Bien que le dernier film de Luis BUÑUEL soit adapté de l'oeuvre de Pierre Louÿs, "La Femme et le pantin", il échappe fort heureusement au manichéisme du pauvre type manipulé par une garce aux deux visages (la cérébrale Carole BOUQUET partageant le rôle avec la sensuelle Ángela MOLINA). Toute sa modernité réside dans ce qui fait l'identité si particulière du cinéma de Luis BUÑUEL: les fulgurances surréalistes qui donnent à son cinéma un caractère résolument subversif. En effet ce titre magnifique a été souvent repris pour qualifier les désirs indésirables dans la société traditionnelle que dépeint Luis BUÑUEL. Par exemple dans "Middlesex", Jeffrey Eugenides rend hommage au cinéaste espagnol en donnant un titre approchant ("l'obscur objet") au chapitre dans lequel Calliope qui est hermaphrodite mais élevé comme une fille découvre son désir pour les filles. Le film de Luis BUÑUEL a toutes les apparences de la comédie bourgeoise bon teint sauf que le temps où le patron troussait les petites bonnes dans les coins avec la bénédiction des institutions (symbolisées par une mère de famille, un magistrat et un psy) se heurte ici à un os. Il ne peut même plus l'acheter alors que c'est un comportement extrêmement répandu encore de nos jours (le viol aussi hélas qui reste la traduction des rapports de domination d'âge, de sexe et de classe, les trois étant réunis dans le film). En une scène lapidaire, Conchita démontre à Mathieu (Fernando REY) que sa servitude n'est qu'un rôle dont elle peut se débarrasser quand elle le souhaite. Non qu'elle refuse son argent (sa mère qui fait très maquerelle n'attend visiblement que ça d'être entretenue par un vieux beau par procuration) mais en revanche elle refuse la soumission qui va avec. Bref: le rôle social que l'on attend d'une femme soit adoubé sous la forme du mariage ("la maman") soit vilipendé quand il s'agit de satisfaire ses bas instincts ("la putain"). D'un bout à l'autre du film, à chaque fois que Mathieu croit enfin "posséder" Conchita (terme révélateur), elle lui échappe, l'obsédant ainsi toujours un peu plus. Car ce que Conchita attend réellement de lui, il ne peut le lui donner, prisonnier de son rôle de macho qui comme je l'ai lu dans "L'intelligence du coeur" de Isabelle Filiozat prétend adorer les femmes mais s'avère incapable d'en aimer une seule, à commencer par être capable d'écouter son désir à elle (le désir féminin, ce continent encore largement obscur tant il fait peur aux mâles dominants). La preuve, il ne fait même pas attention au fait que sa Conchita est interprétée par deux actrices très différentes comme si au final, elles étaient parfaitement interchangeables.
Oublions l'emballage de série B, les invraisemblances, l'identité secrète de Joseph LOSEY qui chassé des USA par le maccarthysme réalise son premier film britannique sous le nom de Victor HANBURY, "La Bête s'éveille" est un film puissant qui m'a pris aux tripes comme peu de films l'ont fait depuis bien longtemps, je ne peux que souscrire à la critique qui qualifie ce drame "d'incandescent". Et au titre en VO bien sûr, encore plus parlant qu'en VF qui est résumé ainsi dans le film "En chacun d'entre nous sommeille un tigre qui ne demande qu'à s'éveiller" (une variante bien connue est la devise de la saga Harry Potter "Ne jamais chatouiller un dragon qui dort"). En effet de quoi parle "La Bête s éveille" (1954)? De pulsions refoulées rugissant derrière les barreaux des cages sociales et morales qui ne demandent qu'à être libérées. Et quand elles le sont... et bien on oublie que le film date de 1954. Il pourrait dater de 2021, cela serait pareil. Car celui qui décide d'ouvrir la cage aux tigres est un psychiatre avant-gardiste (Alexander KNOX) qui se prend un peu pour Dieu le père ou le docteur Frankenstein. Autrement dit il pense pouvoir jouer avec le feu (la loi, l'ordre mais aussi les désirs) en gardant le contrôle de la situation, sans s'y brûler les ailes. En fait il ne se les brûle pas tant que ça (les ailes) et apparaît plus manipulateur que père bienveillant (il occupe toujours une position de supériorité agaçante genre donneur de leçons, affiche un masque de froideur distancié en toutes circonstances et observe son (ses?) sujet(s?) comme un entomologiste observerait des insectes). En revanche ce qui se passe entre le petit voyou qu'il accueille chez lui et son épouse dont la façade bourgeoise bien-pensante cache des tourments inavouables est assez dévastateur. Une scène résume bien l'ambiance, celle où Glenda (Alexis SMITH) embarque Frank (Dirk BOGARDE dont c'est la première collaboration avec le cinéaste) dont elle est passionnément éprise dans des courses-poursuites effrénées avec les forces de la loi et de l'ordre dans lesquelles elle joue non avec le feu mais avec la mort. On pense à "La Fureur de vivre" (1955) d'autant que bien qu'ayant une personnalité bien différente de James DEAN et étant plus âgé, Dirk BOGARDE donne beaucoup d'intensité à son personnage.
