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Articles avec #film de guerre tag

L'aigle vole au soleil (The Wings of Eagles)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1957)

L'aigle vole au soleil (The Wings of Eagles)

Jamais je n'aurais regardé ce film s'il n'avait été réalisé par John Ford. Le sujet en effet ne m'attirait pas du tout. Mais avec un tel réalisateur aux manettes, ça ne pouvait être que bien. Plus que bien même, c'est un excellent film d'autant que l'alchimie avec John Wayne (brillant une fois de plus) fait encore une fois merveille. On s'attend à un biopic édifiant sur la personnalité héroïque et résiliente de Frank "Spig" Wead (qui était un ami du réalisateur lui-même haut gradé dans la marine) ou bien d'un film de guerre bien nationaliste mais John Ford déjoue nos attentes. Tout d'abord il tourne en dérision la rivalité entre l'armée de terre et la marine en s'inscrivant dans la plus pure tradition de la comédie burlesque muette avec pugilat, lancer de tarte à la crème et comique de répétition (l'entrée en scène des forces de l'ordre venus mater la baston entre les troupes de Wead et celles de son homologue de l'armée de terre). Tout cela tourne au concours de bistouquettes ce qui n'est pas très glorieux pour l'armée d'autant qu'elle apparaît assez bornée face aux idées novatrices de Frank Wead qui veut doter dans les années qui suivent la première guerre mondiale l'US Navy d'une force aéronavale alors que lui-même n'a pas le brevet de pilote (cascades hasardeuses assurées qui font encore une fois désordre). Ensuite, après un accident domestique, Frank Wead se retrouve paralysé des pieds à la tête et sa rééducation, longue et laborieuse ne lui permet pas de retrouver totalement sa mobilité puisqu'il doit marcher avec des cannes: ce n'est pas vraiment l'image traditionnelle de la virilité. D'autant qu'il doit alors troquer ses rêves d'action et d'aventure pour le papier et le stylo afin d'écrire des scénarios à la manière de Miyazaki qui à cause de sa myopie n'a jamais pu devenir pilote et a donc transposé son désir d'évasion dans la création artistique (c'est évidemment aussi le cas de John Ford que la guerre a éborgné). Et alors qu'il a repris du service après Pearl Harbor, un nouvel ennui de santé sur la fin l'oblige à prendre sa retraite anticipée et à quitter ses hommes en larmes assis dans une chaise qui le transfère du porte-avion sur un navire militaire. Enfin, la plus grande souffrance de cet homme réside dans le fait d'avoir sacrifié sa vie de famille à son travail dans l'armée et à sa passion pour l'aviation. Sa femme utilise la métaphore des tiroirs encastrés façon poupées russes pour lui signaler qu'elle est la dernière roue du carrosse (Maureen O'Hara, habituée à jouer les épouses de John Wayne pour John Ford). Un plan magnifique de cadre dans le cadre dont John Ford a le secret montre Frank noyé dans l'ombre au premier plan et sa femme éclairée au second, tous deux terrassés par la douleur de la perte d'un enfant mais isolément l'un de l'autre comme si le premier n'était qu'une ombre dans le foyer. Plus tard il sera une image furtive sur un écran pour ses filles et non un père réel, au point qu'elles finiront par ne plus le reconnaître. Sa chute dans les escaliers due à la précipitation en entendant l'une d'elle crier peut être comprise comme une tentative de se racheter mais aussi comme un aveu d'impuissance puisqu'il ne parviendra jamais à les rejoindre et devra se contenter lui aussi de les voir en photo. Derrière le rire, omniprésent et la générosité incarnée par Carson (Dan Dailey) qui joue le rôle du pote indéfectible, infirmier, rééducateur, bouclier humain, clown de service etc. et un personnage auto-parodique, celui de Dodge (Ward Bond), le film est poignant et profondément humain. Voilà donc une pépite méconnue de la filmographie du cinéaste et de son acteur fétiche qu'il faut absolument redécouvrir.

