Contrairement à ce que l'on peut lire un peu partout (par exemple dans le Hors-Série de Télérama consacré au cinéma d'animation sorti récemment), la renaissance des studios Disney ne date pas de 1989 avec leur 36° long-métrage la Petite Sirène mais avec le 35° sorti en 1988, Qui veut la peau de Roger Rabbit? coproduit par Touchstone (filiale de Disney) mais aussi Amblin Entertainment (la société de Spielberg) et Silver Screen Partners. Il ne fallait pas moins de trois sociétés de production en effet pour supporter le coût pharaonique d'un film mêlant prises de vues réelles et animation comme dans Mary Poppins mais avec des techniques beaucoup plus sophistiquées. Grâce aux effets spéciaux sur l'ombre et la lumière les toons acquièrent un véritable relief et prennent vie. De réelles interactions sont possibles avec les humains car leur cohabitation avec eux dans les mêmes plans devient crédible, voire bluffante (Roger Rabbit dans l'imperméable de Valiant). Un pas de géant est fait dans la fusion entre animation et cinéma, entre la chair et le dessin. Et les acteurs eux-mêmes au jeu très cartoonesque (Bob Hoskins et Christopher Lloyd en tête) y vont à fond. Conséquence: le grand public a fait un triomphe au film et l'animation ainsi dépoussiérée a retrouvé une place de choix dans la production cinématographique.
Bien soutenu financièrement et techniquement par Disney et Spielberg, Zemeckis nous offre avec ce film un vrai bonheur de cinéphile. Comme dans Retour vers le futur, il mélange plusieurs genres. Qui veut la peau de Roger Rabbit? commence comme un bon vieux cartoon Looney Tunes de la Warner. Seuls les personnages (Baby Hermann et Roger Rabbit) sont inédits. Mais on retrouve bien l'esprit de ces courts-métrages complètement déjantés. Puis le film bascule dans la prise de vue réelle du tournage (film dans le film) tout en y laissant subsister ses héros de cartoon qui deviennent alors eux aussi des acteurs à part entière avec un décalage drôlatique entre leur apparence "innocente" et la réalité parsemée d'allusions sexuelles. Baby Hermann se définit d'ailleurs très bien lui-même "j'ai la libido d'un homme de cinquante ans et la quéquette d'un gamin de 3 ans." Rabbit, un "chaud lapin" est quant à lui marié à Jessica, un toon en forme de méga bombe sexuelle qui chante dans un club et qui est soupçonnée d'adultère. Mais elle non plus n'est pas ce qu'elle paraît. Un détective, Eddie Valiant est mis sur le coup: on nage alors en plein film noir des années 40-50 (le film est censé se passer en 1947) avec son privé alcoolique, sa femme fatale, son héros accusé à tort, sa mystérieuse corporation, ses allusions au temps de la Prohibition... avant de retourner régulièrement dans la comédie déjantée (la fin a un petit côté Rabbi Jacob dans l'usine de chewing-gum) avec l'apparition en guest-star de très nombreux personnages Disney et Warner qui pour figurer dans le film devaient avoir autant de présence à l'écran les uns que les autres (d'où le fait que Mickey et Bugs Bunny ou Donald et Daffy apparaissent et disparaissent ensemble). Mais aussi de la Paramount (Betty Boop, Woody Woodpecker etc.) Enfin le message antiraciste, antiségrégationniste, antifasciste et anticapitaliste libéral du film (les toons remplaçant les noirs et les ouvriers) n'est pas une surprise pour qui connaît Zemeckis.
Porco Rosso est le premier film de Miyazaki à avoir bénéficié d'une sortie en salle en France en 1995. Mais il ne rencontra pas le succès escompté car le public n'était pas prêt pour des œuvres d'animation de cette trempe. De ce fait il reste injustement moins connu que Mononoké et Chihiro alors qu'il s'agit d'un joyau de sa filmographie (qui ne compte à l'égal d'un Kubrick quasiment que des chefs-d'œuvre.)