Ayant toujours été terriblement déçue par les adaptations récentes du roman d'Alexandre Dumas dans lesquelles je ne retrouve nullement la fascination qu'exerce sur moi l'oeuvre originale, je suis allé chercher du côté des versions muettes. Celle-ci, réalisée par Henri FESCOURT entre 1928 et 1929 est tout simplement excellente et je la recommande à tous ceux qui comme moi sont amoureux du roman. Comme celui-ci, on ne peut plus la lâcher une fois commencée. Superproduction de plus de trois heures trente en deux parties qui a bénéficié d'une superbe restauration après avoir été perdue pendant soixante-dix ans, elle a conservé l'état d'esprit du roman d'origine. Certes, celui-ci est élagué, des personnages et des intrigues (dont certaines que j'aime beaucoup) sont supprimés. Mais le résultat est parfaitement lisible, cohérent et a du sens. Ce qui ressort en effet, c'est le caractère de mascarade sociale du roman de Dumas que la vengeance du comte va s'employer à pulvériser. Ses ennemis sont des usurpateurs qui se sont employés à se hisser jusqu'au sommet de la hiérarchie sociale par des moyens malhonnêtes, crapuleux, criminels. Tous ont des secrets à cacher. Le comte s'invente lui aussi une identité pour entrer dans le grand monde avec un gros coup de pouce du destin mais c'est pour mieux démasquer faux comtes et faux barons. Le summum du grotesque, particulièrement bien mis en valeur dans cette version est atteint avec Benedetto, bébé abandonné puis bandit et bagnard qu'en un tournemain, le comte transforme en prince Cavalcanti pour exciter la vanité des nantis. Le contexte historique de la monarchie de Juillet est parfaitement restitué. Villefort a des airs typiques de Jean-François Bertin peint par Ingres qui symbolisait la bourgeoisie triomphante de 1830 alors que les rites sociaux comme les soirées à l'opéra, les bals mondains, les procès, les duels sans oublier l'orientalisme sont minutieusement recréés. Le caractère grandiose de ces scènes n'est pas préjudiciable à l'intrigue, au contraire, ce sont autant de scènes de théâtre dans lesquelles le regard perçant et précis du réalisateur nous amène toujours à saisir l'essentiel de ce qui se joue. D'ailleurs il a rajouté une scène qui fait penser à "Hamlet" avec une mise en abyme de la trahison de Fernand Mondego auprès du pacha de Janina sous forme de représentation théâtrale pour mieux le démasquer. La complexité du personnage d'Edmond qui passe du statut de victime à celui de vengeur se prenant pour dieu avant d'être assailli par le doute est préservée pour l'essentiel, de même que le fait qu'il tente de compenser ce qu'il détruit en protégeant ceux qu'il aime. La famille de l'armateur Morrel est ainsi mise en avant ainsi que Valentine et Haydée, les deux jeunes femmes qui incarnent l'espoir d'un avenir moins corrompu.