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Donbass

Publié le par Rosalie210

Sergueï Loznitsa (2018)

Donbass

Le contexte actuel m'a donné envie de regarder l'un des rares films de fiction ayant traité du conflit russo-ukrainien dans la région du Donbass avant que celui-ci ne devienne depuis février 2022 un conflit ouvert et direct. La région orientale de l'Ukraine qui est riche en charbon était déjà en proie depuis 2014 (par ailleurs année de l'annexion de la Crimée) à un conflit opposant l'Etat ukrainien (pro-occidental) à des séparatistes (de nationalité ukrainienne mais russophones et pro-russes) soutenus par la Russie. Ceux-ci avaient pris le contrôle d'une partie du territoire et fondé des républiques populaires non reconnues par la communauté internationale. Ce type de conflit est dit "de basse intensité" ou "hybride" parce que bien que prenant l'apparence d'une guerre civile, celle-ci est en réalité attisée voire provoquée par une ou plusieurs puissances étrangères et a pour motif plus ou moins inavoué la captation des ressources. Un schéma comparable est la sécession en 1960 du Katanga dans la République démocratique du Congo, la région la plus riche en ressources minières du pays sous l'impulsion d'un homme (Moïse Tshombe) soutenu par les occidentaux (belges, français, sud-africains notamment) ce qui plongea le pays tout juste indépendant dans le chaos. Or la question de l'allégeance de l'Ukraine "indépendante" (en réalité tiraillée entre l'occident et la Russie) était déjà au coeur du conflit du Donbass.

Tous ces enjeux ne sont hélas guère expliqués dans un film décousu tant dans sa forme (qui ne cesse de changer d'une séquence à l'autre entre passages en caméra portée et d'autres en plans-séquence fixes), dans son ton (entre documentaire et fiction du genre "tout ça n'est qu'une mise en scène" alors que pourtant le conflit est bien réel) que dans son contenu: 13 sketches censés nous donner un aperçu de la situation mais qui en réalité entretiennent la confusion car rien n'est expliqué sur les causes ni même les protagonistes du conflit. On passe sans arrêt du coq à l'âne et pour couronner le tout, ça n'est jamais drôle (car cela se veut satirique). Le manque minimal de pédagogie (et donc de lisibilité des enjeux) limite considérablement la portée du film tout comme son côté partial (le film prend position contre les pro-russes). Tout au plus comprend-on que la corruption est partagée des deux côtés, de même que le nationalisme et la diabolisation de l'ennemi qualifié de "fasciste" du côté pro-russe (ce qui correspond à la rhétorique du Kremlin) mais les séparatistes apparaissent surtout dans le film comme des sortes de petits seigneurs locaux avides de pouvoir et d'argent et qui s'appuient sur des mercenaires armés particulièrement brutaux (un schéma connu par la Russie dans les années 90 qui s'était balkanisée sous l'influence des oligarques au détriment du pouvoir central qui était lui-même profondément corrompu). Les civils locaux sont les principales victimes du conflit (rackettés, terrorisés, obligés de se terrer comme des rats pour échapper aux obus etc.)

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Des hommes

Publié le par Rosalie210

Lucas Belvaux (2020)

Des hommes

Les films français (ou comme ici franco-belge) traitant de la sale guerre d'Algérie sont plus nombreux qu'on ne le pense mais beaucoup ont traité la question de façon allusive ou indirecte (notamment dans les films de la nouvelle vague contemporains des "événements", je pense à "Le Petit soldat" (1960), "Cléo de 5 à 7" (1961), "Les Parapluies de Cherbourg" (1964), "Muriel ou le temps d un retour" (1962), "Adieu Philippine" (1963). Il existe également un certain nombre de documentaires assez remarquables. En revanche les films de fiction récents sont peu nombreux ("L Ennemi intime" (2007), "Hors La Loi") (2010) et se situent à l'époque des événements. Bien peu à ma connaissance évoquent les conséquences à long terme de cette guerre qui n'a pas voulu dire son nom jusqu'en 1999 alors qu'elle pèse de tout son poids sur notre société post-coloniale qui fait cohabiter soixante ans après d'anciens appelés, pieds-noirs, harkis, indépendantistes et toute leur descendance (thème qui imprègne par exemple "Parlez-moi de la pluie") (2007). C'est donc tout l'intérêt de "Des hommes", l'adaptation cinématographique du roman de Laurent Mauvignier que de faire des allers-retours spatio-temporels et d'offrir une pluralité de points de vue pour montrer comment un passé non digéré continue à faire des ravages dans le présent.

