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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Nos frangins

Publié le par Rosalie210

Rachid Bouchareb (2022)

Nos frangins

Rachid BOUCHAREB est le cinéaste qui à travers des films comme "Indigènes" (2006) et "Hors-la-loi" (2010) a mis en lumière la part d'ombre de l'histoire contemporaine de la France au travers d'une mémoire immigrée largement occultée dans le récit national. Non sans bousculer les consciences, voire créer parfois la polémique. "Nos frangins" n'y échappe pas. Les frères de Abdel Benyahia, tué par un policier la même nuit que Malik Oussekine en marge des manifestations contre la loi Devaquet n'ont pas apprécié la manière dont le cinéaste a dépeint leur père (Samir GUESMI) en garagiste immigré muet et résigné. Cette maladresse est effectivement regrettable mais Rachid Bouchareb a le mérite de sortir de l'oubli cette affaire étouffée à l'époque par les autorités, soucieuses de couvrir la police éclaboussée par la mort de Malik Oussekine. Comme le dit très bien l'employé africain de la morgue chargé des deux corps "toi tu as un nom, toi tu n'en a pas". Se situant dans les quelques jours qui ont suivi les faits, le cinéaste mêle habilement images d'archives et reconstitution de fiction pour retracer une époque de contestation explosive de la jeunesse contre un pouvoir remettant en cause l'accès pour tous les bacheliers à l'université et jouant la surenchère sécuritaire dans un contexte de racisme endémique vis à vis des enfants d'immigrés*. Le parallèle avec les violences policières contre les Gilets Jaunes est souligné mais pas les attaques actuelles (trop récentes) contre l'éducation des plus fragiles (à travers le projet de réforme des lycées professionnels par exemple). A travers les portraits des membres des familles des deux victimes et en contrepoint, l'enquête d'un inspecteur (Raphaël PERSONNAZ) prié de la boucler par ses supérieurs manipulateurs, Rachid Bouchareb dénonce le racisme des institutions françaises (police, justice), l'omerta au nom de la raison d'Etat (visible jusque dans la plaque commémorative de Malik Oussekine ne mentionnant pas les responsables de sa mort et encore moins leur fonction) et les limites de l'intégration. Ainsi le grand frère de Malik (joué de façon remarquable par Reda KATEB) qui s'est embourgeoisé tout comme la soeur (jouée par Lyna KHOUDRI) découvre que Malik était sur le point de se convertir au catholicisme et d'embrasser la vocation de prêtre ce qui le trouble profondément. Certes, le film de Rachid Bouchareb manque de profondeur et d'émotion mais sa piqûre de rappel est salutaire.

* C'est l'époque de la cohabitation Mitterrand/Chirac et son ministre de l'intérieur ultradroitier Charles Pasqua, celle de la montée en puissance du Front National mais aussi des actions militantes de SOS Racisme créée en 1985, deux ans après "la marche des beurs" qui a médiatisé en France les crimes racistes dont les maghrébins immigrés et leurs enfants étaient régulièrement victimes en France dans les années 70 et 80 ("Dupont Lajoie" (1974) de Yves BOISSET, autre réalisateur engagé en est le parfait exemple).

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Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

Publié le par Rosalie210

Michael Powell, Emeric Pressburger (1942)

Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

"Colonel Blimp" est un film quelque peu déroutant de par sa narration non-linéaire (la fin revient au début en l'éclairant sous un jour nouveau ce qui donne au film une structure cyclique), ses brusques changements de ton et certains choix de mise en scène comme le fait de faire jouer à Deborah KERR trois rôles à travers 40 années d'histoire ce qui fait qu'elle semble être une présence presque surnaturelle (dans sa troisième incarnation, elle s'appelle d'ailleurs Angela) aux côtés de Clive et de Théo dont le vieillissement est au contraire spectaculaire (physiquement chez le premier, psychiquement chez le second). Réalisé durant la seconde guerre mondiale, "Colonel Blimp" raconte l'histoire de l'amitié entre deux officiers, l'un britannique et l'autre allemand entre 1902 et 1942. Une amitié qui reste indéfectible en dépit des trois guerres traversées dans des camps ennemis (celle des Boers et les deux guerres mondiales). Celles-ci sont d'ailleurs judicieusement laissées hors-champ. Ce ne sont pas elles en effet qui constituent le sujet du film mais plutôt la façon dont elles affectent les deux personnages. Michael POWELL et Emeric PRESSBURGER prennent le contrepied des attentes du spectateur et osent le mélange des genres. L'anglais, Clive Candy est inspiré d'un personnage de bande dessinée imaginé et dessiné par le caricaturiste David Low, le colonel Blimp (d'où le titre du film), un vieux réac xénophobe certes adouci dans le film mais qui reste arc-bouté sur des principes du XIX° dépassés (code d'honneur etc.) et aveugle sur l'évolution de la guerre au XX° siècle (qui n'a plus rien à voir avec une affaire de gentleman comme on essaye de le lui faire comprendre). A l'inverse, Théo est un officier allemand certes patriote (il encaisse mal la défaite de 1918) mais résolument anti-nazi qui s'enfuit en Angleterre et livre à son ami une confession poignante sur l'embrigadement de ses enfants par un régime dont il dénonce toute l'horreur. Le personnage ne fait alors plus qu'un avec l'acteur qui était juif et avait dû fuir l'Allemagne (comme Emeric Pressburger) et cela se ressent dans son interprétation pleine de mélancolie résignée. Pas étonnant qu'un film d'une telle lucidité, soulignant les errements de certains britanniques (on pense évidemment à Chamberlain) et au contraire refusant l'amalgame entre allemand et nazi n'ait pas plu à Churchill qui a tenté de le faire interdire et lui a mis un certain nombre de bâtons dans les roues. Ce n'était pas un film qui pouvait faire l'objet d'une récupération politique dans la guerre de propagande que se livraient les puissances mais une oeuvre humaniste faisant fi de toutes les barrières, une oeuvre totalement libre en somme.

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Nuremberg, des images pour l'histoire

Publié le par Rosalie210

Jean-Christophe Klotz (2019)

Nuremberg, des images pour l'histoire

On croyait tout savoir sur le procès militaire international de Nuremberg intenté par les alliés vainqueurs de la guerre qui durant près d'un an, de novembre 1945 à octobre 1946 jugea 24 hauts dignitaires nazis de crimes contre la paix, crimes de guerre et, nouveau chef d'accusation, crime contre l'humanité. On sait aussi qu'il s'agit du premier procès dont les audiences ont été filmées (par les américains et par les soviétiques), ouvrant la voie à bien d'autres, d'Eichmann à Barbie et que les images y ont joué un rôle fondamental en tant que preuves des crimes commis, aux côtés des autres types d'archives.

Ce que l'on sait moins en revanche, c'est comment ces preuves audiovisuelles ont été réunies. Le procureur Jackson qui considérait le document d'archive comme central chargea de cette mission deux jeunes soldats, Budd et Stuart Schulberg qui travaillaient sous l'égide de John FORD au sein de l'OSS (Office of Strategic Services). Le film de Jean-Christophe KLOTZ retrace leur enquête de plusieurs mois au coeur de l'Europe dévastée pour retrouver à temps un maximum de documents afin de pouvoir les diffuser lors du procès. Ce qui compliquait leur tâche était d'une part le fait que les défenseurs des accusés avaient réussi à faire invalider nombre d'archives audiovisuelles d'origine américaine, de l'autre, le fait que les nazis et leurs complices encore en liberté s'acharnaient à détruire celles qui étaient d'origine allemande. A plusieurs reprises, les deux frères arrivèrent trop tard pour sauver les bobines qui se consumaient par milliers quand ce n'était pas le bâtiment qui les abritait qui flambait. Heureusement, à la suite d'un concours de circonstances improbable dans lequel on découvre que John FORD était également vénéré par des soviétiques, les deux hommes mettent la main sur un trésor conservé dans la zone allemande occupée par l'URSS à une époque où celle-ci était encore alliée aux occidentaux et effectuent alors avec leur équipe un long travail de montage pour les diffuser au procès.

Le film met en évidence de manière saisissante l'impact que ces images eurent sur les accusés qui jusque là se retranchaient dans le déni. Le procureur Jackson fit d'ailleurs avancer la date de leur diffusion et on sait que le tribunal fut aménagé spécialement pour permettre à l'écran d'y prendre une place de choix. Jean-Christophe KLOTZ montre le changement radical du visage des accusés après avoir été obligés de regarder en face l'étendue de leurs propres crimes. L'un des moments les plus évidents est celui où Rudolf Hess qui feignait l'amnésie fit une déclaration dans laquelle il reconnaissait endosser la responsabilité de ses actes.

