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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Je ne suis pas votre nègre (I am not your negro)

Publié le par Rosalie210

Raoul Peck (2017)

Je ne suis pas votre nègre (I am not your negro)

"Je ne suis pas votre nègre" est un film fort et d'une implacable lucidité sur les racines du racisme américain. Le réalisateur, Raoul PECK a eu l'idée d'exhumer un manuscrit inachevé de l'écrivain afro-américain James Baldwin écrit en 1979 et d'en faire la colonne vertébrale du film. Cet écrit incisif, lu par Samuel L. JACKSON en VO et par JOEY STARR en VF a pour but d'ouvrir les yeux de l'Amérique sur elle-même, sur ce qu'elle est vraiment. Sa portée dépasse en effet la seule question du racisme qui est montré pour ce qu'il est, le symptôme d'une civilisation malade de ses origines et qui plutôt que de changer son pacte fondateur préfère continue à détourner les yeux et à vivre dans le déni, pour le malheur de tous. Si le combat pour les droits civiques dont James Baldwin a été le témoin est longuement évoqué au travers notamment de l'assassinat de trois de ses figures emblématiques dont il était proche, Medgar Evers (membre du NAACP, la national association for the advancement of the colored people), Malcom X et Martin Luther King, le film sonde en profondeur l'imaginaire de l'Amérique à travers sa culture dominante. En ressort une continuité glaçante autant qu'éclairante sur son racisme systémique et la manière dont l'Amérique se représente elle-même. Etonnement, "Naissance d'une nation" (1915) n'est pas évoqué alors que ses thèmes eux le sont. La diabolisation des noirs et métis comme justification des massacres commis par les "preux" chevaliers du KKK n'est que l'avatar de la conquête de l'ouest par les héros WASP sur les sauvages indiens (la figure de John WAYNE est évoquée à plusieurs reprises, sans nuances d'ailleurs) et l'idée d'une remigration était même évoquée dans une première version du film de D.W. GRIFFITH ("l'Amérique ne sait pas quoi faire de sa population noire" dit James Baldwin sous-entendu, depuis que le système esclavagiste n'a plus de raison d'être). Par contre, ce qui est longuement souligné dans le film, c'est l'invisibilisation de la communauté noire et de son histoire. L'imaginaire dominant est fondé sur un mensonge, celui d'une Amérique pure, innocente qui doit se refléter dans la blancheur et la blondeur de ses ressortissants. Si le choix de Gary COOPER dans le film "Ariane" (1957) ne me paraît pas très heureux (Billy WILDER était très critique vis à vis de la société américaine, mieux aurait valu un western avec Gary Cooper), celui de Doris DAY est absolument parfait, l'équivalent cinématographique des publicités pour l'American way of life peuplé de familles aryennes dignes de la propagande nazie pour la pureté raciale. Le prix à payer pour un tel déni est lourd, celui d'une société dévitalisée dont la névrose se manifeste dans l'accumulation de biens matériels. Face au présentateur Dick Cavett qui demande à James Baldwin en 1968 sur un ton condescendant pourquoi il n'est pas plus optimiste pour la communauté noire à qui aurait été soi-disant accordé l'égalité des chances, celui-ci lui cloue le bec "je n'ai pas beaucoup d'espoir à vrai dire tant que les gens parleront de cette manière" ainsi qu'à un autre invité de l'émission avec son acuité caractéristique: "Je ne suis pas dans la tête des blancs, je ne me fonde que sur l'état de leurs institutions. J'ignore si les chrétiens blancs haïssent les blancs mais nous avons une église blanche et une église noire. Comme Malcom X l'a dit, la ségrégation américaine est à son paroxysme le dimanche à midi. Cela en dit long d'après moi sur une nation chrétienne". Et pan sur le bec! Et le film de se terminer sur ces propos en forme d'appel à la prise de conscience " Il ne tient qu'au peuple américain et à ses représentants de décider ou non de regarder la vérité en face. (...) Les blancs doivent comprendre dans leur coeur pourquoi la figure du nègre leur était nécessaire. Je ne suis pas un nègre, je suis un homme. Je suis un nègre car vous en avez besoin. (...) Si je ne suis pas un nègre et si vous l'avez inventé, vous devez comprendre pourquoi. L'avenir de ce pays repose sur votre volonté d'y réfléchir."

