Voilà un film qui n'existait dans ma mémoire que par sa formidable BO que, à l'image de "Arizona Dream" (1993), je n'ai cessé d'écouter en boucle. A cela s'ajoutait quelques images oxymoriques d'une mariée volant à l'intérieur d'une cave. Mais l'histoire, je l'avais complètement oubliée car je n'avais sans doute pas à l'époque compris les enjeux. "Underground" est une fresque historique de la Yougoslavie s'étirant sur plus d'un demi-siècle, de la seconde guerre mondiale jusqu'à la guerre de Bosnie (qui n'était pas terminée quand Emir KUSTURICA a tourné le film) par le biais d'un traitement allégorique, celui de la caverne platonicienne. En effet comme le titre l'indique, la majeure partie des personnages du film vivent confinés dans une cave pendant près de deux décennies, manipulés par un profiteur qui par intérêt personnel les maintient dans l'illusion que la seconde guerre mondiale n'est pas terminée. On pense à "Goodbye Lenin" (2001) qui repose sur un postulat semblable (un fils cache à sa mère alitée les changements historiques en cours en inventant un monde parallèle dans lequel le communisme ne se serait pas effondré) et plus près de nous à "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021) où en vertu des ordres qui lui ont été donné et de son abandon par l'armée japonaise sur une île isolée, Onoda se persuade pendant trente ans que la guerre n'est pas finie. Cette manière de produire un récit uchronique à l'intérieur d'un récit historique est une évidente métaphore du cinéma créateur de fictions au coeur du monde réel. D'ailleurs à la manière d'un Robert ZEMECKIS, Emir KUSTURICA retouche les images d'archives pour y introduire ses personnages de fiction. La confusion entre les deux dimensions est telle que lorsque Blacky et son fils Jovan sortent enfin de la cave, ils tombent en plein tournage d'un film qui reconstitue leur histoire pendant la guerre mais croient qu'il s'agit de la réalité. Et d'une certaine manière, ils ont raison. Car l'imaginaire slave mis sous cloche durant un demi-siècle par la dictature communiste a rejoué sans cesse la même partition belliqueuse qui lui a tenu lieu d'identité. C'est encore le cas en Russie qui vit dans la nostalgie de l'URSS et des victoires contre le nazisme. Aussi l'image des partisans fabriquant de façon immuable des armes à la chaîne sur un atelier circulaire ou bien l'orchestre tzigane tournant sur lui-même comme une toupie illustre bien la folie autarcique s'étant emparé des peuples de l'est emmurés vivants et coupés de l'histoire en marche. Peuples qui une fois déconfinés retournent leur folie guerrière contre leurs semblables sous forme de règlements de comptes et de fractures religieuses, métaphoriquement illustrée par la dérive des continents. Mais le film-somme de Emir KUSTURICA se caractérise aussi par son caractère baroque, ses images oniriques (à l'exemple de la mariée qui vole ou qui nage au fond des eaux) et son rythme frénétique martelé par une fanfare tzigane qui est un personnage du film à part entière. Film paradoxal ayant existé en amont sous forme de pièce de théâtre (grâce à son unité de lieu) et en aval sous forme de mini-série (grâce à son caractère de fresque historique). Oeuvre définitivement hors-norme et quelque peu ogresque qui a valu à son réalisateur d'obtenir sa deuxième Palme d'or en 1995.
