Le film de Peter Jackson est un remake high tech et XXL du chef-d'oeuvre de 1933 de Marian Caldwell Cooper et Ernest Beaumont Schoedsack. En fait le mot hommage serait plus approprié que celui de remake. Jackson a respecté le découpage du film d'origine (pas de transition entre la capture de Kong et son exhibition contrairement au film de 1976 par exemple), repris de nombreuses scènes quasiment à l'identique (comme celle où Naomi Watts vole une pomme ou joue devant la caméra du bateau, la scène finale...), inclus des allusions à son équipe (par exemple à travers le personnage de réalisateur-aventurier joué par Jack Black qui est un mélange d'Orson Welles et de Marian Caldwell Cooper ou celui de Naomi Watts qui succède à tout le casting féminin envisagé pour le film de 1933).
Le respect et l'admiration que le réalisateur voue à cette œuvre est indéniable, néanmoins le résultat, meilleur que la version "Tahiti douche" de 1976 laisse quand même un peu perplexe. Certes, la reconstitution du New-York en crise des années 30 est hyper-soignée, l'écosystème de Skull Island est considérablement développé mais il manque à tout cela un véritable sens. Le film de 1933 était contemporain de la crise et de la colonisation sur lesquelles il portait un regard critique. Celui de 2005 utilise ces thèmes révolus comme un simple décor et n'apporte rien de nouveau. Le film de 1976 avait eu au moins le mérite de tenter une réactualisation avec les préoccupations des années 70 (crise pétrolière et écologie). Il y a aussi une tendance à la surenchère lourdingue (un travers très contemporain) à tous les niveaux: plus de personnages, plus de bébêtes, plus de scènes d'action, plus d'effets spéciaux (pas toujours finalisés d'ailleurs).
Finalement l'aspect le plus intéressant du film, le seul quasiment par lequel il diverge intelligemment de l'original et acquiert une personnalité propre, c'est dans la relation entre Ann et Kong. Ni marionnette hurlante (en 1933), ni midinette stupide (en 1976), la Ann 2005 (bien servie par Naomi Watts) est un personnage sensible qui résiste à la pression mercantiliste de son entourage notamment en nouant un lien privilégié avec Kong. Certes l'attachement à un géant velu qui la protège peut passer pour une métaphore machiste (la fille sans défense qui cherche la sécurité dans les bras d'un monstre hyperviril). Mais il n'y a pas que ça, d'ailleurs son attachement perdure quand Kong devient une victime traquée et martyrisée. Celui-ci en dépit de sa sauvagerie et de sa dangerosité s'humanise dès qu'il est en sa présence. Les scènes de contemplation en haut du rocher/de la tour sont "beautiful." Dommage que cet aspect ne soit pas davantage approfondi.
Kiki, film enchanteur et vivant comme toutes les œuvres de Miyazaki est aussi l'un des plus subversifs. Pourtant son thème principal est archi-classique. Il s'agit du passage à l'âge adulte avec ses rituels comme l'adoubement avec la remise du balai ou le voyage initiatique à la manière du grand tour d'Europe qu'effectuaient les jeunes gens de bonne famille à l'époque moderne. S'y ajoute un récit d'apprentissage, d'émancipation et d'intégration. L'aspect intemporel et universel de cette histoire est renforcé par le fait que la ville est une synthèse architecturale de nombreuses villes d'Europe voire des USA (San Francisco) et que plusieurs époques se télescopent des années 30 (le ballon dirigeable) aux années 60 (la télévision noir et blanc).
Mais là où l'histoire devient originale et profondément moderne c'est dans le renversement des rôles sexués. Miyazaki remplace en effet le héros habituel de ce genre de récit (en littérature comme au cinéma) par une héroïne. Il ne pouvait s'agir d'ailleurs que de que cette figure féministe avant l'heure qu'est la sorcière. Dans son livre "Ame de sorcière ou la magie du féminin" Odile Chabrillac écrit que la magie est aussi (et avant tout) "un parcours de vie, un chemin initiatique, que l’on peut souhaiter investiguer" et que "se réapproprier leur histoire, leurs savoirs, leurs pouvoirs, c’est autoriser chaque femme à retrouver sa puissance, en faisant d’elle une digne héritière des guérisseuses et des sages-femmes d’antan. C’est ouvrir de nouveaux possibles, dans tous les champs (politique, artistique, écologique, philosophique, humain surtout), c’est oser se revendiquer différente, puissante et néanmoins bienfaisante".
