Votre mission, si vous l'acceptez consiste à interpréter "pour la beauté du geste" une dizaine de personnages au cours d'une même journée qui sera aussi "a journey" à l'allure d'un rêve éveillé. Vous la commencerez en effet à bord d'une luxueuse villa à l'architecture de paquebot en partance pour une destination inconnue (suggérée par une sirène qui a elle seule sonne comme une promesse d'évasion vers quelque forêt touffue, laquelle s'avère ouvrir sur une salle de spectacle). Vous la poursuivrez à bord d'une limousine qui vous servira de loge et de véhicule entre deux "rendez-vous" (entendez par là, entre deux rôles), limousine conduite par Céline alias Edith SCOB, l'inoubliable Christiane éthérée et mystérieuse de "Les Yeux sans visage" (1960) de Georges FRANJU, pionnier du cinéma fantastique français auquel "Holy Motors" rend un hommage appuyé. Vous défendrez un art plus que centenaire dont vous rappellerez les origines et qui est selon vous menacé de disparition par les nouvelles technologies (envers lesquelles vous êtes néanmoins ambivalent puisque vous acceptez par exemple d'effectuer une magnifique prestation de motion capture) et les nouveaux goûts du public qui en découlent (vous ne semblez guère aimer la peopolisation à qui vous réservez un sort aussi trash que l'exercice en lui-même au travers de votre monstrueux rat d'égout, "M. Merde". Même ce qui semble le plus sacré devient en effet un étendard publicitaire comme ces tombes sur lesquelles sont gravées des "visitez mon site.com"). Votre peur de la désintégration artistique et spirituelle finira par vous faire échouer dans un immense temple de la consommation laissé à l'abandon, lui aussi en raison de la virtualisation croissante des lieux publics dédiés à la culture et à la consommation que vous transformerez en gigantesque décor de cinéma avec hauteur de vue sur l'un de vos anciens films les plus célèbres. En vertu de cette déshérence, vous terminerez votre périple dans ce qui s'apparente à une "régression darwinienne", un lotissement pavillonnaire crachant le conformisme à plein nez où l'homme est redescendu au stade de la bête.
Voilà comment on peut résumer ce film inclassable, audacieux, provocateur et outrancier (du Leos CARAX quoi!) qui dépasse son statut de méta-film et de film à sketches pour défendre avec ardeur un feu sacré en train de s'éteindre et pour lequel Leos CARAX qui n'avait plus tourné depuis des années a accepté de sortir de son tombeau (une figure récurrente du film). Qu'on aime ou qu'on aime pas ce réalisateur, force est de constater que sa singularité, sa radicalité et sa sincérité ne laisse personne indifférent. Si tout ne m'a pas convaincu dans le film (j'ai trouvé les prestations de Denis LAVANT même s'il accomplit un tour de force inégales en intérêt, beauté ou intensité: les morceaux de bravoure de M. Merde, de la motion capture ou de la Samaritaine sont entrecoupées de séquences plus faibles comme celles de la mendiante, du mourant ou du tueur), il y a suffisamment de poésie et de personnalité dedans pour intriguer et marquer durablement l'esprit.
« Nous avons tous travaillé, de l’opérateur au moindre machiniste, comme si nous ne formions qu’une seule personne ». Les bonnes fées se sont en effet penchées sur le berceau de "La Belle et la Bête", accouchant d'un chef-d'oeuvre intemporel d'une stupéfiante beauté qui a gardé intact son pouvoir de fascination*. Outre la poésie cinématographique de Jean COCTEAU qui filme comme s'il était en apesanteur un monde qu'il rend magique par ses effets de caméra (ralentis par exemples) et son montage (la métamorphose de Belle), le film bénéficie de l'assistance de René CLÉMENT, de la sublime photographie de Henri ALEKAN, de la musique de Roger DESORMIÈRE, de la poignante interprétation de Jean MARAIS dans le rôle de la Bête. Et que dire de la féérie qui se dégage des décors, des costumes, des maquillages (celui de la Bête demandait cinq heures de préparation et s'inspirait des gravures de Gustave Doré) et des effets spéciaux! Les statues animées du château de la bête ainsi que les nombreux végétaux qui s'enroulent autour des meubles et des pierres dans la chambre de Belle brouillent les frontières entre l'extérieur et l'intérieur du palais mais aussi entre l'animé et l'inanimé, approfondissant l'esprit du conte qui joue sur l'effacement de la frontière entre l'homme et l'animal.
