J'avais lu que pour "Le Labyrinthe de Pan" (2006), Guillermo DEL TORO s'était inspiré de "L'Esprit de la ruche" (1973). Mais cette influence comme celle de "La Nuit du chasseur" (1955) est tout aussi évidente dans "L'échine du diable", son troisième film réalisé cinq ans auparavant. Du film de Victor ERICE comme de celui de Charles LAUGHTON émerge le thème de l'enfance face au mal, lequel prend une double forme. Celui de la guerre d'Espagne avec l'image de l'obus fichée en plein coeur de la cour de l'orphelinat où est emmené Carlos. Mais aussi celui du monstre phallique séducteur, cupide et sanguinaire qui terrorise les enfants avant de révéler l'étendue de sa folie meurtrière et de tout détruire autour de lui. S'y ajoute une atmosphère oppressante lié au fait que le film se déroule dans le huis-clos d'un orphelinat qui en dépit des propos rassurants de sa directrice Carmen (Marisa PAREDES) ressemble à une prison d'où il s'avère impossible de s'échapper. La porte ouvre sur une route hostile et déserte sur des dizaines de kilomètres, le ciel est envahi d'avions fascistes et nazis et le sous-sol semble contenir des fantômes. Un plus précisément, celui d'un petit garçon qui détient un sombre secret et semble résider au fond d'un bassin (des images qui préfigurent "La Forme de l'eau") (2017). S'y on ajoute les foetus qui baignent dans l'alcool, l'atmosphère est plus qu'anxiogène. Néanmoins ce n'est pas d'elle que vient la menace mais bien du réel. Aussi comme dans ses autres films, face à la violence du monde qu'ils se prennent de plein fouet, les enfants apprennent à apprivoiser leurs peurs et à s'entraider. Ainsi Carlos qui est au départ un peu le souffre-douleur va par son courage, sa générosité et sa curiosité d'esprit finir par fédérer les autres membres du groupe autour de lui contre la véritable source de leurs tourments. Par ailleurs si les adultes bienveillants sont défaillants (Carmen souffre d'une infirmité, Casarès est impuissant et Conchita comme Carmen se sont laissé abuser par Jacinto qui possède tous les traits des terrifiants mâles alpha développés dans les films ultérieurs de Guillermo DEL TORO), ils ne sont pas tout à fait absents. Les lingots cachés par Carmen s'avèreront être des alliés inattendus. De même, l'esprit de Casarès veille sur les enfants survivants.
"All that jazz" est l'avant-dernier film de Bob FOSSE qui a obtenu la palme d'or à Cannes en 1980. Il m'a fait penser à une version musicale, flamboyante et sombre de "Le Testament d'Orphee" (1959) de Jean COCTEAU. D'autres le comparent à "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Parce que Joe Gideon (Roy SCHEIDER), c'est Bob FOSSEqui sent venir sa fin prochaine et décide de faire un dernier tour de piste avant de tirer sa révérence. Alors dans "All that jazz" ("Tout ce tralala"), il y a du très bon, du surprenant mais aussi de l'agaçant. Le très bon, c'est l'élaboration d'un spectacle "sexe, drogue and rock and roll" fait pour choquer les producteurs conservateurs et qui atteint parfaitement son objectif. Quelques chorégraphies plus intimistes avec la compagne, l'ex-femme et la fille de Gideon fonctionnent aussi très bien. Le surprenant est la juxtaposition d'Eros et de Thanatos. Evoquer en musiques et en images à l'aide d'un montage percutant et d'une musique entraînante la vie à cent à l'heure, l'opération chirurgicale et la mort est inhabituel: d'un côté les corps nus, chauds, vibrants de désir de l'autre la viande saignante et froide. Enfin pour ce qui est de l'agaçant, le bilan d'une vie tourne parfois trop à l'exercice de style narcissique où le "moi moi moi" supplante le chorégraphe de talent. Il faut dire que Gideon est un être excessif, travailleur acharné mais aussi jouisseur et coq de basse-cour, trônant en majesté au milieu de ses danseuses, des coups d'un soir pour la plupart au milieu desquelles se détachent son ex-femme, sa maîtresse et sa fille. L'exercice d'introspection penche ainsi vers l'autocélébration complaisante (même la mort prend la forme d'une jeune et jolie femme: Jessica LANGE) et si Bob FOSSE peut se le permettre étant donné son talent, cela coupe l'émotion.