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La Conférence (Die Wannsee Konferenz)

Publié le par Rosalie210

Matti Geschonneck (2023)

La Conférence (Die Wannsee Konferenz)

"La Conférence" fait référence à la conférence de Wannsee qui réunit en janvier 1942 une quinzaine de dignitaires nazis dans le but de planifier et systématiser le génocide des juifs d'Europe. Celui-ci avait en effet déjà commencé à l'est à la suite de l'invasion de l'URSS le 22 juin 1941. A la date de la conférence, 500 mille juifs avaient déjà péri, essentiellement par balles. Deux téléfilms ont été déjà consacré à cet événement, une production austro-allemande en 1984 sous la direction de Heinz SCHIRK et une autre en 2001 pour la BBC "Conspiration" (2001) avec des acteurs britanniques (dont Kenneth BRANAGH et Colin FIRTH). Mais il s'agit de la première adaptation pour le cinéma. Un huis-clos tourné dans la villa où eut lieu la véritable conférence, en temps quasi-réel (elle dura 1h48 soit la durée totale du film). Aucune fioriture: le film colle le plus possible aux faits, tels qu'on les connaît par le procès-verbal de 15 pages qui fut rédigé à cette occasion par la secrétaire d'Eichmann et distribué en trente exemplaires. Aucune musique ne vient s'immiscer dans le film ni avant, ni pendant, ni après. C'est austère, rigoureux, un peu compliqué à suivre pour le néophyte qui a peu d'éléments auxquels se raccrocher étant donné que la majorité des hommes présents ce jour-là étaient des seconds couteaux dont les noms sont inconnus du grand public. Mais cela n'en illustre que mieux les rouages bureaucratiques de la machine de mort nazie. Ce qui ressort en effet de leurs échanges durant cette conférence, c'est la volonté de rationaliser la haine antisémite et l'assassinat de masse en l'enfermant dans une logique d'efficacité ordonnée, normée, froide, abstraite, administrative, chiffrée. La planification de la Shoah se réduit à une série de problèmes techniques à régler (celui des transports, du mode opératoire etc.), de querelles d'ego à "gérer" (entre celui qui ne veut pas que l'on détricote "ses" lois de Nuremberg, celui qui se soucie des questions de main-d'oeuvre qualifiée à préserver temporairement pour l'économie de guerre, celui qui n'accepte d'accueillir sur son sol les structures d'extermination que si "ses" juifs sont "traités" en priorité etc.) et de questions financières (faire payer aux juifs leur propre anéantissement sur leurs biens confisqués). "La Question humaine" (2007)* est quant à elle presque totalement évacuée des débats, de la même manière que les juifs seront "évacués" vers l'est. Presque, car tout de même à deux ou trois reprises, elle fait brièvement surface dans les préoccupations d'un ou deux de ces dignitaires. Lorsqu'il s'agit de mesurer les ravages psychologiques des fusillades de masse sur les bourreaux ou encore lorsqu'il s'agit de trancher sur le cas des couples mixtes et de leurs enfants, les nazis entrevoient l'aspect autodestructeur de leur entreprise et préfèrent alors botter en touche ou contourner le problème en invisibilisant le meurtre de masse par les chambres à gaz et une main d'oeuvre d'esclaves en sursis pour assurer leur fonctionnement.

* Le film de Nicolas KLOTZ adapté du livre de François Emmanuel établit la parenté évidente entre le vocabulaire déshumanisé des nazis et celui des entreprises capitalistes. J'ai d'ailleurs lu une critique de "La Conférence" qui établit ce même parallèle dans le magazine en ligne "Close-up" sous le titre évocateur de "libéralisation du fascisme" daté du 14 avril 2023 qui compare Heydrich qui présidait la conférence à Steve Jobs, Apple étant remplacé par le génocide. Extrait choisi: "Dans cette salle, on ne parle pas d’humains, mais d’une figure jugée inférieure, de chiffres qu’il faut liquider. On ne tue pas, on évacue, on traite spécialement, on règle un problème d’hygiène raciale… Il n’y a pas d’affect, juste une froideur calculatrice qui permet de se détacher de la moindre morale. Ces hommes sont persuadés de faire la bonne chose, d’être les héros de l’histoire qu’ils souhaitent écrire pour le futur. Victimes de leur propre arrogance, le compte-rendu de cette conférence dont ils sont si fiers servira de preuves lorsque le temps de les condamner pour leurs atrocités sera venu. Dans une gravité et des proportions bien différentes, une entreprise se rapproche de ces raisonnements lorsqu’elle délocalise dans un but purement lucratif. Elle ne se soucie pas des dégâts qu’elle inflige à des régions entières, des vies essorées par des années de travail qu’elle brise du jour au lendemain. Les humains sont des données que l’entreprise peut déplacer d’un continent à l’autre. Tant que les bénéfices sont maintenus, rien d’autre importe. Les dirigeants prennent la décision entre deux réunions, sans le moindre regard sur les conséquences de leurs actes. Après la conférence de Wannsee, Heydrich et ses comparses s’envolent pour régler d’autres questions subalternes. La décision d’éliminer des millions de personnes n’était qu’un point banal dans une journée banale. L’horreur n’a pas besoin de monstres ou de tueurs, elle réside dans cette indifférence malheureusement toujours présente de nos jours. L’indifférence du “eux” et du “nous”, entre “ceux qui dirigent” et “ceux qui doivent être dirigés”, comme si nous n’étions pas tous membres d’un groupe commun : l’Homme." A méditer en ces temps troublés.