A plus long terme, le travail des frères Schulberg a forgé la mémoire collective de ces événements. Même s'ils n'ont pu tourner que 35 heures de rushes sur plus de 10 mois de procès, ils ont pu enregistrer en audio l'intégralité des débats. Stuart Schulberg en a fait un film en 1948, "Nuremberg, it's Lesson for Today" qui ne sortit aux USA qu'en 2010 grâce au travail de restauration de sa fille car avec l'éclatement de la guerre froide, les priorités avaient changé et le film fut enterré.

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L'expérience Ungemach, une histoire de l'eugénisme

Publié le par Rosalie210

Vincent Gaullier, Jean-Jacques Lonni (2020)

L'expérience Ungemach, une histoire de l'eugénisme

Les apparences sont trompeuses. Qui croirait que derrière les 138 pavillons de la cité-jardin Ungemach à Strasbourg se cache une histoire digne de "Bienvenue à Gattaca" (1997)? Même aujourd'hui, les édiles taisent le sulfureux passé du quartier où seule une plaque posée dans les années 50 rappelle sa vocation d'origine: abriter de " jeunes ménages en bonne santé désireux d’avoir des enfants et de les élever dans de bonnes conditions d’hygiène et de moralité".

Lorsque la cité est créée dans les années 20, il ne s'agissait pas à proprement parler d'eugénisme mais plutôt d'hygiénisme et de natalisme. La France avait en effet perdu une grande partie de sa jeunesse à la guerre, directement ou indirectement et connaissait un déficit de naissances ancien et préoccupant. De plus les masses populaires vivaient souvent dans des conditions (notamment de logement) déplorables héritées du XIX° siècle avec des problèmes de santé publique tels que l'alcoolisme ou la tuberculose. C'est donc pour lutter contre tous ces fléaux qu'un industriel du nom de Léon Ungemach décida avec son associé, Alfred Dachert de construire une cité-jardin dans un quartier populaire de Strasbourg. Cela s'inscrivait dans la tradition des initiatives paternalistes patronales du XIX° dont l'exemple le plus célèbre est le phalanstère Godin. De plus, dans l'entre-deux-guerres, beaucoup de cités-jardins virent le jour, notamment en Ile-de-France pour offrir aux ouvriers des conditions de vie plus saines et plus proches de leurs origines campagnardes (cultiver son jardin plutôt qu'aller boire au bar du coin).

La où les choses se corsent, c'est lorsqu'on analyse les critères d'admission et de maintien dans le logement. Les époux devaient être jeunes, féconds, en bonne santé, s'engager à avoir au moins trois enfants, le mari devait avoir une bonne situation, la femme quant à elle ne devait pas travailler (une question-piège demandait quelle était sa profession). Une fois installés, ils devaient respecter un règlement comportant plus de 300 articles et subissaient des contrôles incessants au cours desquels ils étaient notés selon un système de points. Si les inspecteurs découvraient que les époux ne respectaient pas les critères, ils étaient expulsés de leur logement. Celui-ci n'était par ailleurs loué que jusqu'au 21 ans du dernier enfant, ensuite, il fallait déménager. Les critères de sélection furent appliqués jusqu'aux années 60 et les critères d'expulsion jusqu'aux années 80 alors que la ville gérait la cité-jardin depuis les années 50.

Le documentaire, passionnant et glaçant, comble les non-dits de la ville qui pratique l'omerta sur le sujet. Des témoignages d'anciens habitants, le plus souvent enfants au moment des faits expliquent que même leurs parents n'avaient pas conscience d'être les cobayes d'une pratique d'eugénisme destinée à "améliorer l'espèce humaine", s'accompagnant en d'autres lieux de mesures de stérilisation forcées pour les populations indésirables. Des spécialistes explicitent le contexte, notamment l'importance de la culture protestante dans la politique d'eugénisme, celle-ci visant la perfectibilité de l'être humain alors que le catholicisme condamnait l'intervention de la science dans la reproduction humaine. Surtout, le film évoque comment la tentation de l'eugénisme a été stoppée in extremis au Royaume-Uni devant l'usage monstrueux qu'en a fait l'Allemagne nazie.

