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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Le procès Goldman

Publié le par Rosalie210

Cédric Kahn (2023)

Le procès Goldman

Le dernier film de Cedric KAHN est d'une puissance peu commune. La bande-annonce le laissait deviner. Le film le confirme. Presque entièrement réalisé dans le huis-clos d'un tribunal aux dimensions d'une scène de théâtre, il ne met pas seulement aux prises un homme brûlant (le mot est faible) d'en découdre avec la justice, la police et la société française mais il montre les fractures résidant au sein de cette même société d'une manière saisissante, nous renvoyant en miroir notre situation actuelle. Le public dans la salle ne s'y est pas trompé, interagissant avec celui du film comme s'il était dans la salle et comme si le procès avait lieu ici et maintenant, notamment lorsque les témoins soi-disant sûrs d'eux se trahissent sous l'effet de la peur ou de la colère.

Au coeur du procès, un homme donc, Pierre Goldman dont je ne savais rien avant de voir le film (même pas qu'il était le demi-frère de Jean-Jacques, incarné par un jeune acteur anonyme assis avec ses parents dans la salle), interprété avec une force de conviction impressionnante par Arieh WORTHALTER. C'est bien simple, chaque mot, chaque phrase sortie de sa bouche semble provenir du plus profond de son être, animé de puissantes émotions. Charismatique et d'une grande complexité, le personnage ne peut que fasciner. Difficile voire impossible de démêler le vrai du faux dans ses propos, d'ailleurs la justice n'y parviendra pas et Cedric KAHN se garde bien de prendre parti. L'intérêt du film est ailleurs: dans les déchirures de la société française que sa présence provoque comme je l'ai déjà évoqué avec une ambiance électrique dans le prétoire, dans le travail de mémoire que son histoire oblige à effectuer, dans ses relations tourmentées avec son principal avocat de la défense enfin. Pierre Goldman est d'abord le fruit d'un passé trop lourd à porter: enfant de polonais communistes juifs et résistants réfugiés en France, il n'a jamais trouvé sa place en son sein ni ailleurs et a erré entre désir de suivre la glorieuse trace de ses parents en tant que militant d'extrême-gauche et pulsions suicidaires liées à son incapacité à s'accomplir. Cet "enfant terrible" sans attaches, sinon celles créées avec d'autres "damnés de la terre" latinos et antillais n'est jamais parvenu à devenir adulte. Cela est particulièrement frappant dans son comportement d'écorché vif, régulièrement recadré en coulisses par son avocat, maître Kiejman (Arthur HARARI) qui est son "double inversé". Double car issu de la même histoire, inversé car aussi retenu, calme et posé que Goldman est provocateur et emporté. Les relations entre les deux hommes sont d'ailleurs tendues, Goldman ayant qualifié Kiejman de "juif de salon" et ayant voulu le dessaisir de l'affaire. Pourtant la défense de Kiejman et le film tout entier mettent en lumière l'absence de preuves matérielles et la fragilité de témoignages souvent effarants. Le comportement de la police visant par exemple à intimider les témoins à décharge ou au contraire à orienter ceux à charge est interrogé. Un passage ressemble trait pour trait au documentaire "Un coupable ideal" (2003) sur l'affaire Brenton Butler accusé à tort de meurtre: celle où témoins et jurés croient reconnaître Goldman sur photo alors qu'il ne s'agit pas de lui. Mais avec "sa gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec", il fait figure d'épouvantail et quelques mots malheureux lâchés ici et là par les policiers et les témoins, "mûlatre", "crouille" suffisent à nous renseigner sur les origines historiques du délit de faciès.