Porco Rosso est à l'origine un manga de Miyazaki court et plutôt léger mais le contexte de la réalisation du film -l'éclatement de la guerre en ex-Yougoslavie en 1992- va fortement influer sur sa tonalité. Tous les films de Miyazaki ont un caractère politique mais dans Porco Rosso, celui-ci est explicite car situé dans un contexte historique réel et précis. L'intrigue se déroule dans l'Adriatique, pendant l'entre-deux-guerres, en 1929 plus précisément et fait référence à des personnages ayant réellement existé. Marco Pagot est un aviateur italien qui a vu ses camarades pilotes mourir pendant la grande guerre et a échappé lui-même de justesse à la mort (la scène de réminiscence de ces événements donne lieu à une scène d'au-delà cosmique d'une grande beauté.) Profondément traumatisé, il a perdu la foi en l'humain au point que son visage est devenu une tête de cochon. Cette métamorphose animalière se retrouve également dans le voyage de Chihiro. Dans Chihiro il s'agit d'une punition divine mais dans Porco Rosso, on comprend que Marco se l'est infligée à lui-même: "je préfère être un cochon volant qu'un cochon de fasciste." Comme beaucoup de héros miyazakiens, il a trouvé refuge dans un lieu secret, un havre de paix protégé des turbulences du monde. Mais il reste relié à lui par quelques fils de téléphone et de radio. Par son amour inavoué pour son amie d'enfance, la belle Gina, veuve de trois de ses amis pilotes qui passe son temps à l'attendre, réfugiée elle aussi dans son jardin secret. Et par sa soif de rédemption "christique" qui le fait voler au secours des opprimés. En dépit de son visage défiguré et de sa misanthropie, Marco Pagot est un héros porteur de valeurs humanistes. Il refuse les compromissions, la soumission aux autorités, il refuse également de tuer. Son pacifisme, son antimilitarisme et son anarchisme s'opposent au fascisme alors au pouvoir en Italie qui le surnomme "Porco Rosso" le porc rouge c'est à dire le communiste. Les idéaux socialistes ne sont pas seulement symbolisés par la couleur de l'hydravion de Marco mais aussi par la chanson "Le Temps des cerises" qui fait allusion à la commune de Paris de 1870. Pour échapper aux fascistes Marco ne peut poser le pied sur la terre ferme, il doit rester dans les airs ou sur son île en équilibre instable, à la merci de la moindre attaque. Heureusement, les femmes de la famille Piccolo se liguent pour le protéger et reconstruire son hydravion. Avec à leur tête la courageuse ingénieure Fio, femme de tête et de coeur d'une exceptionnelle pugnacité. L'occasion pour Miyazaki après Nausicaa de dresser une fois de plus le portrait d'une héroïne capable d'en remontrer à la terre entière.
Mélange de romantisme, de mélancolie, de comédie et d'aventures sur fond politique de montée des périls, Porco Rosso permet à Miyazaki d'exprimer son amour des machines volantes tout en créant une atmosphère qui rappelle tantôt l'univers de Saint-Exupéry (son auteur préféré avec Jules Verne) et tantôt celui du film Casablanca de Curtiz (l'américain rival de Pagot s'appelle Curtis et ce n'est pas un hasard!)
Le début du film est en trompe-l'oeil. Ce que l'on croit être une première rencontre est en fait un "éternel retour" cher à Nietzsche (cité explicitement dans le film tout comme le poème d'Alexander Pope d'où est extrait le titre du film.) Eternel sunshine of the spotless mind est un éternel recommencement et l'autopsie d'une relation amoureuse entre deux personnages qui ne peuvent ni s'aimer, ni se séparer. L'attachement entre eux est aussi viscéral que la communication est impossible. Leurs premières rencontres matérialisent leur sentiment commun d'étrangeté. Leur solitude les condamne à se rapprocher que ce soit au bord d'une plage désolée ou bien sur un étang gelé. Et en même temps, la mise en scène souligne leur incapacité à se comprendre au travers de tensions, de silences, de barrières infranchissables (rampe d'escalier, sièges de wagon, rayonnages de bibliothèque etc.) L'idée d'avoir fait jouer à contre-emploi deux acteurs au profil typé est particulièrement brillante. Kate Winslet est l'élément explosif, spontané, déluré, instable du couple. Elle change de couleur de cheveux aussi souvent que ses variations d'humeur. Jim Carrey est à l'inverse un homme triste et introverti voire dépressif car incapable de gérer les conflits (autrement qu'en se défoulant sur les objets). Tous deux crèvent l'écran et forment un couple aussi détonnant qu'attachant.
