Comédie burlesque, plans et scènes cartoonesques, réalisation nerveuse en forme de trip hallucinogène, le tout oscillant entre réalité sociale et poésie urbaine, voilà le cocktail explosif concocté par Dupontel. A défaut d'être grand public, ce film brut de décoffrage explore plusieurs voies et offre de beaux moments.
L'hommage au burlesque muet est évident. Le héros est un SDF candide comme Chaplin mais son goût des cascades, notamment en hauteur le rapproche plutôt d'Harold Lloyd. Ces cascades prennent un caractère complètement déjanté qui fait penser aux cartoons, lesquels ne sont finalement qu'une extension du burlesque hors des limites physiques. Le héros s'en prend plein la figure et se relève presque sans une égratignure, certains gags prenant un caractère répétitif comme la dévastation de l'épicerie ou la collision avec le scooter. Enfin beaucoup de scènes drôles ou poétiques flirtent avec le surréalisme et l'absurde comme le commissariat improvisé dans le squat ou les petits spectacles de rue que Marie improvise pour sa fille séquestrée par ses grands-parents. Mais la plus belle idée provient des affiches publicitaires qui prennent vie sous substance psychotrope. Dupontel s'appuie sur la présence au casting de membres de deux troupes maniant cette forme d'humour, l'une française et l'autre britannique: les Deschiens (Yolande Moreau et Bruno Lochet) et les Monty Pythons (Terry Gilliam et Terry Jones).
Cet amalgame ne tourne pas à vide car il est trempé dans la rage. Celle de l'injustice sociale: le héros enfile un costume de policier et devient un justicier qui attaque les possédants pour venir en aide aux plus faibles. La rage du groupe Noir Désir également dont les morceaux ("En route pour la joie", "Seven minutes", "Oublié") innervent le film.
Une des meilleures comédies françaises de ces dernières années. Albert Dupontel a une vraie personnalité et une excellente maîtrise du langage cinématographique (le plan-séquence inaugural a été remarqué de même que les séquences tordantes du vol filmées et montées à la Jeunet). La durée est resserrée au maximum pour éviter les longueurs, la narration est enlevée, le ton est incisif, parfois vachard, parfois tendre et n'hésite pas à s'aventurer sur des terrains risqués (humour noir, gore, absurde à l'image de ce dialogue hilarant "Vous avez raison, je vais ouvrir l'œil! Ah ben non, surtout pas, fermez-les de peur qu'il vous les bouffe.") L'interprétation est remarquable du premier au dernier rôle. Sandrine Kiberlain révèle des qualités comiques insoupçonnées (qui ont complètement changé l'image que j'avais d'elle) Dupontel est excellent tout comme Benoît Marié en avocat bègue. Les caméos de Jean Dujardin parlant la langue des signes (un hommage à "The Artist"?) et de Terry Gilliam, le "père spirituel" de Dupontel qui joue un cannibale (Meatson!!) aux mains tatouées "Love" et "Eat" (Des références fortuites au "Silence des agneaux" et à la "Nuit du chasseur"? Mon œil!) sont à mourir de rire. Et soulignons que Dupontel connaît ses classiques en faisant jouer une authentique juge, Michèle Bernard-Requin, célèbre pour ses prestations dans les films de Raymond Depardon. Il aurait eu d'ailleurs l'idée du scénario de "9 mois ferme" après avoir vu "10eme chambre -Instants d'audience". Un scénario primé aux César tout comme la formidable prestation de Sandrine Kiberlain. Cette filiation tout comme celle de Gilliam permet de comprendre que derrière la farce il y a un esprit critique qui s'exprime sur les dysfonctionnements d'une institution kafkaïenne prête à dénicher des coupables idéaux plutôt que d'enquêter sérieusement ou de juger impartialement. Le cas social délinquant multirécidiviste fait un parfait criminel ce qui économise temps et argent.
Le seul tout petit reproche que j'aurais à faire à ce film, ce sont ses 5 dernières minutes. La chute est un peu bâclée. Mais ce n'est pas grave tant le reste est parfait.
Un grand film fauché qui nous sort un gag tordant à la seconde, on y perd son latin ou plutôt son anglais. Il y a au moins trois ingrédients qui expliquent cet OVNI indémodable et culte du paysage cinématographique (même si à titre personnel j'ai une préférence pour le moins connu Sens de la vie):
- Comme je le disais plus haut, le tout petit budget accordé aux Monty Python pour réaliser leur premier film les a paradoxalement servis. Ainsi le gag des noix de coco, utilisé dans les studios de doublage pour imiter le bruit du galop devient-il ici un gag du plus haut effet comique servant à ridiculiser Arthur et ses chevaliers réduits à des enfants contraints de faire semblant de "jouer à dada" sur des chevaux fantômes. On peut en dire autant d'un autre gag célébrissime du film, celui du lapin tueur.