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Week-end à Zuydcoote

Publié le par Rosalie210

Henri Verneuil (1964)

Week-end à Zuydcoote

Voilà un film à redécouvrir et à réévaluer. En ayant été catalogué comme un film commercial et comme une commande, on a oublié ce qui pourtant, saute aux yeux et fait si cruellement défaut au "Dunkerque" (2017) de Christopher NOLAN: l'expérience intime. Car de la première à la dernière image, on sent le vécu, celui de l'auteur du livre, Robert MERLE qui a scénarisé son adaptation au cinéma. Pas étonnant que "Week-end à Zuydcoote" soit particulièrement sombre, en décalage avec un cinéma de guerre vantant alors largement l'héroïsme de la Résistance. Rien de tel dans "Week-end à Zuydcoote" qui se situe à hauteur d'hommes ordinaires confrontés à une situation désespérée (la poche de Dunkerque qui se referme comme un piège, les conditions dantesques de l'évacuation). Si la camaraderie et l'amour sont présentés comme des refuges, ils ne tiennent pas bien longtemps face à la sauvagerie de la guerre. La mort du personnage incarné par François PÉRIER parti chercher l'eau pour le café en est un symbole tout comme la destruction du bateau à bord duquel tentait de fuir un couple binational. Par contraste, le personnage de combinard joué par Pierre MONDY qui annonce la collaboration, celui d'enragé qui tire dans le tas à la manière de "Full Metal Jacket" (1987), provoquant l'exécution d'un parachutiste allemand tombé sur la plage ainsi que les détrousseurs de cadavres et les deux violeurs français incarnent l'anomie de la guerre. Le personnage central de Maillat joué remarquablement par Jean-Paul BELMONDO erre ainsi sans succès durant tout le film en plein cauchemar, à la recherche d'une issue introuvable, éprouvant l'absurdité de nombre de situations, l'horreur de nombre d'autres échouant à ramener l'un des deux violeurs à son humanité en essayant de lui parler comme il échoue à fuir en Angleterre. Seul gros bémol du film: le personnage d'écervelée capricieuse (mal) joué par Catherine SPAAK qui semble en décalage total avec le reste du film et dont le comportement hors-sol n'est pas crédible. Elle ne pense qu'à sauver sa maison dont on se demande bien comment elle peut tenir encore debout et ne semble presque jamais éprouver la moindre crainte. Ou alors c'est une manière subliminale de nous dire qu'elle n'est pas humaine ce qui explique qu'elle puisse regarder à la jumelle les avions de combat depuis la fenêtre de sa maison ou se promener tranquillement sur la plage de Dunkerque avec deux valises et une robe rouge vif alors que les avions allemands ne cessent de l'arroser de leurs bombes. Mais il y a mieux que le coup de l'ange pour terminer un film qui se veut réaliste.