En guise de (fausse) solution à leur problème de couple, un élément fantastique est introduit dans le film, celui qui consiste à se faire effacer la mémoire. Une tentation très humaine, celle de ne plus souffrir et dont la réalisation s'avère pire que le mal. Outre le fait que l'anesthésie de leurs sentiments prive les personnages de leur humanité elle les prive aussi de leur identité ce qui bénéficie à la société Lacuna dont les pratiques manquent singulièrement d'éthique. Patrick, l'un des employés joué par Elijah Wood vole l'identité de Joël pour devenir le nouveau petit ami de Clémentine, deux autres, Stan et Mary (Mark Ruffalo et Kirsten Dunst) font la nouba chez lui sans se soucier de son existence, Howard le gérant (Tom Wilkinson) s'offre en cadeau bonus Mary avant de lui faire effacer la mémoire etc. C'est pourquoi le film, passionnant de bout en bout, prend la forme originale d'une succession de souvenirs déstructurés engloutis les uns après les autres. Comprenant trop tard la manipulation dont il est l'objet, Joël tente de s'opposer à cet anéantissement avec ses faibles moyens et son combat prend la forme d'une lutte de l'individu contre la machine. A ce jeu là, Gondry est très fort et son cinéma inventif permet de se déplacer aux 4 coins du cerveau de Joël, en reconstituant ses souvenirs de façon très onirique: visages effacés, pans entiers d'images qui s'écroulent, changement brusque de personnage, scènes d'enfance où Gondry joue sur les âges et les échelles (tantôt on a un enfant sous la table, tantôt un Jim Carrey se comportant en enfant entouré de meubles gigantesques, tantôt Kate est une petite fille et tantôt la baby-sitter...)
Entretien avec un vampire est adapté d'un roman d'Ann Rice. Ce n'est pas un grand classique comme Nosferatu, ni un flamboyant film de studio comme Dracula, ni un film de série B de référence comme le Cauchemar de Dracula de la Hammer ni une parodie géniale de ce même type de films de série B comme Le bal des vampires ni un film ambigu poétique et décalé comme Morse. C'est un film dont les principaux atouts sont l'élégance dans le choix des décors, costumes et photographie et un casting d'acteurs tous plus charismatiques les uns que les autres (Brad Pitt, Tom Cruise, Antonio Banderas et Kirsten Durst qui n'avait que 11 ans mais crevait déjà l'écran comme Nathalie Portman dans Léon à la même époque). En revanche le film est assez impersonnel dans sa forme. Il y a des longueurs et les passages humoristiques quoique très réussis sont trop rares: les "caprices" de Claudia et l'humour noir tordant de Lestat, surtout dans la scène finale face à un Louis dont les états d'âme finissent par lasser. Tom Cruise fait une prestation déjantée mémorable alors que Brad Pitt est plus proche de la statue de cire. On peut néanmoins relever une contradiction que l'on retrouve dans nombre de films de vampires à savoir le fait de prêter à ces morts-vivants, ces créatures inhumaines des sentiments humains comme de l'amour, du chagrin, de la mélancolie ou pour Claudia de la souffrance liée à la perte de sa mère et au fait qu'elle mûrit sans pouvoir grandir.
Mais si Entretien avec un vampire est devenu un film culte, c'est surtout à cause de son aspect crypto gay. La bonne vieille leçon d'Hitchcock "filmer les scènes d'amour comme des scènes de meurtres et les scènes de meurtres comme des scènes d'amour" n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Les morsures de Lestat à Louis baignent dans l'érotisme, Louis et Armand sont à deux doigts de s'embrasser, Lestat et Armand ne cachent pas qu'ils recherchent un compagnon et qu'ils désirent Louis, de même le journaliste Malloy est lui aussi complètement envoûté par Louis (quel tombeur ce Brad Pitt!). Quant à Claudia, devenue la fille adoptive de Louis et Lestat, elle forme avec eux la parfaite petite famille homoparentale. Quant à la petite communauté de vampires parisiens dirigée par Armand, elle se livre à des sacrifices humains qui ressemblent à des soirées libertines. Mais de façon plus générale, toutes les scènes de vampirisation sont très sexuelles, de nombreuses victimes étant des prostituées se faisant posséder à la faveur de la nuit.
Le film de Michael Gondry rattrape ses faiblesses budgétaires, esthétiques et rythmiques (le démarrage est laborieux et on se demande pendant 3/4 d'heure où il veut en venir) par un bouillonnement créatif jubilatoire et une grande richesse dans les domaines explorés.