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Ridicule

Publié le par Rosalie210

Patrice Leconte (1996)

Ridicule

"Ridicule" est avant d'avoir été un film un bijou d'écriture qui n'est pas sans faire penser aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Le scénariste Remi WATERHOUSE aurait d'ailleurs voulu le réaliser mais pour que le film puisse voir le jour, c'est Patrice LECONTE qui s'en est chargé sans changer une seule virgule au texte d'origine. "Ridicule" et "Les Liaisons dangereuses" qui se situent à la fin du XVIII° siècle dans les milieux privilégiés utilisent en effet le langage comme une arme pour séduire, tromper, humilier et même tuer. Dans "Ridicule", les traits d'esprit ouvrent les portes autant sinon plus que la courtisanerie ou l'argent. Mais le moindre faux pas s'y avère fatal et tôt ou tard, chacun y succombe. Dans les deux oeuvres, les libertins manipulateurs finissent pris à leur propre piège et le visage défait de la comtesse de Blayac (Fanny ARDANT) dans la scène finale n'est pas sans rappeler celui de la marquise de Merteuil jouée par Glenn CLOSE en train d'ôter son maquillage en versant des larmes de rage. Son pendant masculin, l'abbé de Villecourt (exceptionnel Bernard GIRAUDEAU, scandaleusement sous-employé dans le cinéma français) subit également le sort d'une humiliation publique et son désarroi presque enfantin le rend autrement plus sympathique que le vicomte de Valmont (qui on se le rappelle y laisse la vie). Cependant, "Ridicule" à la différence des liaisons dangereuses offre un prisme plus large que celui du panier de crabes des salons de Versailles ou des hôtels particuliers de la noblesse. Les candides s'y font initier mais pas dévorer. Car "Ridicule" colle à la réalité historique d'une époque contrastée où pendant que le monde ancien décadent et vain agonisait à l'image du baron de Guéret, un monde nouveau surgissait, en prise avec le réel, nourri de l'esprit des Lumières. Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles BERLING) est un noble provincial éclairé et proche de ses paysans dont il veut améliorer les conditions de vie, plombées par l'insalubrité de leur milieu naturel. Son ami, Bellegarde (Jean ROCHEFORT) est physiologiste et a élevé sa fille dans des principes rousseauistes, laquelle fille (Judith GODRECHE) a la stature d'une Marie Curie avant l'heure (allusion au fait que dans "Les Palmes de M. Schutz" (1996) mais aussi dans le plus récent "Marie Curie" (2016), Charles BERLING joue son mari, Pierre Curie). Enfin, une courte apparition de l'abbé de l'Epée (Jacques MATHOU) qui a favorisé la diffusion de la langue des signes dans son institution pour les sourds ou d'un Indien décoré par le roi Louis XVI trace des perspectives encore plus larges que celles de la question sociale en incluant les femmes, les handicapés ou les coloniaux.

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Eté violent (Estate violenta)

Publié le par Rosalie210

Valerio Zurlini (1959)

Eté violent (Estate violenta)

Un très beau film, beaucoup plus beau que ce à quoi je m'attendais. "Eté violent" est le deuxième film de Valerio ZURLINI et se divise assez nettement en deux parties. Dans la première, on assiste à la "La Dolce vita / La Douceur de vivre" (1960) d'une jeunesse dorée et oisive en pleine seconde guerre mondiale. Celle-ci s'invite cependant lorsqu'elle interrompt brutalement les distractions des uns et des autres au gré des alertes aériennes et des bombardements de 1943. C'est justement lorsqu'un avion de chasse allemand survole en rase-motte la plage de Riccione au bord de l'Adriatique où cette jeunesse farniente qu'une petite fille terrorisée tombe dans les bras de Carlo (Jean-Louis TRINTIGNANT dans son premier rôle transalpin), fils d'un dignitaire fasciste et qui grâce à l'appui de son père a échappé à l'enrôlement. Roberta la mère, beauté mélancolique d'une trentaine d'années (Eleonora ROSSI DRAGO) intervient aussitôt et c'est le coup de foudre entre elle et Carlo. Dans un premier temps, le film s'attarde sur les obstacles à leur idylle, tant du côté de Carlo avec la jalousie d'une de ses amies que du côté de Roberta qui est veuve de guerre mais vit avec sa mère psychorigide qui souhaite qu'elle reste fidèle au souvenir de son mari décédé (choisi par son père et qu'elle n'aimait pas). Obstacles qui ne font qu'attiser un désir dont la croissance est parfaitement orchestrée par la mise en scène jouant sur les gestes et les regards avec notamment une soirée en clair-obscur mémorable sur une chanson "Temptation" on ne peut plus appropriée. Puis le film bascule dans une dimension beaucoup plus intimiste et dramatique dans laquelle Roberta assume son désir, s'émancipe du jugement des autres (comme le montre la scène sur la plage où elle refuse de se cacher) et s'affirme par rapport à sa famille qui l'a toujours dirigée. De son côté, Carlo est expulsé de sa cage dorée suite au renversement de Mussolini et se fait rattraper par l'armée en voulant rester près de Roberta. Celle-ci s'avère en effet impuissante à le protéger comme le faisait son père, la scène très forte de bombardement final à la gare où l'on tremble pour leur vie en témoigne. La relation avec cette femme plus âgée que lui dans un contexte historique troublé permet donc paradoxalement à Carlo de sortir de son cocon et de devenir adulte. Valerio ZURLINI entremêle de façon remarquable grande et petite histoire, chacune se nourrissant de l'autre. Toute l'ironie résidant dans le fait que si c'est la grande histoire qui les pousse l'un vers l'autre et leur permet de cesser de subir leur destin, c'est elle aussi qui les sépare définitivement.