Malheureusement, Lucas BELVAUX n'est pas Alain RESNAIS. Ce dernier pouvait manier des dispositifs narratifs aussi complexes que celui de "Hiroshima mon amour" (1958) qui m'a fait penser à "Des hommes". Mais Lucas Belvaux ne maîtrise pas aussi bien la polyphonie et le patchwork. En résulte un film assez confus dont les pièces et les morceaux ne s'ajustent pas bien. Si le début est assez saisissant avec la métaphore du monstre (incarné par le Gargantua Gérard DEPARDIEU) qui incarne toute la mauvaise conscience "d'un village français", la suite est nettement plus laborieuse avec des personnages d'appelés que l'on a du mal à distinguer les uns des autres, des destins trop vite laissés de côté et un Jean-Pierre DARROUSSIN plus ectoplasmique que véritablement douloureux tout comme sa cousine Solange (Catherine FROT). Le film ne tranche pas assez dans le vif. Il aurait gagné à se concentrer davantage sur l'histoire familiale de Bernard et à développer le présent tant l'écart de talent est grand entre les acteurs expérimentés nommés ci-dessus et leurs avatars censés les incarner jeunes.

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Onoda, 10 000 nuits dans la jungle

Publié le par Rosalie210

Arthur Harari (2021)

Onoda, 10 000 nuits dans la jungle

Quel film improbable que cet "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle"! Improbable car réalisé par un français alors que mettant en scène une histoire japonaise avec des acteurs japonais, parlant japonais et se déroulant dans une île des Philippines. Tout aussi improbable est pour un film français le choix de s'attaquer au film de guerre mâtiné d'un récit de survie d'une durée de 2h40 qui fait forcément penser aux fresques réalisées par les américains sauf qu'il choisit d'être anti-spectaculaire au possible. Improbable aussi par ce que ce film nous raconte et qui est pourtant tiré d'une histoire vraie. Une réalité qui dépasse la fiction à savoir l'histoire du dernier soldat japonais de la seconde guerre mondiale qui n'a rendu les armes qu'en 1974, soit près de trente ans après la fin du conflit. Si le film ne ne m'a pas séduit, sans doute parce que les personnages mis en scène (de bons petits soldats imperméables au doute) me sont profondément antipathiques et que le réalisateur ne leur donne guère de relief en édulcorant les faits (les tueries de la réalité historique se réduisent à deux meurtres en état de légitime défense, le racisme japonais vis à vis des autres asiatiques n'est jamais évoqué, la sexualité de ces hommes est à peine effleurée comme si c'était un tabou) il n'en reste pas moins qu'il soulève nombre de questionnements pertinents. Il montre en particulier jusqu'où peut aller l'aveuglement lié à l'endoctrinement, à la soumission et au fanatisme (dans le langage manipulateur de l'armée, cela s'appelle du "courage", du "dévouement", de la "loyauté", de la "fidélité", de "l'honneur" etc.) "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" aurait pu s'appeler "Onoda, 30 ans de déni" tant le délire qui s'empare du personnage et de ses compagnons (dont le nombre se réduit comme peau de chagrin au fil du temps jusqu'à ce qu'il se retrouve seul) défie l'entendement. La façon dont ils interprètent les informations venues du monde réel pour les tordre à l'aune de leur propre récit fictif délirant (à savoir une uchronie dans laquelle le Japon serait vainqueur et toute la géopolitique mondiale bouleversée à l'aune de cette victoire) laisse sans voix et a bien évidemment des résonances dans notre actualité. Mais un autre type de questionnement qui vient à l'esprit concerne l'irresponsabilité du Japon vis à vis de ces soldats laissés à l'abandon, véritables dangers publics pour les populations locales. Là encore, c'est révélateur du mépris que l'archipel nippon entretient vis à vis de son ancienne "sphère de co-prospérité" (terme employé dans le film qui désignait l'Empire que le Japon avait conquis en Asie entre le début des années 30 et 1945). Il est évident que cela n'aurait jamais pu se produire dans un pays développé: ces hommes auraient été arrêtés depuis longtemps. Car le plus improbable peut-être de toutes les improbabilités de ce film est le fait que ce soit un étudiant japonais qui retrouve Onoda et aille chercher son ancien supérieur pour obliger ce dernier (qui avait opportunément "tout oublié" de l'endoctrinement qu'il avait fait subir à son élève zélé, devenant un simple libraire plus blanc que neige) à le démobiliser. Néanmoins il manque à ce film indéniablement original dans le cinéma français un véritable point de vue sur la guerre et la violence, comme chez Kubrick, Spielberg ou Cimino