Tout d'abord la filiation du cinéma de Gondry avec celui de Meliès saute aux yeux. On retrouve chez ces deux cinéastes le goût de la magie, des effets spéciaux, des trucages et de l'animation artisanale. Cette science du bricolage est ici mise en abyme: Gondry fabrique un film où deux personnages fabriquent des films suédés. Le suedage est un remake raccourci (15 minutes maximum) et parodique de films plutôt commerciaux et/ou cultes (Ghostbusters, 2001, Men in Black, Rush hour 2, King Kong etc.) réalisés avec des bouts de ficelle. Le plaisir jubilatoire ressenti par les personnages et le réalisateur est transmis au spectateur pour qui soudain le cinéma devient accessible. Avec cette technique, n'importe qui peut faire un film. De plus la durée très courte des films suédés fait penser aux clips et pubs que Gondry a réalisé au début de sa carrière.
Ensuite au travers de la démagnétisation des cassettes vidéos dont toutes les données disparaissent avant leur réenregistrement en suédé on retrouve le thème de l'effacement de la mémoire déjà exploré dans son 3° film Eternel sunshine of the spotless mind. En 2007, les VHS avaient déjà disparu et le DVD était en crise, le film est donc volontairement anachronique.
Enfin Soyez sympas rembobinez est un double hommage. D'abord à la comédie américaine classique et plus précisément celle de Capra, Vous ne l'emporterez pas avec vous où une communauté chaleureuse façon village gaulois résiste aux prédateurs capitalistes qui veulent raser leur immeuble (les exproprier de leur video-club et détruire les films piratés chez Gondry). Hommage aussi au sous-genre de la comédie qu'est le buddy movie (film de potes). Et hommage enfin à la musique noire populaire à travers la figure du jazzman Fats Waller qui serait né dans l'immeuble du video-club (Gondry est aussi musicien.)
Fantastic Beasts and Where to Find Them est à l'origine un livre court écrit par J. K. Rowling en 2001, en même temps que Le Quidditch à travers les âges, pour l'association humanitaire Comic Relief. C'est un dictionnaire des animaux fantastiques apparaissant dans les livres de la saga Harry Potter. Il fait partie des nombreux livres de la bibliothèque de Poudlard. Comme pour le Quidditch à travers les âges ou ultérieurement les Contes de Beedle le Barde, un livre de fiction (une copie de l'exemplaire de Harry annoté par lui-même qui plus est!) finit par s'incarner dans la réalité pour la plus grande joie des fans de la saga.
Si dans la réalité le livre a été écrit comme tous les autres par JK Rowling, dans la fiction il est censé être l'oeuvre de Newt(on) Scamander (Norbert Dragonneau en VF) un sorcier britannique spécialiste des créatures magiques ou "magizoologue". Comme Hagrid ou Charlie Weasley avec les dragons, Dragonneau est un défenseur acharné de la faune magique souvent incomprise, parfois persécutée. Son livre a pour but de mieux la faire connaître afin de faire cesser la peur et la haine à leur égard. Norbert a pour principal soutien Albus Dumbledore qui préface son livre et dans le film a tenté sans succès d'empêcher son exclusion de Poudlard, exactement comme il l'a fait pour Hagrid.
Dans le livre, il est mentionné que la première édition date de 1927. Or le film se déroule un an avant en 1926 et développe une intrigue presque totalement inédite scénarisée par JK Rowling. La femme de Dragonneau, Porpentina est mentionnée dans l'à propos du livre mais dans le film ils font tout juste connaissance si bien qu'elle n'est mentionnée que sous son nom de jeune fille Goldstein.
La première chose qui frappe dans le film est que l'univers de JK Rowling se suffit à lui-même et qu'il existe très bien sans Harry. Ce nouveau volet de la saga qui se déroule 55 ans avant la naissance du jeune sorcier est en effet centré sur des adultes. Pourtant il reste accessible au jeune public tout comme aux non-connaisseurs de l'univers. Comme le film se déroule à New-York, il nous permet de découvrir un autre pan du monde magique avec sa propre école (Ilvermorny), son propre ministère (le MACUSA), son propre vocabulaire (les moldus sont surnommés les "non-maj"). Ces différences permettent de mesurer la relativité de toutes les civilisations. D'autre part JK Rowling s'appuie sur l'histoire pour faire des USA un territoire plus intolérant que le Royaume-Uni. L'épisode bien réel des sorcières de Salem en 1692 est réactivé avec un groupuscule obscurantiste "les fidèles de Salem" dont la directrice est une fanatique qui adopte des enfants abandonnés vraisemblablement de sang-mêlé pour les "rééduquer" à coups de ceinture. En effet les communautés sorcière et non maj sont strictement séparées avec interdiction des relations amicales et du mariage ce qui fait allusion à la ségrégation raciale en vigueur dans les Etats du sud jusque dans les années 60. Enfin le nom de Porpentina (Golstein) et le prénom de Kowalski (Jacob) font allusion à l'antisémitisme qui s'apprête à se déchaîner en Europe et qui est latent aux USA.
