Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #fantastique tag

Blancanieves

Publié le par Rosalie210

Pablo Berger (2012)

Blancanieves

"Blancanieves" c'est une version années 1920 de Blanche-Neige* qui emprunte son vocabulaire au cinéma muet et au "Freaks" (1932) de Tod BROWNING, le tout transposé dans l'Andalousie de la corrida et du flamenco. Comme les mythes, les contes sont plastiques et peuvent donc être accommodés à toutes les sauces. Celle de Pablo BERGER est un bel objet d'art très élégant, très travaillé mais qui manque de sens et d'incarnation. L'ensemble donne une terrible impression de formol, le réalisateur semblant plus obsédé par la forme de son film que par son contenu. Les personnages relèvent de la simple imagerie alors que leurs relations pouvaient donner lieu à une exploration de thématiques subversives qui sont à peine effleurées (l'impuissance du père, la marâtre manipulatrice et castratrice, la relation trouble de Carmen avec les nains, la nécrophilie avec un parallèle qui apparaît notamment à la fin avec "Vertigo") (1958). Reste outre la photographie, un art du découpage cinématographique et des transitions assez bluffant qui donne lieu à de belles idées de mise en scène: le mauvais présage lors de la corrida, la superposition du visage de la mère et de celui de la marâtre ou encore la robe blanche de communion qui devient celle, noire du deuil.

* Avec quelques réminiscences de "Cendrillon" et de "La Belle au bois dormant" dedans.

Voir les commentaires

Soul

Publié le par Rosalie210

Pete Docter et Kemp Powers (2020)

Soul

"Soul", le dernier-né des studios Pixar qui devait initialement sortir au cinéma le 19 juin 2020 se retrouve finalement sur la plateforme de streaming Disney + pour noël. Ce n'est pas forcément une bonne nouvelle car jusqu'à présent ce système sans doute trop individualiste a échoué à créer une mémoire collective. Or les films Pixar font partie d'un précieux patrimoine qu'il serait dommage de voir ainsi privatisé.

Cette réflexion faite, le film se situe dans la continuité des précédents opus de Pete DOCTER, "Monstres & Cie" (2002), "Là-haut" (2008) et surtout "Vice-versa" (2015). Très conceptuel et métaphysique, il m'a fait penser à la pièce de théâtre "L'Oiseau bleu" de Maurice Maeterlinck qui date du début du XX° siècle et a été plusieurs fois adapté au cinéma. Elle relate le voyage de deux enfants au pays des morts mais également au pays des "pas encore-nés". De fait l'histoire de "Soul" raconte la rencontre entre une âme neuve pas encore incarnée mais qui n'attend rien de la vie avant même de l'avoir commencée et d'un homme pas encore tout à fait mort qui s'y accroche désespérément parce qu'il pense ne pas encore avoir vraiment vécu. Pour enrichir encore ce canevas, le titre "soul" (âme) se réfère également à la musique jazz dont le héros qui est afro-américain (une première chez Pixar) est passionné.

Sur le plan formel, le film est comme "Vice-versa" (2015) novateur en trouvant des traductions graphiques de concepts ou d'expériences cérébrales, psychologiques ou sensorielles comme la déconnexion de soi (transe ou névroses), l'EMI et l'au-delà (pas d'enfer ni de paradis mais un grand tout cosmique dans lequel les âmes se fondent) sans parler d'un mélange de personnages métaphysiques en 2D qui font penser aux tableaux de Picasso en version stylisée et d'autres en 3D. Sur le plan narratif, c'est plus confus avec de nombreuses bonnes idées pas pleinement exploitées et des passages convenus. La fin en particulier est très politiquement correcte. Bref "Soul" est un chaudron bouillonnant mais pas un film pleinement abouti.