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Rosenstrasse

Publié le par Rosalie210

Margarethe von Trotta (2003)

Rosenstrasse

Film historique peu connu en France évoquant un épisode de la guerre lui-même peu connu, "Rosenstrasse" ("La rue des roses" en français) est construit sur des va et vient entre passé et présent. Hannah, la fille de Ruth, une survivante de la Shoah installée à New-York veut comprendre pourquoi sa mère s'oppose à son mariage avec Luis, un latino-américain et pourquoi elle refuse de lui parler de son passé. Elle découvre par une relation familiale l'existence d'une femme, Lena Fischer, issue d'une famille d'aristocrates allemands qui jadis, sauva Ruth à Berlin lorsqu'elle était enfant en se battant au côté de centaines d'autres femmes aryennes pour faire libérer leurs maris juifs qui avaient été arrêtés par la Gestapo en 1943 et étaient parqués dans un immeuble de la Rosenstrasse dans l'attente de leur déportation.

Si le film est un peu inégal (la partie historique est bien plus intéressante que celle du présent, plutôt convenue et peu approfondie), il révèle une nouvelle facette de la résistance interne au troisième Reich tout en soulignant combien celui-ci n'était pas infaillible en dépit de sa brutalité. En effet pour pouvoir agir à l'extérieur en déployant toute son efficacité, le régime avait besoin d'une cohésion interne qu'il obtenait par la propagande, la terreur mais aussi l'adhésion à l'idéologie impliquant l'anéantissement des populations considérées comme exogènes à la communauté de sang allemand, à commencer par les juifs, bouc-émissaire (ou "ennemi imaginaire") absolu du régime. Or en 1943 le front extérieur se lézarde sérieusement avec la défaite de Stalingrad qui signe le début de la fin du troisième Reich. Et le front intérieur menace de rompre lui aussi. D'une part parce que le fossé entre la propagande de l'invincibilité et la réalité de la défaite doublée d'une boucherie fauchant toute la jeunesse allemande ne pouvait plus être totalement occultée. Et de l'autre parce que les lois de Nuremberg de 1935 qui avaient interdit les mariages entre juifs et aryens afin de souder la communauté allemande soi-disant "de race supérieure" contre le judéo-bolchévisme se heurtait à des décennies d'intégration et d'assimilation des juifs au reste de la société allemande se traduisant par de nombreux "mischehen" (mariages mixtes) et enfants "mischlinge" (métis), un tissu social qu'il n'était pas possible de défaire ou de détruire du jour au lendemain. Le film montre tout l'éventail de pressions menées par les autorités du III° Reich sur les conjoints aryens pour obtenir qu'ils divorcent: persécutions (les aryens devaient partager le sort de leur conjoint juif s'ils voulaient rester avec lui c'est à dire perdre leur travail et leurs biens, vivre dans les résidences réservées aux juifs etc.), insultes, intimidations, menaces etc. Le film montre également que les femmes résistèrent mieux que les hommes qui souvent, abandonnèrent leur conjointe juive et leurs enfants métis comme ce fut le cas du père de Ruth, les condamnant ainsi à la mort. En revanche l'exemple de la Rosenstrasse montre que les autorités nazies se sentirent obligées de reculer lorsqu'elle ne purent dissoudre ces liens qui menaçaient de révéler au grand jour leur entreprise d'extermination et provoquer des remous dans toute la société. Preuve qu'en dépit de l'extrême brutalité du régime, celui-ci avait peur de l'opinion, aussi muselée fut-elle, les femmes de la Rosenstrasse obtinrent satisfaction et 98% des juifs allemands qui survécurent à la guerre furent protégés par un conjoint aryen. C'est la preuve éclatante que même face au pire, il était encore possible d'agir et d'infléchir le destin. Margarethe von Trotta rend ainsi hommage au courage et à la détermination de ces femmes que la puissance de leurs liens affectifs transformèrent  en héroïnes alors qu'elle souligne parallèlement la lâcheté de nombreux hommes que ce soit le père de Ruth ou celui de Lena. Mais pas tous: le frère de Lena rescapé mutilé de Stalingrad (et donc "déradicalisé") est de son côté tandis qu'un père juif vient se jeter dans la gueule du loup pour aider sa fille, arrêtée avant lui tandis que sa femme aryenne reste de l'autre côté de la barrière.