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Dunkerque (Dunkirk)

Publié le par Rosalie210

Christopher Nolan (2017)

Dunkerque (Dunkirk)

Immersif et abstrait, le "Dunkerque" de Christopher NOLAN m'a fait penser à "Inception" (2009) avec son montage alterné sur trois temporalités différentes. Une évacuation sur la jetée qui dure une semaine, un bateau de plaisance qui se porte au secours des naufragés sur une journée et un pilote d'avion qui tente de couvrir les opérations sur une heure. Le résultat qui fait penser à un jeu vidéo est cependant brouillon et répétitif. Le scénario est rachitique et les personnages interchangeables, une impression renforcée par le minimalisme des images: ciel, plage, mer presque vides où apparaissent parfois quelques points ou lignes de points. Ennemi invisible, allié français presque inexistant, plage immaculée et ville de Dunkerque anachronique et intacte déréalisent et décontextualisent complètement la guerre. C'est d'ailleurs le but affiché par Christopher NOLAN qui a préféré faire un film de survie. Mieux vaut en effet ne pas être claustrophobe tant les scènes où les soldats sont pris au piège d'une carcasse de bateau ou d'avion qui coule sont nombreuses. On a bien du mal à croire que 300 mille des 400 mille soldats britanniques ont pu être sauvés dans ces conditions tant Christopher Nolan insiste sur les torpillages de bateaux, les mitraillages sur la plage et la sensation d'oppression qui en résulte, renforcée par la musique lancinante de Hans ZIMMER. C'est à peu près la seule sensation qui émerge de ce film qui paradoxalement s'avère étouffant en filmant pourtant des espaces épurés et infinis.

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Un Pont Trop Loin (A Bridge Too Far)

Publié le par Rosalie210

Richard Attenborough (1977)

Un Pont Trop Loin (A Bridge Too Far)

"Un pont trop loin" est le miroir inversé de "Le Jour le plus long" (1962). Les deux films sont l'adaptation d'un livre du même auteur, le journaliste Cornelius Ryan racontant chronologiquement une opération de grande envergure menée par les alliés en 1944. Mais là où "Le Jour le plus long" chronique un moment glorieux de la guerre, l'opération Overlord c'est à dire le débarquement anglo-américain en Normandie du 6 juin 1944, "Un pont trop loin" raconte l'opération aéroportée "Market Garden" de septembre 1944 qui se solda par un fiasco et de terribles pertes humaines. Le plan était celui du général britannique Montgomery: parachuter des dizaines de milliers d'hommes aux Pays-Bas, derrière les lignes ennemies pour qu'ils sécurisent les ponts permettant d'acheminer les blindés jusqu'au Rhin et permettent ainsi aux alliés d'entrer plus vite en Allemagne. L'opération fut avalisée par Eisenhower parce qu'elle permettait en cas de réussite d'écourter la guerre alors que les problèmes logistiques des alliés se faisaient de plus en plus aigus. Sauf qu'elle reposait sur une erreur d'appréciation fondamentale: celle des capacités de résistance de l'armée allemande, certes en repli mais pas encore en déroute. De plus, l'aspect démesuré de l'opération ne laisse guère de doutes sur l'hubris de son concepteur et sa volonté de tirer la couverture à lui pour laisser sa trace dans l'histoire au détriment des autres généraux (Patton par exemple qui était en désaccord avec lui). A propos d'hubris, on peut également évoquer le match des producteurs, celui de "Un pont trop loin", Joseph E. LEVINE désirant faire au moins aussi bien que Darryl F. ZANUCK qui avait produit son "concurrent", "Le Jour le plus long".

Richard ATTENBOROUGH, le réalisateur britannique de "Un pont trop loin" a signé par la suite d'autres superproductions mais à caractère biographique telles que "Gandhi" (1982) et "Chaplin" (1992). Outre l'aspect spectaculaire de la reconstitution et un casting de stars long comme le bras (mais qui a pour inconvénient de réduire la part de chacun à la portion congrue, certains s'en sortant mieux que d'autres), le film a une qualité que je n'ai vu soulignée nulle part mais qui m'a frappée: sa capacité à donner un caractère humaniste aux morceaux de bravoure, à ne pas perdre de vue l'intime au coeur de son récit de guerre. C'est la scène dans laquelle le sergent Dohun (James CAAN) brave le danger pour sauver son capitaine gravement blessé qu'il a juré de protéger au début du film; celle dans laquelle Robert REDFORD récite le "je vous salue Marie" alors qu'il est canardé avec ses hommes pendant la traversée d'un fleuve. Ou encore toutes celles qui dépeignent la guerre de position désespérée menée au nord du pont d'Arnhem par le lieutenant-colonel Frost et ses hommes trop peu nombreux qui investissent une maison dont on voit les étapes de la destruction ainsi que celle de leurs propriétaires. Anthony HOPKINS, acteur fétiche de Richard ATTENBOROUGH (il jouera ensuite pour lui dans "Magic" (1978) et "Les Ombres du coeur") (1993) y est déjà intense et bouleversant dans les derniers moments, éclipsant le reste du prestigieux casting à l'exception de Sean CONNERY, lui aussi remarquable.