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La Ciociara

Publié le par Rosalie210

Vittorio De Sica (1960)

La Ciociara

"La Ciociara" est un film puissant qui hante longtemps après l'avoir vu. Vittorio DE SICA a réussi à combiner dans un même film l'adaptation d'un roman (celui de Moravia au titre éponyme), un terreau néoréaliste d'où il est issu et qui nourrit sa chronique paysanne et des influences américaines mélodramatiques portées par Sophia LOREN qui avait passé plusieurs années à Hollywood mais qui renoue avec ses origines italiennes. Si dans "La Ciociara" elle magnétise l'écran et laisse peu de place aux autres personnages, son interprétation bouleverse et renforce la puissance globale du film. C'est avec "Une journee particuliere" (1977) son interprétation la plus forte, comparable à celle de Romy SCHNEIDER dans "Le Vieux fusil" (1975). Mais le propos de "La Ciociara" est plus complexe et plus subtil tant au niveau de l'histoire individuelle qu'à l'échelle collective. Sophia LOREN interprète le rôle de Cesira, une jeune veuve de caractère vivant à Rome qui décide de retourner dans son village natal pour mettre sa fille Rosetta à l'abri des horreurs de la guerre. Or le titre à lui seul souligne que la campagne offre une sécurité illusoire: la Ciociara désigne une région rurale d'Italie qui a été le théâtre de crimes de guerre en 1944 de la part des soldats, notamment marocains, du corps expéditionnaire français en Italie commandés par le général Juin qui remontaient vers Rome à la suite de la bataille du Mont-Cassino. C'est donc vers l'horreur que s'acheminent les deux femmes. Les signaux de danger ne manquent pas (l'attaque de l'avion, le comportement lubrique des miliciens). Néanmoins la vie en communauté apporte une sécurité précaire. Aussi l'erreur la plus tragique de Cesira est de se séparer du groupe pour rentrer à Rome alors que la guerre n'est pas terminée et que les alliés considèrent l'Italie comme un territoire conquis. La terrible agression dont elle et Rosetta sont victimes dans l'Eglise outre son caractère symbolique introduit une rupture dans la dernière demi-heure de film qui souligne que le temps de l'insouciance et de l'innocence est révolu. Cesira perd son assurance (à tous les sens du terme) en perdant sa fille qui s'est coupée d'elle et part à la dérive. La relation mère/fille au coeur du film laisse peu de place aux personnages masculins même si Michele (Jean-Paul BELMONDO) dont Rosetta est amoureuse mais qui lui préfère Cesira introduit la première faille dans la relation mère/fille.