Voir les commentaires

Orphée

Publié le par Rosalie210

Jean Cocteau (1950)

Orphée

"Orphée" c'est "Le Sang d un poète" (1930) appliqué à une figure mythologique qui fascinait Jean COCTEAU et sans doute à laquelle il s'identifiait. Transposé dans le milieu littéraire germanopratin des années cinquante symbolisé par Juliette GRÉCO, le mythe d'Orphée vu par Cocteau ne prend pourtant son essor que lorsqu'il passe de l'autre côté du miroir pour rencontrer "la mort au travail" (définition du cinéma lui-même). En effet Orphée (Jean MARAIS) est un poète qui se nourrit de messages de l'au-delà (messages qui font penser à ceux qu'envoyaient les résistants par la BBC pendant la guerre). C'est aussi un Narcisse amoureux de son reflet, cet autre lui-même qu'il ne peut rencontrer qu'aux enfers. La pauvre Eurydice est reléguée au rang d'empêcheuse de créer en rond, "bonne femme" obsédée par "la layette et les impôts". On aurait envie de gifler Cocteau devant tant de misogynie crasse mais heureusement il y a les superbes images poétiques expérimentales qui sauvent l'ensemble ainsi que la profonde mélancolie émanant de spectres qui pourtant transgressent l'ordre établi en tombant amoureux des vivants. La princesse (Maria CASARÈS) amoureuse éperdue d'Orphée et son valet, Heurtebise (François PÉRIER, impérial) dont les sentiments poignants pour Eurydice me touchent au plus profond de moi à chaque fois que je revois le film.

Voir les commentaires

Highlander

Publié le par Rosalie210

Russell Mulcahy (1986)

Highlander

Pas de nostalgie possible en ce qui me concerne: je n'avais jamais vu "Highlander". J'avais bien essayé il y a trois ans à mon retour d'Ecosse de le visionner mais je n'avais pas réussi à le trouver dans le réseau de bibliothèques qui constituait alors ma principale source d'approvisionnement.

J'ai un avis mitigé sur le film. Sur le papier il avait beaucoup pour me plaire: l'aspect opéra-rock (d'autant que j'adore le groupe Queen et que j'ai écouté jusqu'à plus soif "It's a kind of magic", "Hammer to Fall" et "Who Wants to live forever") dont le lyrisme se marie bien avec la somptuosité des paysages écossais, la prestation (remarquable) de Sean CONNERY et enfin l'histoire en elle-même. Elle ressemble beaucoup à "Ad Vitam Aeternam" de l'auteur de polars Thierry Jonquet (bien connu pour avoir inspiré à Pedro ALMODÓVAR "La Piel que habito") (2011). Rien de tel que des personnages immortels traversant des centaines ou des milliers d'années d'histoire pour mettre en évidence la propension de la nature humaine à reproduire les mêmes erreurs (et horreurs).

Néanmoins le film a assez mal vieilli à cause de ses effets spéciaux et de son esthétique démodée sur la partie contemporaine. Celle-ci ne bénéficie pas du travail sur les décors et l'atmosphère qui a permis à un "Blade Runner" (1982) de passer à la postérité comme un film de référence. On nage plutôt dans le glauque souterrain du "Parking" (1985) de Jacques DEMY à croire que dans les heighties, le must de la modernité c'était la fumée, le bitume, le béton et le néon avec beaucoup d'effets clipesques grandiloquents en prime. Quant à la prestation de Christophe LAMBERT, elle frôle parfois le même niveau de ridicule que celle de Francis HUSTER chez Demy. Il faut dire qu'il n'est pas aidé par des dialogues particulièrement clichés.

Voir les commentaires

Les Autres (The Others)

Publié le par Rosalie210

Alejandro AMENÁBAR (2001)

Les Autres (The Others)

"Les Autres" suggère dès son affiche la coexistence de deux mondes incompatibles à la manière du tableau surréaliste de Magritte "L'Empire des lumières". Il y en a effet deux sources de lumière dans "Les Autres": celle qui émane des lampes à pétrole qui éclairent l'intérieur d'un manoir sinistre où vivent en reclus et hors du temps Grace (Nicole KIDMAN) et ses enfants au milieu d'une île plongé dans un épais brouillard. Et celle de la lumière du jour qui leur est interdite car les enfants de Grace, frappés par une mystérieuse maladie ne peuvent la supporter. Tels des vampires, ils vivent donc rideaux tirés sans voir personne excepté trois domestiques étranges qui un jour viennent taper à leur porte et semblent bien les (re)connaître. Malgré toutes les précautions de Grace qui semble toujours sur le qui-vive pour protéger ses enfants, la lumière extérieure (celle de la vérité?) finit par s'immiscer dans leur lugubre prison.