L'un des héritages les plus évidents du film de Cocteau, c'est bien sûr "Peau d âne" (1970) de Jacques DEMY. Les deux réalisateurs se vouaient une admiration réciproque et Demy a bien sûr effectué énormément d'emprunts à l'univers de son mentor lorsqu'il a décidé d'adapter son conte fétiche: Jean MARAIS, les statues recouvertes de végétation, les ralentis irréels, les costumes (celui du roi rappelle celui de la Bête, la robe couleur de soleil, celui de Belle, sans parler du miroir et de la rose) etc. Autre exemple, la formidable mini-série de Mike NICHOLS "Angels in America" (2003) d'près la pièce de théâtre de Tony Kushner "Fantaisie gay sur des thèmes nationaux" reprend à l'identique une séquence entière du film de Cocteau (l'arrivée au château avec les candélabres humains et le repas devant la cheminée). Car ce qui relie ces créateurs à travers "La Belle et la Bête" (Cocteau, Marais, Demy, Kushner) c'est qu'entre leurs mains, le conte devient une évidente métaphore de l'homosexualité comme "monstruosité" aux yeux de la société qui entraîne rejet et marginalisation (avec le sida en prime pour les deux derniers).
* Ou presque. J'ai eu longtemps "La Haine" (1995) contre Vincent CASSEL pour avoir dit en interview qu'il trouvait le film de Cocteau soporifique. Mais il était en promo pour l'adaptation du conte dans laquelle il jouait par Christophe GANS et il entrait sûrement une part de calcul de sa part. En tout cas ce n'est guère glorieux, d'être incapable de faire la différence entre un chef-d'oeuvre et un film parfaitement insignifiant.
Plusieurs courts-métrages de Paul GRIMAULT tels que "Le Marchand de notes" (1942) ou "Le Petit Soldat" (1947) ont mis en évidence sa filiation avec les contes d'Andersen et son influence par conséquent sur les films d'animation du studio Pixar. "Les Passagers de la Grande Ourse" met plutôt en évidence une autre influence majeure, celle que Paul GRIMAULT a exercé sur Hayao MIYAZAKI, co-fondateur du studio Ghibli avec Isao TAKAHATA (influencé lui aussi par Paul GRIMAULT mais plutôt par l'aspect social et politique de ses films que par leur univers graphique). Le voyage aérien d'un enfant et de son chien à bord d'un engin improbable (un "aéroscaphe") qu'on croirait sorti d'un roman de Jules Verne et qui est habité par un robot (Figmin), voilà ce qui semble être une ébauche de "Le Château dans le ciel" (1986). Bien entendu, il ne s'agit pas d'une influence directe car les deux réalisateurs nippons n'ont découvert Grimault qu'avec "La Bergère et le Ramoneur", la première version de son chef d'oeuvre "Le Roi et l'Oiseau" (1979). Mais il n'en reste pas moins que les liens entre les deux oeuvres sautent aux yeux. Paul GRIMAULT ne s'est toutefois pas inspiré de Jules Verne pour "Les Passagers de la Grande Ourse" mais d'un poème de Victor Hugo intitulé "Plein Ciel", extrait du recueil "La Légende des siècles" qui décrit un engin volant en forme de bateau. En voici la première strophe (il est extrêmement long):
"Loin dans les profondeurs, hors des nuits, hors du flot,
Dans un écartement de nuages, qui laisse
Voir au-dessus des mers la céleste allégresse,
Un point vague et confus apparaît ; dans le vent,
Dans l’espace, ce point se meut ; il est vivant ;
Il va, descend, remonte ; il fait ce qu’il veut faire ;
Il approche, il prend forme, il vient ; c’est une sphère ;
C’est un inexprimable et surprenant vaisseau,
Globe comme le monde et comme l’aigle oiseau ;
C’est un navire en marche. Où ? Dans l’éther sublime !"