Ainsi en attribuant à une jeune fille ayant des pouvoirs des préoccupations dévolues habituellement aux garçons (trouver sa place dans le monde, se réaliser professionnellement, s'affirmer, devenir indépendante) Miyazaki en chantre du féminisme offre aux filles japonaises (mais aussi occidentales) un magnifique récit d'émancipation auxquelles elles peuvent s'identifier. Et il ne s'arrête pas là puisque les deux femmes adultes qui aident Kiki à se réaliser sont de la même trempe. Osono la figure maternelle enceinte jusqu'aux yeux qui tient la boulangerie porte la culotte face à un conjoint complètement effacé. Quant à Ursula, elle est une artiste-peintre un peu marginale qui vit seule dans la forêt. Elle symbolise une Kiki un peu plus âgée, trouvant son inspiration dans le cosmos c'est à dire exactement là où Kiki puise son pouvoir magique (l'énergie du ki qui relie l'homme à l'univers).
Eblouissant poème visuel porté par la sublime musique de Joe Hisaishi, récit épique foisonnant où s'affrontent les hommes entre eux mais surtout les hommes et les dieux, "Princesse Mononoké" est également une réflexion philosophique de haut niveau sur la complexité des relations entre l'homme et la nature. La difficulté que rencontre aujourd'hui le développement durable à concilier le progrès économique, la justice sociale et le respect de l'environnement est parfaitement retranscrite par le clairvoyant Miyazaki.
L'histoire de "Princesse Mononoké" se déroule dans un Japon médiéval en proie à une mutation irréversible. Celle où l'homme jusque là soumis à la nature cherche à en devenir le maître. Il y a quelque chose de prométhéen dans cette problématique car la forêt dépeinte par Miyazaki est le refuge des dieux. Ceux-ci prennent la forme d'animaux géants aux capacités exceptionnelles. Comme dans "King Kong" qui bien qu'occidental a un imaginaire proche, l'assaut des hommes leur est fatal. Tout au long du film, on voit ces êtres surnaturels agoniser ou se consumer de haine, dévorés de l'intérieur par des vers géants.
Leur principal antagoniste est le village des forges qui incarne l'industrialisation et le progrès technique par lequel l'homme s'élève au-dessus de sa condition initiale au prix de l'abattage des arbres. Qui voudrait aujourd'hui vivre dans les ténèbres de l'ignorance? (cela me fait penser au film de Solveig Anspach "Haut les cœurs" où une femme enceinte atteinte d'une cancer -jouée par Karin Viard- disait haut et fort qu'elle "remerciait la science et emmerdait la nature"). De plus le village des forges incarne aussi le progrès social. Il est dirigé par une femme, Dame Eboshi qui a ouvert sa porte à tous les exclus de l'ère féodale (lépreux, vachers, prostituées) soigne les premiers et donne aux seconds de grandes responsabilités aussi bien dans la production économique que dans la défense du village.
C'est pourquoi, et c'est l'une des grandes forces du film, Miyazaki, à l'image du héros Ashitaka se refuse à choisir un camp. Il recherche le dialogue, l'équilibre, la cohabitation pacifique. Et pour cause, à l'image de San, fille de la forêt élevée par une louve mais qui est humaine, ces deux mondes en conflit sont en réalité inextricablement liés. Lorsque Dame Eboshi décapite le dieu-cerf qui est le principe d'équilibre entre la vie et la mort pour offrir l'immortalité à l'empereur, ce qui reste de l'entité divine détruit aussi bien la forêt que les constructions humaines (une image évidente de l'apocalypse). Quant à Dame Eboshi, elle paye ce geste de la perte d'une part d'elle-même puisque elle y laisse un bras. A l'inverse, les efforts de San et d'Ashitaka pour réunifier le dieu-cerf sont récompensés par la guérison du mal qui gangrenait leur corps. Mais en dépit de leur amour qui les lie, chacun vivra dans son monde sans pouvoir espérer les réunir. Et tout est à reconstruire. Si la civilisation repart de zéro, la fragilité de la renaissance de la forêt est telle qu'elle reste ambiguë: le petit Kodama est-il un rescapé ou le premier rejeton d'une ère nouvelle?
Maurice Maeterlinck est une figure de proue du mouvement symboliste de la fin du XIXeme siècle et du début du XXeme siècle. Outre le livret de sa célèbre pièce "Pelléas et Mélisande" mise en musique par Debussy, il est internationalement connu pour "L'Oiseau bleu", une pièce de théâtre pour enfants qui fut transposée à l'écran dès 1910. Le film de Maurice Tourneur date de 1918. C'est sans doute la version la plus réussie de cette œuvre onirique et animiste que l'on compare souvent à "Alice au pays des merveilles" ou au "Magicien d'Oz" avec une touche de Dickens et de Grimm en plus.
