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Articles avec #film de guerre tag

Le Silence de la mer

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1949)

Le Silence de la mer

"Le Silence de la mer" d'après la nouvelle éponyme de Vercors est le premier film de Jean-Pierre MELVILLE. Tourné dans l'après-guerre, dans des conditions très difficiles et dans la clandestinité (car Melville n'avait pas les droits d'adaptation du livre), il révéla le cinéaste qui devint l'un des inspirateurs de la nouvelle vague (comme on peut le constater par exemple dans "À bout de souffle" (1959) dans lequel Jean-Pierre MELVILLE fait une apparition dans son propre rôle).

"Le Silence de la mer" est une oeuvre magnifique sur les ravages que la guerre cause à l'humanité, d'autant plus magnifique qu'elle fonctionne à un niveau métaphorique extrêmement dépouillé qui en fait toute sa force. Vercors et Melville (pseudo de Jean Bruller et de Jean-Pierre Grumbach) ont été Résistants et de cette expérience, ils ont su immédiatement tirer la substantifique moëlle puisque le livre a été écrit en 1941 et le film, réalisé entre 1947 et 1949. Pour mémoire, il s'agit d'un quasi huis-clos entre trois personnages: un homme d'une soixantaine d'années, sa nièce et un officier allemand que ces derniers se voient obligés d'héberger chez eux. Pour manifester leur opposition, l'oncle et la nièce décident de faire comme si l'officier n'existait pas. Chaque fois que celui-ci tente d'entrer en contact avec ses logeurs, il se heurte donc à un mur de silence buté. Pourtant il ne se décourage pas et c'est avec une grande habileté que Jean-Pierre MELVILLE parvient grâce aux cadrages, à la lumière et à la composition des plans à faire comprendre comment évolue leur relation, la voix off de l'oncle ne servant que de point d'appui. Ainsi la première apparition de l'officier dans l'encadrement de la porte ne met en avant que ce qu'il représente: l'ennemi nazi en uniforme. Mais les deux personnes apparemment impassibles qui semblent ignorer son existence lorsqu'il monologue auprès d'eux sont aussi en représentation. Des plans plus détaillés ou agencés autrement révèlent à certains mouvements du corps (les mains notamment) qu'il n'en est rien et que chacun souffre en réalité du rôle dans lequel il est enfermé. Car le cadre intimiste du salon le soir et la personnalité de l'officier, idéaliste, sensible, amoureux de la France et qui ouvre son coeur et son esprit à ceux qui l'hébergent pousse au rapprochement. Car c'est un mouvement naturellement humain alors que la guerre elle, est inhumaine. D'ailleurs lorsque l'oncle se rend à la Kommandantur et qu'il croise l'officier, tous deux sont sous le choc. Ils sont filmés à travers des cadres (en représentation donc) qui leur rappellent le rôle de chacun alors qu'ils l'avaient presque oublié. Pour renforcer cette impression, l'officier qui est en uniforme (alors que pour mettre à l'aise l'oncle et la nièce, il ne se montre chez eux qu'en civil) est placé sous un portrait d'Hitler. Et voilà comment Vercors et Melville parviennent à montrer le gâchis humain de la guerre. Dans une autre vie, Werner (Howard VERNON qui est magnifique de sensibilité dans le rôle de cet homme d'honneur qui découvre avec horreur le véritable visage du nazisme) aurait épousé la nièce (Nicole STÉPHANE) et l'oncle (Jean-Marie ROBAIN qui a un petit air de Georges BRASSENS) serait devenu son beau-père.

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Voyage au bout de l'Enfer (The Deer hunter)

Publié le par Rosalie210

Michael Cimino (1978)

Voyage au bout de l'Enfer (The Deer hunter)

"Voyage au bout de l'enfer" est un titre bien réducteur par rapport à celui d'origine "Le Chasseur de cerf" ("The Deer Hunter"). Qu'on l'apprécie ou non, le fait est qu'il s'agit d'un des plus importants films jamais réalisés non sur la guerre du Vietnam en particulier (dont la représentation confine à l'abstraction et donc à l'universalité) mais sur l'épreuve que constitue toute guerre et les conséquences qu'elle provoque chez l'être humain, à l'échelle individuelle mais aussi collective. Sa double structuration est pour beaucoup dans la portée du film: trois temporalités d'une heure à peu près chacune (avant, pendant, après) comme autant d'actes d'une pièce de théâtre et deux échelles: celle de la communauté, celle de l'individu. D'autre part, une bonne part de la fascination et de l'empreinte durable laissée par le film est liée au fait que Michael CIMINO dépasse son sujet en tournant le dos au réalisme au profit du symbolisme. A travers les gouttes de vin sur la robe de la mariée "tombant sous la feuille en gouttes de sang", la chasse au cerf ou la roulette russe (qui a donné lieu à des critiques à côté de la plaque étant donné que justement, ce jeu de la mort fonctionne comme une allégorie et non comme un documentaire), le film s'élève jusqu'à une méditation morale et philosophique sur la perte d'une certaine forme d'innocence (ou d'ignorance? On parle bien "d'oie blanche") et les rapports entre l'homme et la/sa nature (d'où un titre en VO tellement plus approprié que celui en VF!)