Avant-dernier film de Ernst LUBITSCH (il décèdera quatre ans plus tard), le seul en couleur, "Le ciel peut attendre" est une oeuvre testamentaire dont le maître-mot est une fois de plus l'élégance. Car en plus d'être une étude de moeurs assez piquante sur le couple, "Le ciel peut attendre" est aussi un film sur la mort. "La vie est une entreprise de démolition" disait Fitzgerald et le fait est que le temps est un protagoniste à part entière du film. Les anniversaires de Henry Van Cleve (Don AMECHE) qui scandent le film apportent avec eux de plus en plus de mélancolie et de gravité au fur et à mesure que les pertes s'accumulent et qu'avec le temps "tout s'en va" (la jeunesse, la santé, le pouvoir de séduction, les êtres chers et finalement la vie) alors que son environnement aristocratique est condamné à disparaître avec lui "autre temps, autres moeurs". Néanmoins, si le film reste une comédie, c'est que cette gravité est compensée par la légèreté de moeurs de Henry Van Cleve, coureur de jupons invétéré dont le désir pour le beau sexe durera jusqu'à sa mort comme le montre la séquence de l'échange des infirmières. Une légèreté elle-même tempérée par les sentiments qu'il éprouve pour son épouse Martha (Gene TIERNEY) qui n'est elle-même pas avare de paradoxes. Derrière son apparence de jeune femme rangée, bonne épouse et bonne mère, n'est-elle pas littéralement allergique aux conventions régissant la conjugalité bourgeoise (incarnées par le parfaitement ennuyeux Albert, cousin de Henry ainsi que par ses propres parents, englués dans une guerre domestique sans fin), lui préférant le frivole, amoral et aventureux Henry dont elle n'est jamais dupe? Le délicieux grand-père de Henry (impayable Charles COBURN) est la figure tutélaire unissant le couple (la mise en scène le place souvent entre Henry et Martha, en chair et en os puis en portrait), encourageant les frasques de Henry tout en étant profondément attaché à Martha. Laquelle a compris que "pour rendre son mari heureux" (ou plutôt son ménage heureux), il fallait accepter qu'il soit traversé par "le tourbillon de la vie". Sa tendre indulgence vis à vis de son "petit Casanova" est bien sûr mise à l'épreuve dans un cadre qui semble aujourd'hui bien obsolète (monsieur trompe, madame se tient à carreau pour deux et pardonne). Il n'en reste pas moins que par sa franchise et sa tolérance, Martha échappe aux conventions au point qu'avec un peu de malice, on peut imaginer qu'elle vit par procuration. Dans ses oeuvres pré-code, les femmes sont libres de leurs désirs et envoient valser la morale aussi bien que ne le fait Henry. Le jugement final du diable, qui est le double de Ernst LUBITSCH ne laisse guère de doute sur ce qu'il pensait du puritanisme chrétien.