Il n'y a pas vraiment d'intrigue dans "L'Oiseau bleu". Il s'agit d'un voyage imaginaire effectué par deux enfants de bûcheron, Tyltyl et Mytyl à la recherche d'un oiseau bleu capable de rendre la santé à la fille de leur voisine. Après avoir traversé le miroir (sous forme d'un diamant qu'il faut tourner), ils découvrent l'âme qui se cache dans les objets et animaux familiers de leur maison. Un passage qui fait penser aux gluons de la géniale série des années 80 "Téléchat". Avec eux, ils se rendent au pays du souvenir où ils retrouvent leurs grands-parents et leurs frères et sœurs, au palais de la nuit où se cachent les pires tourments, au jardin des bonheurs simples de la vie, dans la forêt et au pays de l'avenir des enfants pas encore nés où ils découvrent leur futur petit frère.
Pour traduire l'atmosphère de cet univers, Tourneur et son équipe utilisent tous les moyens que leur offre le cinéma en matière de lumières, de trucages, de montages pour un résultat visuellement splendide. Certaines séquences s'inspirent du théâtre d'ombres chinoises, d'autres des ballets russes, d'autres encore ressemblent à des tableaux avec l'usage du cadre dans le cadre. Hélas la pellicule est abîmée par endroits, altérant certaines images.
« J'ai imaginé toutes ces machines parce que j'étais possédé, comme tous les hommes de mon temps, par une volonté de puissance. J'ai voulu dompter le monde. Mais j'ai voulu aussi passionnément connaître et comprendre la nature humaine, savoir ce qu'il y avait à l'intérieur de nos corps. Pour cela, des nuits entières, j'ai disséqué des cadavres, bravant ainsi l'interdiction du Pape. Rien ne me rebutait. Tout, pour moi, était sujet d'étude (...) Ce que j'ai cherché finalement, à travers tous mes travaux, et plus particulièrement à travers ma peinture, ce que j'ai cherché toute ma vie, c'est à comprendre le mystère de la nature humaine. »
Voici ce qu'écrivait Léonard de Vinci dans ses Carnets, vers 1510. L'esprit de la Renaissance humaniste qui imprègne Victor Frankenstein est symbolisé dans le film de de Branagh par le célèbre dessin de Vinci représentant l'Homme de Vitruve, mesure de toute chose et centre du monde. Il est présent aussi à travers l'allusion à la création d'Adam de Michel-Ange lorsque l'électrisation d'Elizabeth et de Victor fait jaillir une étincelle au bout de leurs doigts qui se frôlent.
Cependant l'histoire se situe au siècle des Lumières et de cela également Branagh tire un brillant parti en situant la demeure familiale de Victor dans un château mozartien lumineux et coloré (on y pense d'autant plus qu'Henry Clerval le médecin ami de Victor est joué par Tom Hulce qui 10 ans auparavant incarna Amadeus pour Milos Forman). Seul l'escalier en spirale jette une ombre sur ce décor rationnel et solaire tant il rappelle la tour tordue des films de Whale.
L'ancrage très fort du film dans l'histoire occidentale de la science et des arts s'explique aussi par une analogie évidente. Victor créé la vie exactement comme Branagh réussit à l'insuffler dans les œuvres qu'il adapte: en canalisant les flux énergétiques du cosmos (dont l'être humain est un échantillon) pour qu'ils traversent et animent des corps inertes. Le cinéma de Branagh se caractérise par une énergie à réveiller les morts. Son deuxième film s'intitule "Dead again" mais il aurait pu s'appeler "Born again": Il a revivifié Shakespeare, ressuscité Mary Shelley et fait également sortir de la tombe James Whale. Il y a l'escalier directement transposé du film des années 30 dans le film des années 90. Il y a l'union dans la mort de la créature et de son créateur que Whale n'avait pas pu filmer à cause des studios (qui voulaient un happy end pour Frankenstein et son épouse et censuraient ainsi l'aspect homosexuel/incestueux de sa relation à la créature). Il y a aussi des allusions à la médecine traditionnelle chinoise: le film de Branagh fait référence à l'acupuncture alors que dans celui de Whale, la créature à peine née recherche l'énergie solaire en faisant des gestes avec ses mains très semblables à ceux du Qi-Gong.