"L'Esprit de la ruche", premier film de Víctor ERICE se présente comme un conte avec l'expression "Il était une fois" renvoyant à un espace-temps indéterminé symbolisé par une magnifique et surréelle lumière dorée comme le miel passant à travers une porte dont les motifs ressemblent à ceux des alvéoles d'une ruche. S'y ajoute un autre motif récurrent des contes, la forêt, son champignon vénéneux et ses monstres, plus précisément celui qui se promène dans l'imagination d'Ana (Ana TORRENT dont c'était le premier film et qui était déjà magnétique avec ses immenses yeux noirs inquiets) depuis qu'elle a vu lors d'une projection dans son village le "Frankenstein" (1931) de James WHALE. A travers les interrogations qui la hantent et qui tournent autour de la mort (celle de la petite fille et celle du monstre), Ana tente de comprendre le monde qui l'entoure et qui apparaît étrangement dévitalisé. Car le film inscrit cette atmosphère de conte au coeur du réel, le "il était une fois" inscrit sur un dessin d'enfant à la fin du générique étant immédiatement suivi d'une prise de vue réelle et de la mention "quelque part en Castille vers 1940". Ce plan situé en extérieur se caractérise par une lumière grisâtre opposée à la lumière dorée "magique" des plans d'intérieur et tous ceux qui se situent sur un plan réaliste dans le film ont la même tonalité grise, vide et misérable à l'image des façades lépreuses des maisons du village et des bâtiments alentours, perdus au milieu d'un désert. Un instantané de l'Espagne franquiste de 1940 et qui l'était encore en 1973, date de sortie du film: un monde de solitude, de silence et de mort. La famille d'Ana est éclatée, chacun de ses membres monologuant en murmurant dans son coin. Le père qui est apiculteur rumine ses pensées sur les abeilles, la mère écrit des lettres à un mystérieux interlocuteur et la grande soeur Isabel invente des mises en scène macabres dans la lignée de "Harold et Maude" (1971) quand elle ne tente pas d'étrangler son chat. L'intérieur de la maison qui est plongé dans le noir peut d'ailleurs faire penser à un mausolée dont la porte dorée serait le vitrail menant au monde imaginaire (entre pays d'Oz et pays des merveilles). Quant aux abeilles et à la ruche que l'on trouve à l'extérieur comme à l'intérieur de la maison, on peut les voir comme une métaphore de la société laborieuse uniformisée et automatisée vivant sous cloche ou comme une manifestation divine (d'où provient la lumière dorée), la "route de briques jaunes". Pourtant ce n'est pas un monde féérique qui attend l'enfant mais un homme blessé échappé d'un train (vraisemblablement un anti-franquiste) à qui elle tend la main comme le faisait la petite fille vis à vis de la créature de Frankenstein. Ana découvre ainsi que l'horreur ne vient pas de lui mais de la société dans laquelle elle vit. On pense aux grands films américains sur l'imaginaire enfantin face au mal ("Du silence et des ombres" (1962), "La Nuit du chasseur") (1955) et on ressent très fortement la filiation avec le film de Guillermo DEL TORO, "Le Labyrinthe de Pan" (2006).
J'ai préféré "Memoria" à "Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)" (2010) même s'il possède le même ADN à savoir celui d'une oeuvre ésotérique, contemplative, abstraite, expérimentale et remplie de plans fixes d'une durée interminable qui m'ont rappelé ma désagréable expérience du visionnage du bien nommé "L'Eternité et un jour" (1998) de Theo ANGELOPOULOS, Palme d'or à Cannes au détriment du film tellement plus accessible de Pedro ALMODÓVAR, "Tout sur ma mère" (1999). C'est un choix et la radicalité des uns nourrit la (relative) "démocratisation" des autres, cette dialectique est sans doute nécessaire. En tout cas, si "Memoria" n'est pas un film que j'ai apprécié dans son architecture d'ensemble que j'ai trouvé vraiment trop décousue, j'en ai aimé certains moments, plus précisément ceux reliant les Hernan qui sans doute forment une boucle temporelle. Pour tenter de percer le mystère de l'étrange bruit qui surgit de façon imprévisible dans sa tête, Jessica (Tilda SWINTON qui est idéale pour le rôle avec son apparence extra-terrestre et son allure somnambulique) entreprend une sorte de voyage dont on ne sait pas vraiment s'il appartient au domaine du réel ou à celui du songe. Au cours de son périple, elle rencontre Hernan, un ingénieur du son qui tente de recréer celui qui assaille son cerveau et l'empêche de trouver le repos. Il lui fait don de sa trouvaille avant de disparaître d'un monde auquel il n'appartient visiblement pas. Plus tardivement dans le film, Jessica quitte Bogota (l'histoire se déroule en Colombie) c'est à dire le monde civilisé pour s'enfoncer dans la jungle amazonienne. La métaphore est limpide d'autant qu'elle est appuyée (trop selon moi) par une amie à elle jouée par Jeanne BALIBAR qui est archéologue et lui montre les ossements d'une jeune fille dont le crâne a été percé d'un trou et qui a été retrouvé lors de fouilles au coeur d'un chantier creusant un tunnel sous la cordillère des Andes. C'est dans la jungle qu'elle rencontre (retrouve?) Hernan sous une apparence plus âgée qui est "le disque dur" dont elle est "l'antenne" ce qui permet au spectateur non de voir mais d'écouter leurs esprits qui fonctionnent en vases communicants: lui se souvient et elle relaie ces échos sortis de différents lieux et de différentes époques. Lui dort mais ne rêve pas, elle rêve mais ne dort pas. Au vu de la façon dont il fait le mort en dormant, on comprend pourquoi elle ne peut pas s'abandonner au sommeil, de peur de ne pas revenir? Le seul plan de science-fiction du film semble le suggérer avec ce qui ressemble à un trou de ver et un bruit qui pourrait être finalement le franchissement du mur du son. Tout cela dessine un arc spatio-temporel reliant le visible au surnaturel intéressant voire même une sorte de cosmologie mais de façon si languissante et éthérée, si froide et peu incarnée (oui il y a de la sensorialité mais l'humanité y occupe la place du monolithe de Stanley KUBRICK) qu'il ne peut que perdre la majeure partie du public en chemin, dommage.