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Mademoiselle Ogin (Ogin-sama)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1962)

Mademoiselle Ogin (Ogin-sama)

"Mademoiselle Ogin" est le dernier des six films de Kinuyo TANAKA et c'est mon préféré. Le fait qu'il fasse penser à "Les Amants crucifiés" (1954) doit jouer car c'est un film que j'aime profondément. Comme chez Kenji MIZOGUCHI, une scène prémonitoire montre les préparatifs de la crucifixion de celle ou de ceux qui bravent le patriarcat (droit du seigneur, mariage arrangé etc.) pour vivre un amour interdit. C'est également le seul film de Kinuyo TANAKA qui appartienne au genre du Jidai-geki qui désigne les films historiques situés à l'époque féodale, plus précisément ici au XVI° siècle. Son seul autre film en couleur, "La Princesse errante" (1960) était également un film historique mais appartenant au Gendai-geki c'est à dire se situant à l'époque contemporaine (les années 1930 et 1940). "Mademoiselle Ogin" est une splendeur visuelle, les plans sont composés comme des tableaux avec un souci impressionnant du détail, les costumes sont flamboyants et cet écrin magnifique est au service d'une histoire simple et forte, tirée de faits réels. La fille d'un célèbre maître de thé tombe amoureuse d'un samouraï chrétien alors que cette religion importée d'Occident par des missionnaires est interdite, préfigurant la fermeture quasi-totale du Japon aux échanges extérieurs durant près de trois siècles sous les shogun Tokugawa. Mais Ukon qui a épousé un idéal de dévotion et de chasteté repousse Ogin et l'incite même à se marier avec un commerçant adoubé par sa famille. Seulement, Ogin reste fidèle à Ukon (qui une fois "déradicalisé" accepte son amour pour elle) et rejette son mari puis le puissant et odieux Seigneur Hideyoshi qui fait exécuter tous ceux qui lui résistent. Son goût pour l'étalage ostentatoire de sa richesse (il fait décorer son salon de thé entièrement en or) n'est pas sans rappeler un certain Donald Trump! Face à lui comme face aux autres hommes, Ogin reste d'une droiture inébranlable.

"Mademoiselle Ogin" est donc la consécration ultime de la grande cinéaste qu'était Kinuyo TANAKA qui grâce à un studio indépendant (fondé par des femmes) a pu obtenir le budget conséquent pour réaliser un film d'ordinaire réservé aux cinéastes les plus aguerris avec autant de maîtrise qu'eux et un regard féminin en prime.

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La Princesse errante (Ruten no ōhi)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1960)

La Princesse errante (Ruten no ōhi)

Première superproduction de Kinuyo TANAKApour un grand studio, la Daiei en couleur et en scope, "La Princesse errante" est aussi un de ses plus beaux films. Cependant si sa splendeur esthétique fait l'unanimité (décors, costumes, photographie), les critiques français ont été moins séduits par la façon dont Kinuyo Tanaka a abordé le genre de la fresque historique, lui reprochant un manque de souffle épique et de lisibilité des enjeux. En ce qui concerne ces derniers, je ne suis pas sûre que"Ben-Hur" (1959) ou "Le Docteur Jivago" (1965) soient plus faciles à comprendre pour une personne non-occidentale. Et quant au souffle épique, je ne pense pas que ce soit son propos. Davantage que le champ, Kinuyo Tanaka s'intéresse au contrechamp, celui des "femmes de" dans un style rappelant les mélodrames flamboyants de Douglas SIRK. Elle s'intéresse particulièrement au destin de la belle-soeur de l'Empereur du Mandchoukouo, cet Etat satellite du Japon créé en 1932 à la suite de l'invasion de la Mandchourie par l'armée japonaise et dissout en août 1945 peu avant la capitulation du Japon. Ryuko (Machiko KYÔ, star de la Daiei Studios) qui est issue de l'aristocratie accepte le mariage arrangé avec le frère de l'Empereur (qui est chinois) et l'exil alors qu'elle souhaitait devenir peintre: c'est le premier de ses nombreux renoncements. Son destin la confronte en effet à la solitude (si son mari l'aime, l'Empereur et l'armée se méfient d'elle) et à une succession d'épreuves lorsque la Mandchourie est libérée par l'URSS en 1945: déportation, emprisonnement, mort de plusieurs de ses proches, perte de ses biens les plus précieux. Et lorsqu'enfin Ryuko semble retrouver une vie plus sereine, elle est frappée par un drame plus terrible que tous les autres démontrant qu'elle ne pourra jamais s'ancrer quelque part. Tout au plus pourra-t-elle faire fleurir les graines que l'impératrice du Japon lui aura donné: on remarque en effet que le premier et le dernier plan se répondent. Le premier plan est un travelling vertical allant du haut vers le bas sur des branches chargées de feuilles mortes annonçant un très long hiver, le dernier un travelling vertical du bas vers le haut sur des branches en fleur annonçant le retour du printemps.