"Les Autres" vaut surtout pour ses qualités formelles. A l'image du manoir victorien aux pièces plus épurées les unes que les autres, le cinéaste a puisé son inspiration chez Alfred HITCHCOCK (avoir choisi Nicole KIDMAN pour interpréter un personnage qui s'appelle Grace n'est certainement pas une coïncidence) et Jack CLAYTON. "Les Autres" est en effet une variante de "Les Innocents" (1961) lui-même tiré du livre de Henry James, "Le Tour d'écrou". Le fantastique est suggéré par la mise en scène, la bande-son et l'atmosphère qui est le point le plus remarquable du film comme je l'ai signalé plus haut. Reposant comme "Sixième sens" (1999) sur un complet renversement de perspective final, "Les Autres" fait le choix de l'illusionnisme en mettant les fantômes sous le nez du spectateur mais en les rendant aussi invisibles que "La Lettre" d'Edgar Allan Poe.

Toutefois si le travail formel est brillant, les films qui ont servi de modèles à Alejandro AMENÁBAR lui sont supérieurs car il manque à "Les Autres" un véritable substrat humain. De ce point de vue, on reste en surface et c'est dommage.

Voir les commentaires

Le charme discret de la bourgeoisie

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1972)

Le charme discret de la bourgeoisie

"Le Charme discret de la bourgeoisie" est fondé sur un acte manqué. Ou plus précisément sur des variations autour d'un même acte manqué. Un acte manqué extrêmement révélateur puisqu'il s'agit pour les six personnages de l'histoire de parvenir à dîner ensemble. Or soit ils se ratent, soit le repas est interrompu, soit les nourritures et boissons sont factices ou manquantes. Que signifie cet enchaînement de contretemps et de mésaventures? Le repas fait référence au besoin animal de l'homme de manger tout en étant enrobé dans une série de codifications qui le transforment en rituel social. Pourtant à chaque fois, celui-ci déraille alors que pourtant jamais les personnages ne perdent la face et je dirais même la façade. Car ils sont si bien dressés à tenir leur rôle social qu'à un moment donné, ils se retrouvent littéralement en situation de représentation théâtrale. Cependant derrière le vernis mécanique des politesses, de la bienséance et des phrases toutes faites pleines... de vacuité autour de la peur du gigot trop cuit ou de la forme la plus appropriée du verre pour le dry-martini, la réitération de l'impossibilité d'accomplir l'acte le plus élémentaire de l'existence qui est de manger (de "croquer la vie" en somme) suscite un malaise croissant. Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la bourgeoisie, tellement pourri que ces gens-là pourraient finalement bien n'être que des spectres condamnés à errer sans fin sur une route de campagne. Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'ont pas la conscience tranquille au vu du nombre de cauchemars qui viennent régulièrement s'insinuer dans la narration. Cauchemars dans lesquels les masques tombent: on se dit ce que l'on pense, on s'entretue ou on est tué par ceux-là même que l'on méprise (et craint) le plus, les "gens du peuple" qui "ne sont pas éduqués" mais qui savent saisir une mitraillette et s'en servir quand il le faut (comme dans le final de "La Cérémonie (1995) de Claude CHABROL auquel on pense, ne serait-ce que par la présence de Stéphane AUDRAN au casting). On est également puni par une Justice qui délivrée de la "realpolitik" (incarnée par Michel PICCOLI en ministre de l'intérieur) peut faire correctement son travail et arrêter un par un cette bande de "gens distingués" qui ne sont en réalité que des fripouilles ayant fait fortune sur le trafic de drogue grâce à leur collusion avec l'ambassadeur d'une fictive république latino-américaine corrompue aussi impitoyable avec les opposants de gauche qu'elle est accueillante vis à vis des anciens nazis. Une scène extrêmement jouissive dans un film satirique et onirique lui-même corrosif et réjouissant en plus de sa liberté de ton et de sa perpétuelle inventivité.

Voir les commentaires

Le Créateur

Publié le par Rosalie210

Albert Dupontel (1999)