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Un long dimanche de fiançailles

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Jeunet (2004)

Un long dimanche de fiançailles

"Un long dimanche de fiançailles" est l'un des rares films de Jean-Pierre Jeunet que je n'avais pas encore revu. Maintenant, je me dis que c'est le destin d'avoir gardé ce film en réserve pour pouvoir rendre hommage à Gaspard Ulliel dont c'était le premier rôle majeur, couronné par le César du meilleur espoir masculin. On peut d'ailleurs saluer la qualité et la variété de la distribution qui certes, reprend une bonne partie du casting de "Delicatessen" et de "Le Fabuleux destin de Amélie Poulain" (de Audrey Tautou à André Dussollier en passant par Dominique Pinon, Ticky Holgado, Jean-Claude Dreyfus ou Urbain Cancelier) mais en ajoute pas mal de nouveaux, venus d'autres horizons comme Albert Dupontel, Denis Lavant, Clovis Cornillac, Jean-Pierre Daroussin, Julie Depardieu, Jodie Foster, Jean-Paul Rouve, Michel Vuillermoz ou bien alors des nouveaux venus à l'aube d'une belle carrière: outre Gaspard Ulliel, l'étoile montante Marion Cotillard confirmait son talent en obtenant le César du meilleur second rôle alors qu'elle n'apparaît que huit minutes dans le film (mais dans un rôle de justicière qui redouble celui de Mathilde la détective).

Cette densité de talents au mètre carré se retrouve dans l'intrigue et dans l'image. L'histoire, adaptée du roman de Sébastien Japrisot mêle deux récits (le passé de la guerre en couleurs sombres, le présent de l'après-guerre en sépia) et est originale en ce sens que c'est une femme (handicapée qui plus est) qui en est le centre et le moteur. La première guerre mondiale et ses horreurs* est évoquée en effet en fonction des progrès de l'enquête que Mathilde mène en 1920, seule contre tous ou presque à croire que son fiancé a survécu sur la foi d'une intuition intime (que l'on peut comparer à la quête de Tintin à la recherche de Tchang dans "Tintin au Tibet" alors que tout le monde le croit mort). L'obstination de ce petit bout de femme à découvrir la vérité l'amènera à croiser d'autres destins et à recouper leurs témoignages pour en démêler le vrai du faux. La scène cruciale de l'Albatros, l'avion allemand qui tire sur Manech alors qu'il grave les lettres de son amour à Mathilde (MMM) sur le tronc d'un arbre calciné est ainsi revue plusieurs fois, la version de cet épisode variant selon les témoins (français ou allemand, depuis la tranchée ou dans le no man's land à la manière d'un "Râshomon"). Quant aux lieux, ils sont superbement reconstitués avec tout le savoir-faire méticuleux d'un réalisateur attentif au moindre détail. Et si le récit tient en haleine avec un sens du rythme qui n'est plus à démontrer et des rebondissements perpétuels, il ménage des pauses solitaires et mélancoliques dans lesquelles les deux éternels fiancés pensent l'un à l'autre dans le désert, l'un en gravant ses lettres d'amour éternel dans le bois au milieu de l'enfer et l'autre en jouant du tuba face à la mer.

* La première guerre mondiale a fait l'objet de nombreuses oeuvres marquantes auquel le film de Jeunet fait référence, des BD de Jacques Tardi (dès les premières images, j'ai reconnu le cadavre du cheval pendouillant dans un arbre) jusqu'aux "Sentiers de la gloire" de Stanley Kubrick (les exécutions pour l'exemple).