"Caprice", le film de fin d'études de Joanna HOGG réalisé en 1986 est aussi (et logiquement) le tout premier rôle de son amie d'enfance, Tilda SWINTON qui n'avait alors que 26 ans et que l'on est pas habituée à voir aussi jeune sur un écran bien qu'elle le crève déjà, au sens propre comme au sens figuré. Le film raconte en effet une histoire toute simple mais très ingénieuse, celle d'une jeune fille gauche et ingénue qui se retrouve aspirée à l'intérieur de son magazine de mode favori à la manière de Alice au pays des merveilles ou bien de Dorothy au pays d'Oz. Découvrant l'envers d'un décor changeant à la manière des pages que l'on feuillette, elle perd peu à peu ses illusions au contact de personnages lui promettant monts et merveilles mais se détournant d'elle dès qu'elle leur annonce qu'elle n'a pas d'argent pour payer leur poudre de perlimpinpin. Ou variante, elle se fait snober par les stars blasées par leurs fans énamourés. Joanna HOGG profite du concept pour changer de style et de genre à chaque nouvelle scène, faisant passer son héroïne d'un univers aux couleurs pop acidulées à un tunnel en noir et blanc inquiétant rappelant l'expressionnisme allemand (ou "Répulsion" (1965) de Roman POLANSKI), d'un clip à l'esthétique et aux sonorités très années 80 à une séquence parodiant "Aladin et la lampe merveilleuse" avec son génie en bouteille (de parfum). Le récit initiatique permet à l'héroïne de s'affirmer face aux diverses tentations factices auxquelles elle est soumise, l'imagination de Joanna HOGG faisant merveille. J'aime particulièrement le séducteur "Douglas Furbanks" joué par Anthony HIGGINS qui répète en boucle le même slogan publicitaire autour de la confiance en soi qui s'acquiert comme chacun le sait par la possession de quelques manteaux de fourrure (pas sûr que Brigitte BARDOT aurait apprécié ^^).
Si le raté "L'Année du requin" (2022) avait été autant promu dans les salles art et essai c'est parce que les frères Zoran BOUKHERMA et Ludovic BOUKHERMA avaient auparavant réalisé un film de genre, certes un peu bancal mais prometteur, "Teddy". Bancal parce que maîtrisant déjà mal le mélange des genres. Ainsi des scènes très réussies dramatiquement et esthétiquement alternent avec des moments creux. La greffe entre la comédie de terroir à la façon d'un "Groland" occitan, le teen-movie et l'imaginaire fantastique est laborieuse. Heureusement, Anthony BAJON qui est de tous les plans ou presque rend crédible et touchant son personnage de paria social un peu naïf qui tente de gommer les manifestations de sa lycanthropie pour s'intégrer. Du moins jusqu'à ce que ses illusions ne s'écroulent et que n'ayant plus rien à perdre, il provoque un bain de sang dans une scène qui fait fortement penser à "Carrie au bal du diable" (1976). Très travaillée visuellement avec ses contrastes de couleurs primaires et ses cadres dans le cadre, elle conclue un film visuellement recherché que ce soit pour les extérieurs (les paysages de montagnes pyrénéennes) ou les intérieurs (les effets de transparence du salon de massage où travaille Teddy, très "Vénus Beauté Institut" (1999) dans lequel la patronne jouée par Noémie LVOVSKY le poursuit de ses assiduités). Quant à l'horreur, elle reste pour l'essentiel suggérée, sans doute par manque de budget. Les frères Boukherma se font surtout plaisir avec des clins d'oeil à des classiques de la mutation comme "La Mouche" (1986) de David CRONENBERG. En dépit de ses imperfections, le film fonctionne assez bien et il est logique qu'il ait été remarqué.