Le Créateur

Jusqu'où peut-on aller pour accoucher d'une oeuvre? La réponse d'Albert Dupontel c'est "no limit". Deuxième film après "Bernie", "Le Créateur" est une comédie noire et politiquement incorrecte, foisonnante et déjantée en forme de mise en abyme sur le syndrome de la page blanche qui frappe un auteur sommé d'enchaîner sur une deuxième oeuvre après un premier succès. Si le début est un peu laborieux, la suite est un tourbillon de plus en plus trash d'idées transformées en visions. Idée géniale de faire cohabiter le burlesque destructeur et la création d'une oeuvre en montrant à quel point celle-ci est d'essence vampirique. Darius semble dans un premier temps trouver l'inspiration dans l'état second procuré par le vin mais ce substitut ne lui suffit bientôt plus, il lui faut du sang, du vrai. Comme dans "L'Homme aux cercles bleus" de Fred Vargas qui décrit la toxicomanie du serial killer, ses cibles sont de plus en plus grosses: ça commence par la défenestration d'un chat et ça se termine par l'explosion d'un étage d'immeuble tout entier avec éparpillement des morceaux façon puzzle. Entre temps, Albert Dupontel manie le grotesque avec brio, ses méthodes d'assassinat font penser à celles du boucher dans "Delicatessen". D'autant que les deux films se déroulent dans le huis-clos d'un immeuble cocotte-minute prêt à exploser et que Dupontel, comme Jeunet et Caro et comme Gilliam utilise beaucoup de courtes focales qui déforment les visages en leur donnant une allure de masques grimaçants. C'est logique car Albert Dupontel fait partie de la même famille. Au point d'ailleurs que Terry Jones fait une apparition dans le rôle de Dieu à la fin du film. Dupontel fait ainsi d'une pierre deux coups: il place son cinéma dans la filiation de celui des Monty Python tout en illustrant d'une manière poétique et saisissante la puissance divine du créateur dont les papier froissés jetés à terre ressemblent à autant d'étoiles dans le ciel. Autre référence qui m'est venue à l'esprit: "Barton Fink". Darius, le personnage joué par Dupontel affiche un look proche de celui de John Turturro dans le film des frères Coen qui évoque également les affres de la panne d'inspiration dans un huis-clos étouffant jusqu'au dédoublement de personnalité et au pétage de plomb incendiaire et meurtrier. 

Voir les commentaires

Les Innocents (The Innocents)

Publié le par Rosalie210

Jack Clayton (1961)

Les Innocents (The Innocents)

Fantômes et fantasmes. Puritanisme et débauche. Sexualité (réprimée) et mort. Noir et blanc. Fleurs et reptiles. Statues et insectes. Images et sons. Enfants et adultes. Ces couples ne fonctionnent pas dans l'opposition mais selon le principe des vases communicants dans le film néo-gothique de Jack CLAYTON qui constitue l'adaptation la plus brillante du roman de Henry James, "Le Tour d'écrou" en parvenant à traduire cinématographiquement son ambiance oppressante et ses zones d'ombre. La réalisation, fondée sur la suggestion, le trouble, distille un malaise croissant alors que selon la dynamique de la contamination qui est à l'oeuvre durant tout le film, les "innocents" le paraissent de moins en moins. Ainsi le comportement de Miss Giddens (Deborah KERR, surdouée de l'interprétation des "vierges folles") face aux visions démoniaques qui l'assaillent se dérègle de plus en plus au point de devenir suspect. Cette vieille fille de pasteur encore désirable (et désirante à son corps défendant) mais corsetée, à l'image de la société victorienne devient un danger pour les enfants qu'elle est chargé de protéger. Enfants auprès desquels on pense qu'elle se réfugie comme un rempart contre sa peur du monde adulte mais manque de chance: ces enfants-là ont été corrompus. Sous le vernis policé de leur éducation aristocratique rôdent des pulsions de sexe et de mort inquiétantes qui se "matérialisent" sous la forme de spectres hantant les recoins du manoir, ceux de la gouvernante et du valet qui étaient chargés de les "éduquer" mais qui forniquaient dans tous les coins tout en se détruisant*. A cet endroit précis réside la principale zone d'ombre du livre et du film mais sa nature ne fait aucun doute. Le comportement séducteur de Miles (Martin STEPHENS), sa franchise déroutante qui révèle que le monde adulte n'a aucun secret pour lui et ses paroles en décalage complet avec son apparence de petit garçon de dix ans suscite un trouble croissant chez Miss Giddens dont le comportement se dérègle de plus en plus (tics nerveux, visage qui se couvre de sueur, vision troublée etc.) La religion s'avère impuissante à contenir ses pulsions. Le couple pervers la hante. Si consciemment elle veut sauver les enfants en les exorcisant, nul doute qu'inconsciemment elle veut prendre la place de Miss Jessel, l'ancienne gouvernante en chassant Flora à travers laquelle elle semble encore vivre pour mieux se retrouver seule avec Peter Quint le valet qui parle à travers la bouche de Miles. La dernière scène, magistrale, à la fois mortifère et orgasmique, se clôt sur un summum de malaise et d'ambiguïté.