En raison du manque d'archives visuelles, le documentaire a recours à une animation décalée qui fait tantôt penser à celle des Monty Python, tantôt à celle de "Pink Floyd The Wall" (1982). Pour faire comprendre que ce que cachent les pavillons si proprets n'est rien d'autre qu'une variante de "1984" et "Le meilleur des mondes", un arrière-plan fait allusion à la cité de "Metropolis" (1927), les toits s'enlèvent pour laisser entrer la main des autorités ("Big Brother is catching you" ^^), les bébés, produits en série, défilent sur une chaîne de montage et les familles se transforment en souris de laboratoire.

Mais loin de cantonner l'expérience eugéniste au passé, le film démontre que celle-ci n'est qu'un avatar du système capitaliste anglo-saxon obsédé par le darwinisme social de la performance et la compétition que le nazisme a poussé jusqu'à la monstruosité la plus extrême. Qui entre aujourd'hui en contradiction avec le souci de protéger la diversité. Et de conclure sur ces mots à méditer "Quand tu fais la cité Ungemach, tu exclues d'emblée de fabriquer des Brigitte Fontaine, tu exclues d'emblée de fabriquer des Annie Ernaux, tu exclues d'emblée de fabriquer tout ce qui dépasse du cadre et pourtant ce qui dépasse du cadre pour moi c'est la vie."

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Downton Abbey 2: Une Nouvelle Ere (Downton Abbey 2 : a New Era)

Publié le par Rosalie210

Simon Curtis (2022)

Downton Abbey 2: Une Nouvelle Ere (Downton Abbey 2 : a New Era)

Le deuxième film dérivé de la série "Downton Abbey" (2010) est un beau cadeau aux fans de la saga. Certes, il y a belle lurette que celle-ci ronronne sur ses acquis, tirant un bien moindre parti des transformations économiques, sociales et culturelles du premier quart du XX° siècle que dans les premières saisons. D'autre part, un petit récap au début du film aurait été nécessaire tant les personnages superfétatoires se sont accumulés au fil d'épisodes eux-mêmes de plus en plus anecdotiques. Ainsi je n'avais gardé aucun souvenir de la nouvelle épouse de Branson qui se contente durant tout le film de jouer les potiches. Idem en ce qui concerne l'époux d'Edith ou celui de Daisy. Enfin le fan service façon "courrier du coeur" atteint des sommets, tous les personnages importants sans exception qui étaient encore célibataires parvenant durant le film à trouver l'âme soeur alors que chez certains, cela traînait depuis des années ou bien cela se résumait à une accumulation de déboires (l'approche de la fin définitive de la saga?)

Malgré cela, outre les qualités habituelles que j'ai signalé dans mon précédent avis (écriture, interprétation, magnificence des décors, costumes, coiffures etc.), l'idée de diviser l'intrigue en deux parties, l'une dans une superbe villa de la French Riviera et l'autre au château pendant un tournage de cinéma est astucieuse. Dans le premier cas, il s'agit pour Robert Crawley (Hugh BONNEVILLE) de lever un doute sur sa filiation en raison d'un leg inattendu que sa mère Violet (Maggie SMITH) reçoit d'un certain marquis de Montmirail (et non, pas de Jean RENO à l'horizon puisque ledit marquis est décédé, ça aurait été marrant de le voir avec Nathalie BAYE qui joue sa veuve). Cette petite virée près de Toulon est l'occasion de quelques scènes amusantes avec Carson (Jim CARTER) plus guindé que jamais même en proie au mal de mer et par 35 degrés à l'ombre. Dans le second, il s'agit très trivialement de trouver des fonds pour réparer le toit du château qui fuit de tous les côtés. Comme par le passé, la famille Crawley prouve ses excellentes capacités d'adaptation dont en réalité la noblesse britannique a cruellement manqué (faut-il le rappeler, la saga de Julian FELLOWES est une utopie sociale). Cela donne l'occasion aux cinéphiles de se régaler avec la reconstitution d'un tournage au moment de l'arrivée du parlant, dans l'esprit de "Chantons sous la pluie" (1952) avec une actrice photogénique mais à la voix de crécelle. Heureusement que Mary (Michelle DOCKERY) peut la doubler au pied levé alors que Moseley se découvre un talent de scénariste. Mary justement qui semble ne pas être heureuse en ménage (ce qui permet au moins dans son cas de faire disparaître de l'écran un personnage inutile dont l'acteur a sûrement refusé de rempiler et d'ajouter un peu de mélancolie à l'histoire) alors que la santé de la comtesse douairière vacille: un signe de plus qu'il s'agit de la Der des Der? Car le dernier plan le souligne parfaitement: celle-ci (et son interprète, la formidable Maggie SMITH) est irremplaçable.