Ayant toujours été terriblement déçue par les adaptations récentes du roman d'Alexandre Dumas dans lesquelles je ne retrouve nullement la fascination qu'exerce sur moi l'oeuvre originale, je suis allé chercher du côté des versions muettes. Celle-ci, réalisée par Henri FESCOURT entre 1928 et 1929 est tout simplement excellente et je la recommande à tous ceux qui comme moi sont amoureux du roman. Comme celui-ci, on ne peut plus la lâcher une fois commencée. Superproduction de plus de trois heures trente en deux parties qui a bénéficié d'une superbe restauration après avoir été perdue pendant soixante-dix ans, elle a conservé l'état d'esprit du roman d'origine. Certes, celui-ci est élagué, des personnages et des intrigues (dont certaines que j'aime beaucoup) sont supprimés. Mais le résultat est parfaitement lisible, cohérent et a du sens. Ce qui ressort en effet, c'est le caractère de mascarade sociale du roman de Dumas que la vengeance du comte va s'employer à pulvériser. Ses ennemis sont des usurpateurs qui se sont employés à se hisser jusqu'au sommet de la hiérarchie sociale par des moyens malhonnêtes, crapuleux, criminels. Tous ont des secrets à cacher. Le comte s'invente lui aussi une identité pour entrer dans le grand monde avec un gros coup de pouce du destin mais c'est pour mieux démasquer faux comtes et faux barons. Le summum du grotesque, particulièrement bien mis en valeur dans cette version est atteint avec Benedetto, bébé abandonné puis bandit et bagnard qu'en un tournemain, le comte transforme en prince Cavalcanti pour exciter la vanité des nantis. Le contexte historique de la monarchie de Juillet est parfaitement restitué. Villefort a des airs typiques de Jean-François Bertin peint par Ingres qui symbolisait la bourgeoisie triomphante de 1830 alors que les rites sociaux comme les soirées à l'opéra, les bals mondains, les procès, les duels sans oublier l'orientalisme sont minutieusement recréés. Le caractère grandiose de ces scènes n'est pas préjudiciable à l'intrigue, au contraire, ce sont autant de scènes de théâtre dans lesquelles le regard perçant et précis du réalisateur nous amène toujours à saisir l'essentiel de ce qui se joue. D'ailleurs il a rajouté une scène qui fait penser à "Hamlet" avec une mise en abyme de la trahison de Fernand Mondego auprès du pacha de Janina sous forme de représentation théâtrale pour mieux le démasquer. La complexité du personnage d'Edmond qui passe du statut de victime à celui de vengeur se prenant pour dieu avant d'être assailli par le doute est préservée pour l'essentiel, de même que le fait qu'il tente de compenser ce qu'il détruit en protégeant ceux qu'il aime. La famille de l'armateur Morrel est ainsi mise en avant ainsi que Valentine et Haydée, les deux jeunes femmes qui incarnent l'espoir d'un avenir moins corrompu.
Romance feutrée dans une belle maison bourgeoise dont je n'ai pas oublié le couloir, orné de portes ouvertes et ouvragées, "Charulata" dépeint un triangle amoureux qui avance sans se voir et sans savoir. Une ironie suprême quand on voit combien la connaissance joue un rôle central dans leur vie. Le mari Bhupati (Shailen MUKHERJEE) tient un journal politique qui l'absorbe si complètement qu'il en délaisse sa femme et ne voit pas non plus les malversations de son beau-frère. Charulata (Madhabi MUKHERJEE) est une lectrice et une lettrée qui s'ennuie dans sa prison dorée et satisfait sans s'en rendre compte ses besoins libidineux à travers une paire de jumelles qui l'aident à observer le monde extérieur par le trou de la serrure. Et puis, il y a son jeune cousin Amal (Soumitra CHATTERJEE), féru de poésie qui vient séjourner chez eux. Bhupati y voit le moyen de combler les aspirations intellectuelles de sa femme sans comprendre que celle-ci par le truchement des jumelles peut observer sensuellement le beau jeune homme de dangereusement près. Ses émois se traduisent par les irruptions brusques du mouvement dans une vie figée. C'est donc Amal qui débarque avec le souffle du vent qui secoue la cage aux oiseaux pendue au-dessus de la coursive, c'est la scène dans laquelle il pousse la balançoire de Charulata dont on suit les balancements, hommage direct à"Une partie de campagne" (1946) de Jean RENOIR, mentor de Satyajit RAY. C'est aussi la scène dans laquelle il chante et brusquement, l'entraîne dans un mouvement de danse. C'est enfin après son départ, l'explosion de larmes de Charulata comme une digue qui cède et ouvre brusquement en grand les fenêtres, là encore sous la force du vent. A l'inverse, quand celle-ci retrouve son mari qui a fini mais un peu tard par tout comprendre, l'image se fige. Ce ne sont plus que des photogrammes privés de vie.