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La Chambre des officiers

Publié le par Rosalie210

François Dupeyron (2001)

La Chambre des officiers

"La Chambre des officiers" est un film nécessaire mais inégal. Nécessaire par son sujet, la lente et difficile reconstruction d'une gueule cassée de la première guerre mondiale. Blessé dès les premières heures du conflit, Adrien (Eric CARAVACA) passe les années qui suivent enfermé dans la chambre des officiers de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, d'abord seul, puis en compagnie d'autres officiers mutilés au visage. Un éclat d'obus ayant emporté une partie de sa mâchoire, il doit subir le long calvaire physique et psychologique du survivant qui se demande s'il ne vaut pas mieux mourir que de vivre défiguré à vie. Le film rappelle que la chirurgie réparatrice est née et s'est améliorée avec les gueules cassées mais n'a pu totalement effacer leurs terribles cicatrices. Si Adrien retrouve goût à vie et ses facultés (la parole notamment) grâce au dévouement du personnel médical et à la solidarité nouée avec ses camarades d'infortune, la réinsertion s'avère délicate.

Adaptation d'un roman de Marc Dugain qui voulait rendre hommage à son grand-père, le film est empreint de délicatesse et d'humanité, notamment avec le personnage de l'infirmière joué par Sabine AZEMA. La fin qui montre comment Adrien utilise l'humour pour se faire accepter est bienvenue. Mais le film est également lent, parfois lourd et peu heureux dans ses choix esthétiques (l'emploi répétitif de la musique et pas fan du filtre jaune utilisé par le chef opérateur, Tetsuo NAGATA).

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L'Enfance d'Ivan (Ivanovo detstvo)

Publié le par Rosalie210

Andrei Tarkovski (1961)

L'Enfance d'Ivan (Ivanovo detstvo)

Le premier film de Andrei TARKOVSKI, le plus grand réalisateur de l'époque soviétique avec Sergei EISENSTEIN recèle des images si belles et si expressives que j'avais réussi à le voir jusqu'au bout alors qu'il n'y avait même pas de sous-titres dans la version qui m'avait été prêtée à l'époque. Il prend place aux côtés d'autres grands films évoquant l'enfance brisée par la guerre tels que "Allemagne annee zero" (1947) avant lui ou "Le Tombeau des lucioles" (1988) après lui. L'URSS a été en effet avec l'Allemagne et le Japon l'un des épicentres de la seconde guerre mondiale.

L'image d'ouverture du film est célèbre avec son travelling ascensionnel sur un arbre que Andrei TARKOVSKI reprendra pour clore son dernier film "Le Sacrifice" (1985), dédié à son fils "avec espoir et confiance". Mais dans "L'Enfance d'Ivan", l'arbre s'avère être mort ou le fruit d'un songe, celui d'Ivan qui navigue sans cesse de rêves où il baigne dans une nature idyllique en compagnie de sa mère, d'animaux et d'autres enfants et une réalité cauchemardesque où transformé par son désir de vengeance en enfant-soldat, il part dans une terrible fuite en avant qui se termine en cul-de-sac. A y regarder de plus près, les rêves sont contaminés par le cauchemar: Ivan y est englué dans une toile d'araignée ou enfermé au fond d'un puit. Surtout, il revoit encore et encore l'assassinat de sa mère ce qui est évidemment une manifestation de stress post-traumatique. Les hommes du régiment qui l'ont recueilli ne sont pas en meilleur état. Certains comme le lieutenant sont à peine plus âgés qu'Ivan, d'autres le considèrent comme un fils de substitution, sans toutefois s'engager. Comme Macha, l'aide-soignante qui suscite des émois au sein de la troupe, Ivan est considéré comme déplacé dans cet univers guerrier et les officiers cherchent soit à le protéger, soit à le renvoyer à l'arrière, en vain. Les travellings avant sur les bouleaux à perte de vue laissent entendre combien l'horizon est bouché et l'avenir incertain. La conclusion, particulièrement saisissante car elle survient de manière brutale après 1h20 dans le même espace-temps marque aussi une rupture de style. Après une succession de plans sur le théâtre de guerre d'une terrible beauté car composés comme des tableaux et magnifiquement photographiés (on pense à "Valse avec Bachir" (2007), Ari FOLMAN ayant repris l'idée des fusées éclairantes mais aussi à l'onirisme de "La Nuit du chasseur" (1955), place à des images mêlant archives et fiction sur l'agonie du IIIe Reich dans lequel le monde n'est plus que cendre et où plane le fantôme d'Ivan et de tous les enfants sacrifiés par la guerre.