* Je n'ai pu m'empêcher de penser à "The Servant" (1962) de Joseph LOSEY qui date de la même époque, histoire d'une subversion sociale et sexuelle dans laquelle le valet finit par posséder le maître à tous les sens du terme. Flora et Miles sont filmés comme des menaces dans "Les Innocents" notamment par le jeu de la contre-plongée, qu'ils le soient réellement ou seulement dans l'imagination de Miss Giddens.

Voir les commentaires

Elle s'appelle Ruby (Ruby Sparks)

Publié le par Rosalie210

Jonathan Dayton et Valérie Faris (2012)

Elle s'appelle Ruby (Ruby Sparks)

Comment échapper à la malédiction du deuxième film? Après le succès de "Little miss Sunshine" (2005), le couple de réalisateurs Jonathan DAYTON et Valerie FARIS a mis en abyme ce défi. Les premières minutes de "Elle s'appelle Ruby" se focalisent en effet sur la panne d'inspiration d'un jeune écrivain à la vie ascétique et solitaire, le bien nommé Calvin qui après un premier succès à l'âge de 19 ans n'a pas réussi en dix ans à réitérer son exploit. Jusqu'au jour où sur la suggestion de son psy, il a l'idée de mettre par écrit l'histoire de la fille de ses rêves, laquelle devient presque aussitôt réelle. Mais ce postulat fantastique (à tous les sens de ce terme) est trop beau pour être vrai. Car la fille dont rêve Calvin, c'est celle sur laquelle il peut exercer un contrôle total, à l'image du livre qu'il écrit. Un fantasme de toute-puissance qui se heurte au libre-arbitre qu'elle porte en elle depuis qu'il en a fait un être humain. Contradiction insurmontable qui grippe progressivement les ressorts de la romance au point de mener les deux personnages aux portes de la folie. Calvin étant présenté dès le départ comme un déséquilibré limite sociopathe qui s'interroge légitimement sur sa santé mentale quand il voit débarquer Ruby, il n'est guère étonnant qu'après une période fusionnelle de type lune de miel, celle-ci qui est aussi exubérante que lui est coincé commence à étouffer dans le huis-clos austère qu'il lui impose et veuille d'une autre vie. Avant une conclusion moins pessimiste qui rappelle celle de "Eternal sunshine of the spotless mind" (2004) (y compris dans la caractérisation des personnages et le caractère fantastico-romantique).

Si le film patine au peu au début, il surprend par ses changements de tons qui le font glisser de la comédie romantique vers le thriller psychologique dans lequel on sent poindre la pulsion de mort sous l'élan amoureux et la mélancolie sous l'euphorie. Il est intéressant également de souligner qu'il s'agit de la création d'un quatuor, un film fait à "deux fois deux" pour reprendre l'expression du journal Le Monde ou encore le film d'un couple sur un autre couple ou encore une mise en abyme du rapport entre créateurs et créatures. En effet ce qui a fait sortir les réalisateurs du syndrome de la page blanche au bout de six ans, c'est le scénario écrit par Zoe KAZAN*, compagne à la ville de Paul DANO qui est resté proche de ceux qui lui ont donné son premier rôle marquant au cinéma. Résultat, Paul DANO joue Calvin-Pygmalion dans le film alors que Zoe KAZAN interprète sa Galatée, Ruby. Soit l'inverse de la réalité ce qui je trouve ne manque pas de sel.

* Petite-fille du réalisateur Elia KAZAN.

Voir les commentaires

Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1982)

Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander)

"Fanny et Alexandre" fut le premier grand choc cinématographique de ma vie. Gloire à Ingmar Bergman d'avoir réalisé une version pour la télévision car c'est elle que j'ai vue étant donné qu'à l'époque, j'avais l'âge de Fanny et d'Alexandre et je n'aurais eu aucune chance de découvrir le film au cinéma. C'est d'ailleurs cette version longue que j'ai tenu à revoir pour écrire mon avis. Bien que je possède le coffret contenant également la version courte, je pense que "Fanny et Alexandre" doit être vu dans son intégralité. Et comme il s'agit d'un chef d'oeuvre prenant, haletant et ce à tout âge, les presque six heures passent à la vitesse de l'éclair.