"The Fury" n'est pas le film le plus connu de Brian de Palma encore que sa fin explosive soit devenue culte et ait vraisemblablement inspiré Cronenberg pour "Scanners". Si le scénario de "Furie" manque de rigueur et parfois de crédibilité, la réalisation remarquable relève le niveau sans parler de la qualité de la musique signée par John Williams qui nous plonge d'emblée dans une atmosphère ténébreuse. Pourtant le film commence de façon détendue, au soleil, sur une plage que l'on devine être située dans l'Etat d'Israël. Mais quelques minutes plus tard, l'atmosphère change du tout au tout et on entre dans le vif du sujet qui croise deux genres en vogue à cette période: le thriller d'espionnage paranoïaque et le fantastique horrifique avec pouvoirs paranormaux et jaillissements sanguinolents dans la continuité de "Carrie au bal du diable". Mais contrairement à Carrie, le sujet du film ne réside pas dans un personnage mais bien dans la soif de contrôle des débordements de fureur (et d'hémoglobine ^^) de deux jeunes gens liés entre eux par des pouvoirs parapsychiques. Ces deux jeunes en quête d'identité, Robin (Andrew Stevens) et Gillian (Amy Irving) passent peu à peu de la lumière à l'ombre au fur et à mesure qu'ils perdent le contrôle de leur vie et deviennent des rats de laboratoire au service de l'Etat. Une trame qui fait penser à celle de "Orange Mécanique" ou des enfants-cobaye de "Akira" d'autant que logiquement, les manipulations dont Robin et Gillian font l'objet détraquent leur psychisme et finissent par les rendre dangereux pour eux-mêmes et pour les autres. A ce duo de jumeaux maléfiques malgré eux correspond un duo d'agents secrets antinomiques. Peter, joué par Kirk Douglas qui se retourne contre l'Etat pour sauver son fils Robin ainsi que Gillian devient un fugitif traqué qui connaît une trajectoire tragique dans laquelle ses actes se retournent contre lui. Son âme damnée, est jouée par John Cassavetes qui reprend quasiment à l'identique le rôle du diable qu'il incarnait dix ans plus tôt dans "Rosemary's Baby". Enfin comme je le disais plus haut, la réalisation virtuose compense l'aspect parfois boiteux du scénario et certains effets kitsch. La fuite de Gillian, l'emballement du manège contrôlé par la pensée de Robin ou la fin constituent autant de séquences marquantes alors que l'accumulation de ces vies broyées finit par prendre à la gorge.
"Rubber" est un film inclassable qui raconte l'odyssée d'un objet, en l'occurence un pneu prénommé Robert qui par la grâce du cinéma prend vie dans une décharge au milieu du désert quelque part dans l'ouest américain. Tel un nouveau-né, on le voit se dresser, tomber, avancer en vacillant, tomber à nouveau, se relever et finir par partir explorer le monde en roulant sur lui-même. Puis on découvre qu'il s'agit d'un objet "pulsionnel" qui détruit instinctivement tous les obstacles qu'il rencontre sur sa route. Preuve qu'il s'agit d'un film construit, réfléchi, ces obstacles montent en puissance comme dans "L'homme aux cercles bleus" de Fred Vargas. D'abord des objets ou bestioles qu'il peut écraser, puis des objets durs qu'il peut pulvériser à distance par télépathie, puis des animaux et enfin des humains dont il fait exploser la tête selon le même procédé (une référence à "Scanners" de Cronenberg). Gare à ceux qu'il croise sur sa route et particulièrement ceux qui le malmènent, l'objet est particulièrement susceptible. On découvre aussi avec la superbe Sheila (Roxane Mesquida) qu'il a une libido, avec la scène du miroir, qu'il a des souvenirs et avec celle du crématoire à pneus qu'il a soif de vengeance. Ce n'est pas le moindre exploit d'arriver à nous faire croire que cette chambre à air a une "âme", même si l'animation est l'ADN du cinéma, et se marie bien avec le nonsense, le thriller et l'épouvante. Ainsi "Rubber" m'a fait penser (comme "Fumer fait tousser") à "Téléchat" de Roland Topor qui bien qu'étant une émission pour enfant distillait un léger malaise avec ses animaux et ses objets parlants et névrosés mais aussi à "Christine", la voiture serial-killer de John Carpenter. Mais le film de Quentin Dupieux se caractérise par son aspect dépouillé qui en fait un road-movie existentiel proche du "Duel" de Steven Spielberg (où le camion semblait agir de façon autonome) ainsi que que par sa réflexivité. En effet le film a un caractère méta affirmé dès les premières images avec le lieutenant Chad (Stephen Spinella) expliquant face caméra que le cinéma comme l'existence est fondé sur l'absurde avant qu'un jeu ne s'instaure entre un aéropage de spectateurs largués dans le désert et ce flic qui est à fois de leur côté et dans le film qu'ils regardent (hormis l'introduction au "no reason" devenue culte, pas l'aspect de "Rubber" le plus mémorable toutefois, il a tendance à alourdir le propos).