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Interdit aux chiens et aux italiens

Publié le par Rosalie210

Alain Ughetto (2023)

Interdit aux chiens et aux italiens

"Interdit aux chiens et aux italiens" porte un titre en forme de piqûre de rappel: l'ostracisme n'a pas seulement concerné dans le passé la communauté juive et la France qui s'est construite depuis le XIX° siècle sur l'immigration a aussi une longue tradition de xénophobie dirigée contre les derniers arrivés (italiens à la fin du XIX° surnommés les "macaronis", espagnols républicains à la veille de la seconde guerre mondiale surnommés les "espingouins", maghrébins dès la période des trente Glorieuses et plus généralement africains aujourd'hui). L'animation se prête particulièrement bien aux films de mémoire, c'est à dire le souvenir d'événements historiques par le biais d'un vécu intimiste et subjectif et les exemples sont légion mais le film de Alain Ughetto s'en distingue de façon assez géniale au moins à deux titres:

- D'une part en redonnant vie à ses grands-parents, il peut ainsi interagir avec eux et tout particulièrement avec sa grand-mère qu'il a connu quand il était enfant et qui lui a transmis des bribes de mémoire familiale qu'il peut compléter avec son avatar animé. Et pas seulement par la parole mais aussi par le geste. Dans plusieurs scènes, il n'hésite pas à faire entrer sa main ou son pied dans le champ en prise de vues réelles pour toucher la figurine animée en pâte à modeler de sa grand-mère ou pour enfiler une chaussette que celle-ci a reprisé, rappelant l'une des caractéristiques majeures de l'art qui est d'abolir les espaces infranchissables tracés par le temps. L'hétérogénéité est la marque de fabrique de son film qui mêle donc prises de vue réelles, animation en stop motion, jouets (le gag de la vache désarticulée et du tour de France), vieilles photographies.

- D'autre part en célébrant la noblesse du travail manuel et de l'artisanat. Son art de l'animation en volume qu'il pratique depuis l'enfance, pourtant incompris de son père est un moyen de s'ancrer dans un héritage alors qu'il ne cesse de déménager et de s'inscrire dans une filiation remontant à son grand-père Luigi qu'il n'a pas connu mais qui était un travailleur acharné ayant oeuvré sur plusieurs gros chantiers d'infrastructures indispensables à la France et à l'Europe en voie de modernisation. Et la reconstitution en miniature de l'univers piémontais de ses grands-parents fait appel à des matériaux de récupération récoltés sur les lieux même de leur existence (dont il ne reste que des ruines) qui constituaient alors leur quotidien: de la terre, de la paille, du charbon (pour les montagnes), des brocolis (pour les arbres), des courgettes rondes (pour les maisons) ou encore des châtaignes (pour les figurines).

- Enfin, l'histoire familiale de Alain Ughetto a été façonnée par la grande Histoire. Economique et sociale comme je l'ai déjà mentionné car la pauvreté est la principale raison de l'exode massif des italiens dans des pays plus prospères qu'ils ont contribué à bâtir (la France et la Suisse pour les Ughetto à défaut des USA en raison du naufrage de leurs maigres biens). Mais aussi politique: les Ughetto ont payé un tribut à chaque nouvelle guerre et ont également fui le fascisme présenté comme la principale force d'oppression sur les paysans avec les religieux.

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Daniel

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1983)

Daniel

La ressortie en salles le 24 juin en version restaurée de "Daniel", film méconnu de Sidney LUMET frappe d'emblée par ses similitudes avec l'un de ses films les plus aboutis "A bout de course" (1988) réalisé cinq ans plus tard. Dans les deux cas, des parents activistes d'extrême-gauche compromettent l'avenir de leurs enfants qui subissent les terribles conséquences des choix de leurs parents. Si "Daniel" est resté dans l'ombre, c'est d'abord parce qu'il a été un gros échec au box-office et ensuite parce qu'il est porté par des acteurs peu connus bien que Amanda PLUMMER qui joue Susan, la soeur de Daniel ait par la suite acquis une certaine notoriété avec des films comme "Fisher King" (1991) et surtout "Pulp Fiction" (1994). On peut aussi ajouter qu'à la différence de "A bout de course", c'est la noirceur qui l'emporte en dépit des quelques touches d'espoir apportées par le personnage principal (joué par Timothy HUTTON).