Le seul bémol de ce film est lié au fait que le rôle de la créature est moins finement écrit que dans le film de Whale et que Boris Karloff est irremplaçable.
Il était logique que H.G. Wells et James Whale finissent par se rencontrer. Tous deux d'origine britannique, ils ont œuvré dans le domaine de la science-fiction dont ils ont contribué à façonner les contours. H.G. Wells est avec Jules Verne, le père du genre en littérature. Quant à Whale, il a transposé de façon si marquante l'œuvre de Mary Shelley au début du cinéma parlant que Frankenstein, créature et créateurs confondus, ont pour toujours le visage maquillé de Boris Karloff.
Mais Wells et Whale ont un autre point commun. S'ils se sont projetés dans des univers futuristes ou fantastiques, c'est qu'ils ne se sentaient pas en accord avec la société dans laquelle ils vivaient. Wells avait connu la pauvreté donc le mépris de classe et Whale le rejet en tant qu'homosexuel. Les œuvres de Wells comme "La machine à explorer le temps" ou "Une histoire des temps à venir" comportent beaucoup d'éléments de critique sociale alors que la différence et la marginalité sont au cœur du travail de Whale.
Qu'arrive-t-il lorsqu'un homme qui n'a subi que des humiliations reçoit un pouvoir (l'invisibilité) qui le rend omnipotent c'est à dire semblable à dieu? C'est le questionnement qui hante "L'homme invisible" tout comme une autre britannique ayant connu la pauvreté avant de devenir riche et célèbre: J.K Rowling. Dans la saga "Harry Potter" plusieurs anciens enfants maltraités deviennent de redoutables sorciers dotés d'immenses pouvoirs, dont celui de devenir invisible. Le scientifique n'étant qu'un avatar du sorcier, il est logique que les questions traitées par ces oeuvres soit si proches.
Il en est de même en ce qui concerne leurs réponses. Le pouvoir que s'attribue le docteur Jack Griffin le rend complètement fou. Il régresse jusqu'à éprouver une joie infantile et sauvage à se venger de la société par laquelle il s'est senti écrasé comme il le confie à la femme qu'il aime. Perdant tout sens éthique, il sombre dans le vol et le crime. Même si chez Rowling, la rédemption et le désintéressement existent, la quête du pouvoir absolu est une folie qui se paye cash. Il en est de même pour Jack Griffin que son mal ronge au point de finir par le détruire.
Dans tous les cas, la psychopathologie de l'individu mégalomane se révèle indissociable d'une société elle-même malade. Le mal invisible qui frappe à l'aveugle évoquait hier les "rouges" ou les "bruns", il évoque aujourd'hui "les fous de dieu" suscitant la terreur et la paranoïa et son cercle vicieux d'injustices susceptibles d'entraîner encore plus de violences.
Victor Fleming, Mervyn Leroy, George Cukor, King Vidor, Norman Taurog (1939)
"Le Magicien d'Oz" est l'équivalent dans la culture américaine d'"Alice au pays des merveilles" dans la culture britannique. Les deux œuvres sont si interconnectées que dans Matrix, Cypher dit à Néo au moment où il s'apprête à basculer de l'illusion vers le monde réel "Attache ta ceinture Dorothy et dit adieu au Kansas" traduit en français par "Bon voyage au pays des merveilles." Dans le film MGM de 1939, ce basculement "Over the Rainbow" se traduit par le passage de la couleur sépia au technicolor flamboyant (d'où la couleur rubis des chaussures qui dans le livre d'origine étaient argentées), des décors naturels du Kansas aux studios figurant le pays d'Oz, des airs mélancoliques à la comédie musicale hollywoodienne un peu kitsch et pleine d'entrain.
Néanmoins la philosophie du "Magicien d'Oz" peut se résumer avec la phrase "tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé". La quête initiatique de Dorothy, de l'épouvantail, de l'homme en fer-blanc et du lion poltron consiste à découvrir que ce qu'ils souhaitent obtenir d'un deus ex machina (un foyer, un cerveau, du cœur, du courage) se trouve en réalité en eux. Le passage à l'âge adulte entraîne forcément la perte des illusions: il n'y a pas de magicien et l'herbe n'est pas plus verte ailleurs en dépit de sa couleur éclatante. Il est donc logique que Dorothy retourne chez elle, ayant découvert que ce qu'elle cherche ne se trouve pas au-delà de l'arc-en-ciel mais dans son propre jardin.