Ce n'est pas le seul lien du film avec l'univers de la littérature. En 1944, Paul GRIMAULT a publié chez Gallimard en association avec Paul Guth une version littéraire de cette histoire.
"Le Marchand de notes" est le premier court-métrage de Paul GRIMAULT, co-écrit avec Jean AURENCHE et sorti en 1942. Les deux hommes s'étaient rencontrés dans une agence publicitaire dans laquelle ils travaillaient au cours des années 30. La patte de Grimault est parfaitement reconnaissable dans l'histoire qui raconte un affrontement sur le mode burlesque entre un marchand qui vend des notes de musique... au poids mais aussi le ballet mécanique d'une danseuse (il faut mettre une pièce de monnaie pour qu'elle s'anime) et un troubadour quelque peu facétieux qui met des bâtons dans les roues de cette conception mercantile de l'art, libère les notes et aussi la danseuse. Leur duo préfigure celui du "Le Petit Soldat" (1947) et bien sûr, celui de la bergère et du ramoneur*. Grimault puise en effet sa source d'inspiration chez Hans Christian Andersen, conteur spécialiste de l'animation des objets. Par ailleurs tous les films de Grimault sont porteurs d'un message politique subversif. Sur le plan formel, deux styles graphiques s'entrechoquent pour un résultat étonnamment harmonieux: un décor dépouillé constitué de lignes géométriques qui n'est pas sans rappeler certains tableaux de Giorgio de Chirico (influence majeure par ailleurs de son chef-d'oeuvre "Le Roi et l'Oiseau") (1979). Et des personnages tout en rondeurs que l'on imagine sans peine sortis de l'univers Disney, l'irrévérence en moins.
* "Objets inanimés, avez-vous donc une âme" est le trait d'union entre l'univers des contes d'Andersen, les films animés de Grimault et leurs héritiers des studios Pixar, ce dernier ayant eu une influence mondiale.
Noémie MERLANT a dit à propos de Jeanne Tantois, son personnage dans "Jumbo" que celle-ci n'était pas autiste. Laissez-moi rire. Elle est toujours seule, se fait harceler, ne regarde pas les gens dans les yeux, leur répond à peine, son visage est inexpressif, elle allume et éteint mécaniquement sa lampe de poche pour se consoler et passe son temps à fabriquer des maquettes dans sa chambre dont elle ne sort que pour aller travailler, dans un parc d'attraction désert la nuit. Noémie MERLANT a donc perdu une occasion de se taire parce que lorsqu'on ne sait pas de quoi on parle, c'est ce qu'il vaut mieux faire. Et c'est d'autant plus dommage que sa prestation est très juste. Et qu'être "queer" (étiquette sous laquelle a été vendue le film pour qu'il paraisse moins étrange sans doute) n'est pas incompatible avec l'autisme, bien au contraire. Le genre étant une construction sociale, il passe par-dessus de la tête de la plupart des autistes qui sont naturellement "queer" c'est à dire ne se reconnaissent pas dans le clivage masculin/féminin. Mais bon, la question essentielle que traite ce film sans le dire explicitement c'est pourquoi certains autistes sont accros ("Jumbo" signifie "crack", c'est une addiction) aux attractions à sensations fortes, plus particulièrement quand elles tournent en rond. Et bien la meilleure réponse qui soit se trouve dans, "Ma vie d'autiste" le livre de, Temple Grandin et plus particulièrement dans le chapitre intitulé "Le Manège". Extrait:
"Par hasard, j'ai découvert un moyen de soulager temporairement mes crises de nerfs. Pendant l'été, avec l'école, nous avons fait une excursion au parc d'attraction. L'un des manèges s'appelait le Rotor, un énorme baril dans lequel les gens se tenaient contre les parois pendant qu'ils tournaient rapidement. La force centrifuge les poussait contre les parois du baril même quand le plancher se dérobait* (...) désormais mes sens étaient à un tel point submergés par la stimulation que je ne sentais ni l'anxiété ni la peur. Je n'éprouvais qu'une sensation de bien-être et de détente (...) Le Rotor est devenu une obsession (...)."