Les émotions de l'enfant que j'étais alors ne m'ont jamais quitté. Je me souviens de l'émerveillement que j'ai ressenti devant la magnificence du repas de noël de la famille Ekdahl puis du contraste violent avec le dépouillement de la chambre du presbytère dans laquelle les enfants étaient enfermés comme dans une prison. Par dessus tout, je me souviens de l'horreur que m'a inspiré le père fouettard Vergerus. Plus encore que la résistance d'Alexandre à l'emprise de l'ignoble pasteur, ce sont les yeux perçants de Fanny qui m'ont marqué lors du châtiment reçu par son frère et son visage qui se détourne lorsque la main de Vergerus veut la toucher. Lorsque bien plus tard j'ai commencé à lire les livres d'Alice Miller ("C'est pour ton bien", "L'enfant sous terreur" etc.) ce sont les images du père Vergerus abusant de son autorité pour martyriser Alexandre qui m'ont accompagnée. Par la suite mon moment préféré est devenu le formidable numéro d'illusionnisme hautement jouissif par lequel Isak Jacobi investit la demeure du sinistre pasteur pour subtiliser les enfants. En revoyant le film adulte, j'ai continué de vibrer aux mêmes passages tout en appréciant les aspects que je ne pouvais comprendre alors tels que les rapports de classe ou les rapports de couple.

"Fanny et Alexandre" est en effet une fresque grandiose, riche et d'une grande beauté visuelle mettant en vedette une grande famille de la bourgeoisie de Stockholm au début du XX° siècle écartelée entre Eros et Thanatos avec une puissance rarement égalée dans l'histoire du cinéma. Il faut dire que ce combat traversait toute l'oeuvre de Ingmar Bergman et que le film a une valeur autobiographique et testamentaire certaine (comme son livre "Lanterna Magica"). Testamentaire mais joyeuse car c'est le tourbillon de la vie qui l'emporte. Bien que conforme aux codes de son temps et de son milieu (on pense tantôt aux salons Napoléon III, tantôt à du Maupassant), la famille Ekdahl s'en démarque sur plusieurs points. Ce qui frappe d'emblée, c'est sa générosité débordante perceptible à travers des décors somptueux, foisonnants (comme le film) mais aussi à travers des caractères truculents comme celui du priapique Gustav-Adolf et de son insatiable appétit sexuel envers des femmes aux formes elles-mêmes généreuses. Son frère aîné Oscar, frappé à l'inverse d'impuissance déverse le trop-plein dans sa passion pour le théâtre qu'il dirige, offrant à sa famille et aux public le spectacle d'une féérie perpétuelle*. Même le troisième frère, l'aigri Carl aux propos d'une épouvantable cruauté envers son épouse germanique (certes agaçante) qui m'ont rappelé ceux que j'ai entendu chez Haneke peut improviser des tours de magie inventifs (pour souffler les bougies par exemple). Mais la générosité de la famille se remarque aussi dans l'importance qu'y prennent des éléments exogènes tels que lsak Jacobi l'usurier juif et Maj la bonne. "L'oncle Isak", le grand amour d'Héléna, la grand-mère et matriarche de la famille qui en raison de la religion n'a pu former avec elle qu'une union clandestine vit pourtant dans un monde qui à échelle réduite ressemble à celui des Ekdahl avec ses dominantes rouges (sans doute en référence aux rideaux de théâtre), son encombrement baroque, ses marionnettes et son ambiance surnaturelle (comme chez les Ekdahl, Alexandre y voit des fantômes et même une momie s'animer). Il est l'allié décisif face au redoutable ennemi qu'est Vergerus. Quant à Maj, la petite bonne boîteuse qui sert de substitut maternel aux enfants, elle est engrossée par Gustav-Adolf dans la plus pure tradition des "amours" ancillaires du XIX° mais bénéficiant comme ses consoeurs d'une considération supérieure aux bonnes de ce temps (la scène inaugurale où elles mangent à la même table que les maîtres a valeur de symbole), elle finit par réussir à s'émanciper avec la fille aînée de Gustav Adolf et leur départ semble se faire sur un pied d'égalité.

* Le format télévisuel épouse le style théâtral avec un prologue, des actes et un épilogue qui se substituent aux épisodes.

 

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>