La première heure fait penser à l'ouverture du premier volet de la trilogie de "Le Parrain" (1972). Pas seulement à cause de la présence de John CAZALE dont ce fut le dernier film et Robert De NIRO même si ce dernier n'apparaît que dans le deuxième volet. C'est surtout le procédé qui présente des similitudes. Il consiste à nous présenter les personnages au sein d'une cérémonie de mariage dans un milieu d'immigrés, ici russes. Ce caractère immersif permet au spectateur de cerner la relation de l'homme à son environnement socio-culturel, communautariste (Angela, la mariée est qualifiée "d'étrangère" par la mère du marié, sous-entendu étrangère à la communauté), grégaire et en même temps minoritaire et défavorisée dans le pays qui l'a intégrée. Les trois personnages centraux sont trois jeunes ouvriers métallurgistes destinés à devenir de la chair à canon pour les USA: c'est le sort que les pays impérialistes, grands foyers d'immigration réservent à tous leurs déclassés. En même temps, Michael CIMINO réussit l'exploit (avec l'aide des acteurs), à bien distinguer les trois profils. On comprend presque immédiatement la différence entre Mike (Robert De NIRO), Nick (Christopher WALKEN) et Steven (John SAVAGE). La maîtrise de soi du premier allié à son sens des responsabilités ainsi qu'un certain décalage par rapport aux logiques de groupe (qui portent justement à l'immaturité et l'irresponsabilité) le fait paraître bien plus âgé que le reste de la bande, Stan (John CAZALE) étant le plus immature. Mais Stan ne part pas au Vietnam contrairement à Nick et Steven dont la ressemblance physique (sans parler du fait qu'ils se sont partagés la même femme, l'un en tant que père de son enfant, l'autre en tant que mari) laissent penser qu'il s'agit en fait des deux facettes d'une même personne.

Tout le reste du film découle de cette première heure. L'épreuve de la violence extrême montre que Nick et Steven n'ont pas l'étoffe nécessaire pour y résister, chacun se désintégrant sous nos yeux, physiquement et/ou psychiquement. Une perte d'intégrité irréparable qui montre leur incapacité à affronter la réalité sans le filtre du groupe. Mike en revanche non seulement parvient à rester maître de lui et à faire face à tout ce qui lui arrive, y compris le pire, mais continue à soutenir ses compagnons plus fragiles sans parvenir pour autant à les sauver car Michael CIMINO montre que chacun est responsable de lui-même et ne peut éternellement se reposer sur les autres. "The Deer Hunter" est un film complètement nietzschéen. Les faibles, c'est à dire ceux qui se fondent dans le troupeau par peur de la réalité et du face à face avec eux-mêmes sont éliminés alors que les plus forts (au sens de force morale) en sortent encore renforcés ("ce qui ne me tue pas me rend plus fort"). Une fois de retour, Mike s'affirme en tant qu'adulte autonome en se rapprochant de Linda (Meryl STREEP) avec laquelle il amorce une relation de couple, en fuyant le grégarisme c'est à dire en assumant sa solitude irréductible et en manifestant un rapport à la nature non violent et non dominant (son deuxième face à face avec un cerf, à mon avis l'un des moments les plus importants du film). Son rejet catégorique des jeux dangereux à bases d'armes montre également à quel point son expérience a transformé sa relation à la virilité. Un message de sagesse qui dépasse sa communauté et son époque pour s'adresser à tout un pays gangrené par la violence. Et on voit bien l'intelligence d'avoir rendu la guerre quasi-abstraite car aujourd'hui le Vietnam appartient à l'histoire mais pas le culte des armes érigé au rang de mythe fondateur de la construction des USA, par des hommes cherchant à faire plier la nature et les autres hommes à leurs fantasmes de toute-puissance. Comme le dit Jean-Pierre Bernajuzan "en renonçant à tirer Mike renonce de fait à la chasse. Et s’il renonce à la chasse, il renonce aussi à son fusil, il n’en aura plus besoin. En fait, il renonce aussi aux armes (...) et aux dégâts qu'elles provoquent".