"Daniel" est l'adaptation par E.L. Doctorow de son livre "The book of Daniel" qui s'inspire de l'affaire Rosenberg. Ceux-ci, un couple de juifs new-yorkais communistes avaient été accusés d'espionnage au profit de l'URSS en pleine chasse aux sorcières maccarthyste et exécutés en 1953. Dans le film de Lumet, Julius et Ethel Rosenberg sont renommés Paul et Rochelle Isaacson. Le film navigue entre plusieurs époques principalement celle des années cinquante lorsque les parents sont arrêtés, jugés et exécutés, laissant leurs deux enfants orphelins et celle de la fin des années soixante lorsque ceux-ci devenus adultes se confrontent à ce terrible héritage. Dès la première scène, on découvre que Susan et Daniel n'ont pas réagi de la même manière face au traumatisme qu'ils ont subi. Daniel s'est adapté et a reconstitué dès qu'il a pu une famille autour de lui alors que Susan qui n'est pas parvenu à tourner la page est une marginale révoltée qui s'abîme jusqu'à l'autodestruction dans son chagrin et sa colère. La déchéance de sa soeur pousse Daniel à se remémorer le passé et à tenter de découvrir la vérité au sujet de ses parents. Mais à l'image de l'affaire Rosenberg, Lumet et Doctorow conservent des zones d'ombre autour du couple afin de ne pas éluder leur part de responsabilité dans ce qu'ils ont infligé à leur progéniture, à la fois abandonnés et instrumentalisés (par les soutiens de leurs parents). En revanche, peu de films sont parvenus à dénoncer la peine de mort avec autant de force que celui-ci. Dès son premier film, "Douze hommes en colere" (1957), Sidney LUMET est apparu comme un cinéaste engagé mettant en lumière les dysfonctionnements des institutions américaines et particulièrement de sa justice. Le procès des Isaacson est montré comme joué d'avance, reposant sur des bases fragiles (un seul témoignage à charge). Leur exécution, filmée frontalement selon un rituel d'une froideur clinique fait penser à la distanciation par la technique des mises à mort nazies. Quant au traumatisme vécu par les enfants, deux scènes les condensent avec force: la dernière entrevue en prison où la lumière ambrée du passé devient celle, froide, du présent par la mise en scène d'un irréparable éclatement. Et la tentative vouée à l'échec des enfants de retourner dans leur ancien logis dont il ne reste plus rien.

Dommage que le film comporte certaines lourdeurs inutiles (les gros plans de Daniel racontant les différentes techniques de mise à mort selon les époques par exemple) et que l'enquête de ce dernier soit si peu développée en dehors d'une séquence forte avec le dénonciateur et sa fille.

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Les secrets de mon père

Publié le par Rosalie210

Véra Belmont (2022)

Les secrets de mon père

En regardant "Les secrets de mon père", dernier film en date de Véra BELMONT, j'ai pensé (toutes proportions gardées) à "Maus" en raison du fait que l'oeuvre dont le film est l'adaptation est le roman graphique autobiographique de Michel Kichka qui comme Art Spiegelman est un fils de rescapé de la Shoah. Mais alors que "Maus" témoigne de la transmission de la mémoire de la Shoah entre les parents survivants et leur fils, "Les secrets de mon père" raconte celle d'enfants qui grandissent avec un père qui refuse de leur parler de son passé. Un silence assourdissant étant donné les séquelles que ce passé a laissé (l'absence des grands-parents, le tatouage sur le bras que les enfants croient être un numéro de téléphone) mais aussi les dégâts qu'il continue à faire ("ce passé qui ne passe pas") en isolant les générations les unes des autres et en traumatisant la descendance jusqu'à l'irréparable quand le père se lance dans un travail de mémoire auprès des médias et du grand public mais interdit à ses enfants d'y accéder. Le choix de l'animation (très classique sur la forme en dépit de quelques envolées oniriques, dommage étant donné que l'histoire se déroule en Belgique, un des fiefs de la BD) s'explique par le support d'origine mais aussi par le fait d'être centré sur l'expérience des enfants (alors que le roman graphique de Michel Kichka s'adressait à l'origine aux adultes). On peut regretter d'ailleurs que les soeurs de Michel soient si peu développées alors que l'aînée subit aussi les effets néfastes du secret à géométrie variable qui empoisonne toute la famille. Mais Michel Kichka centre logiquement le récit sur lui-même et son jeune frère Charly qui lui colle aux basques, évoquant les moments heureux de leur enfance mais surtout la blessure de l'incommunicabilité de plus en plus grande avec les années. Même si en héritant de son talent de dessinateur, Michel Kichka a pu au final se frayer un chemin jusqu'à son père, celui-ci s'est avéré des plus douloureux et constitue le principal intérêt du film.