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Capitaine Conan

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1996)

Capitaine Conan

J'ai eu il y a quelques années un "faux départ" avec "Capitaine Conan". Enthousiasmée par "La Vie et rien d'autre" (mon film préféré de Bertrand Tavernier) j'ai voulu enchaîner avec le DVD de son autre grand film sur l'après-guerre (de la première guerre mondiale) mais j'ai baissé les bras au bout de cinq minutes, découragée par l'argot des tranchées dont j'étais loin de connaître tous les termes qui plus est débité à une cadence infernale.

Il serait pourtant vraiment dommage de se laisser arrêter par cet obstacle (gênant surtout au début, après, on s'y habitue ou alors on prend un lexique pour s'aider). Les films historiques de Bertrand Tavernier, saisissants de réalisme et de dynamisme comme s'ils étaient une sorte de reportage de terrain "pris sur le vif" font partie des meilleurs qui existent par le fait d'être capable de donner vie et chair au passé, par le fait qu'il s'agit d'un cinéma humaniste, un cinéma filmé à hauteur d'homme, sans aucun manichéisme. Une scène en particulier illustre bien "l'esprit Tavernier" dans "Capitaine Conan": celle de l'armistice du 11 novembre 1918 qui est totalement démythifié. On y voit des soldats torturés par la dysenterie dont certains partent se cacher derrière le premier obstacle venu pour se soulager plutôt que d'écouter un discours officiel aux allures de pétard mouillé, au sens propre d'ailleurs puisqu'il pleut des cordes. D'ailleurs cette armistice n'en est pas un pour Conan et ses hommes que l'on envoie en Roumanie traquer le Bolchévik. Et même s'ils avaient été démobilisés, la guerre aurait de toute façon continué dans leur tête et dans leur corps.

Car ce que le film de Bertrand Tavernier montre d'une façon admirable, c'est comment la "culture de guerre" c'est à dire la sauvagerie vécue au quotidien imprègne des hommes au point qu'ils ne peuvent plus revenir à la civilisation une fois celle-ci terminée. La décision d'envoyer le corps franc du capitaine Conan terroriser les roumains plutôt que de les faire revenir en France est d'un cynisme révoltant. Un redoutable commando dont la France a bien su se servir en temps de guerre comme champions du combat au corps à corps mais dont elle cherche ensuite à se débarrasser en temps de paix quand ces comportements deviennent ceux de hors la loi, délinquants et criminels en se défaussant de ses responsabilités et en "refilant le bébé" à d'autres pays. C'est pourquoi, sans excuser les exactions dont se rendent coupables ces soldats, Bertrand Tavernier montre comment ceux-ci sont à la fois des bourreaux et des victimes. Et dresse au passage deux admirables portraits, non moins admirablement joués, celui de leur capitaine, Conan (Philippe Torreton, magistral), un dur à cuire fruste issu du peuple qui partage le sort de ses hommes et les défend corps et âme au point de prendre tous leurs errements sur lui et celui du lieutenant Norbert (Samuel Le Bihan) issu d'un milieu intellectuel et bourgeois donc bien plus policé et conscient des lois mais qu'une amitié indéfectible lie à Conan. Norbert décide d'accepter la mission de commissaire-rapporteur pour faire régner la justice au milieu du chaos. Non une justice désincarnée mais une justice humaine pour redonner des repères à ces hommes perdus et les protéger du pire tout en protégeant également la société de leur dérive. Cela ne va pas sans tensions avec Conan qui accuse Norbert d'être un vendu (la vision que Conan -et derrière lui Bertrand Tavernier- a de l'Etat-Major est digne de celle de Stanley Kubrick dans "Les Sentiers de la gloire" même si le personnage du lieutenant joué par Bernard le Coq vient nuancer le propos) mais leur conflit lié à leur différence de classe et d'éducation renforce au final leur amitié. Au point que l'on voir Conan faire ce qu'aucun membre du tribunal militaire ne daigne faire: aller sur le terrain pour comprendre comment un jeune soldat a pu perdre les pédales au point de se livrer à l'ennemi avec des secrets militaires dans la poche (haute trahison qui le rend passible du peloton d'exécution). La valeur du geste étant lié au fait que ce soldat est pourtant issu de l'aristocratie, sa mère étant même liée aux membres de l'Etat-Major. On comprend ainsi comment le fait de se comporter en homme d'honneur sur le champ de bataille peut transcender les barrières de classe sociale (soit exactement ce que démontrait Jean Renoir dans "La Grande Illusion" autre grand film sur cette période). La scène finale, d'une grande force émotionnelle montre aussi comment une fois sorti pour de bon de la guerre, Conan qui faisait office de pilier pour tous les autres s'avère rongé de l'intérieur par le mal incurable de ce qu'il a subi et infligé. Une scène si forte qu'elle vous poursuit bien au-delà du visionnage du film*.