Pire encore, le monde d'Oz possède un versant toxique. Pour le découvrir, ce n'est pas la route de briques jaunes qu'il faut suivre mais les fleurs de pavot. Si l'apparence chatoyante du film fait encore rêver aujourd'hui les coulisses de son tournage prirent la tournure d'un pacte faustien signé entre les studios et Judy Garland. En échange de la gloire (ce fut le rôle qui la révéla au monde entier), elle dû perdre du poids, subir la compression de sa poitrine pour paraître pré-pubère et fut bourrée d'amphétamines pour tenir la cadence infernale du tournage. Rendue insomniaque par les excitants, elle se mit à avaler des barbituriques pour pouvoir dormir. L'engrenage infernal de la toxicomanie qui allait l'emporter à 47 ans était lancé par Oz-Moloch.
C'est un film qui permet de retrouver son âme d'enfant, y compris dans ses défauts (une morale trop appuyée, des personnages caricaturaux...) Il faut dire que l'œuvre d'origine est issue d'une époque dénuée de cynisme.
Visuellement, le film ressemble à un bonbon acidulé ou à un jouet coloré: on se situe à hauteur d'enfant. Plus précisément à la hauteur des maisons de poupée et des vignettes d'un Wes Anderson que ce soit la fable animalière "Fantastic M. Fox" ou la prison et la pâtisserie du "Grand Budapest Hôtel". On pourrait y ajouter l'univers des trains à vapeur (un train jouet qui devient réalité) et de la fête foraine. Le livre pop-up fait de papier découpé en trois dimensions s'anime comme par magie alors que les gags déclenchés par Paddington convoquent l'humour et la candeur du cinéma burlesque muet des années 10 et 20 (la scène où Paddington est pris dans les engrenages évoque directement les "Temps modernes" de Chaplin).
Mais la magie de l'enfance s'exprime aussi à travers les acteurs. Hugh Grant, génial, allie charme et autodérision avec brio. Il s'amuse comme un petit fou à endosser le rôle d'un méchant excentrique qui adore se déguiser. La famille Brown n'est pas en reste. Le père (Hugh Bonneville alias le comte de "Downton Abbey") se retrouve à faire un grand écart zen entre deux trains, sa femme interprétée par Sally Hawkins (vue dans "Persuasion", téléfilm de la BBC d'après Jane Austen avant d'être recrutée par Woody Allen) joue les Sherlock Holmes en herbe alors que la grand-mère n'est autre que Julie Walters, la Molly Weasley des Harry Potter. Un autre acteur issu du casting des Harry Potter, Jim Broadbent joue le rôle de l'antiquaire, M. Gruber.
Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske (1951)
"Alice au pays des merveilles" sorti en 1951 est le dernier film psychédélique produit par les studios Disney et fait figure de "pot-pourri" du genre. Ca commence par l'équivalence image d'une Alice perchée qui déclame à sa sœur restée en bas que les livres sans images l'ennuient! Comme sa sœur lui répond qu'elle divague, elle lui répond que dans son monde à elle, il n'y a que des divagations (nonsense en VO). Par la suite, tout au long de son "voyage", Alice ne cesse d'ingérer ou d'inhaler toutes sortes de substances (la fumée du narguilé de la chenille, les incontournables champignons, des biscuits, le contenu d'un flacon, de la poudre blanche de sucre) qui modifient ses perceptions (un problème de taille!), lui font avoir d'étranges visions (par exemple les apparitions et disparitions d'un chat à rayures hypnotiques qui n'a "pas toute sa tête" au sourire en croissant de lune) ou altèrent sa communication avec le monde qui l'entoure (le dialogue de sourds du "non-anniversaire" avec des compagnons de "défonce", le chapelier étant connu pour ses hallucinations provoquées par les vapeurs de mercure dégagées pour la fabrication des chapeaux et les lièvres, rendus fous par le début des chaleurs de mars). Alice finit cependant par "redescendre" et tourne le dos aux divagations "silly nonsense" pour rechercher le droit chemin vers sa maison "straight home".
L'œuvre littéraire déjantée de Lewis Carroll se prêtait bien à toutes sortes de délires et d'expérimentations graphiques."Alice au pays des merveilles" est sans doute le long-métrage de Disney qui se rapproche le plus de l'œuvre surréaliste de Dali, la "montre folle", symbole du temps distordu, n'en étant qu'un exemple. Mais on pense aussi à Arthur Rimbaud qui recherchait le "dérèglement de tous les sens" lorsqu'on voit la chenille exhaler ses lettres colorées de vapeur opiacée, véritable visualisation du poème de Rimbaud "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles."