Etait-ce un rêve ou était-ce la réalité? Cette phrase en introduction de la série d'animation japonaise "Vision d'Escaflowne", je l'avais en tête en regardant "Réalité" qui abolit les barrières entre les dimensions du réel, du rêve et de la fiction avec ce mélange unique de ludisme et d'angoisse existentielle qui caractérise le cinéma de Quentin Dupieux. Véritable petit labyrinthe en forme de boucle temporelle, le film à multiples facettes associe voire connecte par le biais du montage et de la mise en abyme des personnages, des intrigues, des lieux et des temporalités incompatibles. Et il en tire un résultat vertigineux et étonnamment rigoureux où il n'hésite pas à appuyer à fond sur la pédale méta. Par exemple, il suit une petite fille américaine (en référence au fait que Quentin Dupieux tourne alors aux USA) qui a récupéré une cassette VHS trouvée par son père dans les entrailles d'un sanglier qu'il a tué en forêt ("vidéo-viande", non je plaisante!). La gamine va passer l'essentiel du film à tenter de visionner la cassette mais lorsqu'elle y arrive, le cadre choisi ne nous permet pas de voir son contenu mais montre au contraire la fillette en train de regarder l'écran de sa TV, scène projetée dans une salle de cinéma devant le producteur, M. Marshall (Jonathan Lambert) et un certain Zog, réalisateur du film dans lequel se trouve "en réalité" la fillette (prénommée "Reality" cela va de soi) ce qui renvoie en miroir le fait que nous en faisons de même derrière notre écran. Ce que Reality regarde a donc également une fonction de miroir, "un homme coincé dans son propre cauchemar" (alias Jason, le caméraman joué par Alain Chabat) et elle croise aussi le rêve de son proviseur lequel est psychanalysé par l'épouse de Jason (Elodie Bouchez) qui parle en anglais (sous-titré) avec le proviseur et le plan d'après en français avec Jason. Cela explique sans doute la raison pour laquelle elle s'appelle Alice! Jason de son côté découvre que le film qu'il a en tête ("Waves") a déjà été tourné et est projeté aux côtés d'un certain "Rubber 2" (sympa l'autoréférence!), avant de découvrir qu'il s'est dédoublé. Quant à l'émission de TV pour laquelle il travaille, elle est présentée par un hypocondriaque dont l'eczéma est dans la tête et qui croit que Jason et lui sont la même personne. L'asile de fous guette mais cette petite pépite bilingue surréaliste référencée (la recherche du meilleur gémissement pour le film de Jason fait penser par exemple à "Blow out" de De Palma, les images extraites de viscères renvoient à Cronenberg, la cassette mystérieuse aux films d'horreur japonais du type "Ring" etc.) et rythmée par la musique de Philippe Glass est aussi une jolie leçon de cinéma comme sait les façonner un Michel Hazanavicius qui apparaît dans le film de Quentin Dupieux pour une scène clin d'oeil de remise de prix qui tourne mal car une fois de plus cela se passe dans la tête d'un homme "coincé dans son propre cauchemar". Brillant!
Neuvième film de Michel OCELOT, "Le Pharaon, le sauvage et la princesse" forme une sorte de tétralogie avec "Princes et Princesses" (1998), "Les Contes de la nuit" (2011) et "Ivan Tsarevitch et la princesse changeante" (2016). La différence provient du choix de varier les styles d'un conte à l'autre. "Le Pharaon" qui comme son titre l'indique se déroule entre l'Egypte antique et le Soudan utilise la 2D et colle au graphisme de cette époque (personnages de profil mais torse de face), "Le beau sauvage" qui se déroule en Auvergne au Moyen-Age revient aux ombres chinoises ce qui dans la lignée de "Les Contes de la nuit" (2011) magnifie d'autant plus les couleurs, quant à "la princesse des roses et le prince des beignets", il s'agit d'une "turquerie" XVIII° sècle en 3D qui fait beaucoup penser à "Azur et Asmar" (2006). Quant au fond, il est assez balisé. Le premier récit, le plus historiquement documenté est un conte initiatique où pour arracher sa belle des mains d'une mère qui ne veut pas lâcher le pouvoir, un jeune soudanais conseillé par les Dieux part à la conquête du trône d'Egypte. Le second combine "Blanche-Neige" et "Robin des Bois". Le troisième est une histoire d'amour et d'exil dont la conclusion se perd dans les sables. Si l'ensemble est une splendeur graphique, force est de constater que Michel OCELOT semble à court d'idées neuves comme le dirait Anton Ego dans "Ratatouille" (2007). L'impasse est d'ailleurs figurée par le décor qui relie les trois histoires par lequel on peut deviner que le vieux cinéma abandonné dans lequel s'élaborait les contes a été détruit et remplacé par un chantier d'immeubles en construction. Un clin d'oeil à Jacques TATI?