* Que Philippe Torreton ait reçu le césar du meilleur acteur et Bertrand Tavernier celui du meilleur réalisateur pour ce film n'est que justice.

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Monsieur Batignole

Publié le par Rosalie210

Gérard Jugnot (2002)

Monsieur Batignole

Il y a deux parties dans "Monsieur Batignole". La première dresse le portrait d'un français moyen attentiste comme 90% de ses compatriotes pendant la seconde guerre mondiale. Un boucher-charcutier (Gérard Jugnot) un peu beauf et pas très regardant sur les méthodes qu'utilise Pierre-Jean son futur beau-fils collabo zélé (Jean-Paul Rouve, tellement convaincant qu'il a décroché le César du meilleur espoir) pour leur obtenir divers privilèges en terme de logement, moyen de locomotion et généreux client. Les deux premiers sont des biens spoliés à des juifs et le troisième est le SS dont Pierre-Jean est le larbin. Arrive alors la seconde partie, quand Edmond Batignole est confronté aux conséquences de ses actes et se voit obligé de prendre parti. Simon (Jules Sitruk), le fils cadet de la famille juive dont les Batignole ont récupéré l'appartement parvient à échapper à la déportation et à revenir frapper à la porte de son ancien chez-lui. La peinture de la camionnette de livraison s'écaille, révélant les étoiles de David cachées dessous. Et Pierre-Jean s'avère être un dangereux psychopathe qu'il est impossible d'amadouer. La vie de Edmond Batignole bascule alors dans le danger et la clandestinité lorsqu'il décide de sauver Simon et ses cousines au point qu'il finit par s'identifier au père biologique de Simon (et au sort des juifs en général).

"Monsieur Batignole" est un film humaniste qui dresse un portrait intéressant d'un français ordinaire confronté à des événements qui le dépassent et l'obligent à se dépasser. Si le début se situe dans une veine réaliste à tendance satirique et ne manque pas de mordant, la suite relève davantage du conte de fée tant les rebondissements sont invraisemblables. Ainsi Batignole se transforme-t-il comme par magie en super-héros capable de terrasser n'importe quel "méchant" (de Pierre-Jean à un flic par trop fouineur), de séduire la fermière esseulée et de redresser les entorses comme les torts. Cet aspect spectaculaire nécessaire aux rebondissements dramatiques n'est pas la manière la plus fine d'évoquer les actions des Justes de France pour contrecarrer le programme génocidaire des nazis. Seule la sensibilité du jeu des acteurs (Jugnot inclus) permet d'échapper à la caricature.

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Attaque! (Attack!)

Publié le par Rosalie210

Robert Aldrich (1956)

Attaque! (Attack!)