Pour les mêmes raisons que "Fantasia" (avec lequel il partage aussi sa narration fragmentée) "Alice au pays des merveilles" ne rencontra pas le succès à sa sortie mais une génération plus tard lorsque la jeunesse hippie le porta aux nues. L'influence de ce film est évidente par exemple dans "Peau d'Ane" de Jacques Demy (sorti en 1970) qui célèbre de la même façon l'art de la fumette tout en faisant parler les fleurs. Suivre un lapin blanc est devenu un synonyme de prise de substances psychotropes jusqu'à nos jours comme on peut l'observer par exemple dans le premier volet de la trilogie "Matrix" où la question cornélienne n'est pas "to be or not to be" mais "pilule rouge ou pilule bleue?"
"Le garçon et la bête" est le dernier film en date de Mamoru Hosoda (à ne pas confondre avec "Le garçon et le monde" de Alè Abreu). En admiratrice de ce cinéaste depuis que je l'ai découvert en 2012 avec "Ame et Yuki les enfants-loups", je l'ai vu dès sa sortie au cinéma en janvier 2016 avant de le revoir en DVD.
"Le garçon et la bête" se déroule dans le quartier de Shibuya à Tokyo en proie à une grave crise de civilisation. Un monde moderne surpeuplé mais froid et déshumanisé où les passants se comportent en robots, où le seul "regard" porté sur les gens émane des caméras de surveillance et où les seuls échanges se font avec la police. La cellule familiale elle-même s'est défaite. Ren le jeune héros de 9 ans se retrouve ainsi seul à errer dans les rues. Il a perdu sa mère dans un accident. Son père dont elle avait divorcé auparavant a disparu de la circulation. Il a préféré fuir que d'être pris en charge par sa famille maternelle qui a encouragé le divorce de ses parents. Débordant de colère et de haine, il bascule dans une dimension parallèle, un autre espace-temps, laissant derrière lui une ombre dotée de trous à la place des yeux et du cœur. Plus tard, on découvre un autre enfant au destin similaire à celui de Ren. Il s'appelle Ichirohiko. Il a été abandonné bébé dans une des ruelles de Shibuya et recueilli comme Ren par une créature hybride, mi-homme, mi-bête venue du même monde parallèle, Jutengai. Jutengai qui fait penser au Japon médiéval est tout ce que l'homme moderne de Shibuya a refoulé de lui-même: son instinct, ses pulsions, ses émotions bref, tout ce qui a trait au corporel a disparu sous des couches et des couches de béton.
Ren et Ichirohiko se retrouvent ainsi dans une situation potentiellement explosive pour la construction de leur identité. Le monde où ils sont nés les a rejetés et ils grandissent dans un monde trop différent d'eux pour qu'ils puissent y trouver leur place quel que soit l'amour du parent adoptif. Mais si leurs problèmes sont identiques, leurs agissements sont différents. Hosoda montre le rôle joué par l'éducation dans la construction (ou l'autodestruction) d'un individu. C'est peut-être parce qu'elle révèle la vraie valeur d'une personne que le seigneur pousse Kumatetsu, la bête mal embouchée que personne n'aime à prendre un disciple. Bien que la relation avec Ren soit électrique, ces deux là se sont choisis en toute connaissance de cause et ils grandissent ensemble, côte à côte bien plus que dans une relation hiérarchique puis de plus en plus proches au point de fusionner, l'un se découvrant une filiation et l'autre comblant son vide affectif. Ren finit d'ailleurs par se réconcilier avec son monde d'origine en retrouvant son père biologique et en rencontrant Kaede qui lui donne accès à la culture et lui apprend à canaliser sa rage tout en lui révélant ses propres abysses tourmentées (ce qui lui vaut un accès au monde des bêtes à la fin du film). Ren trouve dans son hybridité une harmonie entre le monde du corps où il a grandi et celui de l'esprit d'où il est issu. En revanche Ichirohiko grandit sans connaître sa véritable identité car son père adoptif lui ment. Ce père adoptif est pourtant présenté comme l'antithèse de Kumatetsu, un homme-bête responsable et immensément populaire. Pourtant il accouche d'un monstre dont la rage destructrice terrifiante grossit tel un cancer jusqu'à prendre la forme de la baleine Moby Dick, ravageant tout sur son passage.
Complexe, subtil, philosophique, rempli de passages poétiques visuellement superbes, "Le garçon et la bête" est un grand film.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.