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Oussekine

Publié le par Rosalie210

Antoine Chevrollier (2022)

Oussekine

C'est en lisant des articles sur "Nos frangins" (2022) de Rachid BOUCHAREB que j'ai découvert l'existence de cette remarquable mini-série sortie quelques mois auparavant sur la plateforme Disney +. Même si je ne suis pas une amatrice de séries, j'ai entendu les échos flatteurs autour de "Baron Noir" (2016) et de "Le Bureau des légendes (2015), les deux séries co-réalisées par Antoine CHEVROLLIER qui avec le concours d'un quatuor de scénaristes sensibles aux problèmes des discriminations et du multiculturalisme (Faïza Guène, Cédric IDO, Lina Soualem et Thomas LILTI, le réalisateur de "Hippocrate") (2014) réussit une fresque à la fois intime et politique qui donne au drame de Malik Oussekine sa véritable dimension: celui d'un crime d'Etat. Si toute la complexité du contexte social de l'époque n'est peut-être pas aussi bien retracée que dans le film de Rachid Bouchareb, la mini-série frappe fort sur plusieurs points cruciaux et provoque une onde de choc émotionnelle que le film de Bouchareb aussi réussi soit-il n'a pas. La trajectoire tragique de Malik la nuit du 5 au 6 décembre 1986 est en effet mise en relation avec l'histoire de sa famille, soit trois décennies d'histoire de l'immigration algérienne en France. S'ensuit un système d'échos qui fonctionne à merveille. A commencer par la reconstitution du massacre de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 qui fit 200 morts à Paris. Un évènement de la guerre d'Algérie en métropole longtemps occulté qui n'a fait l'objet d'une reconnaissance officielle qu'en 2021 et auquel échappent les parents de Malik en se cachant avec leurs enfants. Impossible de ne pas faire le rapprochement entre le préfet de police de Paris sous De Gaulle, Maurice Papon et vingt ans plus tard le tandem Pasqua-Pandraud, ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur à la Sécurité du gouvernement Chirac durant la cohabitation avec Mitterrand de 1986 à 1988. Là où s'appuyant sur les images d'archives, Rachid Bouchareb incrimine dans son film le ministre de l'intérieur Charles Pasqua, Antoine CHEVROLLIER préfère donner toute la place à son homme de l'ombre excellemment joué par l'un des spécialistes de "L Exercice de l État" (2010), Olivier GOURMET. J'ai fait l'expérience après avoir vu la série de lire un portrait fasciné de Robert Pandraud du Monde daté de mars 1987 (trois mois donc après la mort de Malik Oussekine) par un thuriféraire épaté par sa "prudence", "au point que "personne dit-on ne l'a vu laisser de trace écrite derrière lui". Manque de bol, dans les années 80, l'écrit n'est plus le seul moyen de "laisser des traces" et Pandraud restera dans l'histoire (et dans la série) pour cette phrase prononcée à propos de Malik Oussekine "si j'avais un fils sous dialyse, j'éviterais de le laisser sortir faire le con la nuit". Re-manque de bol: il y a des témoins oculaires des faits et Malik Oussekine est un modèle d'intégration réussie qui cerise sur le gâteau était sur le point de se convertir au catholicisme et voulait devenir prêtre. Impossible donc d'étouffer l'affaire contrairement à celle de Abdel Benyahia tué la même nuit par un policier ivre (évoquée au détour d'une phrase dans la série alors qu'elle est traitée en parallèle de Malik Oussekine dans le film). Reste la diffamation, ce dont l'extrême-droite se charge très bien. La série insiste beaucoup plus que le film sur le climat de haine raciste porté par un Front national en pleine progression dont la famille Oussekine est victime: insultes, agressions (verbales, matérielles, physiques), harcèlement et un numéro complet du journal "Minute" dont le contenu obscène nous fait penser à celui, beaucoup plus récent sur Christiane Taubira. De même que les méthodes peu scrupuleuses de certains journalistes pour tenter de discréditer les victimes de violences policières prises en flagrant délit (je pense au producteur noir Michel Zecler, insulté et roué de coups de matraque par quatre policiers dans son studio de musique en 2020 qui estime devoir la vie aux caméras de surveillance qui ont également prouvé aussi qu'il était bien la victime et non l'agresseur). C'est tout le mérite de la série comme du film de montrer que les "dérapages" des policiers ne sont pas des errements individuels mais des violences systémiques avec une chaîne de responsabilités qui remonte jusqu'au plus haut niveau. Et aucun bord politique n'est épargné dans la série: ni François Mitterrand qui médiatise sa visite à la famille pour faire de la récupération politique, ni SOS Racisme qui tente d'en faire de même avec Sarah Oussekine que l'on voit arracher le badge "Touche pas à mon pote" qu'on lui a collé sur le blouson, ni la justice censée être impartiale mais qui accorde un traitement de faveur aux policiers et rend un verdict plutôt clément au vu de la gravité des faits.