L'explication est très simple. Les sens des autistes sont déréglés. Ils sont soit hyposensibles (ils ne sentent rien) soit hypersensibles (ils ressentent trop). La plupart du temps, ils alternent entre les deux (trop de stimuli et c'est le court-circuit). Certains autistes ne peuvent pas monter sur un manège mais d'autres éprouvent un apaisement à leur anxiété car la surstimulation s'accompagne d'un sentiment de sécurité lié à l'aspect routinier, répétitif du manège. Bref il s'agit d'une extension mécanique de l'autostimulation que pratiquent beaucoup d'autistes pour calmer leur anxiété (balancements, flapping etc.)
Jeanne n'est donc pas folle, son fonctionnement qui la pousse à rejeter les contacts humains au profit d'une histoire d'amour avec un manège est au contraire parfaitement logique pour qui connaît le phénomène. Même les neurotypiques (non autistes) peuvent ressentir de l'excitation sexuelle dans certaines attractions. La machine est prévisible contrairement aux humains et c'est ce qui en fait un formidable allié pour un autiste dont le besoin le plus viscéral est la sécurité. Là où ça se complique, c'est quand le jugement s'en mêle**. De ce point de vue l'écriture du film a la main bien trop lourde, offrant une galerie de personnages stéréotypés bas du front assez désolante. Comme si le monde se divisait en deux catégories, les freaks et les "normaux" affreux, bêtes et méchants. Fallait-il également adjoindre à cette pauvre Jeanne une mère aussi vulgaire, infantile et elle aussi bête à pleurer? Le retournement de dernière minute semble bien peu crédible. Dommage.
* Ce manège est visible par exemple dans "Les Quatre cents coups" (1959).
** Je me souviens encore de l'incompréhension qu'a suscité la joie que ma meilleure amie et moi-même (qui avons par ailleurs longtemps écumé les parcs d'attraction ^^) avons ressenti quand nous avons découvert qu'au Japon, nous pouvions commander nos repas au restaurant sur des machines, comme cela se pratique dans les fast-food en France. Lorsque nous en avons parlé à notre retour, on s'est vu rétorquer que cela manquait de chaleur humaine...
Comme la plupart des films d'animation de Paul GRIMAULT, "La Flûte magique" est une ode à la résistance à l'oppression par le pouvoir enchanteur de la beauté. Réalisé en 1946 soit dans l'après-guerre, sans le scénariste de ses premières oeuvres Jean AURENCHE, il préfigure dans son esthétique comme dans sa thématique "Le Roi et l'Oiseau"* (1979). Il raconte l'histoire d'un jeune troubadour qui se fait méchamment refouler à l'entrée d'un château fort par un seigneur et ses sbires particulièrement mal embouchés, ceux-ci allant jusqu'à lui casser son instrument. Mais par la grâce d'une flûte magique, don de la nature alliée au petit troubadour (et obtenue par la métamorphose d'un oiseau), celui-ci va radicalement changer la nature de la menaçante forteresse et de ses sombres habitants, à leur corps défendant, les obligeant au péril de sa vie à danser au son de sa petite musique. Bien que l'histoire se situe au Moyen-Age, le film lorgne vers le cinéma burlesque et cartoonesque et le compositeur Marcel DELANNOY se permet de délicieux anachronismes avec des airs jazzy entraînants. C'est joyeux, léger et délicieusement impertinent.
