Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry)
Woody Allen (1997)
C'est l'un des films les plus déconstruits de Woody Allen, le titre en VO s'intitule d'ailleurs "Deconstructing Harry" (en référence également au courant philosophique du déconstructionnisme qui traque les significations sous-jacentes des textes, à l'insu de leur propre auteur). Le montage est haché avec des jump-cuts très fréquents. Le générique donne le ton. Sur fond noir comme tous les Allen mais entrecoupé d'une séquence (Judy Davis sortant furieuse d'un taxi) qui se répète 4 fois! La narration éclatée est elliptique et digressive et on navigue sans arrêt entre deux niveaux de fiction: celle du personnage principal, Harry et celle des personnages et histoires qu'il réinvente à partir de sa vie. Parfois il s'agit d'un copier-collé des événements vécus (on les voit donc deux fois avec des acteurs différents). Parfois il s'agit de la traduction de ses fantasmes qui les font évoluer vers le fantastique (l'apparition de la grande faucheuse comme dans le "Septième sceau" de Bergman, la séquence en enfer.) Tout cela étant aussi une mise en abyme de la personnalité du réalisateur (qui joue Harry, évidemment): son rapport à la création, aux femmes, au judaïsme, à la mort. La narration déstructurée et le personnage en panne se rapprochent de "8 1/2" de Fellini mais avec un fil directeur sorti tout droit des "Fraises sauvages" d'Ingmar Bergman (le voyage pour recevoir un hommage).
En dépit de ses qualités, le film, trop nihiliste et trop sec ne fait pas partie de mes préférés de Woody Allen. On a l'impression que la sophistication du récit lui sert surtout à déverser sa détestation du genre humain. Toutes les femmes y sont hystériques, déloyales ou vénales. Lui-même se dépeint sous les contours d'un personnage médiocre qui ne sait pas ce qu'il veut et sème la pagaille sur son passage. C'est d'ailleurs pour faire le point qu'Harry tente de transformer sa vie en création. Sauf qu'il a du mal à y parvenir comme le montre son personnage-acteur "flou" (joué par Robin Williams). Lui-même étant un personnage de fiction, il devient flou à son tour jusqu'à ce que la pute au grand coeur (bonjour les clichés) ne le ramène sur terre.