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Les Damnés (La caduta degli dei/Götterdämmerung)

Publié le par Rosalie210

Luchino Visconti (1969)

Les Damnés (La caduta degli dei/Götterdämmerung)

"Les Damnés", en VO "La Chute des Dieux" dans les forges de l'enfer est l'un des plus grands films de Luchino VISCONTI. Avec la puissance opératique qui le caractérise, le cinéaste croise l'Histoire, la tragédie antique et le théâtre shakespearien pour mettre en parallèle l'avènement du nazisme dont il explore les soubassements inavoués et l'autodestruction d'une famille d'Atrides germaniques, les von Essenbeck. Inspirés des magnats de la sidérurgie Krupp qui firent alliance avec Hitler parce qu'ils avaient tout à gagner de la remilitarisation de l'Allemagne (sans parler de plusieurs de ses membres qui devinrent SS), les Essenbeck symbolisent cette aristocratie décadente, fascinante et terrifiante dont Luchino VISCONTI lui-même issu de l'aristocratie s'est fait le peintre. "Les Damnés" est ainsi le premier volet d'une trilogie poursuivie avec "Mort à Venise" (1971) et "Ludwig, le crépuscule des Dieux" (1972) au titre wagnérien ô combien significatif ("La Chute des Dieux" s'en approchait déjà). La séquence quasi-inaugurale des "Damnés" dans laquelle Martin (Helmut BERGER) travesti en Marlene DIETRICH chante "Ein richtiger Mann" évoque tout autant "L Ange bleu" (1930) que le futur "Cabaret" (1972) de Bob FOSSE. Alors c'est quoi "Un homme, un vrai?" pour le nazisme dont on connaît le culte pour la virilité "aryenne"? A cette question, Visconti donne une réponse juste mais qui sent le souffre puisque son principal représentant dans le film, le cousin SS Aschenbach (Helmut GRIEM) décide justement de couronner ce Martin non seulement équivoque mais pervers et meurtrier. Le spectateur a tout le temps de frémir en découvrant ses penchants pédophiles et incestueux mais aussi de comprendre en quoi ceux-ci servent le nazisme. En effet comme tous les totalitarismes (et tous les systèmes fondés sur l'embrigadement), le nazisme a besoin de serviteurs fanatiques totalement contrôlables c'est à dire qui n'ont aucune limite et aucune attache autre qu'eux. Or Martin qui a des points communs avec Hamlet à travers sa haine pour sa mère Sophie (Ingrid THULIN) et l'amant de celle-ci, l'arriviste Friedrich (Dirk BOGARDE) mais aussi avec les perversions sexuelles des notables de "Salò ou les 120 jours de Sodome" (1975) et que sa soif de revanche achève de transformer en monstre passe l'essentiel du film à se déshumaniser et à se désaffilier pour mieux tomber entre les griffes des nazis dont le rapport trouble à l'homoérotisme est également très fouillé notamment lors de ce morceau de bravoure qu'est la nuit des longs couteaux. Le fait qu'en 2016, le metteur en scène Ivo van Hove ait transposé avec succès "Les Damnés" sur scène montre d'une part à quel point ce film reste pertinent (il est également cité dans d'autres films comme "Saint Laurent" (2014) dans lequel Helmut BERGER joue le grand couturier âgé) et à quel point il se prête particulièrement bien à une adaptation théâtrale. C'est même la meilleure façon de relier l'Antiquité, la période élisabéthaine, le grand siècle (époque de la fondation de la Comédie française dont les acteurs ont interprété les rôles dans la pièce) et l'époque contemporaine soit les moments clés de l'histoire du théâtre occidental.

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Monsieur Klein

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1976)