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Charlotte

Publié le par Rosalie210

Eric Warin, Tahir Rana (2022)

Charlotte

Dans la mémoire collective, "Charlotte" peut renvoyer à Charlotte Corday, la militante révolutionnaire pro-Girondins qui a assassiné Marat ou bien éventuellement à Charlotte Delbo, résistante rescapée du camp d'Auschwitz et de Ravensbrück. En aucun cas à Charlotte Salomon qui n'est connue que des seuls milieux artistiques spécialisés. Comme Alice GUY, elle a été effacée de l'histoire alors qu'elle a été une pionnière en son domaine: le roman graphique ou plus exactement l'autobiographie graphique dont une descendante directe pourrait être Marjane SATRAPI. Entre 1941 et 1943, pressentant qu'il lui restait peu de temps à vivre, elle a peint et réuni plus de 700 gouaches narrant sa vie sous le titre "Vie? Ou théâtre?" avant de les confier à un ami peu de temps avant d'être déportée à Auschwitz où elle est gazée à son arrivée à l'âge de 26 ans. Mais le pressentiment de Charlotte Salomon quant à la proximité de sa mort n'était pas tant lié à la Shoah qu'à une lourde problématique familiale. Son geste créateur fut sans doute une réaction à la révélation par son grand-père en 1940 suite au suicide de son épouse (la grand-mère de Charlotte) du fait que ses deux filles (la mère et la tante de Charlotte portant le même prénom) s'étaient également suicidées ainsi que d'autres femmes de la lignée maternelle. Hantée par la crainte de sombrer également dans la folie suicidaire, Charlotte pensa que s'adonner à son art pourrait la maintenir à flot. D'autres éléments semblent montrer un climat malsain voire incestueux autour de Charlotte. D'abord sa relation toxique avec son grand-père, un odieux tyran ne supportant pas qu'elle regarde d'autres hommes, la réduisant au rôle de boniche (à son service personnel) et la maltraitant jusqu'à la pousser à utiliser du poison (une scène à suspense puisque on ne sait pas durant plusieurs minutes à qui elle va l'administrer). Ensuite sa propension à former des triangles amoureux avec des hommes ayant une liaison (plus ou moins secrète) avec une de ses bienfaitrices-mère de substitution: d'abord sa belle-mère cantatrice, Paula puis sa mécène, l'américaine Ottilie Moore. Tout cela semble avoir joué un rôle bien plus important que le nazisme, dont elle a évidemment beaucoup souffert mais auquel elle aurait pu échapper de par ses origines aisées et un réseau important lui ayant offert sa protection et la possibilité d'émigrer. Mais son refus de quitter Nice (où elle avait rejoint ses grands-parents depuis Berlin au début de la guerre) pour les USA ainsi que le fait d'aller se déclarer aux autorités après que les nazis aient pris le contrôle de l'Italie en 1943* laisse penser qu'elle aurait agi de façon suicidaire comme le fait le personnage joué par Ludivine SAGNIER dans "Un secret" (2007) lorsqu'elle montre ses papiers tamponnés avec la mention juif.

Une personnalité et une oeuvre (conservée au musée juif d'Amsterdam) passionnantes donc mais l'adaptation, très fonctionnelle, ne se hisse pas à la hauteur de son sujet. Le fait que des voix célèbres doublent les personnages n'apporte pas de plus-value (du moins en VF), l'animation est conventionnelle (sauf quand on se plonge dans les oeuvres de la jeune artiste mais il aurait fallu le faire en permanence!), la mise en scène est sans relief. Cela s'explique sans doute par le fait qu'il s'agit d'une production internationale (avec pour producteurs exécutifs Xavier DOLAN, Keira KNIGHTLEY et Marion COTILLARD, les deux dernières doublant Charlotte dans la version en VO et en VF) dans laquelle les réalisateurs et scénaristes (qui d'ailleurs ont été pour la majorité changés entre le projet initial et sa réalisation) ne semblent être que des exécutants. C'est dommage.