Le centre Pompidou consacre une rétrospective à la cinéaste et photographe britannique Joanna Hogg, méconnue chez nous. "Eternal Daughter" est son sixième long-métrage, le septième si on compte son film de fin d'études qui date de 1986. En revanche, son amie d'enfance, Tilda Swinton est devenue extrêmement célèbre. Et c'est elle que l'on retrouve à l'affiche de "Eternal Daughter" qui allie une grande maîtrise cinématographique, une atmosphère onirique et gothique et un contenu intimiste autobiographique. Comme dans d'autres films mettant en scène la gémellité, Tilda Swinton s'y dédouble, cette fois pour interpréter une mère et sa fille dans un film d'atmosphère qui avec son grand hôtel désert et hanté fait penser à "Shining" de Kubrick (une référence assumée par la réalisatrice qui utilise la même oeuvre de Bela Bartok) nimbé de brume comme dans "La chute de la maison Usher" de Edgar Allan Poe. "Eternal Daughter" est une histoire de deuil qui prend la forme d'un film de fantôme. Julie qui est une réalisatrice entre deux âges sans enfant emmène sa mère Rosalind fêter son anniversaire dans l'hôtel qui fut autrefois sa maison. Une immense et majestueuse demeure quelque peu décrépite (électricité et chauffage défaillants) qui semble flotter hors du temps et dont les porte-clés sont des anges. Une sorte de rituel se met en place, ponctué par des rimes visuelles: un insert sur une main qui en saisit une autre, les promenades nocturnes de Julie dans le jardin avec Louis, le chien de Rosalind, le coucher de cette dernière précédé de la prise d'un somnifère dans le pilulier, les repas durant lesquels les deux femmes sont filmées en champ-contrechamp avec la réceptionniste qui apparaît dans le fond de l'image pour prendre la commande ou servir, des conversations dans la salle à manger ou la chambre durant lesquelles sont convoqués les souvenirs, pas toujours heureux qui effraient Julie tout comme les craquements qui alimentent ses insomnies ou encore son observation depuis la fenêtre des tensions entre la réceptionniste et son petit ami lorsqu'il vient la chercher le soir en voiture. De cette circularité et de cet effet de répétition émerge peu à peu l'idée d'une mémoire qui cherche à se rassembler, les circonvolutions de l'hôtel, comme dans "Shining" faisant penser aux méandres du cerveau. L'atmosphère est absolument envoûtante avec un choix de couleurs, d'atmosphères et de sonorités particulièrement évocatrices. Le tout au service d'un récit sensible que l'on devine proche du vécu de la réalisatrice qui s'inscrit dans une longue lignée d'autrices gothiques (de Charlotte Brontë à Daphné du Maurier).
Ayant découvert le cinéma de Quentin DUPIEUX trop tard pour voir "Incroyable mais vrai" en salle, j'attendais de pied ferme son passage sur Canal + et j'ai été complètement bluffée. En dépit de sa courte durée, il s'agit de l'un de ses meilleurs films, beaucoup plus rigoureux dans sa construction que "Fumer fait tousser" (2021) et qui tient davantage du conte philosophique que de la comédie loufoque. Si le film repose sur deux postulats fantastiques dont l'un est propice à déclencher l'hilarité (je me suis d'ailleurs demandé combien il avait fallu de prises pour que les acteurs réussissent à garder leur sérieux devant l'énormité de certaines répliques), l'arrière-plan comme dans la plupart des films du réalisateur est vertigineux de désespérance. Les deux couples du film, Alain et Marie (Léa DRUCKER et Alain CHABAT), Jeanne et Gérard (Anaïs DEMOUSTIER et Benoît MAGIMEL) se sont unis autour d'un secret qui s'avère être en réalité une sorte de pacte avec le diable: plus on avance dans le film et plus ce secret libère sa toxicité, révélant que ces unions ne reposent finalement que sur un vide abyssal. D'ailleurs Marie et Gérard sur qui reposent les postulats fantastiques finissent par devenir des monstres, leurs complexes, leurs frustrations mais aussi leurs égocentrismes se muant en névroses obsessionnelles qui non seulement les coupe du monde mais se répercute sur leurs anatomies respectives jusqu'à l'autodestruction complète. Si la question du temps est centrale dans le film, pas seulement dans son intrigue mais aussi dans sa forme avec un montage accéléré sur la fin nous montrant les conséquences désastreuses des choix des protagonistes sur le long terme, celle de l'espace l'est tout autant. Lorsque Marie ressort du conduit par le haut alors qu'elle y est entré par le bas (symbolisant son parcours contre-nature), elle se retrouve face à son propre reflet, séduisant en surface, pourri à l'intérieur. Lorsque Gérard change de partenaire sexuelle, les choisissant de plus en plus exotiques, il se retrouve immuablement à son point de départ jusqu'à l'explosion finale. Bref, c'est l'impasse existentielle et ça ne peut que mal finir. J'ajoute que la métaphore du pourrissement pour symboliser le temps qui passe et le vieillissement m'a fait penser à "La Rose et la flèche" (1976). Même si les fourmis qui s'échappent de la main sont une évidente référence au cinéaste fétiche de Quentin DUPIEUX, Luis BUÑUEL et au peintre Salvador DALÍ à qui Dupieux a récemment consacré un film qui va bientôt sortir en salles.
