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Articles avec #haynes (todd) tag

Loin du paradis (Far from Heaven)

Publié le par Rosalie210

Todd Haynes (2002)

Loin du paradis (Far from Heaven)

"Loin du paradis" est avec "Tous les autres s appellent Ali" (1973) de Rainer Werner FASSBINDER le film qui s'inspire le plus directement de "Tout ce que le ciel permet" (1955) de Douglas SIRK. C'est dire si ce dernier a des héritiers, gays pour la plupart (François OZON fait également partie du lot). Il faut dire qu'en dépit des évolutions sociétales des soixante dernières années, les gens qui n'entrent pas dans les normes sociales ont des parcours qui restent souvent jalonnés de difficultés. Et les Cathy Whitaker (Julianne MOORE), archétype de l'épouse et de la mère au foyer modèle de l'american way of life des années cinquante sont loin d'avoir disparu. Pas seulement aux USA d'ailleurs ("Desperate Housewives" (2004)), chez nous aussi. Une de mes collègues lui ressemblait beaucoup. Certes, elle travaillait mais elle devait son train de vie fastueux à son mari et passait l'essentiel de son temps en représentation, à faire visiter à tout le monde les derniers aménagements de sa grande maison, catalogue hiver et catalogue été. Elle savait sourire, être agréable, passer les plats aux supérieurs hiérarchiques et de ce fait bénéficiait d'une excellente réputation alors qu'elle négligeait ce qui dans son travail ne pouvait rien lui rapporter en terme d'image et que son foyer était par ailleurs miné par les conflits avec sa fille. Bref sous la surface, ce n'était pas joli joli. Et c'est exactement ce que montre Todd HAYNES. Il recréé à l'aide d'une superbe photographie le bel écrin du mélodrame sirkien pour mieux enfermer ses personnages dans une prison physique et mentale dont il ne peuvent s'extirper: le mari dans son bureau, l'épouse dans le salon de la maison à poser pour les photographes de magazines célébrant les joies de la famille traditionnelle, les serviteurs noirs à la cuisine et au jardin. La hiérarchie raciste et sexiste se double d'une autre forme d'inégalité. Si l'homosexualité (masculine), considérée comme une maladie ne peut se vivre au grand jour, elle bénéficie tout de même d'un réseau organisé de lieux clandestins dans lesquels elle peut s'exprimer alors que l'amour interracial entre un homme noir et une femme blanche ne bénéficie d'aucun espace pour exister. Il est donc l'objet d'une impitoyable réprobation générale et est voué à l'échec. Todd HAYNES rend cette situation d'autant plus intolérable qu'à l'image de son modèle, il souligne le contraste entre la mesquinerie des gens de la petite ville qui comblent le vide de leur existence en épiant et en médisant et l'élévation spirituelle de Raymond et de Cathy qui lorsqu'ils sont ensemble sont dans la contemplation de la beauté (dans l'art ou dans la nature).

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I'm Not There

Publié le par Rosalie210

Todd Haynes (2007)

I'm Not There

"I'm Not There" est un bel objet arty ultra sophistiqué pensé par et pour les happy few qui se gargariseront avec les multiples références parsemées tout au long du film. Les autres soit l'immense majorité risqueront de rester à quai pour reprendre l'une des métaphores du film qui voit deux des avatars de Bob Dylan sauter à bord d'un wagon de marchandises. Par peur sans doute de tomber dans la soupe des innombrables biopics académiques reconstituant la vie et l'œuvre d'un artiste, Todd Haynes a choisi une démarche inverse radicale, celle d'éclater le récit en plusieurs fragments façon puzzle, chacun étant interprété par un interprète différent dans un style différent. Pour corser le tout et perdre un peu plus le néophyte, les séquences s'enchaînent sans lien entre elles comme on saute du coq à l'âne et aucun personnage ne se nomme Bob Dylan, son nom ne sera d'ailleurs jamais prononcé durant le film. Le problème est que le titre qui fait référence au caractère insaisissable de l'artiste aux multiples vies et identités EST une réalité. Il n'est tout simplement pas là, faute d'incarnation. Ce que l'on voit, ce sont des images au sens de représentations totémiques qui ne sont jamais ramenées à une simple dimension humaine. Poésie et intellectualisme ne font pas bon ménage. La première suscite l'émotion, le second tient à distance. Un peu plus de modestie aurait été de rigueur d'autant que Bob Dylan n'est pas le seul artiste génial sur terre. Quant à ses engagements, ils sont réduits à quelques images-signes en toile de fond qui contrastent cruellement avec l'univers showbiz-paillettes qui est lui surdéveloppé, de même que ses histoires de cœur tout aussi "poseuses" dont on a que faire: le segment avec Charlotte Gainsbourg mélangé à des images de guerre du Vietnam est particulièrement ridicule et c'est bien dommage car le talent de Heath Ledger tourne à vide. Celui avec Cate Blanchett qui offre la prestation la plus mimétique est cependant un monument de vanité narcissique et singe de façon fatigante le "Huit et demi" (1963) de Federico Fellini. Les autres segments sont parfaitement inutiles, notamment celui avec Ben Whishaw dont les propos abscons ne sont là que pour surligner lourdement le symbole rimbaldien du "je est un autre". Reste le plaisir d'entendre les chansons et les textes de Bob Dylan mais cela peut se faire aisément dans un autre cadre que celui-ci d'autant que en dehors du réseau des initiés, il est plus du genre à provoquer ennui voire rejet du bonhomme, assimilé à un personnage détestable infatué de lui-même.