* Jusqu'en 1943, Nice est un refuge sûr pour les juifs car la région est occupée par l'Italie de Mussolini. Mais sa chute précipite l'occupation de la péninsule par les allemands qui déportent alors les juifs qui s'y trouvent, incluant ceux du comté de Nice (comme Simone Veil, déportée en 1944).

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La Ligne rouge (The Thin Red Line)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (1997)

La Ligne rouge (The Thin Red Line)

A la fin de "La Ligne rouge", on entend "God, Yu Tekkem Laef Blong Mi", chanté par une chorale d'enfants mélanésiens, une composition de Hans ZIMMER qui pour l'anecdote a été reprise plus récemment dans la campagne publicitaire des assurances GMF. Une chorale qui répond à un film choral, une communion qui s'adresse à dieu à la manière d'un gospel car pour reprendre la chanson sur l'enfance de Peter HANDKE " Lorsque l'enfant était enfant (...) pour lui, tout avait une âme, et toutes les âmes n'en faisaient qu'une". Aussi, bien que les huit soldats mis en avant dans "La Ligne rouge" aient chacun une individualité qui n'hésitent pas à s'affronter, lorsque le film s'élève vers les cieux, on les écoute penser comme les anges écoutaient les monologues des humains dans "Les Ailes du désir" (1987) et ce que l'on entend nous fait comprendre que ces hommes par delà leurs différences partagent la même nature. Terrence MALICK réussit avec "La Ligne rouge" un authentique exploit. Il nous déroule un récit de guerre limpide et contextualisé (la bataille de Guadalcanal en 1942, l'un des tournants de la guerre du Pacifique) avec une grande précision dans la mise en scène de la prise de la colline 210 et en même temps, il inscrit celle-ci au sein d'une entité plus vaste qui se moque des enjeux géopolitiques et idéologiques qui agitent les armées des pays en guerre ce qui en décentre le propos. "La propriété! Tout ce foutoir, c'est pour la propriété" s'exclame le sergent Welsh (Sean PENN) qui prétend ne croire en rien mais n'hésite pas à risquer sa vie pour soulager un soldat mourant. Il est particulièrement lié au soldat Witt (Jim CAVIEZEL), un mystique qui voit en chaque être l'étincelle divine qui est en lui et n'hésite pas à déserter pour partager la vie simple des indigènes qui vivent en communion avec la nature. Eux aussi se moquent bien de ce qui agite japonais et américains, renvoyés dos à dos lorsqu'ils ne sont plus que de la chair meurtrie ou pourrie que viennent s'arracher les chiens errants ou les vautours. Car la vie reprend toujours ses droits comme le montre la dernière image du film. Mais même lorsqu'il doit se confronter à la laideur de la guerre, Terrence MALICK parvient à en extraire de la beauté, que ce soit le soldat Bell (Ben CHAPLIN) qui se remémore les jours heureux passés avec sa femme ou le lien de confiance qui se créé entre le capitaine Staros (Elias KOTEAS) et ses hommes qu'il veut préserver des décisions va-t-en-guerre du lieutenant-colonel Tall (Nick NOLTE) qui cherche ainsi à dissimuler combien il se sent rongé de l'intérieur. Les quelques images un peu trop "léchées" qui sont prédominantes dans d'autres films du réalisateur n'altèrent ici en rien sa puissance évocatrice.

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Mississipi burning

Publié le par Rosalie210

Alan Parker (1988)

