film qui le rend très brouillon avec trop de personnages à peine esquissés. La greffe des deux genres ne fonctionne qu'avec un seul personnage, celui du grand méchant Wolf (Benjamin BIOLAY qui joue à la perfection les odieux séducteur manipulateur) qui aurait mérité d'être beaucoup plus développé. Il aurait permis de critiquer de manière autrement plus pertinente le mythe du prince charmant (version beau ténébreux) et de la princesse que les films Disney continuent à véhiculer auprès des petites filles du monde entier. La pauvre Laura (Agathe BONITZER) qui doit cumuler les rôles de Cendrillon, Blanche-Neige, La Belle au bois Dormant et cie apparaît surtout comme une belle cruche qui se demande ce qu'elle fiche là. Le film est beaucoup trop fourre-tout en essayant d'embrasser de façon très générale la question des croyances (un sujet bien trop vaste!) pour ne pas tomber à plat. On voit bien la limite du dispositif avec le personnage de Jean-Pierre BACRI certes touchant dans un rôle écrit sur-mesure pour lui mais dont le lien avec la thématique du film est plus que tiré par les cheveux (une auto-école qui s'appelle Leconte, des convictions athées, une prédiction de Mme Irma qui le terrorise, ça fait vraiment un peu court). Bref, "Au bout du conte" est tout simplement non un beau cygne mais juste un canard boîteux.
Plus étriqué dans le monde qu'il dépeint que "Le Goût des autres" (1999), "Comme une image" ne manque néanmoins pas de qualités. En effet la satire du microcosme intello-gaucho-bobo-parigot se double d'un portrait sensible de Lolita (Marilou BERRY), jeune femme enrobée qui se sent rejetée de ce milieu. Il faut dire que sans l'aval du nom du père, aucune porte ne s'ouvre devant elle, pas même celle des boîtes de nuit qui d'ailleurs jettent également à ses pieds un certain "Sébastien" qui s'avère s'appeler Rachid. Mais qui est-il ce père finalement dont le nom et l'attitude fait instantanément retourner la veste des taxis mal embouchés, des profs de chant débordés, des tâcherons de l'écriture et des vedettes de la TV? Pas grand-chose à vrai dire. Jean-Pierre BACRI est impérial dans le rôle antipathique du type dont les poches débordent de ce type de cadeaux empoisonnés qui font de ceux qui les acceptent ses obligés mais qui en réalité n'a strictement rien à donner de ce dont sa fille aurait le plus besoin: de l'attention, de l'estime, de la considération. L'émancipation par le chant de Lolita est certes une façon (vaine) d'attirer l'attention de son père mais aussi une manière de s'élever au dessus du marigot (intello-gaucho-bobo-parigot) afin d'y voir plus clair. Car bien que très amère de ne susciter l'intérêt que pour son "image" (la carte de visite de son père serait un terme plus exact), Lolita n'est pas toujours lucide et accorde sa confiance à des gens qui n'en valent peut-être pas la peine ou à l'inverse qui s'avèrent plus intègres qu'elle ne le croit. Le petit monde filmé par Agnès JAOUI et scénarisé par le duo a beau donc être rempli de faux-semblants (et parfois de maladresses), il s'avère sonner juste.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.