* "graphisme net et élégant fondé sur la courbe, le traitement en volume des personnages, le soin apporté aux détails dans les décors tendant au réalisme, une animation fluide et riche en mouvements, une palette luxuriante de couleurs fort variées, un découpage technique abondant en plans de différentes valeurs, de changements d'angles de prises de vues et de mouvements d'appareils... En ce qui concerne le fond, par une philosophie poético-anarchiste « prévertienne », par un amour pour les faibles, les êtres différents et fantaisistes, par une haine de la méchanceté, de la bêtise, de l'envie et de la tyrannie." (Alain GAREL critique et historien de cinéma, professeur d'histoire du cinéma)
Dans "Le Château des singes" (1999), Kom, un jeune singe appartenant à la tribu des Woonkos, peuple de singes "primitifs" vivant dans la canopée découvrait sur le plancher des vaches la civilisation des Laankos, peuple singe de la Renaissance prétendument civilisé mais rongé par les complots. "Le Voyage du prince", dernier-né de Jean-François LAGUIONIE offre un prolongement à la fable philosophique du film de 1999 en reprenant en prélude la scène tragique de la traversée de la mer gelée effectuée par l'armée du prince Laanko directement inspirée de "Alexandre Nevski" (1938) de Sergei M. EISENSTEIN. Sauf qu'en dépit de la Bérézina, Le Prince naufragé réussit à atteindre le rivage situé de l'autre côté de la mer. Il découvre alors à son tour une nouvelle civilisation, celle des Nioukos. Celle-ci est revêtue des atours de la société industrielle de la fin du XIX° siècle-début XX° (des grands palais de la consommation en verre et acier aux tramways électriques en passant par le travail à la chaîne et les projections cinématographiques qui synthétisent les débuts de cet art en version muette et musicale sous chapiteau de fête foraine et "King Kong") (1932). Prouesse technologique qui rappelle à la fois dans son architecture le Paris art nouveau et "Metropolis" (1927), cette société fait écho à la nôtre telle qu'elle s'est construite depuis deux siècles. On y évoque tour à tour l'obscurantisme (vis à vis des scientifiques qui remettent en cause "la doxa"), le suprémacisme (le prince est exhibé dans une cage à la manière des zoos humains de l'époque coloniale), le productivisme et le capitalisme (avec l'obsolescence programmée), le combat de l'homme contre la nature qui donne lieu à des scènes de ruines envahies par la végétation d'une grande beauté visuelle et enfin le véganisme au travers d'une société écologiste vivant d'énergies renouvelables et de végétaux dans les arbres. Une vie trop simple pour le Prince, sorte de Léonard de Vinci simiesque qui rêve de mettre au point une machine volante lui permettant de voyager et d'être libre.
Poétique et fantastique, "Le Voyage du Prince" (2019) se situe dans la continuité des plus beaux films de cet émule de Paul GRIMAULT.
"Stanley KUBRICK est un réalisateur qui m'a profondément marqué" (Ayumu WATANABE). C'est un euphémisme. Quand on regarde "Les Enfants de la mer", s'il y a une référence qui saute aux yeux, c'est bien "2001, l odyssée de l'espace" (1968), son psychédélisme, sa dimension métaphysique, ses interrogations existentielles (d'où venons-nous, où allons nous?) Oui mais le film de Stanley KUBRICK a beau être énigmatique et rebuter certains par son hermétisme, il me semble bien plus lisible et maîtrisé que "Les Enfants de la mer". Car le problème de ce film d'animation, c'est son scénario qui semble être resté à l'état d'ébauche. Après un début qui tient à peu près la route, même s'il n'est pas follement original (une adolescente en mal de communication avec ses parents et mise au ban de la société via la métaphore de son exclusion du club de handball se retrouve "en vacance" c'est à dire disponible), la rencontre avec Umi et Sora, les deux mystérieux frères venus de la mer et cousins de l'enfant astral de Kubrick semble tracer de nouvelles perspectives fort intéressantes. Sauf qu'elles ne sont pas creusées et ne mènent finalement nulle part. Au lieu de donner du sens à cette rencontre, le réalisateur préfère se concentrer sur une débauche d'effets visuels -magnifiques au demeurant- à la Kandinsky naviguant entre les échelles micro et macrocosmiques pour évoquer quoi au fond? Le mal que l'homme s'inflige à lui-même en dévastant les océans? Le fait qu'il doit se reconnecter de toute urgence au langage du vivant s'il veut survivre? Le lien entre la plus infime cellule et "le grand tout"? Hayao MIYAZAKI fait passer les mêmes messages dans ses films (on pense notamment à "Le Voyage de Chihiro") (2001) avec autrement plus d'efficacité narrative et d'émotions grâce à des personnages intelligemment travaillés. Dans "Les Enfants de la mer", ces aspects sont expédiés au profit d'une débauche grandiloquente qui à force d'excès finit par lorgner plus du côté du "Lucy" (2014) de Luc BESSON que de Stanley KUBRICK dont la froideur et la rigueur formelle permettent d'éviter in extremis ces écueils. C'est regrettable car le spectateur se sent rapidement exclu, s'ennuie et parfois quitte la salle avant la fin. Autrement dit, le réalisateur a un peu trop oublié les destinaires de son oeuvre pour que celle-ci reste dans les annales.