Mississipi burning

Le 12 août 2022, un militant extrémiste pro-Trump qui se vantait d'avoir participé à l'attaque du Capitole du 6 janvier 2021 était abattu après avoir tenté de pénétrer dans les locaux du FBI de l'Ohio et avoir échangé des coups de feu avec les forces de l'ordre. Il avait auparavant appelé à tuer des agents fédéraux sur les réseaux sociaux, le tout dans un contexte de regain de tensions suite à la perquisition menée par le FBI dans la résidence de Donald Trump à Mar-a-Lago. Le tout dans un contexte d'exacerbation des tensions entre suprémacistes blancs et défenseurs des minorités après notamment plusieurs meurtres racistes ayant conduit au mouvement "Black lives matter". Ce préambule permet de mesurer combien le film de Alan Parker, réalisé en 1988 mais se situant en 1964 en pleine période de lutte pour les droits civiques éclaire notre présent. Une critique récente de Télérama disait d'ailleurs que le film avait hélas rajeuni. Car nul doute que les enragés du Capitole sont les descendants directs de ceux qui lynchaient les noirs dans les années 60 avec la complicité des autorités locales et manifestaient une haine viscérale vis à vis des autorités fédérales issue de la défaite de la guerre de Sécession qu'ils n'ont bien évidemment jamais acceptée. La meilleure preuve réside dans leur ralliement autour du drapeau confédéré, le "Dixie flag", interdit mais ressurgi lors de l'assaut du Capitole, symbole du rêve de sécession des suprémacistes blancs WASP et d'exclusion des minorités (les colored people mais aussi les communistes, les juifs, les catholiques et les immigrés non anglo-saxons). Ce discours raciste, identitaire et séparatiste, on l'entend dans le film de la bouche du chef local du Ku Klux Klan, Clayton Townley (Stephen Tobolowsky) qui se fait passer pour un simple homme d'affaires alors que le Dixie flag flotte allègrement un peu partout, signalant d'emblée l'entrée en territoire hostile pour les deux agents du FBI venus enquêter sur la disparition de trois militants pour les droits civiques. Tiré de faits réels, le film déploie une narration efficace et marquante pour au moins deux raisons. La première réside dans le portrait terrifiant d'un territoire replié sur lui-même, terrorisé par ses milices néo-fascistes ultra-violentes qui imposent l'omerta et peuplé de dégénérés consanguins. La seconde est liée à la complémentarité du duo chargé de l'enquête. L'agent Alan Ward (Willem Dafoe) est un homme calme et procédurier alors que son adjoint Anderson (Gene Hackman) originaire du sud et fils d'un raciste utilise des méthodes beaucoup moins conventionnelles pour parvenir à ses fins. L'interprétation des deux comédiens est remarquable, particulièrement celle de Gene Hackman avec ses faux sourires et ses explosions de violence qui soulignent combien la barrière est ténue entre lui et ceux qu'il combat. A travers leur duo, on retrouve l'éternel débat du meilleur moyen de combattre le mal, celui qui opposait par exemple Tom Doniphon qui ne croyait qu'en la force à Randsom Stoddard qui ne croyait qu'en la loi contre Liberty Valance. La comparaison avec le film de John Ford qui avait également une portée civique s'impose naturellement ici.

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Un condamné à mort s'est échappé

Publié le par Rosalie210

Robert Bresson (1956)

Un condamné à mort s'est échappé

Je ne sais pas si "Un condamné à mort s'est échappé" est comme je l'ai lu le film le plus abordable de Robert BRESSON, les programmateurs du dispositif "Lycéens au cinéma" lui avaient préféré "Pickpocket" (1959). Mais ces deux films ont pas mal en commun, en particulier le fait de transcender le genre dans lequel ils s'inscrivent (le film d'évasion et le polar) sans pour autant le dénaturer. Dans son style caractéristique, dépouillé, elliptique, introspectif Robert BRESSON décrit un cheminement qui est autant temporel que spirituel. L'économie de mots et la précision des gestes se justifie ici par le contexte carcéral qui fait que chaque mouvement mal calculé peut être fatal. Derrière son apparente abstraction, il s'agit d'un cinéma très sensoriel (que l'on pense au rôle des mains filmées en gros plan et du toucher dans "Pickpocket" comme dans "Un condamné à mort s'est échappé" ou à l'importance des sons dans la prison où le lieutenant Fontaine est enfermé) mais cette sensorialité est toujours en relation avec quelque chose qui relève de l'invisible (dans "Un condamné à mort s'est échappé", c'est la chance qui en étant du côté du lieutenant favorise son évasion mais aussi la rencontre avec des guides spirituels emprisonnés comme lui tels qu'un pasteur et un abbé). Tiré d'une histoire vraie ayant eu lieu en 1943 dont on connaît l'issue dès le départ, le film nous fait partager l'intimité d'un homme (et notamment sa voix intérieure) que sa force de caractère, sa patience, son ingéniosité, sa minutie et sa détermination empêche de sombrer dans le désespoir. On partage également ses moments de doute, notamment face à l'arrivée d'un jeune co-détenu au visage d'ange mais aux habits pas nets dont il ne sait s'il constitue une entrave de plus ou au contraire un allié. Il doit donc faire un choix risqué sans savoir avant de l'avoir éprouvé s''il est le bon, un de plus qui démontre que même physiquement privé de liberté, l'homme conserve son libre-arbitre. Le sous-titre du film, "Le vent souffle où il veut" (parole de Jésus à Nicodème) est de ce point de vue éloquent.