Monsieur Klein

"M. Klein" est un film brillant, complexe et dérangeant, se prêtant à de multiples niveaux de lecture (et tout autant de pistes d'interprétation, le film apportant plus de questions que ne donnant de réponses). La principale question que l'on peut se poser est la suivante "mais qu'est ce qui fait courir M. Klein derrière son double?" derrière laquelle s'en pose une autre "Qui est ce double"? En effet s'il est établi qu'il y a deux Robert Klein, l'un juif et résistant vivant à Pigalle dans un appartement miteux et l'autre (Alain DELON dans un de ses meilleurs rôles), défini comme un aryen profiteur de guerre vivant dans le luxe rue du Bac, il est tout aussi évident que ces deux Klein finissent par ne plus en faire qu'un. Le premier dont on ne voit jamais le visage s'avère parfaitement insaisissable au point que l'on peut finir par douter de son existence réelle. Une autre piste possible est le fait qu'en découvrant son homonyme, il ait usurpé son identité pour mieux s'évanouir dans la nature. Enfin une troisième piste parfaitement possible réside dans le fait que Robert Klein endosse une identité qui a priori n'est pas la sienne parce qu'il éprouve des remords. Dépeint dès le générique comme un vautour atteint d'une flèche en plein coeur mais qui continue de voler, on le voit s'enrichir sur le dos des juifs obligés de brader leurs oeuvres d'art à cause des persécutions du régime de Vichy qui s'accentuent en 1942. L'un d'entre eux, joué par Jean BOUISE semble particulièrement lui peser sur la conscience puisqu'il refuse de se séparer du tableau qu'il lui a acheté et on le retrouve juste derrière lui au Vel d'Hiv et dans le train de déportés comme une ombre après laquelle il court. Cette ombre (autre piste possible) c'est peut-être aussi un secret de famille. La scène avec le père laisse suspecter que celui-ci lui ment au sujet des origines des Klein. Ce qui expliquerait aussi pourquoi celui-ci traite avec autant de dédain les documents censés soit prouver sa véritable identité soit lui en donner une fausse: peut-être qu'au fond ils se valent tous.

Car c'est l'autre aspect qui rend "M. Klein" fascinant et glaçant, c'est l'un des meilleurs films qui existe sur l'enfer bureaucratique. Le régime de Vichy est montré comme un système kafkaïen servant à fabriquer des ennemis de papier à partir de clichés antisémites stigmatisant le patronyme, l'apparence physique ou certains traits de caractère comme la cupidité. Ce n'est pas la religion qui définit "le juif" aux yeux de ce régime. Officiellement, c'est l'origine des grands-parents (d'où les certificats mais ceux-ci pouvant être falsifiés comme tous les papiers, ils s'avèrent inutiles) mais le fait de s'appeler "Klein" ou d'avoir une physionomie de type sémite ce qui donne lieu à une scène d'introduction glaçante dans laquelle une femme nue est examinée comme un cheval afin de déterminer si "elle en est". Nul doute que le simple fait de se soumettre à un pareil examen médical faisait de vous un suspect. Klein l'a compris mais en revanche il commet l'erreur fatale de se fier aux règles, aux lois et aux institutions pour tenter de retrouver sa véritable identité. C'est en mettant un doigt dans l'engrenage qu'il se retrouve bientôt englué jusqu'au cou dans une vaste machination qui le dépasse dans laquelle ses "amis" apparaissent comme aussi peu certains que lui-même.

Ajoutons que "M. Klein" est l'un des premiers films reconstituant (même schématiquement) la rafle du Vel d'Hiv car il a réalisé dans les années 70, période où le tabou entourant le rôle du régime de Vichy dans la Shoah commençait à tomber.

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Le Vent se lève (The Wind That Shakes the Barkey)

Publié le par Rosalie210

Le Vent se lève (The Wind That Shakes the Barkey)

Ken Loach (2006)

J'ai beaucoup de mal avec le cinéma de Ken LOACH en général. Il y a en effet deux façons de le considérer. Côté positif, on dira que c'est un auteur "engagé", "enragé", "révolté", "en lutte pour un monde plus juste" etc. Côté négatif, on dira qu'il a tendance à tout voir par le seul prisme de la lutte des classes et qu'il est souvent manichéen ce qui aboutit à une binarité simpliste: "gentils" ouvriers contre "méchants" patrons. De plus, pour mettre les spectateurs de son côté, il utilise des ficelles parfois assez grossières en faisant des capitalistes dominants des brutes épaisses qui imposent leur domination par la force et l'humiliation. La réalité est évidemment infiniment plus complexe et nuancée, tant sur les méthodes de domination que sur les rapports de force qui traversent une société ou encore sur les identités des individus. Et comme j'aime plutôt la complexité et la nuance, ma sensibilité est souvent heurtée par le style "brut de décoffrage" de ce cinéaste qui en plus question mise en scène est loin d'être toujours inspiré. Certains de ces films sont de véritables pensums illustratifs académiques.