Excellent film de Robert ALDRICH, puissant et sans concessions de bout en bout qui n'est pas sans faire penser au beaucoup plus connu "Les Sentiers de la gloire" (1957) sorti l'année suivante. Bien que l'intrigue de "Attaque!" se déroule en 1944 au sein de l'armée américaine dans une ambiance de huis-clos étouffant, même dans les scènes d'extérieur (le scénario est tiré d'une pièce de théâtre, ceci explique cela), on retrouve la dénonciation de ce qui est au coeur du futur film de Stanley KUBRICK: la culture de l'obéissance et de l'irresponsabilité au sein de l'armée, minée par les hiérarchies sociales et la corruption. C'est ainsi qu'un peloton mené par le lieutenant Da Costa (Jack PALANCE) se fait absurdement décimer en raison de l'incompétence et de la lâcheté de leur supérieur, le capitaine Cooney (Eddie ALBERT) dont les agissements sont couverts par le colonel Bartlett (Lee MARVIN). Il apparaît que Cooney occupe le poste parce que c'est un fils à papa qui a des relations dont espère profiter le colonel Bartlett qui ambitionne de faire une carrière politique dans le civil. Mais l'incapacité de Cooney à faire face à la situation évolue vers une démarche suicidaire pour la compagnie toute entière. Plus l'étau de l'ennemi se resserre, plus l'étendue de la névrose de celui-ci se révèle dans toute son horreur alors que le calculateur colonel ne pense qu'à tirer un profit personnel de la situation. Face à ce commandement pourri jusqu'à la moëlle, le film met en avant des hommes rudes mais qui se soucient les uns des autres, serrent les coudes et tentent de rester fidèles à une ligne de conduite honorable. Jack PALANCE est particulièrement impressionnant. Robert ALDRICH n'y va pas avec le dos de la cuillère quand il s'agit de martyriser les corps et de montrer la violence dans toute sa sécheresse et sa brutalité et on reste hanté par la vision frontale de son visage de cire aux yeux révulsés et à la bouche grande ouverte, figé dans sa rage par une mort violente qu'aucune retouche de thanatopracteur ne vient atténuer.

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Au nom de tous les miens

Publié le par Rosalie210

Robert Enrico (1982)

Au nom de tous les miens

Je ne pensais pas pouvoir revoir un jour "Au nom de tous les miens" que j'avais découvert sous forme de série télévisée de huit épisodes d'une heure dans les années 80. La version cinématographique qui ne fait que 2h20 est d'ailleurs bancale avec des coupes brutales et des problèmes de raccord. D'autre part elle est déséquilibrée: les années qui suivent la guerre sont expédiées en vingt minutes. De façon plus générale la qualité du film laisse à désirer. Entre autre la pellicule accuse son âge et la distribution (dominée par Michael York, Jacques Penot, Macha Méril et Brigitte Fossey) est inégale. On est plus proche du téléfilm (bien qu'il y en ait d'excellents, dans ce domaine aussi la nuance s'impose) que du film de cinéma.

Il n'en reste pas moins que "Au nom de tous les miens" mériterait de sortir de l'oubli car il occupe une place intéressante dans l'histoire de la mémoire de la Shoah. Contemporain du documentaire fleuve de Claude LANZMANN sur les centres d'extermination polonais, il appartient à cette même ère d'avènement du témoin. Il s'agit en effet de la transposition des mémoires d'un des rares survivants de l'insurrection du ghetto de Varsovie, Martin Gray dont le destin fut hors-norme puisqu'il réussit également à s'évader du camp d'extermination de Treblinka. Une telle "baraka" suscita à sa sortie des polémiques sur la véracité des faits relatés. En effet plusieurs historiens dont Pierre Vidal Naquet, bien connu pour son travail sur les négationnistes pensaient que Martin Gray et son "nègre", l'historien Max Gallo qui rédigea le livre en 1971 avaient enjolivé les faits voire en avaient inventés certains, mettant en doute plus particulièrement le passage de Martin Gray à Treblinka. Mais il lui fut impossible tout comme aux autres de démêler ce qui relevait de la fiction et ce qui relevait de la réalité.

En réalité, je dirais "peu importe", finalement l'essentiel n'est pas là. Romancé ou pas, le témoignage de Martin Gray reste très riche (sur le fonctionnement du ghetto notamment) et sa vie exceptionnelle fait s'interroger sur le concept de résilience. En effet celui-ci partage avec Roman POLANSKI également juif polonais rescapé de la Shoah le fait d'avoir perdu deux fois sa famille à plus de vingt ans d'écart dans des circonstances tragiques et de s'en être relevé pour la reconstruire une troisième fois tout en poursuivant une oeuvre d'utilité publique. Le "merveilleux malheur" de Boris Cyrulnik (lui-même un rescapé) s'y incarne de façon très concrète au travers de ces acharnés de la survie qui ont puisé leur force de vivre et de témoigner dans leurs drames personnels.

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