- Noix de coco et lapin tueur ont aussi pour fonction de participer au caractère brechtien et iconoclaste du film qui casse tout effet d'illusion cinématographique. Le générique à tiroirs, à rallonge et à différents degrés a pour mission d'annoncer la couleur. La discussion avec les chevaliers du château qui demandent d'où peuvent venir les noix de coco souligne le caractère absurde du film. Enfin l'anachronisme est utilisé comme une mise en abyme réjouissante de l'époque à laquelle le film a été tourné, à savoir celle de la guerre froide USA/URSS. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la scène de lutte des classes entre Arthur et un groupe de paysans anarcho-syndicalistes organisés en communes autonomes ainsi que l'apparition d'objets/aliments contemporains (voiture, orange...) ou la répétition d'une même scène ou l'interruption de l'action pour interpeller l'équipe du film. A partir du meurtre de l'historien par un chevalier, le Moyen-Age et l'époque contemporaine se télescopent jusqu'à être réunies dans les scènes finales. Celles-ci laissent d'ailleurs entendre qu'Arthur et ses chevaliers pourraient tout à fait être des fous échappés d'un asile en 1975. Ou bien plus subversivement que la légende arthurienne, ciment national anglais (avec le sentiment anti-français retourné contre eux et ridiculisé) n'est qu'un leurre.
-Enfin la "parodie érudite" est un autre cocktail détonnant. Terry Jones et Terry Gilliam ont une connaissance approfondie du Moyen-Age et de son iconographie. Ainsi le code d'honneur du chevalier mû par l'amour courtois est fidèlement retranscrit mais tourné en dérision. Lancelot trucide sauvagement tous ceux qui croisent son chemin pour délivrer une princesse enfermée dans sa tour qui s'avère être un prince efféminé. De même le ménestrel censé chanter les louanges de Robin se met à vanter sa couardise. Idem avec les religieux. Les moines en prennent pour leur grade mais les enluminures animées de Gilliam qui ouvrent les sketches rappellent leur fonction de copiste et d'enlumineur de manuscrits tout en détournant leur contenu. Même le lancer de vache trouve ses origines dans la ruse imaginée par les habitants d'un château assiégé par les troupes de Charlemagne. Ils avaient lancé un cochon par dessus les remparts pour leur faire croire qu'ils avaient encore de la nourriture. Ce qui avait eu pour effet d'entraîner la levée du siège.
Quant un making-of se transforme en une chronique d'une catastrophe annoncée, cela donne "Lost in la Mancha", l'histoire d'un film maudit dont le tournage fut arrêté au bout d'une quinzaine de jours.
L'ambition de porter à l'écran les aventures de Don Quichotte n'est pas nouvelle. Comme le rappelle le film, il y eut le précédent d'Orson Welles qui pendant plus de 20 ans tourna des séquences du film y compris après la mort de l'acteur principal. Mais lorsqu'il mourut en 1985, celui-ci était toujours inachevé.
Un projet aussi démesuré ne pouvait qu'attirer Gilliam dont la créativité est intimement liée au combat contre le système. Gilliam "celui qui montre une idée par plan alors que d'autres font des films entiers sur un semblant d'idée", Gilliam visionnaire mais persona non grata auprès des grands studios à cause du caractère (budgétairement) incontrôlable de ses projets "trop excentriques pour Hollywood".
Dès l'origine, le film "trop élaboré pour un petit budget" part donc avec un gros handicap: il est mal financé et son organisation tourne au cauchemar: acteurs injoignables, matériel dispersé aux quatre coins d'Europe etc. Néanmoins Gilliam et son équipe pensent pouvoir vaincre ces difficultés en lançant le tournage. Las, la malchance les poursuit: tournage près d'un terrain militaire sous le vacarme des F-16, déluge qui emporte les décors et transforme la couleur du désert empêchant de faire le raccord avec ce qui a été déjà tourné et pour couronner le tout double hernie discale de Jean Rochefort qui s'avère incapable de tenir le rôle principal.
Les quelques bribes de scènes tournées sont superbes et font d'autant plus regretter l'abandon du projet initial. Mais Gilliam n'a jamais renoncé et a tenté de le relancer au moins à trois reprises. 17 ans après, il vient enfin de boucler le tournage le 4 juin 2017 avec une autre distribution mais il n'en a pas fini avec les problèmes puisqu'il est en conflit avec un producteur sur les droits d'exploitation du film ce qui risque de retarder voire de compromettre sa sortie. Le feuilleton n'est pas terminé.
