Love & Friendship est l'adaptation d'un court roman épistolaire écrit par Jane Austen dans sa jeunesse. Il se déroule en Angleterre à la fin du XVIII° siècle entre Londres et différents domaines aristocratiques situés à la campagne (une constante chez Austen). Il se focalise sur le personnage de Lady Susan une belle veuve désargentée mais rusée et manipulatrice qui est prête à tout pour retrouver un mari fortuné quitte à sacrifier sa fille, une adolescente timide écrasée par la forte personnalité de sa mère. Celle-ci possède un art consommé de l'intrigue, et un débit de mitraillette qui impressionne d'autant qu'elle ne se démonte jamais et retourne toutes les situations à son avantage.
Très apprécié par la critique à cause de son aspect satirique et de ses dialogues ciselés et souvent très drôles, le film n'en souffre pas moins du nombre élevé de personnages dont les liens ne sont pas faciles à saisir d'emblée (alors qu'ils nous sont pourtant présentés à l'écran) et dont certains se ressemblent trop. Mais surtout il fait une telle part aux scènes statiques en intérieur, au cynisme et au caustique au détriment du romanesque qu'il finit par ressembler à une pièce de théâtre ronronnante et un peu vaine à force de manquer de fond et de variété. Prenons l'exemple de Sir James Martin riche benêt au perpétuel sourire béat. A peine a-t-il épousé Lady Susan qu'il est cocufié sous son propre toit sans qu'il ne s'en rende compte. Le scénario place dans sa bouche des phrases à double sens pour que le spectateur se délecte de la situation. De façon générale les hommes sont des pions méprisés par la gent féminine dont la sécheresse de coeur finit par lasser. Frédérica la fille de Lady Susan et sa tante Katherine font exception mais elles sont sacrifiées par l'intrigue.
A noter que pour le film le réalisateur a réuni deux comédiennes (Kate Beckinsale et Chloë Sevigny) qu'il avait dirigées 18 ans plus tôt dans Les derniers jours du disco. Mais sous l'effet du bistouri ou du botox, le visage de Kate Beckinsale qui joue Lady Susan est particulièrement inexpressif. Quant à Chloë Sevigny qui joue son amie américaine Alice elle lui sert de faire-valoir et son personnage n'a pas d'intérêt par lui-même.
Quand sort Raison et Sentiments au cinéma en 1995, l’oeuvre de Jane Austen était un peu passée de mode. L’immense succès du film d'Ang Lee a permis à une nouvelle génération de redécouvrir son oeuvre féministe et a suscité depuis une ribambelle d'adaptations fidèles et d'époque (Comme le célèbre Orgueil et préjugés avec Colin Firth dans le rôle de Darcy) ou plus libres et modernes (comme Le journal de Bridget Jones avec Colin Firth dans le rôle de...Darcy).
Comment expliquer le succès de cette adaptation et le fait qu'elle soit devenue une oeuvre de référence alors qu'à sa sortie beaucoup jugeaient le film "académique", "mièvre" sans parler d'Emma Thompson jugée trop âgée pour le rôle d'Elinor (Elle a 19 ans dans le roman mais 27 dans le film et Emma Thompson avait alors 35 ans)?
Si le film est si réussi c'est parce qu'il rassemble une impressionnante brochette de talents. A commencer par Emma Thompson justement. Car non seulement la divine Emma campe une inoubliable Elinor d'une sensibilité à fleur de peau sous son apparente retenue mais elle a également écrit pendant cinq ans le scénario du film, couronné par un Oscar. L'aspect caustique et satirique du livre est atténué au profit de personnages et de relations plus creusés, complexes et émouvants. Ang Lee qui n'avait pas encore réalisé Le magnifique Secret de Brockeback Mountain faisait déjà la preuve de son talent discret et subtil en alternant avec bonheur humour et émotion dans des paysages variant selon les états d'âme des protagonistes filmés au plus près de leur ressenti. Le jury du festival de Berlin ne s'y est pas trompé et lui a remis l'Ours d'or. Le reste de la distribution fait également des étincelles. Hugh Grant avec Edward Ferrars trouve l'un de ses meilleurs rôles au cinéma et peut exprimer toutes les facettes de son jeu (autodérision, maladresse, sensibilité, charme...) Kate Winslet deux ans avant d'exploser avec Titanic déploie déjà toute sa flamboyante énergie avec le rôle de Marianne la soeur fougueuse et passionnée d'Elinor. Enfin Alan Rickman dans un rôle à contre-emploi, celui du colonel Brandon, est prodigieusement intense. Il suffit d'observer son visage la première fois qu'il apparaît à l'écran lors d'une longue séquence où il écoute Marianne chanter pour s'en rendre compte.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.