Malgré cette richesse du traitement politique de l'affaire, la série est avant tout centrée sur l'humain, c'est à dire les portraits des différents membres de la famille Oussekine (le père Miloud mort en 1978, la mère Aïcha et les enfants, ces derniers ayant collaboré avec l'équipe de la série et apparaissant à la fin). Comme dans le film, les personnalités de Mohamed et de Sarah émergent aux côtés de leurs autres frères et soeurs (ils étaient sept au total, ramenés à 5 dans la série et 3 dans le film). Cependant la profondeur historique permise par la série donne un relief particulièrement douloureux à leur parcours d'enfants d'immigrés nés et élevés en France, devenus plus français que les français (la réussite entrepreneuriale de Mohamed, le ménage de Sarah avec un policier) et qui face au meurtre de leur frère voient cette construction identitaire se dissoudre. La tentative avortée de leur père de retour au pays à la fin des années 70 les avaient déjà confrontés à une désillusion semblable, le pays ayant beaucoup changé depuis l'indépendance et les immigrés n'y ayant plus leur place. Trop francisés pour l'Algérie, trop racisés pour les français, les voilà obligés de se réinventer dans l'inconnu. La scène où Sarah s'émancipe en coupant ses cheveux sur le titre de William Sheller "J'me gênerais pas pour dire que je t'aime encore" est particulièrement forte.

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Nos frangins

Publié le par Rosalie210

Rachid Bouchareb (2022)

Nos frangins

Rachid BOUCHAREB est le cinéaste qui à travers des films comme "Indigènes" (2006) et "Hors-la-loi" (2010) a mis en lumière la part d'ombre de l'histoire contemporaine de la France au travers d'une mémoire immigrée largement occultée dans le récit national. Non sans bousculer les consciences, voire créer parfois la polémique. "Nos frangins" n'y échappe pas. Les frères de Abdel Benyahia, tué par un policier la même nuit que Malik Oussekine en marge des manifestations contre la loi Devaquet n'ont pas apprécié la manière dont le cinéaste a dépeint leur père (Samir GUESMI) en garagiste immigré muet et résigné. Cette maladresse est effectivement regrettable mais Rachid Bouchareb a le mérite de sortir de l'oubli cette affaire étouffée à l'époque par les autorités, soucieuses de couvrir la police éclaboussée par la mort de Malik Oussekine. Comme le dit très bien l'employé africain de la morgue chargé des deux corps "toi tu as un nom, toi tu n'en a pas". Se situant dans les quelques jours qui ont suivi les faits, le cinéaste mêle habilement images d'archives et reconstitution de fiction pour retracer une époque de contestation explosive de la jeunesse contre un pouvoir remettant en cause l'accès pour tous les bacheliers à l'université et jouant la surenchère sécuritaire dans un contexte de racisme endémique vis à vis des enfants d'immigrés*. Le parallèle avec les violences policières contre les Gilets Jaunes est souligné mais pas les attaques actuelles (trop récentes) contre l'éducation des plus fragiles (à travers le projet de réforme des lycées professionnels par exemple). A travers les portraits des membres des familles des deux victimes et en contrepoint, l'enquête d'un inspecteur (Raphaël PERSONNAZ) prié de la boucler par ses supérieurs manipulateurs, Rachid Bouchareb dénonce le racisme des institutions françaises (police, justice), l'omerta au nom de la raison d'Etat (visible jusque dans la plaque commémorative de Malik Oussekine ne mentionnant pas les responsables de sa mort et encore moins leur fonction) et les limites de l'intégration. Ainsi le grand frère de Malik (joué de façon remarquable par Reda KATEB) qui s'est embourgeoisé tout comme la soeur (jouée par Lyna KHOUDRI) découvre que Malik était sur le point de se convertir au catholicisme et d'embrasser la vocation de prêtre ce qui le trouble profondément. Certes, le film de Rachid Bouchareb manque de profondeur et d'émotion mais sa piqûre de rappel est salutaire.