Storytime fait écho à la série anglaise « Don’t Adjust Your Set » (1967-1969) pour laquelle Gilliam a effectué de nombreuses animations du même genre, et annonce en même temps les sketchs animés qui ponctueront « Monty Python’s Flying Circus », série culte de la première moitié des années 70.
Storytime se compose de trois segments d'animation complètements déjantés qui annoncent l'oeuvre à venir, surréaliste, engagée, poétique, azimutée, sarcastique et iconoclaste. Si tous trois sont remarquables, mon préféré est le troisième, saccage jouissif de l'imagerie empreinte de religiosité naïve des cartes de vœux traditionnelles. On y voit les biches et les anges se faire massacrer, le traîneau du père Noël se faire poursuivre par une horde d'indiens, ce dernier kidnapper les enfants ou leur reprendre leurs jouets, les rois mages perdre le nord etc. Le tout dans un emballage des plus sarcastiques. Outre une virulente satire morale et religieuse, on peut discerner dans ce segment iconoclaste son goût pour le détournement des institutions, des traditions, des légendes et des contes. Les deux autres segments semblent encore plus absurdes mais parlent en réalité d'inégalités voire de lutte des classes. Le premier joue sur deux échelles et deux techniques différentes d'animation (dessin crayonné et collage) pour mettre en relation la vie d'un cafard et celle des êtres humains qui les écrasent. Le deuxième qui mêle également ces deux techniques nous raconte une histoire de mains et de pieds qui s'émancipent de leurs maîtres mais qui reproduisent leurs inégalités sociales, les premières snobant les deuxièmes considérés comme inférieurs. Ajoutons que le passage d'un segment à l'autre se fait sans solution de continuité. On saute du coq à l'âne ce qui renforce le caractère absurde de l'ensemble (cela fait penser au générique de Sacré Graal).
Les influences de Gilliam qui s'expriment ici vont de Harvey Kurtzman (Mad Magazine) aux photomontages dadaïstes de John Heartfield en passant par Stan van der Beek et son film d'animation sarcastique et surréaliste Death Breath. Gilliam deviendra lui-même une influence majeure de la série South Park et il participera lui-même à un épisode. En France, la filiation de Gilliam se situe pour l'aspect poétique plutôt chez Caro et Jeunet et pour l'aspect absurde et satirique chez Dupontel (il appaaît dans plusieurs de ses films). Des films en prise de vue réelle mais qui ont un indéniable aspect cartoonesque.
Le sens de la vie est un titre particulièrement ironique pour les maîtres du nonsense que sont les Monty Python. Troisième et dernier long-métrage du groupe d'humoristes anglais, il n'est peut-être qu'une suite de sketches mais quels sketches! Quasiment que du culte: éducation sexuelle en live dans un pourtant très strict college britannique (Cleese adore se désaper); catholiques pondeurs d'enfants entonants "Every sperm is sacred" sous le regard d'un protestant ultra coincé qui proclame sa fierté de pouvoir porter des capotes à plumes; parturiente oubliée au profit de la machine qui fait "ping"; client obèse d'un restaurant chic dévorant et vomissant à s'en faire péter la panse (au sens propre); donneurs d'organes prélevés de leurs vivant; colonisateur se faisant arracher la jambe sans sourciller; grande faucheuse venant embarquer les invités d'une soirée à la façon du 7eme Sceau; poissons sous LSD; employés de banque transformés en pirates et trucidants leurs patrons etc. Aucune forme d'autorité ne résiste aux Pythons. Comme toujours leur humour oscille du mauvais goût le plus assumé aux références culturelles les plus subtiles. Le court-métrage qui ouvre le film signé Gilliam tranche avec le reste par son ambition visuelle (un immeuble devient un bateau de pierre qui parcourt une terre plate jusqu'à atteindre sa bordure et tomber) et annonce Brazil.
Un des meilleurs films de Terry Gilliam avec Brazil et L'armée des 12 singes. En effet l'imagination débridée du réalisateur qui dans ses films plus récents peut tourner à vide ou bien partir dans tous les sens est ici efficacement canalisée. Sans doute parce qu'il s'agit de l'adaptation d'une oeuvre déjà préexistante (comme Brazil dont le point le départ est 1984 d'Orwell et L'armée des 12 singes qui est un remake de la Jetée de Chris Marker).
Fisher King est à l'origine un scénario de Richard LaGravenese auteur également de celui de l'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux. Les productrices de la société Columbia Tristar pensèrent à Terry Gilliam pour le réaliser. Preuve que la relation de celui-ci avec les studios ne fut pas toujours conflictuelle, il accepta, séduit par cet écrivain brillant qui avait la même vision du monde que lui.