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Carol

Publié le par Rosalie210

Todd Haynes (2015)

Carol

Les romances homosexuelles entre deux femmes sont encore plus rares au cinéma que celles qui mettent en scène des histoires d'amour entre hommes. Le cinéma (du moins dans sa version mainstream) étant un reflet de notre société, on ne s'étonnera pas de cette quasi-invisibilité de tout un pan de la réalité humaine.

Néanmoins ces dernières années, quelques films sont parvenus à se faire connaître notamment grâce au festival de Cannes. La palme d'or 2013 accordé à "La Vie d'Adèle" était une palme sensationnelle, politique mais dont la réelle valeur cinématographique restait discutable à cause notamment de son côté caricatural et voyeuriste (pour ne pas dire même pornographique). Rien de tel en ce qui concerne "Carol" qui deux ans plus tard permit à Rooney Mara de remporter le prix d'interprétation féminine. Le film est délicat, complexe, nuancé et possède un background passionnant.

A l'origine de "Carol" il y a le deuxième livre d'une célèbre romancière: Patricia Highsmith, déjà auteure de "L'inconnu du Nord-Express" adapté au cinéma par Hitchcock. Ce livre paru en 1952, elle dû l'écrire sous un pseudonyme et il ne fut publié en France que 30 ans plus tard, la censure sévissant des deux côtés de l'Atlantique (pas seulement celle du puritanisme mais aussi celle des rapports de pouvoirs, le monde de l'édition étant aux mains des hommes).

"Carol" prend pour point de départ un fait réel et autobiographique: la rencontre de Patricia alors qu'elle travaillait pour les fêtes comme vendeuse dans un magasin avec une femme de la haute bourgeoisie venue acheter une poupée pour sa fille. Subjuguée par la prestance de cette femme, Patricia qui était alors indécise quand à son orientation sexuelle imagina une romance avec cette femme et décida de lancer avec son livre un grand coup de pied aux fesses de la société conservatrice patriarcale et bourgeoise.

Avec un matériau déjà aussi riche, Todd Haynes n'avait plus qu'à "ramasser la mise". Mais il serait injuste de diminuer son mérite personnel. Dans l'un de ses précédents films, "Loin du paradis", il reprenait l'esthétique et les thèmes des mélodrames de Douglas Sirk pour dénoncer l'aliénation au conformisme social des années 50, empêchant les individus de réaliser leurs aspirations profondes. Mais son film avait le même ton résigné, vaincu d'avance que le "Brève rencontre" de David Lean auquel se réfère clairement la structure de "Carol": un intrus interrompt une discussion entre deux personnages que l'on devine intimes (la pression de la main nous le confirme). La suite en flashback nous raconte leur histoire avant que le dénouement ne revienne sur la scène initiale dont nous saisissons désormais toute la portée.

Mais "Carol" n'est pas un film soumis comme l'était "Brève rencontre" ou "Loin du Paradis", quel que soit le degré d'enfermement des personnages. Les deux protagonistes ne sont pas des rebelles de nature mais leur rencontre va en quelque sorte les révéler à elles-mêmes. Thérèse, jeune femme indécise qui ressemblait à une petite souris grise et morne découvre la passion qui lui permet de sortir de sa condition de prolétaire et de s'épanouir dans son art. Carol beaucoup plus au fait de sa nature profonde trouve le courage de résister au chantage masculin (de son mari comme de ses avocats) pour affirmer son droit à être elle-même et à vivre librement. "Carol" est une histoire des années 50 mais son état d'esprit est moderne. Il n'y a pas de fatalité, il est possible de faire des choix et d'ouvrir des perspectives émancipatrices pour tous ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans le modèle dominant.

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