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La Nuit du verre d'eau

Publié le par Rosalie210

Carlos Chahine (2023)

La Nuit du verre d'eau

"La nuit du verre d'eau" est le premier film de Carlos CHAHINE qui revient sur l'histoire de son pays natal, le Liban, qu'il a dû quitter en 1975 au début de la guerre civile qui déchira le pays pendant quinze ans et dont les plaies aujourd'hui ont bien du mal à se refermer. Il en ausculte donc les prémices en situant son film en 1958, soit à mi-chemin entre l'indépendance du Liban et le début de la guerre. En effet il s'agit d'une année charnière durant laquelle la montée des tensions politiques et religieuses entraîna l'intervention des américains pour défendre dans un contexte de guerre froide les chrétiens pro-occidentaux face à une insurrection venue d'une partie de la communauté musulmane qui voulait que le Liban fusionne dans une République arabe unie avec la Syrie et l'Egypte panarabiste de Nasser. Finalement un compromis fut trouvé entre les deux parties et les américains purent quitter le pays au bout de quelques mois. Mais les graines de la discorde étaient semées d'autant qu'à la suite de la première guerre israélo-arabe, de nombreux palestiniens avaient trouvé refuge au Liban, bien avant l'exode massif de la guerre des 6 jours en 1967 qui allait contribuer à déstabiliser le pays.

Ce contexte est évoqué dans le film mais de loin car il se situe dans une vallée reculée qui ne perçoit que les échos lointains des événements qui se déroulent à Beyrouth. C'est à la fois un avantage et un inconvénient. Un avantage car le cadre montagneux fournit des images somptueuses de l'arrière-pays. Un inconvénient car la grande histoire n'interfère pas significativement avec celle du film. Tout au plus voit-on quelques "signaux faibles": des hommes qui s'entraînent au tir en vue de former une milice pour protéger le village, une dispute à table entre un musulman et la famille chrétienne qui l'a invité à dîner, quelques paroles à la radio ou dans les journaux. "La Nuit du verre d'eau" est plutôt une chronique de moeurs intimiste qui n'est pas sans rappeler sur le fond "Mustang" (2014) bien que la forme soit complètement différente (échevelée et nerveuse dans "Mustang", posée et glamour dans "La nuit du verre d'eau"). L'histoire se concentre en effet sur le destin de trois soeurs issues d'une famille chrétienne aisée de ce village qui sont soumises au pouvoir patriarcal. L'aînée étouffe dans son mariage et ne trouve d'échappatoire que dans un adultère avec un français de passage accompagné de sa mère (Pierre ROCHEFORT et Nathalie BAYE). La seconde est promise à un mariage arrangée selon une procédure identique à celle que l'on voit dans "Mustang". Et la plus jeune a une relation clandestine avec un jeune du village dont le père ne veut pas. S'y ajoute l'enfant de la soeur aînée qui par son statut est en position d'observateur. L'interprétation est en tous points remarquables et le style roman-photo, élégant et bien choisi car correspondant aux magazines féminins de l'époque (d'autres films traitant de l'émancipation féminine dans les années 50 ont adopté ce style comme "Loin du paradis" (2002) ou "Carol") (2015). Néanmoins le film se disperse un peu à force d'embrasser trop d'éléments à la fois et doit une fière chandelle à son actrice principale, Maryline Naaman qui est magnétique.

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