Le contexte historique d'intolérance auquel se réfère JK Rowling lui permet de traiter avec brio d'un thème qui lui est cher: la haine de soi et ses conséquences dévastatrices. La force maléfique à l'oeuvre, l'Obscurus n'est qu'un magma de souffrance et de haine produit par un sorcier (l'Obscurial) qui est contraint par la maltraitance dont il est victime de refouler sa puissance magique. Lorsqu'elle ne peut plus être contenue, elle se libère sous forme d'Obscurus qui ravage tout sur son passage et tue la plupart du temps celui ou celle qui l'a produit avant qu'il n'atteigne l'âge de 10 ans. On comprend pourquoi un mage noir suprématiste que nous connaissons bien (Grindelwald) cherche à manipuler cette force obscure pour prendre le pouvoir sur les non maj. On a souvent comparé Voldemort à Hitler mais Grindelwald lui est également comparable (ce n'est pas un hasard si Dumbledore parvient à le vaincre en 1945 comme le souligne le tome 1 de la saga).
Le contexte n'empêche pas Rowling de créer de nouveaux personnages attachants aux relations intéressantes. L'amitié entre Dragonneau et Kowalski ressemble à celle de Harry et de Ron en ce que chacun envie chez l'autre quelque chose qu'il n'a pas. Dragonneau est timide, gauche, marginal, légèrement misanthrope sur les bords voire autiste. De son propre aveu il ennuie les gens et fuit leur regard. Il n'est à l'aise qu'avec ses animaux (il n'est pas difficile de comprendre qu'il s'identifie à eux tout comme Hagrid.) Son ami Kowalski a à l'inverse un don pour attirer la sympathie des gens et les mettre en confiance. Sympathique et chaleureux, il a quelque chose d'enfantin dans le regard et l'attitude qui lui permettent malgré son ébahissement initial d'accepter l'existence du monde magique. Un monde qui lui donne les moyens de sortir de la grisaille de sa vie et de se réaliser. Mais il est moldu (une première en tant que personnage principal) si bien que son amitié avec Dragonneau et l'amorce de sa relation amoureuse avec Queenie, la soeur télépathe extravertie et plutôt charmeuse de Porpentina sont donc compromises. Porpentina à l'inverse de sa soeur est introvertie et austère mais cache une sensibilité à fleur de peau. On remarquera au passage que Rowling en créant un quatuor évite le triangle amoureux qui était au coeur de la saga. Même si la mention d'une certaine Leta Lestrange (un nom bien connu des fans de la saga) pour laquelle Dragonneau semble avoir des sentiments peut brouiller le jeu.
Les animaux fantastiques est donc un film réussi. Il approfondit les thèmes de la saga car il porte l'empreinte humaniste de JK Rowling qui peut pleinement se déployer dans un monde adulte. Il alterne les passages drôles et les passages sombres avec bonheur. C'est le point fort de David Yates qui avait déjà bien fonctionné sur Harry Potter et le Prince de Sang-mêlé, un réalisateur efficace à défaut d'imprimer une quelconque personnalité à la pellicule. Il nous fait découvrir un bestiaire fabuleux qui n'existait que dans les livres (botruc, niffleur, demiguise, éruptif...). Il fait exister de nouveaux héros attachants et sensibles qui parviennent à se hisser à la hauteur du trio de la saga voire à le dépasser. Il faut dire que face à Daniel Radcliffe qui rend Harry aussi charismatique qu'une bûche, ce n'est pas difficile. Mais Kowalski est plus intéressant que Ron en tant que personnage. Son duo d'Auguste face au clown blanc Dragonneau n'en fonctionne que mieux!