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La Maison des bois

Publié le par Rosalie210

Maurice Pialat (1971)

La Maison des bois

Le meilleur film de Maurice PIALAT est la mini-série qu'il a tourné pour l'O.R.T.F en 1971 grâce à "L Enfance nue" (1968) qui avait tapé dans l'oeil de l'adjoint du responsable des programmes d'Antenne 2. Grâce lui soit rendue car les immenses qualités du premier film de Maurice Pialat se retrouvent intactes dans "La maison des bois" avec en plus une ampleur romanesque, historique et picturale inédite permise par le format de la mini-série. Avec cette chronique d'une sensibilité à fleur de peau de trois enfants, Michel, Albert et Hervé, recueillis par une famille d'accueil dans un petit village de l'Oise pris dans la tourmente de la première guerre mondiale, Maurice Pialat au sommet de son art enchante et bouleverse. On y retrouve son talent à diriger des enfants (dont Michel TARRAZON, le petit garçon de "L'Enfance nue"), à capter la vie dans son plus simple appareil (les grandes peines et les petites joies du quotidien), à mêler harmonieusement acteurs amateurs et professionnels (dont lui-même dans le rôle de l'instituteur, tout un symbole!), à jouer dans de superbes plans-tableaux sur le premier plan et l'arrière-plan, la petite et la grande histoire. Pour ne donner qu'un exemple, dans une scène se déroulant dans un café où des soldats jouent au billard, on voit l'un d'entre eux en retrait, assis à une table tenter de consoler sa mère en pleurs. Derrière l'image d'Epinal, une scène poignante et lourde de sens quand on connaît la suite. Le caractère impressionniste de la série éclate dans le troisième épisode en grande partie consacré à un déjeuner sur l'herbe qui est un hommage explicite à "Une partie de campagne" (1936) et que l'on retrouve dans "Van Gogh" (1991) (ainsi que la chanson anti-guerre "La Butte rouge"). Mais on pense aussi à un autre film de Jean RENOIR, "La Règle du jeu" (1939) lorsque les deux pères de substitution d'Hervé, un marquis et son garde-chasse se retrouvent pour aller traquer le braconnier dans les fameux bois du titre. Albert Picard (Pierre DORIS), le garde-chasse et sa femme Maman Jeanne (Jacqueline DUFRANNE qui joue également la mère de "Loulou") (1980), la famille d'accueil de Hervé, Michel et Albert sont rayonnants de bonté et d'amour tandis que Maurice Pialat met une certaine part de lui-même dans le rôle du marquis (Fernand GRAVEY), un homme solitaire et réprouvé qui voit en Hervé, enfant délaissé qui fuit la ferme des Picard à chaque visite des mères de ses camarades un alter ego.

Mais Maurice Pialat n'oublie jamais d'inscrire ces histoires individuelles dans la grande histoire, celle-ci venant régulièrement s'inviter à la table des Picard, donnant souvent le ton des débuts et encore plus des fins d'épisode. Par exemple la musique jouée in extenso occupe une grande place dans la série, toujours liée à la guerre. La belle chanson du générique (début et fin) est "Trois beaux oiseaux de paradis" composé par Maurice Ravel en 1914-1915 en hommage aux français tués. L'un des épisodes se termine sur l'hymne national allemand joué lors d'une veillée funèbre en l'honneur d'un pilote abattu dans son avion. Un autre commence avec l'armistice et sa fanfare claironnante qui n'oublie pas pour autant la sonnerie aux morts. Quant à la redoutée fin du cinquième épisode, elle se fait significativement dans le silence avec un simple fond d'écran pour générique.

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