"Caprice", le film de fin d'études de Joanna HOGG réalisé en 1986 est aussi (et logiquement) le tout premier rôle de son amie d'enfance, Tilda SWINTON qui n'avait alors que 26 ans et que l'on est pas habituée à voir aussi jeune sur un écran bien qu'elle le crève déjà, au sens propre comme au sens figuré. Le film raconte en effet une histoire toute simple mais très ingénieuse, celle d'une jeune fille gauche et ingénue qui se retrouve aspirée à l'intérieur de son magazine de mode favori à la manière de Alice au pays des merveilles ou bien de Dorothy au pays d'Oz. Découvrant l'envers d'un décor changeant à la manière des pages que l'on feuillette, elle perd peu à peu ses illusions au contact de personnages lui promettant monts et merveilles mais se détournant d'elle dès qu'elle leur annonce qu'elle n'a pas d'argent pour payer leur poudre de perlimpinpin. Ou variante, elle se fait snober par les stars blasées par leurs fans énamourés. Joanna HOGG profite du concept pour changer de style et de genre à chaque nouvelle scène, faisant passer son héroïne d'un univers aux couleurs pop acidulées à un tunnel en noir et blanc inquiétant rappelant l'expressionnisme allemand (ou "Répulsion" (1965) de Roman POLANSKI), d'un clip à l'esthétique et aux sonorités très années 80 à une séquence parodiant "Aladin et la lampe merveilleuse" avec son génie en bouteille (de parfum). Le récit initiatique permet à l'héroïne de s'affirmer face aux diverses tentations factices auxquelles elle est soumise, l'imagination de Joanna HOGG faisant merveille. J'aime particulièrement le séducteur "Douglas Furbanks" joué par Anthony HIGGINS qui répète en boucle le même slogan publicitaire autour de la confiance en soi qui s'acquiert comme chacun le sait par la possession de quelques manteaux de fourrure (pas sûr que Brigitte BARDOT aurait apprécié ^^).
Le centre Pompidou consacre une rétrospective à la cinéaste et photographe britannique Joanna Hogg, méconnue chez nous. "Eternal Daughter" est son sixième long-métrage, le septième si on compte son film de fin d'études qui date de 1986. En revanche, son amie d'enfance, Tilda Swinton est devenue extrêmement célèbre. Et c'est elle que l'on retrouve à l'affiche de "Eternal Daughter" qui allie une grande maîtrise cinématographique, une atmosphère onirique et gothique et un contenu intimiste autobiographique. Comme dans d'autres films mettant en scène la gémellité, Tilda Swinton s'y dédouble, cette fois pour interpréter une mère et sa fille dans un film d'atmosphère qui avec son grand hôtel désert et hanté fait penser à "Shining" de Kubrick (une référence assumée par la réalisatrice qui utilise la même oeuvre de Bela Bartok) nimbé de brume comme dans "La chute de la maison Usher" de Edgar Allan Poe. "Eternal Daughter" est une histoire de deuil qui prend la forme d'un film de fantôme. Julie qui est une réalisatrice entre deux âges sans enfant emmène sa mère Rosalind fêter son anniversaire dans l'hôtel qui fut autrefois sa maison. Une immense et majestueuse demeure quelque peu décrépite (électricité et chauffage défaillants) qui semble flotter hors du temps et dont les porte-clés sont des anges. Une sorte de rituel se met en place, ponctué par des rimes visuelles: un insert sur une main qui en saisit une autre, les promenades nocturnes de Julie dans le jardin avec Louis, le chien de Rosalind, le coucher de cette dernière précédé de la prise d'un somnifère dans le pilulier, les repas durant lesquels les deux femmes sont filmées en champ-contrechamp avec la réceptionniste qui apparaît dans le fond de l'image pour prendre la commande ou servir, des conversations dans la salle à manger ou la chambre durant lesquelles sont convoqués les souvenirs, pas toujours heureux qui effraient Julie tout comme les craquements qui alimentent ses insomnies ou encore son observation depuis la fenêtre des tensions entre la réceptionniste et son petit ami lorsqu'il vient la chercher le soir en voiture. De cette circularité et de cet effet de répétition émerge peu à peu l'idée d'une mémoire qui cherche à se rassembler, les circonvolutions de l'hôtel, comme dans "Shining" faisant penser aux méandres du cerveau. L'atmosphère est absolument envoûtante avec un choix de couleurs, d'atmosphères et de sonorités particulièrement évocatrices. Le tout au service d'un récit sensible que l'on devine proche du vécu de la réalisatrice qui s'inscrit dans une longue lignée d'autrices gothiques (de Charlotte Brontë à Daphné du Maurier).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.