Un film largement inabouti que ce soit au niveau du scénario mal ficelé et qui part dans tous les sens sans en creuser un seul, de l'univers pompé sur les oeuvres antérieures du réalisateur, Harry Potter et X-Men ou de personnages pléthoriques à peine esquissés. Cette superficialité et ce manque de cohérence expliquent le fait que ce film agréable à regarder (il y a de très belles images et quelques vrais moments de poésie avec l'épave du bateau par exemple) ne dépasse pas le stade du divertissement. Il faut dire que le seul véritable enjeu qui transparaît dans ce film est celui des états d'âme de Tim Burton ce qui n'est pas très enthousiasmant. Ex-artisan dont le talent a fini par se dissoudre dans l'insipide soupe de l'industrie hollywoodienne, il n'en finirait pas de pleurer sur son sort. Ce que certains croient discerner dans le combat des squelettes-marionnettes animées contre des créatures 100% virtuelles, les sépulcreux. J'aurais personnellement préféré qu'il s'intéresse vraiment aux enfants particuliers et à la tragédie historique qui sous-tend leur histoire. Celle de la guerre et de la Shoah qui est évoquée explicitement, l'orphelinat constituant un refuge que seules les manifestations surnaturelles (Ombrunes, boucles temporelles) protègent contre l'anéantissement.
La fin de la carrière de Blake Edwards recèle de belles pépites. Dans la peau d'une blonde n'a pas le cachet visuel de Victor/Victoria avec ses tenues vestimentaires et coupes de cheveux ringardes et sa photographie proche de la telenovela. Mais peu importe le flacon pourvu que l'on ait l'ivresse et de ce point de vue on est comblé. Blake Edwards réalise une comédie solide, maîtrisée de bout en bout, débridée et joyeusement satirique sur les rapports hommes-femmes. Mais surtout le film est un époustouflant numéro d'actrice. Ellen Barkin porte le film sur ses épaules et réalise une performance absolument prodigieuse. Avec un abattage phénoménal, elle campe un homme macho dans la peau d'une femme plus vrai(e) que nature. La discordance entre le corps et le comportement est une source majeure de situations comiques. Outre une vulgarité masculine portée à des sommets de drôlerie et de mauvais goût, le personnage nous fait ressentir à chaque instant à quel point il est mal dans sa nouvelle peau. Il ne supporte pas ses cheveux, est gêné par ses vêtements trop serrés et ne parvient pas à marcher avec des talons qui sont pour lui une torture perpétuelle. De même, il est dans une confusion sexuelle totale, ne se sentant à l'aise ni avec les femmes, ni avec les hommes. Il a bien conscience de son pouvoir de séduction sur les deux sexes mais il est bloqué par son sexisme et son homophobie. Soit il passe pour une lesbienne soit il vit la situation de la femme abusée. La seule chose qui au final l'apaise et le réconcilie avec lui-même c'est la maternité. Lui dont la rédemption passe par l'amour sincère d'une femme doit donner la vie pour pouvoir enfin rencontrer cet amour et reposer en paix. La comédie fantasque s'achève sur une quête de sens qui n'est pas dénuée de gravité.
Il y a des films qui rencontrent un succès durable et mérité dès leur sortie, des films surestimés qui sombrent rapidement dans l'oubli et puis il y a des films qui passent dans un premier temps inaperçus avant peu à peu de conquérir la place qui leur revient au panthéon de l'histoire du cinéma. Un jour sans fin relève de cette dernière catégorie.
Dire qu'un jour sans fin est le film le plus spirituel du monde est sans doute le terme le plus juste pour le qualifier. En effet le mot spirituel a un double sens. Celui de l'humour étant donné que le film s'inscrit dans le registre de la comédie, une comédie à la drôlerie irrésistible. Et celui du conte métaphysique à l'image des nuages qui ouvrent et referment le film. Celui-ci s'inscrit en effet au carrefour de plusieurs philosophies et spiritualités: le bouddhisme et le samsara (cycle des renaissances de l'être non éveillé), le christianisme avec le thème central de la rédemption, la philosophie nietzschéenne avec le concept de l'éternel retour, le travail psychanalytique dont le film est en quelque sorte une illustration. Le film est avant tout une réflexion sur le temps. La boucle temporelle dans laquelle est enfermé Phil peut s'avérer être un fardeau ou un espace de liberté, une malédiction ou une bénédiction, un "verre à moitié vide ou à moitié plein" selon le point de vue dans lequel on se place. On passe ainsi progressivement du mythe de Sisyphe à celui de Superman. Le film est une démonstration du libre-arbitre que conserve l'être humain au sein de ce qui le dépasse.