Ces réserves faites, "Le Vent se lève" fait partie de ses bons films même si je soupçonne le festival de Cannes de lui avoir attribué la Palme d'Or pour de mauvaises raisons (on ne devrait jamais attribuer un prix à une oeuvre d'art en guise d'étendard politique ou sociétal mais juste en fonction de sa valeur intrinsèque. Or "Le Vent se lève" a bénéficié du contexte de la guerre d'Irak à laquelle le RU participait aux côtés des USA). Il fait partie de ses bons films parce qu'il dépasse en effet son sujet -la guerre d'indépendance irlandaise et la guerre civile qui lui a succédé- pour démontrer de façon efficace certains mécanismes propres à la stupidité humaine:

- Le fait qu'une domination étrangère qui plus est brutale renforce la détermination du peuple opprimé à s'en débarrasser. Aucune guerre asymétrique (armée contre guérilla) ne peut être gagnée par l'occupant, même si elle peut s'enliser sur des décennies voire des siècles. Les USA l'ont appris (?) à leurs dépends au Vietnam, en Afghanistan ou en Irak.

- Le fait que la plupart de ces guerres ont, tout comme les révolutions victorieuses débouché ou entraîné avec elles des luttes fratricides pour le pouvoir, qu'il soit ou non accompagné d'une idéologie, invalidant d'emblée les beaux idéaux au nom desquels on massacre ses anciens camarades de lutte voire ses "amis" ou même comme dans "Le Vent se lève" sa propre famille. C'est la fameuse phrase de Manon Roland "Liberté, que de crimes on commet en ton nom". Tout homme qui abdique son humanité pour supprimer toute voix discordante au nom de sa "cause", quelle qu'elle soit en théorie ne se contente pas de perdre son innocence. Il détruit la cause qu'il sert. On n'impose pas la liberté et l'égalité dans le sang. Mais la spirale infernale de la guerre c'est à dire de la violence conduit à la radicalisation qui libère les pires instincts au détriment de la raison et amène à la binarité la plus simpliste qui soit "tu es avec nous ou bien contre nous" et donc dans ce dernier cas, je te supprime.

Ken LOACH montre très bien tous ces enjeux de façon convaincante puisqu'il évoque la guerre à l'échelle d'une famille et de la petite communauté qui l'entoure. Le titre se réfère à un poème du XIX° qui évoquait le soulèvement de l'Irlande à la fin du XVIII°. Les acteurs sont remarquables de véracité (Cillian MURPHY que j'ai pourtant vu auparavant chez Christopher NOLAN ne fait pas pièce rapportée et semble même être à sa vraie place) et la nature irlandaise est superbement filmée, sans trop d'emphase. Il n'empêche que les réflexes idéologiques de Ken LOACH viennent de temps à autre polluer le film, que ce soit en prenant parti pour les jusqu'au-boutistes qui refusent tout compromis avec les anglais montrés comme des héros ou en insistant lourdement sur les sévices et exactions que ceux-ci infligent aux irlandais, en omettant (hormis les exécutions) les horreurs que ces derniers ont pu commettre pendant la guerre sur les anglais ou sur leur propre peuple. L'arriération de la société irlandaise en matière de moeurs n'est pas du tout évoquée non plus.

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Le Petit Soldat

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1963)

Le Petit Soldat

Second film de Jean-Luc GODARD après "À bout de souffle" (1959), le premier avec Anna KARINA, "Le Petit soldat" mit trois ans à sortir en raison de son sujet, la guerre d'Algérie qui lui valut d'être censuré par les autorités françaises. La plupart des réalisateurs de la Nouvelle Vague s'emparèrent en effet de la question algérienne qui était alors taboue en France mais de façon souvent discrète que ce soit Jacques DEMY dans "Les Parapluies de Cherbourg" (1964), Agnès VARDA dans "Cléo de 5 à 7" (1961), Jacques ROZIER dans "Adieu Philippine" (1963) ou encore Alain RESNAIS dans "Muriel ou le temps d un retour" (1962). Jean-Luc GODARD choisit une vision nettement plus frontale. Bien que le film se déroule en Europe, plus précisément à Genève, il évoque les réseaux tissés par les deux camps alors en lutte en Algérie et en métropole. D'un côté ceux du FLN pour lesquels travaille Veronica Dreyer (Anna KARINA), de l'autre, ceux de l'OAS dans lesquels est impliqué le reporter déserteur Bruno Forestier (Michel SUBOR) mais qui en double de Godard, s'en détourne pour les beaux yeux de Veronica. Cette ambiguïté lui vaut d'être mis à l'épreuve par son organisation qui lui ordonne de tuer un journaliste de radio-suisse. Un ordre dont l'exécution est différée tout au long du film jusqu'à une fin extrêmement abrupte dans laquelle tout se précipite. Du Godard typique dont les films débouchent souvent sur la mort après beaucoup de tours et de détours. Il en va de même avec les nombreuses allusions à la guerre façon collage qu'affectionne le cinéaste: messages radios, unes de journaux. Mais si le film a été censuré, je pense que c'est surtout en raison du fait qu'il aborde de façon très crue la question de la torture pratiquée par les deux camps. Celle que l'on voit au travers d'une longue et éprouvante séquence est infligée par le FLN à Bruno mais Veronica a droit à un traitement encore pire de la part de l'extrême-droite et la film est parsemé de détails horrifiques sur les sévices infligés aux uns et aux autres en écho à ceux qu'avaient subis les résistants pendant la seconde guerre mondiale.