Pixar m'a beaucoup manqué. Depuis "Soul" qui m'avait déçue, je n'y étais pas retourné et pourtant j'ai Disney +. Mais les studios Pixar racontent des histoires trop fondamentales pour être cantonnés à un robinet consumériste qui détruit l'expérience culturelle collective. Ce retour en salles avec un film original est donc une excellente nouvelle même si elle est déjà ternie par l'insuccès du film aux USA. Au moins aura-t-il fait la clôture du festival de Cannes qui a manifesté une remarquable constance dans son refus d'adouber le cinéma sur plateforme.
On a beaucoup décrit "Elémentaire" comme un croisement entre "Zootopie" pour l'esthétique de la ville (inspirée de New-York) et "Vice-Versa" pour le principe consistant à donner corps à l'intangible. C'est exact. L'influence des studios Ghibli pourtant cités à travers le nom d'un personnage n'a en revanche pas été analysée et c'est bien dommage. En effet Flam et ses parents doivent beaucoup esthétiquement à Calcifer, le "principe actif" qui fait tenir debout le "Château ambulant" alors que les métamorphoses de Flack ne sont pas sans rappeler celles de "Ponyo sur la falaise". Si ces deux personnages peuvent se rencontrer c'est justement parce que leur enveloppe corporelle est plastique. A condition de ne pas être soumis à des conditions extrêmes, l'eau et le feu ne s'annulent pas mais se complètent selon le principe du ying et du yang. Le film doit donc beaucoup (comme nombre de films Pixar) à la culture asiatique et Peter Sohn le réalisateur qui est d'origine coréenne a justement injecté beaucoup de son histoire personnelle dans le film. Les flamboyants y jouent le rôle des réfugiés climatiques quelque peu ghettoïsés dans une ville qui est davantage faite pour les trois autres éléments (l'air avec ses personnages-nuages et la terre avec ses plantes en pot vivantes auraient mérités un traitement plus approfondi: un deuxième volet ne serait pas de trop d'autant que Peter Sohn a réalisé en 2009 un court-métrage, "Passages nuageux" qui préfigure les personnages maîtres de l'air de "Elémentaire"). Flam représente l'enfant d'immigré tiraillée entre sa loyauté vis à vis des rêves de ses parents et ses aspirations propres. Flack est lui issu d'une famille aisée et ouverte d'esprit ce qui explique qu'innover ne lui fait pas peur. On remarque également que l'équipe s'est amusée à inverser les stéréotypes de genre. Flam est impulsive et intrépide alors que Flack est doux, empathique et déploie des torrents de larmes façon cartoon chaque fois que l'occasion se présente.
Même si l'histoire d'amour peut surprendre dans un univers qui s'est surtout surpassé dans son analyse du deuil, ce thème n'est pas complètement absent de "Elémentaire". Car pour s'intégrer, il faut muer comme le montrait avec tant de brio "Vice Versa" donc abandonner quelque chose de soi. Dans nombre de leurs films ("Monstres et Cie", "Cars"), les studios Pixar ont évoqué les quartiers d'immigrés, essentiellement d'origine italienne tenant des commerces. Le père de Flam qui a dû rompre avec son père pour émigrer possède une échoppe qu'il souhaite léguer à sa fille. Mais en rencontrant la famille de Flack, Flam se découvre un talent d'artiste verrière. Quant on disait que le film avait une portée personnelle...