En effet le film non seulement porte la signature de Gilliam mais semble avoir été écrit pour lui tant il traite de thématiques qui lui sont chères. La folie, les marginaux, le surgissement d'un monde médiéval en plein New-York contemporain avec sa cour des miracles, son chevalier rouge et sa quête du Graal, le mélange de trivialité et de poésie...
Il y a quatre personnages importants dans le film. Jack Lukas (joué par Jeff Bridges) est un animateur radio arrogant et cynique qui ne jure que par le hit "I've got the power" depuis le sommet de sa tour d'ivoire. Plus dure sera sa chute (avec un jeu de plongées/contre-plongées particulièrement réussi), car il finit par déraper et causer indirectement un carnage. Mais même au fond du trou c'est à dire suicidaire, alcoolique, écrasé de culpabilité il n'en reste pas moins incapable d'aimer (d'où la référence explicite à Pinocchio non à cause de son nez mais de son inhumanité).
Sa route croise dans des circonstances particulièrement dramatiques un clochard illuminé, Parry (Robin WILLIAMS) persuadé d'avoir trouvé en lui le héros capable de lui ramener le graal. Jack ne peut pas se débarrasser de Parry car celui-ci est en fait un ancien professeur d'histoire médiévale devenu fou à la suite du carnage que Jack a indirectement causé. Au dégoût de soi et au rejet du monde que porte Jack en lui, Parry répond par sa foi et son idéalisme. Mais sa raison plus que vacillante menace de s'effondrer à tout moment alors que Jack s'ouvre peu à peu au monde bigarré, poétique et humaniste dans lequel vit Parry.
L'amitié très puissante qui se noue entre les deux hommes est le moteur du film. Mais il y a aussi deux femmes. La copine de Jack Anne (Mercedes Ruehl) est une belle femme plantureuse et sexy, pleine d'humour et d'énergie mais qui souffre que son amour ne soit pas payé de retour. Parry lui est amoureux de Lydia (Amanda Plummer), une employée de bureau terne, gauche et solitaire chez qui il perçoit -tout comme pour Jack- une beauté cachée. Mais très timide, il n'ose pas l'aborder. C'est pourquoi Jack peut aider Parry à rencontrer Lydia et Parry peut aider Jack à clarifier ses sentiments envers Anne.
Le film a obtenu le lion d'argent à Venise et Mercedes Ruehl a reçu l'Oscar du meilleur second rôle. Le plus drôle c'est que dans le film elle tient un vidéo-club et qu'elle donne à un client particulièrement libidineux une cassette (on est en 1991) en lui disant "Cramouille contre Cramouille, ça a eu un Oscar!"
Film cultissime. Après l'avoir vu de multiples fois à domicile, j'ai eu la chance d'assister à une projection dans une salle art et essai peuplée d'aficionados qui le connaissaient par coeur et réagissaient à chaque séquence, décuplant son pouvoir humoristique.
Car si le fond du film est très noir, son traitement est un bijou d'humour noir. Et pour cause, Terry Gilliam est l'un des membres des célèbres Monty Python connus pour leur humour corrosif et absurde. Il applique au célèbre roman de George Orwell 1984 un traitement de choc. Brazil devait au départ s'intituler 1984 1/2 en référence à 8 1/2 de Fellini à qui le film fait des clins d'oeil (la mère qui se transforme en l'épouse ou la femme aimée). De façon plus générale, Brazil est un festival d'influences cinématographiques: Fellini donc, les Marx Brothers (on voit une courte séquence de Coconuts), Kurosawa (Sam Lowry en homme-oiseau combattant un samourai), Hitchcock (Psychose et Vertigo), Kubrick, Capra, Eisenstein (chute d'un aspirateur dans les escaliers, allusion au landau du cuirassé Potemkine), Fritz Lang (l'esthétique de Metropolis) Casablanca,... et c'est la même chose du côté de la littérature (Kafka, Verne, Cervantes...) et de la peinture (Bosch, Brueghel, Boticelli, Magritte...)
A cette superposition de références répond une superposition de lectures. Au premier degré bien sûr, Brazil dresse une satire à la fois effrayante et hilarante de notre société, mélangée aux systèmes totalitaires des années 30. D'un côté l'obsession de la réussite matérielle et du jeunisme, une technologie envahissante, une consommation effrénée. De l'autre des inégalités sociales criantes et une menace terroriste permanente à laquelle répond un Etat policier et bureaucratique qui fiche et surveille ses citoyens et parfois par erreur les enlève et les torture à mort. Au deuxième degré à travers la révolte du petit fonctionnaire Sam Lowry qui rêve en secret d'être un héros, Gilliam décrit sa lutte de cinéaste hors-norme face à la puissance de l'industrie cinématographique. Les studios Universal n'avaient pas hésité à mutiler la fin de Brazil pour en faire une stupide romance avec un happy end.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.