"Brigadoon" est le premier film tourné par Vincente MINNELLI en Cinémascope, une rêverie enchantée dans laquelle deux américains échappés de l'enfer citadin new-yorkais partent se ressourcer dans la vieille Europe. Plus exactement dans une Ecosse fantasmée où les décors naturels de landes et de lochs sont remplacés par des toiles peintes noyées dans la brume d'où émerge peu à peu un village endormi qui ne figure sur aucune carte. Tommy (Gene KELLY) tombe amoureux de Fiona (Cyd CHARISSE) avec laquelle il forme un duo "de rêve". Et c'est bien là le problème. Car Fiona ne peut quitter le village, tout comme les autres habitants sous peine de voir celui-ci être anéanti. C'est le prix à payer pour pouvoir vivre hors du temps. Dès lors, Tommy est écartelé entre son rêve irréel et la réalité désenchantée. Car "Brigadoon" n'est censé prendre vie qu'une journée tous les 100 ans et il pense donc que quitter ce paradis perdu (ou cette prison dorée, le film ne lève pas tout à fait l'ambiguïté et c'est très bien ainsi), c'est le perdre pour toujours.
Selon que l'on adhère ou non aux conventions du genre, de l'époque et de l'histoire qui est proche du conte de fées (ou de sorcières), "Brigadoon" peut être perçu comme une merveille ou bien comme légèrement désuet. Néanmoins, on ne peut lui retirer la beauté de ses décors, de ses costumes, la qualité de sa photographie, de sa lumière et la virtuosité des numéros chantés et dansés, ma préférence allant à l'entraînant "I'll go home with Bonnie Jean".
"Peggy Sue s'est mariée" fait partie des films sous-estimés de Francis Ford COPPOLA. Parce qu'il s'agit d'un film de commande qui ne devait pas être réalisé à l'origine par lui? Parce qu'il est d'allure modeste comparativement à la démesure d'un "Le Parrain" (1972) ou d'un "Apocalypse Now" (1976)? Parce qu'il s'agit d'une comédie à la tonalité (relativement) légère? Parce que le personnage principal est une femme? Parce que contrairement à un Steven SPIELBERG dont les films grand public du début des années 80 rencontrent un immense succès, la conversion du cinéaste du nouvel Hollywood contestataire des seventies au cinéma pop des eighties s'avère plus délicate? Sans doute un peu de tout cela à la fois.