"Les Quatre cents farces du diable" est un "best-of" du cinéma de Georges MÉLIÈS, une sorte de testament. Inspiré comme "Le Royaume des fées" (1903) d'une féérie théâtrale représentée au théâtre du Châtelet, il accumule les morceaux de bravoure, chaque tableau renvoyant à un ou plusieurs de ses films*. On y trouve des scènes "à trucs" comme les explosions et transformations alchimiques qui peuvent faire penser à "Le Chaudron infernal" (1903). Les malles contenant le contenu entier d'une maison fait penser par anticipation à "Le Locataire diabolique" (1909). D'autres comme la scène du restaurant sont d'essence burlesque avec beaucoup d'acrobaties. Enfin la scène dans les étoiles, onirique, renvoie aux voyages fantastiques inspirés de Jules Verne ("Le Voyage dans la Lune" (1902), "Le voyage à travers l Impossible" (1904)). On mesure combien Terry GILLIAM s'est inspiré de Georges MÉLIÈS dans ses techniques artisanales d'animation (la scène du Vésuve pourrait tout à fait appartenir à un des génériques des Monty Python) tout comme pour l'idée des têtes détachées du roi et de la reine de la lune dans "Les Aventures du baron de Münchausen" (1988). De même, j'ai souvent relevé les similitudes entre les inventions de Méliès et celles qui se trouvent dans la saga Harry Potter. C'est peut-être juste une coïncidence mais c'est quand même troublant. Ici, comment par exemple ne pas penser aux Sombrals, les chevaux squelettiques tirant les carioles acheminant les élèves vers Poudlard lorsqu'on voit celui de Méliès emporter l'inventeur et son valet dans les étoiles? D'autant que celui-ci ayant signé un pacte avec le diable, son destin est de finir aux enfers, lequel est figuré par un Moloch monumental qui préfigure celui de "Metropolis" (1927). Bref c'est beau, c'est riche, ça fourmille d'inventivité et tout amateur de cinéma devrait se jeter dessus sans attendre.
La version que l'on peut voir aujourd'hui n'est que partiellement colorisée (technique de colorisation au pinceau, image par image).
"Le Chaudron infernal" est l'un des plus illustres films de la carrière de Georges MÉLIÈS, sans doute en raison de son ambiance gothique, de la qualité de ses trucages, de son rythme parfait et de la poésie horrifique qui s'en dégage. Car en effet il ne s'agit pas moins que de l'ancêtre du film d'épouvante! La colorisation au pinceau image par image rehausse considérablement l'impact du film. D'abord avec l'opposition entre la couleur verdâtre des démons et le rose vif de leurs trois victimes. Le vert, tout comme le jaune également présent à l'image sont les couleurs du soufre et symbolisent la folie. Tandis que le rose est la couleur associée au féminin, genre auquel appartiennent les trois victimes et dont sont friands les démons. Mais comme il n'est pas question de montrer la luxure, c'est plutôt en les jetant dans les flammes de l'enfer que ceux-ci espèrent s'en repaître (via des trucages cinématographiques et des escamotages théâtraux que l'on devine: coupures/raccords, trappe coulissante verticale à l'intérieur du décor figurant le chaudron). Viennent ensuite les spectaculaires explosions d'un rouge écarlate qui ponctuent la transformation des jeunes femmes en fantômes, lesquels apparaissent à l'aide d'un magnifique travail de surimpression floutés en blanc en haut de l'image avant que ceux-ci ne s'embrasent inexplicablement. Le chef des démons (joué par Georges MÉLIÈS) n'a plus qu'à se jeter à son tour dans le chaudron pour leur échapper... ou bien les rejoindre.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.