Métaphorique, le film prend pour héros un présentateur météo dont l'âme est plongée dans un éternel hiver. Ce n'est pas par hasard s'il porte le même prénom que la marmotte de Punxsutawney dont le jour de célébration va devenir pour lui un jour sans fin. Imbu de sa personne, méprisant, cynique, Phil Connors (Bill Murray dans le rôle de sa vie) clame sur tous les tons qu'il est une super vedette et qu'il fait la pluie et le beau temps. En réalité c'est un misanthrope aigri, un minable, un raté qui de son propre aveu ne se supporte pas lui-même et passe ses frustrations sur ses collègues et tous les "ploucs" des bleds paumés couverts par la chaîne de télé régionale où il travaille. Bref un cas désespéré, irrécupérable. Pourtant lorsque Rita (Andie MacDowell) est engagée comme productrice, quelque chose se passe en lui, si enfoui sous son épaisse carapace qu'il faut plus de la moitié du film pour qu'il en prenne conscience. Il ne lui reste plus qu'à ramer encore et encore pour devenir un jour enfin digne d'elle. Un jour qui mettra fin à la malédiction. Celle-ci se révèle être au final une deuxième chance. A défaut de pouvoir changer le cours du temps, il peut se changer lui-même et changer son rapport au monde. Il a toute l'éternité pour ça (d'après les calculs de certains fans, l'épreuve de Phil a duré entre 34 et 40 ans). Incroyable paradoxe que ce temps cyclique, routinier que la métamorphose du héros empêche cependant de bégayer et le film de se répéter. "Je me suis suicidé tellement de fois que je n'existe plus." Mais je est un autre. Il y a comme un accouchement dans cette mue dans le même, dans cet éveil (à la connaissance, à l'amour, à l'altruisme, à l'art) dans le réveil au son de la rengaine I got you Babe de Sonny & Cher.
Enfin le film est aussi une mise en abyme du cinéma lui-même. Outre les manipulations de l'espace-temps, Phil, ce personnage que son épreuve rend omnipotent et omniscient est aussi un metteur en scène hors-pair qui tire les ficelles du petit monde dans lequel il est enfermé. La séquence du cambriolage ou de la cafétéria dans lesquelles il prédit ce qui va se passer à la seconde près sont de ce point de vue exemplaires.
Film culte, Les Yeux sans visage est un ovni du cinéma français qui s'est peu aventuré dans les domaines du fantastique et de l'horreur. La clé du cinéma de Franju est l’insolite, l’étrangeté où le quotidien, le familier devient inquiétant. C'est pourquoi Les Yeux sans visage qui se présente comme une enquête policière réaliste finit par basculer dans une autre dimension, onirique voire cauchemardesque. Franju est en effet proche de Cocteau et de Luis Bunuel. C'est pourquoi son fantastique se teinte d'une dimension poétique et surréaliste qui se mélange avec une forte influence de l'expressionnisme allemand. Le masque est récurrent dans son œuvre des Yeux sans visage à Judex (1963) en passant par le documentaire Hôtel des Invalides (1951). Avec cette question : qu’y a-t-il derrière ? Franju est passionné par les films de Louis Feuillade, le créateur de Fantômas. Le masque agit comme une seconde peau. Autre thème de prédilection : l’obsession pour les animaux. Les colombes présentes dans Les Yeux sans visage se retrouvent également dans Judex et La tête contre les murs (1958). Même chose pour les chiens. Le contraste entre la pureté et la violence est ainsi un thème récurrent de son oeuvre. La grâce est incarnée par son égérie Edith Scob. Elle irradie d'une sorte d'innocence au milieu de gens inquiétants voire fous. Les expériences scientifiques du professeur Génessier mi- docteur Frankenstein mi-tueur en série dans Les Yeux sans visage évoquent celles du docteur Mengele à Auschwitz. Edith Scob est par ailleurs un personnage éthéré qui glisse progressivement de la raison à la folie. L'héritage des Yeux sans visage est particulièrement riche. On peut citer notamment Bruiser de George A. Romero en 2000, La piel que habito de Pedro Almodovar en 2011 (qui connaît par coeur le film de Franju et l'a cité comme référence majeure) et Holy Motors de Léos Carax en 2012 où Edith Scob qui joue le rôle du chauffeur de la limousine remet le masque qu'elle portait plus de cinquante ans auparavant.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.