* C'est l'époque de la cohabitation Mitterrand/Chirac et son ministre de l'intérieur ultradroitier Charles Pasqua, celle de la montée en puissance du Front National mais aussi des actions militantes de SOS Racisme créée en 1985, deux ans après "la marche des beurs" qui a médiatisé en France les crimes racistes dont les maghrébins immigrés et leurs enfants étaient régulièrement victimes en France dans les années 70 et 80 ("Dupont Lajoie" (1974) de Yves BOISSET, autre réalisateur engagé en est le parfait exemple).

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Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

Publié le par Rosalie210

Michael Powell, Emeric Pressburger (1942)

Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

"Colonel Blimp" est un film quelque peu déroutant de par sa narration non-linéaire (la fin revient au début en l'éclairant sous un jour nouveau ce qui donne au film une structure cyclique), ses brusques changements de ton et certains choix de mise en scène comme le fait de faire jouer à Deborah KERR trois rôles à travers 40 années d'histoire ce qui fait qu'elle semble être une présence presque surnaturelle (dans sa troisième incarnation, elle s'appelle d'ailleurs Angela) aux côtés de Clive et de Théo dont le vieillissement est au contraire spectaculaire (physiquement chez le premier, psychiquement chez le second). Réalisé durant la seconde guerre mondiale, "Colonel Blimp" raconte l'histoire de l'amitié entre deux officiers, l'un britannique et l'autre allemand entre 1902 et 1942. Une amitié qui reste indéfectible en dépit des trois guerres traversées dans des camps ennemis (celle des Boers et les deux guerres mondiales). Celles-ci sont d'ailleurs judicieusement laissées hors-champ. Ce ne sont pas elles en effet qui constituent le sujet du film mais plutôt la façon dont elles affectent les deux personnages. Michael POWELL et Emeric PRESSBURGER prennent le contrepied des attentes du spectateur et osent le mélange des genres. L'anglais, Clive Candy est inspiré d'un personnage de bande dessinée imaginé et dessiné par le caricaturiste David Low, le colonel Blimp (d'où le titre du film), un vieux réac xénophobe certes adouci dans le film mais qui reste arc-bouté sur des principes du XIX° dépassés (code d'honneur etc.) et aveugle sur l'évolution de la guerre au XX° siècle (qui n'a plus rien à voir avec une affaire de gentleman comme on essaye de le lui faire comprendre). A l'inverse, Théo est un officier allemand certes patriote (il encaisse mal la défaite de 1918) mais résolument anti-nazi qui s'enfuit en Angleterre et livre à son ami une confession poignante sur l'embrigadement de ses enfants par un régime dont il dénonce toute l'horreur. Le personnage ne fait alors plus qu'un avec l'acteur qui était juif et avait dû fuir l'Allemagne (comme Emeric Pressburger) et cela se ressent dans son interprétation pleine de mélancolie résignée. Pas étonnant qu'un film d'une telle lucidité, soulignant les errements de certains britanniques (on pense évidemment à Chamberlain) et au contraire refusant l'amalgame entre allemand et nazi n'ait pas plu à Churchill qui a tenté de le faire interdire et lui a mis un certain nombre de bâtons dans les roues. Ce n'était pas un film qui pouvait faire l'objet d'une récupération politique dans la guerre de propagande que se livraient les puissances mais une oeuvre humaniste faisant fi de toutes les barrières, une oeuvre totalement libre en somme.

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