"La Forêt d'Emeraude" est le premier film de John BOORMAN que j'ai vu alors que j'étais encore très jeune. Il m'a beaucoup marqué et force est de constater qu'il était avant-gardiste à une époque où les préoccupations écologistes étaient parquées dans des réserves. C'est toujours le cas d'ailleurs en dépit des apparences. Depuis près de 530 ans c'est à dire depuis que les occidentaux ont posé le pied en Amérique, ils n'ont cessé de la conquérir, de la dominer et de l'exploiter sous prétexte "d'aménagement du territoire" et autre "mise en valeur" au détriment de ses premiers habitants dont le territoire ne cesse de se rétrécir comme peau de chagrin. Avec eux, c'est la nature qui recule, cette nature dont nous dépendons nous aussi mais que notre idéologie s'acharne à nier comme elle nie tout ce qui la dépasse, y compris la nature humaine. Le géographe François Terrasson disait que notre civilisation bétonnait la nature comme elle bétonnait nos émotions. Par conséquent, elle ne peut qu'enlaidir et tuer tout ce qu'elle touche, faisant de l'homme un sinistre prédateur insatiable, compensant ses besoins primaires insatisfaits par le cercle vicieux de l'accumulation capitaliste (ce que dans un tout autre style, Hayao MIYAZAKI montre si bien dans "Le Voyage de Chihiro" (2001) avec le sans-visage). Ce n'est pas par hasard que les indiens surnomme celui des blancs "le monde mort". Il l'est effectivement. C'est parce qu'ils veulent l'arracher à la mort qu'ils enlèvent donc le petit Tommy qui s'est égaré "au bord du monde" comme ils le disent.
John BOORMAN, qui a réalisé d'autres films remarquables sur le choc des cultures ("Délivrance" (1971), "Leo the Last") (1970) réalise un film majestueux et engagé dans lequel il revisite les grands mythes américains en les déconstruisant. L'univers de la tribu dépeint comme un paradis terrestre sur le point d'être perdu m'a fait penser à "Tabou" (1929) de Friedrich Wilhelm MURNAU. L'intrigue fait penser quant à elle à celle d'un western et plus précisément à "La Prisonnière du désert" (1956). Mais les enjeux sont évidemment bien différents. Le père biologique de Tommy en veut à la tribu d'avoir enlevé son fils mais il ne manifeste jamais de racisme à leur égard et Tommy reste dans sa culture d'adoption. C'est même lui qui dans un renversement des rôles lui donne une leçon de vie. Car si Bill veut l'aider, il compte sur la technologie alors que Tommy fait quant à lui appel aux forces de la nature via le chamanisme. Avec toutes les conclusions qui s'imposent.
Certes "La Baule les Pins" n'est pas un grand film. C'est une chronique familiale estivale, période de pause propice aux bilans et remises en question avant un nouveau départ. Le contexte des 30 Glorieuses voit poindre un début d'affirmation féminine, même s'il reste bien modeste et que la férule du patriarcat se fait sentir à travers le sort que Michel (Richard BERRY) réserve à la voiture que vient d'acheter sa femme Lena (Nathalie BAYE) qui souhaite divorcer ou bien le personnage de sa soeur Bella (Zabou BREITMAN) qui tricote de la layette en attendant son cinquième enfant sous les yeux d'un mari plutôt beauf, Léon (Jean Pierre BACRI). De plus, les rêves de Lena semblent bien peu émancipateurs (devenir secrétaire, prendre un nouvel amant plus jeune joué par Vincent LINDON qui d'ailleurs est à peine esquissé). Mais en dépit de ce cadre petit-bourgeois pesant qui étrique les corps aussi bien que les esprits, la sensibilité à fleur de peau de Diane KURYS touche, en particulier quand elle se place du point de vue des enfants. Frédérique et Sophie, les deux filles du couple Michel-Léna expriment leur souffrance face à leurs parents qui se déchirent, chacune à leur manière et sans que personne ne leur prête vraiment l'attention dont elles auraient besoin. Combien d'enfants se sont sentis dans ces situations impuissants et encombrants, combien se sont retrouvés otages de l'un ou l'autre de leurs parents? Le sentiment de délaissement est en particulier très présent du début à la fin du film avec une scène particulièrement touchante où en dépit de leurs suppliques, le chien qu'elles ont recueillies est de nouveau abandonné à la fin des vacances. La manière dont est filmée cette scène la rend parfaitement révoltante. Cette sensibilité à fleur de peau se retrouve également dans d'autres scènes qui voient l'un des enfants du couple Bella-Léon se faire exclure d'un prix de la plus belle construction de sable parce qu'il ne fait pas partie du club de plage. Une injustice que les enfants sauront réparer à leur façon.