Cependant, comme beaucoup de Godard, "Le Petit soldat" est un méta-film, célèbre notamment pour cette définition du cinéma-vérité, "la photographie c'est la vérité et le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde". Cette phrase peut aussi bien s'appliquer aux répercussions de la guerre d'Algérie, filmées de façon documentaire (avec une référence assez claire au néoréalisme italien, "Rome, ville ouverte" (1945) en tête) qu'à l'étude du visage de la muse, Veronica/Anna KARINA alors au sommet de sa photo-cinégénie.

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Jojo Rabbit

Publié le par Rosalie210

Taika Waititi (2019)

Jojo Rabbit

"Jojo Rabbit" se présente comme une sorte de satire du nazisme vu à hauteur d'un enfant endoctriné puis désendoctriné au fur et à mesure que la réalité qui se présente à lui diffère du discours que le régime lui sert. Le ton est résolument celui d'une comédie voire d'une farce grotesque, on voit bien que Taika Waititi lorgne du côté de "La vie est belle" de Roberto Begnigni mais un tel sujet réclamait tout de même un peu plus de subtilité, surtout traité de cette façon. Plusieurs choses m'ont profondément gênée et m'ont empêché de croire à ce film:

- Le fait qu'il soit tourné en anglais alors qu'on parle de l'Allemagne nazie. Comment croire un instant à la reconstitution de ce régime sans la langue qui y est associée et la terreur qu'elle pouvait inspirer lorsqu'elle était aboyée par les fanatiques de la peste brune? 

- Le manque absolu de justesse des personnages et des situations. Tout paraît forcé, surjoué. Pour qu'une satire ait une quelconque portée, il faut autre chose que des nazis d'opérette tous plus ridicules (et ridiculisés) les uns que les autres donc inoffensifs quand ils ne sont pas des héros qui s'ignorent (sans parler que montrer que le "gentil nazi" est gay est so cliché, le réalisateur devrait revoir "Les Damnés" de Visconti pour mieux comprendre la relation entre nazisme et homoérotisme). Jojo a beau dire des horreurs, il ne peut même pas faire de mal à une mouche (ou plutôt à un lapin). Les propos de sa mère (totalement discordante avec son fils mais le problème que cela pose est évacué) disant ensuite qu'il est "un fanatique" m'ont fait pitié. On est à des années-lumière de "L'histoire des trois Adolf" de Osamu Tezuka dans lequel le passage aux jeunesses hitlériennes du héros se soldait par une scène d'initiation du même type mais qui celle-là marquait au fer rouge. Parlons-en d'ailleurs de ces jeunesses hitlériennes d'Epinal de "Jojo Rabbit". Le rapprochement avec les scouts est justifié car c'est effectivement le modèle qu'ont copié tous les régimes totalitaires. Le plagiat de "Moonrise Kingdom" de Wes Anderson en revanche m'a semblé complètement hors de propos. Wes Anderson a un univers bien à lui qui n'est pas récupérable. Quant à la scène d'inspection, elle est fondée sur un gag repris de Chaplin dans "Le Dictateur" (les saluts qui n'en finissent pas), réalisé en 1940, époque où il fallait un vrai courage pour dénoncer le nazisme alors qu'aujourd'hui cela consiste à enfoncer des portes ouvertes.

- Dans le même ordre d'idées, la fin semble faire un clin d'oeil à "Allemagne année 0" avec un paysage urbain en ruines et des enfants perdus sauf que la rue de Jojo elle reste toute pimpante et nickel tout comme sa maison d'ailleurs. Pas une égratignure! Et à peine le nez dehors, la première idée des enfants est de chanter "Heroes" de David Bowie (chute du mur oblige). C'est bien connu, les petits orphelins allemands en 1945 dans leurs villes en ruines ne manquaient de rien, ils chantaient et dansaient, tellement ils étaient heureux d'êtres libres. Il n'y avait pas du tout de nouvelles occupations ni une nouvelle guerre à venir...