Pourtant "Peggy Sue s'est mariée" n'est pas un film de seconde zone dans la carrière du cinéaste. Dès le premier plan, il nous propose une version bien à lui de "Alice de l'autre côté du miroir", celui du rétroviseur dans lequel vit la nostalgique Peggy Sue (Kathleen TURNER) qui à 43 ans pense avoir raté sa vie. Comme le titre l'indique, celle-ci se définit avant tout par son mariage, conclu au début des années 60 alors qu'elle n'avait que 18 ans. 25 ans plus tard, celui-ci est en train de s'écrouler alors plutôt que d'investir le présent, Peggy Sue préfère s'évader dans le passé, littéralement. On ne saura jamais comment le bal des anciens, fête typiquement américaine (bien qu'on trouve aussi ce genre de cérémonial de retrouvailles d'anciens élèves dans d'autres pays comme au Japon) se transforme en voyage dans le temps, mais voilà Peggy Sue transportée en 1960, dans son apparence d'adolescente (du moins pour son entourage) mais avec son expérience d'adulte d'âge mûr. Dans le bonus accompagnant le DVD du film, Jean-Baptiste Thoret souligne l'idéalisation des années 50 par le cinéma américain des années 80, en lien avec le triomphe de la politique réactionnaire de Ronald REAGAN (néo-conservatrice, néo-libérale, patriotique voire revancharde sur la scène internationale avec le "America is back" etc.) Ce n'est sans doute pas un hasard si "Peggy Sue s'est mariée" est l'exact contemporain de "Retour vers le futur" (1985) qui lui aussi emmenait son héros eighies à la rencontre de ses parents adolescents dans les fifties. Mais là où Marty tentait de transformer leur destin pour en faire de futurs winners du reaganisme (dans le premier volet, la suite étant nettement plus critique), Peggy Sue utilise cette expérience pour renouer avec sa famille défunte ou perdue de vue, réaliser ses désirs inassouvis en s'affichant avec des garçons marginaux et pousser son futur partenaire dans ses retranchements sans pour autant renoncer à lui. Car renoncer à lui signifierait renoncer à ses enfants et depuis "Le Parrain" (1972) on sait que pour Francis Ford COPPOLA, la famille s'est sacré. Tellement, même qu'il fait jouer dans le film sa fille Sofia COPPOLA et son neveu, Nicolas CAGE dans le rôle de Charlie, le mari de Peggy Sue dans l'un de ses premiers rôles où il s'avère déjà remarquable. On remarque aussi de futurs grands acteurs dans de petits rôles tels que Helen HUNT et Jim CARREY. Francis Ford COPPOLA fait donc moins de "Peggy Sue s'est mariée" un revival nostalgique des années 50 (et sa ménagère frustrée) qu'une variante pop, décalée, douce-amère de la comédie du remariage des années 30 et 40 où les femmes menaient la danse et les hommes par le bout du nez.
Dans "Mandibules", la trouvaille fantastico-absurde de Quentin DUPIEUX n'est ni un pneu psychopathe, ni un blouson en daim qui ne supporte pas la concurrence mais une mouche géante nommée Dominique trouvée dans un coffre de voiture volée par deux losers SDF particulièrement bas de plafond, Manu (Grégoire LUDIG) et Jean-Gab (David MARSAIS). Le genre à enchaîner les gaffes, à avoir un débit de "mongol", trois mots de vocabulaire et aucune suite dans les idées. De quoi bien s'entendre avec la mouche donc. Pas désarçonnés pour deux sous par cette étrange découverte, ils décident d'apprivoiser la bête pour l'utiliser comme drone à leur service. Là où le film devient carrément jubilatoire c'est lorsqu'à la suite d'une méprise, les deux compères quelque peu attardés se retrouvent avec leur passager clandestin dans une superbe villa avec piscine avec une bande de jeunes bourgeois pas très fute-fute eux non plus. Les quiproquos hilarants s'enchaînent portés par une Adèle EXARCHOPOULOS dans un rôle à contre-emploi. Elle est la seule "fine mouche" du groupe mais comme elle est handicapée dans son élocution suite à un accident, elle passe pour une complète agitée du bocal qui fait la paire avec les deux zigotos.
L'univers décalé de Quentin DUPIEUX fait donc encore une fois mouche ^^, nous délivrant une délicieuse petite comédie dont il a le secret, absurde en apparence mais qui retombe parfaitement sur ses pieds. Manu et Jean-Gab semblent coincés dans une réalité parallèle où le temps n'existe pas (ils vivent dans l'insouciance de l'instant) pas plus que l'ancrage dans un espace (ils vivotent dans la précarité la plus complète, dorment dans leur voiture volée déglinguée ou à la belle étoile, mangent ce qui leur tombe sous la main et ont une hygiène douteuse en contraste total avec les luxueuses villas qu'ils sont amenés à visiter ce qui n'a pas l'air de les affecter). D'une certaine manière, ils vont de pair avec la mouche qui vit dans les décharges et se nourrit de rebuts.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.