Avoir vu quasiment à la suite "The Servant" (1962) et "Accident" (1967) tous deux fruits de la collaboration du réalisateur Joseph LOSEY du dramaturge et scénariste Harold PINTER et de l'acteur Dirk BOGARDE m'a permis d'en voir les évidentes continuités: le huis-clos, étouffant; les pulsions réprimées et "médiatisées" par le ménage à trois (voire plus, j'y reviendrai); la précision de la mise en scène qui à chaque plan nous parle par la composition de l'image; Celle de la bande-son qui exacerbe encore la tension palpable et les non-dits (pas de gouttes d'eau qui s'écoule d'un robinet comme dans "The Servant" (1962) mais des sonneries de téléphone et des tic-tac d'horloge qui soulignent la pesanteur des silences sans parler du bruit du crash que l'on entend dans un parallélisme de plan parfait au début et à la fin sans rien en voir). Pour résumer, les deux films me font penser à une étude entomologique du désir. C'est d'ailleurs aussi souvent ce qui peut gêner dans le cinéma de Losey. Un cinéma brillant mais aussi froid qu'une table de dissection fait sur-mesure pour un Alain DELON (évidemment je fais allusion à "Mr. Klein") (1976). Mais dans "Accident", c'est pour la quatrième fois Dirk BOGARDE qui prête son intériorité tourmentée et pleine de contradictions au personnage du professeur Stephen pris au piège de la toile d'araignée que tisse autour des hommes la séduisante Anna (Jacqueline SASSARD). Pour filer la métaphore du titre, cet homme rangé des voitures qui évolue dans une micro-société corsetée voit un jour l'une d'elles venir se fracasser dans son jardin. A l'intérieur, son étudiant et secrètement rival William (Michael YORK), tué sur le coup et Anna, intacte et commotionnée mais à qui il prête des intentions meurtrières. Il faut dire que jusque là, c'est Anna qui a toujours mené le bal et lui qui n'a jamais réussi à s'y insérer, observant en bouillant de frustration celle-ci se faire sauter sous son propre toit (on reconnaît bien là la perversion du ménage à trois de "The Servant") (1962) par Charley (Stanley BAKER), l'un de ses collègues nettement plus téméraire et donc plus chanceux dans la vie. Mais voilà, après l'accident, Anna est en position de faiblesse et à sa merci et le loup qui sommeille en Stephen pourrait bien se réveiller derrière son attitude de pauvre victime de l'amour.
Construit sur un flashback qui s'entremêle avec le présent, "Accident" établit également un pont, volontaire ou non avec le cinéma de Alain RESNAIS. Delphine SEYRIG, l'une des égéries des premiers films du réalisateur français illumine de sa présence le film de Losey alors que Dirk BOGARDE ira traîner ses guêtres dix ans plus tard dans "Providence" (1977).
"Pour l'exemple" de Joseph LOSEY est systématiquement comparé au film de Stanley KUBRICK "Les Sentiers de la gloire (1957). Mais bien qu'abordant le même sujet (les soldats condamnés à mort et fusillés "pour l'exemple" par leur propre camp en 1917) il est dommage qu'il soit autant dans l'ombre de son illustre prédécesseur. Il est en effet bien différent. Plus froid, plus clinique avec ses nombreux passages d'arrêts sur image montrant des corps se dissolvant dans la boue, condamnés à l'anéantissement et à l'oubli. Et surtout, il est bien plus dur.
Dans le film de Stanley KUBRICK, le colonel Dax joué par Kirk DOUGLAS qui est l'avocat des soldats condamnés pour "lâcheté devant l'ennemi" ne parvient pas à sauver leur tête mais il s'en tire avec les honneurs en gardant toute son intégrité. Un réflexe très américain. Rien de tel avec le capitaine Hargreaves qui se fait l'avocat du soldat Hamp (Tom COURTENAY) accusé de désertion.
Certes, sa plaidoirie est tout aussi humaniste que celle du colonel Dax. Elle est tout aussi vouée à l'échec dans cette logique impitoyable de la guerre dans laquelle les hommes doivent tenir coûte que coûte, aucune défaillance n'étant tolérée mais tous les coups étant permis sous un vernis parfaitement légal. Légalité s'accompagnant d'ailleurs du mensonge d'Etat lorsque la missive parvenant à la famille indique que le soldat Hamp est mort au combat.