Le cinéma iranien ne cesse de me surprendre par sa richesse, sa diversité, alors même qu'il est entravé par le pouvoir en place. Après les drames sentimentaux, les docu-fictions, les polars et les thrillers, "Les ombres persanes" est le premier film fantastique issu de ce pays que j'ai pu voir. Bien que l'histoire soit traitée avec réalisme, deux éléments viennent jeter le trouble. Le premier est la pluie, incessante et battante qui s'abat sur l'ensemble du film, doublée d'une atmosphère sombre et confuse qui ne cède la place à une éclaircie que lors d'un très bref moment destiné à s'avanouir aussi vite qu'il est apparu. Car pour le reste, c'est le déluge, une atmosphère de fin du monde et d'horizon bouché (à la manière parfois de "Matrix Revolutions" et cet écho fait sens) qui s'infiltre jusque dans la demeure de Tarzaneh et Jalal. Justement, Tarzaneh qui est monitrice d'auto-école croit apercevoir son mari entrer chez une autre femme. Ce qui nous amène au deuxième élément fantastique du film, à savoir qu'il existe un couple à l'apparence jumelle de celle de Tarzaneh et Jalal, formé par Bita et Mohsen, plus aisés et parents d'un petit garçon. Aucune explication rationnelle ne nous est donnée sur cette troublante ressemblance et la piste génétique est vite abandonnée. Ce que l'on remarque en revanche c'est qu'il s'agit de couples mal assortis aux polarités inversées. Tarzaneh qui est enceinte semble dépressive et angoissée alors que Mohsen est jaloux et violent. A l'inverse, Jalal est gentil et dévoué et Bita, souriante et équilibrée. Logiquement, Bita et Jalal, trop beaux pour être vrais ne peuvent que céder la place à Farzaneh et Mohsen qui incarnent les différentes formes de mal-être générées par les dysfonctionnements de la société iranienne, plus fortes que leurs différences. Taraneh ALIDOOSTI et Navid MOHAMMADZADEH peuvent ainsi comme dans de nombreux films sur ce thème éminemment cinématographique montrer différentes facettes de leur jeu. L'excellence de leur interprétation compense en partie les maladresses du scénario.
Le début était prometteur avec son personnage d'experte en narratologie (Tilda SWINTON), sorte de Joseph Campbell au féminin (j'ignorais d'ailleurs tout ce que devait George MILLER au concepteur du monomythe) qui se retrouve nez à nez avec une créature de conte oriental (Idris ELBA) libéré sa bouteille comme le génie sorti de la lampe, lequel la met au défi d'exaucer trois voeux. "La met au défi" car Alithéa est une allégorie du monde occidental désenchanté et privé de désir. Alors pour relancer la machine à rêves (qui concerne aussi bien évidemment le cinéma), le djinn lui raconte son passé ce qui donne lieu à trois histoires baignant dans l'atmosphère des contes des 1001 nuits. Le problème, c'est que outre que je n'affectionne pas particulièrement les films à sketches, il y a mieux qu'un Orient d'opérette imagé avec des effets spéciaux kitsch pour ressusciter la magie perdue par l'Occident avec le triomphe du scientisme. D'ailleurs cette binarité est elle-même caricaturale, on peut lui opposer la mondialisation uniformisatrice autant que diverses formes de résistance dans les pays occidentaux et non-occidentaux (l'Orient ne se réduisant pas au Moyen-Orient). A l'exotisme de pacotille, j'aurais préféré la stylisation d'un Michel OCELOT avec son jeu d'ombres et de lumières brisant toute forme de dichotomie. Quant au dénouement, il est forcément convenu (pour retrouver la plénitude, fusionnons orient et occident, CQFD) et en plus étiré et maladroit. La mise en scène suggère a un moment donné que le djinn est le fruit de l'imagination de Alithéa mais ne poursuit pas dans cette voie, préférant souligner à gros traits une morale anti-raciste assez primaire.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.