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Pour l'exemple (King & Country)

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1964)

Pour l'exemple (King & Country)

"Pour l'exemple" de Joseph LOSEY est systématiquement comparé au film de Stanley KUBRICK "Les Sentiers de la gloire (1957). Mais bien qu'abordant le même sujet (les soldats condamnés à mort et fusillés "pour l'exemple" par leur propre camp en 1917) il est dommage qu'il soit autant dans l'ombre de son illustre prédécesseur. Il est en effet bien différent. Plus froid, plus clinique avec ses nombreux passages d'arrêts sur image montrant des corps se dissolvant dans la boue, condamnés à l'anéantissement et à l'oubli. Et surtout, il est bien plus dur.

Dans le film de Stanley KUBRICK, le colonel Dax joué par Kirk DOUGLAS qui est l'avocat des soldats condamnés pour "lâcheté devant l'ennemi" ne parvient pas à sauver leur tête mais il s'en tire avec les honneurs en gardant toute son intégrité. Un réflexe très américain. Rien de tel avec le capitaine Hargreaves qui se fait l'avocat du soldat Hamp (Tom COURTENAY) accusé de désertion.

Certes, sa plaidoirie est tout aussi humaniste que celle du colonel Dax. Elle est tout aussi vouée à l'échec dans cette logique impitoyable de la guerre dans laquelle les hommes doivent tenir coûte que coûte, aucune défaillance n'étant tolérée mais tous les coups étant permis sous un vernis parfaitement légal. Légalité s'accompagnant d'ailleurs du mensonge d'Etat lorsque la missive parvenant à la famille indique que le soldat Hamp est mort au combat.

Mais en plus du verdict impitoyable, Joseph LOSEY démonte tous les mythes propagandistes autour des "héros" de guerre et autres concepts de "guerre propre". Non la guerre n'est jamais propre et l'ensemble du film nous le rappelle. Au sens propre puisque les hommes végètent du début à la fin sous une pluie battante dans la boue au milieu des rats, des cadavres et de leur propre merde (le pauvre Hamp est ravagé par la dysenterie) mais également au figuré. Il n'y a ni héros, ni méchant sur le front mais des hommes embarqués sur le même bateau qui sont là avant tout pour obéir aux ordres de supérieurs bien planqués qui consistent à assassiner leurs ennemis mais aussi parfois leurs propres camarades. Le capitaine Hargreaves ne fait pas exception à la règle. Il faut dire que celui-ci est joué -je devrais dire habité!- par l'expert en zones d'ombres et autres ambivalences humaines qu'est Dirk BOGARDE*. Son jeu exceptionnellement riche et nuancé superpose deux couches de sens qui rendent son personnage inoubliable. Hargreaves est un homme de devoir. Il s'avère donc aussi qualifié pour effectuer une plaidoirie vibrante d'humanisme en faveur du déserteur que pour l'achever. Mais il n'est pas uniquement un être de représentation ou un pantin exceptionnellement doué. Tout indique par son regard, par le ton de sa voix un être intérieurement tourmenté, tiraillé entre une éducation psychorigide et sa conscience qui vient de temps à autre le hanter. On peut aussi penser qu'à un moment donné, il a cru que son éloquence allait le tirer de cet enfer et que son réveil lorsqu'il apparaît avec les mains noires de boue -des mains sales- n'en est que plus douloureux.

* Co-scénariste et lui-même ancien soldat de l'armée britannique durant la seconde guerre mondiale.

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Hope and glory: la guerre à sept ans (Hope and glory)

Publié le par Rosalie210

John Boorman (1987)

Hope and glory: la guerre à sept ans (Hope and glory)

Beau film autobiographique du réalisateur britannique John BOORMAN sur le thème de l'enfance en temps de guerre. La sensibilité du regard du cinéaste donne un caractère universel à cette chronique qui lui permet d'échapper à l'usure du temps comme à l'époque retranscrite. D'ailleurs le jeune héros perçoit l'instant de la déclaration de guerre comme un moment où le temps s'arrête autour de lui. Par la suite, la magie de l'enfance est montrée comme un rempart permettant de transformer le quartier dévasté par l'horreur bien réelle du Blitz de Londres en terrain de jeu grandeur nature. N'importe quel gamin d'aujourd'hui peut s'identifier à Billy récupérant les débris de shrapnels comme s'il effectuait une chasse au trésor ou bien se défoulant avec ses camarades en saccageant encore davantage les maisons en ruine*. Et quel enfant n'a jamais rêvé de voir son école détruite afin d'être dispensé de devoirs et de connaître "deux ans de vacances"?