Mais en plus du verdict impitoyable, Joseph LOSEY démonte tous les mythes propagandistes autour des "héros" de guerre et autres concepts de "guerre propre". Non la guerre n'est jamais propre et l'ensemble du film nous le rappelle. Au sens propre puisque les hommes végètent du début à la fin sous une pluie battante dans la boue au milieu des rats, des cadavres et de leur propre merde (le pauvre Hamp est ravagé par la dysenterie) mais également au figuré. Il n'y a ni héros, ni méchant sur le front mais des hommes embarqués sur le même bateau qui sont là avant tout pour obéir aux ordres de supérieurs bien planqués qui consistent à assassiner leurs ennemis mais aussi parfois leurs propres camarades. Le capitaine Hargreaves ne fait pas exception à la règle. Il faut dire que celui-ci est joué -je devrais dire habité!- par l'expert en zones d'ombres et autres ambivalences humaines qu'est Dirk BOGARDE*. Son jeu exceptionnellement riche et nuancé superpose deux couches de sens qui rendent son personnage inoubliable. Hargreaves est un homme de devoir. Il s'avère donc aussi qualifié pour effectuer une plaidoirie vibrante d'humanisme en faveur du déserteur que pour l'achever. Mais il n'est pas uniquement un être de représentation ou un pantin exceptionnellement doué. Tout indique par son regard, par le ton de sa voix un être intérieurement tourmenté, tiraillé entre une éducation psychorigide et sa conscience qui vient de temps à autre le hanter. On peut aussi penser qu'à un moment donné, il a cru que son éloquence allait le tirer de cet enfer et que son réveil lorsqu'il apparaît avec les mains noires de boue -des mains sales- n'en est que plus douloureux.
* Co-scénariste et lui-même ancien soldat de l'armée britannique durant la seconde guerre mondiale.
Premier film de Joseph LOSEY, "Le Garçon aux cheveux verts" n'a rien perdu de son actualité. Le contexte a changé, le jugement social sur les petits garçons aux cheveux différents de la norme non. Par exemple, les cheveux longs et bouclés qui ne semblent pas poser problème quand ils sont portés par des petites filles deviennent étonnamment suspects quand ils le sont par des petits garçons, surtout à partir de l'entrée à l'école. Outre le trouble sur le genre qu'ils induisent et qui dérange on les accuse de transmettre des poux et on agite alors la menace de la tondeuse. Et c'est ainsi que la pression sociale normative continue à s'exercer en toute impunité dans une société dite "moderne".
Peter (Dean STOCKWELL alors enfant-acteur à la présence déjà remarquable) n'a pas les cheveux longs mais un matin, il découvre qu'ils sont devenus naturellement verts. Cette simple différence de couleur lui vaut la curiosité malsaine puis l'ostracisme et enfin l'hostilité de la petite ville américaine dans laquelle cet orphelin de guerre (le film date de 1948) pensait avoir trouvé un foyer. Outre sa beauté et sa mélancolie, le film offre un édifiant portrait de la gent humaine qui renvoie aux comportements racistes et antisémites observés pendant la seconde guerre mondiale. Le harcèlement vécu par Peter à l'école, les pressions exercées par le laitier qui craint que le changement de couleur des cheveux du garçon ne soit associé à son lait et ne lui fasse mettre la clé sous la porte, la docilité servile du coiffeur ou encore la lâche trahison du tuteur de Peter d'apparence si tolérant et qui plus est magicien. Rien de tel que la confrontation avec la différence pour révéler les tricheurs de tous bords, y compris ceux qui se drapent dans des oripeaux de vertu ou d'ouverture d'esprit.
Mais le film n'est pas qu'une fable sur la différence car celle-ci est signifiante. Peter porte bien malgré lui la mémoire de tous les enfants victimes de la guerre et la couleur de ses cheveux qui le rend visible est un moyen d'obliger les adultes à ne pas se dérober à leurs responsabilités présentes et futures pour que cela ne recommence jamais. Le film de Joseph LOSEY est donc humaniste et engagé et plus dérangeant que convenu en dépit des apparences. D'ailleurs celui-ci et ses collaborateurs subiront le sort de Peter en étant blacklisté par Hollywood au moment de la chasse aux sorcières.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.