Néanmoins pour tendre et relativement léger qu'il soit, le regard de John BOORMAN ne fait pas l'impasse sur le côté sombre de la guerre, même vue à hauteur d'enfant. Il montre comment celle-ci se rapproche de son quotidien au point de finir par faire voler en éclats le cocon familial, révélant les failles du mariage de ses parents et entraînant l'effondrement des valeurs traditionnelles, ce dont sa grande soeur profite en vivant une adolescence délurée et ce d'autant plus qu'elle côtoie la mort. La fin constitue un refuge dans lequel se reconstitue la famille malmenée mais celui-ci est trop paradisiaque pour être tout à fait honnête car fondé sur un retour dans le passé.

* Je me souviens avoir subi dans mon enfance l'une des pires engueulades de ma vie pour avoir avec un camarade de jeu cassé les vitres d'un bâtiment désaffecté.

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Lettre à Franco (Mientras Dure la Guerra)

Publié le par Rosalie210

Alejandro AMENÁBAR (2019)

Lettre à Franco (Mientras Dure la Guerra)

On parle ces derniers temps davantage de la guerre civile espagnole de 1936-1939. C'est une bonne nouvelle. A titre personnel déjà puisque je suis une descendante de réfugiés "espagnols" (catalans en réalité), terme que j'ai entendu toute mon enfance sans comprendre ce que cela signifiait. Mais c'est aussi une bonne nouvelle pour l'Espagne qui effectue depuis quelques années un gros travail de mémoire pour comprendre et guérir de son passé. C'est enfin une bonne nouvelle pour l'Europe et le monde de comprendre les mécanismes qui en quelques années ont balayé une démocratie au profit d'une terrifiante dictature militaire qui est d'ailleurs indissociable du nazisme. Chacun sait que la guerre d'Espagne servit de test à Hitler pour la future guerre qu'il entendait mener en Europe. Le film de Alejandro AMENÁBAR n'évoque pas le symbole de Guernica mais il montre le soutien logistique que les nazis apportèrent aux franquistes ainsi que leur rôle dans la désignation du général Franco comme chef de la rébellion et ensuite de l'Espagne. Celui-ci est d'autant plus inquiétant qu'il n'est qu'une ombre insaisissable dans le film, ses généraux s'exprimant à sa place.

Croire que cette histoire est derrière nous, c'est se tromper lourdement. En effet ce qui permet l'installation durable d'une dictature, c'est moins la détermination de ses partisans que les divisions et l'inaction de ceux qui prétendent être ses ennemis. Leur faiblesse, leur lâcheté, leur aveuglement. C'est ce que démontre Alejandro AMENÁBAR par l'exemple, celui du grand écrivain Miguel de Unamuno (Karra ELEJALDE) incapable de regarder en face le vrai visage de la barbarie. Il incarne le naufrage de la pensée de nombre d'intellectuels tellement terrifiés par le communisme (et l'éclatement de l'Espagne) qu'ils étaient incapables de comprendre la vraie nature de la peste brune sous son visage rassurant de retour à "l'ordre" et aux vraies valeurs (monarchie, catholicisme, nationalisme). Pourtant, peu à peu Unamuno va être confronté à la réalité de l'idéologie du régime qui s'annonce. Une idéologie ayant tracé une frontière entre les "bons espagnols" franquistes et les autres, exclus de la communauté nationale avant d'être arbitrairement arrêtés et exécutés sans jugement pour leurs opinions de gauche, leur appartenance à la franc-maçonnerie, à la communauté juive ou au protestantisme. L'extrême-droite française désignera sous Vichy les mêmes groupes comme faisant partie de "l'anti-France". Unamuno voit ainsi disparaître un à un ses anciens élèves et ses meilleurs amis en faisant l'autruche jusqu'à ce qu'il se retrouve seul. Il finit quand même dans un ultime sursaut par s'engager publiquement contre le franquisme ce qui lui vaut d'échapper in-extremis au lynchage. Ses mots "vous vaincrez mais ne convaincrez pas" s'avèrent prophétiques puisqu'ils annoncent une guerre civile qui a continué sous une forme larvée durant tout le règne de Franco. Unamuno s'insurge également contre la culture de mort des fascistes, le général Millan Astray (Eduard FERNÁNDEZ) rétorquant d'ailleurs par un "Viva la muerte" ("Vive la mort") qui était l'un des slogans des fascistes (d'autres versions rapportent des propos similaires à ceux qui étaient souvent proférés par les nazis "quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver").

Aussi même si le film de Alejandro AMENÁBAR reste classique dans sa forme, son interprétation et son scénario valent largement le détour, interrogeant les dérives du passé comme celles d'aujourd'hui avec pertinence.

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