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Articles avec #drame tag

La Vérité

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2019)

La Vérité

Depuis le premier jour où j'en ai entendu parler, j'ai été perplexe à propos de ce film. Et son visionnage m'a confirmé qu'il s'agissait d'un ratage. Il y a quelque chose de l'ordre "film de prestige" dans cette affiche avec un réalisateur japonais qui venait d'être palmé pour "Une Affaire de famille" (2018) et deux actrices françaises iconiques. Mais en fait le résultat est sans identité. Ou plutôt il possède l'identité du petit microcosme upperclass polyglotte qui est toujours entre deux avions quand il ne navigue pas dans la stratosphère, loin de la plèbe (du moins jusqu'à ce que le covid ne cloue les avions au sol et ne vide les palaces). Je suis mauvaise langue mais rien que la maison et le grand parc bucolique en plein Paris donne une petite idée du milieu qui nous est dépeint... loin, si loin des préoccupations du commun des mortels. D'autre part, après un début plutôt plaisant et filmé avec la sensibilité esthétique propre à Hirokazu KORE-EDA, le film se met très vite à tourner en rond tant il a au final peu de choses à raconter, sinon une énième mise en abyme du cinéma propre à se faire pâmer les critiques avec un tournage dans le film qui emprunte son argument à "Interstellar" (2014) bien que j'ai pensé aussi à "Proxima" (2019) puisqu'il s'agit de raconter à travers la science-fiction les difficultés relationnelles entre une mère narcissique et absente et sa fille frustrée. Quand enfin va-t-on changer de disque et arrêter de culpabiliser les femmes qui font carrière?
Réponse:

a: Quand le cinéma français "de qualité" arrêtera de se regarder le nombril et d'aller chercher chez une Catherine DENEUVE usée jusqu'à la corde de son énième lifting la réponse à sa crise d'inspiration (je devrais même dire, de civilisation, je me souviens encore que c'était elle qu'on était allé chercher pour faire la promo des J.O. 2012 en vantant la muséification parisienne avec le "succès" que l'on sait). Les clins d'oeil à une certaine "Sarah" qui pourrait tout à fait être Françoise DORLÉAC montre à quel point ce film s'adresse à un tout petit public. Et par sa construction prétentieuse, il me rappelle "La Petite Lili" (2003) (en plus il y a dans les deux films Ludivine SAGNIER à qui le cinéma français a collé l'étiquette de "doublure jeune de Catherine DENEUVE").

b: Quand il cessera de reproduire encore et encore l'énième schéma patriarcal éculé derrière l'étiquette frauduleuse des "femmes libérées avec plein d'amants" mais se donnant plutôt à des hommes de pouvoir qu'à des larbins (et très complaisantes avec les agissements de ceux-ci). Ou bien comme dans le film de Hirokazu KORE-EDA, des sorcières (le personnage de Catherine DENEUVE y est explicitement comparé) qui détruisent les hommes et sont punies par la solitude (et une certaine mauvaise conscience). Quand va-t-on enfin comprendre qu'il s'agit d'un fantasme de mâle alpha? Dans "Interstellar" (2014) comme par hasard la fille ne reprochait pas à son père d'être parti loin d'elle. Là on seulement on baigne dans un milieu tellement privilégié qu'il semble rejeter les spectateurs mais en plus tout ce qui s'y dit est d'un convenu affligeant ou d'une vacuité totale (les questions sur la mémoire sélective sans support consistant, désolé mais ça tourne à vide). Vu, revu, has been, cliché et se donnant des grands airs par dessus le marché.

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Jumbo

Publié le par Rosalie210

Zoé Wittock (2020)

Jumbo

Noémie MERLANT a dit à propos de Jeanne Tantois, son personnage dans "Jumbo" que celle-ci n'était pas autiste. Laissez-moi rire. Elle est toujours seule, se fait harceler, ne regarde pas les gens dans les yeux, leur répond à peine, son visage est inexpressif, elle allume et éteint mécaniquement sa lampe de poche pour se consoler et passe son temps à fabriquer des maquettes dans sa chambre dont elle ne sort que pour aller travailler, dans un parc d'attraction désert la nuit. Noémie MERLANT a donc perdu une occasion de se taire parce que lorsqu'on ne sait pas de quoi on parle, c'est ce qu'il vaut mieux faire. Et c'est d'autant plus dommage que sa prestation est très juste. Et qu'être "queer" (étiquette sous laquelle a été vendue le film pour qu'il paraisse moins étrange sans doute) n'est pas incompatible avec l'autisme, bien au contraire. Le genre étant une construction sociale, il passe par-dessus de la tête de la plupart des autistes qui sont naturellement "queer" c'est à dire ne se reconnaissent pas dans le clivage masculin/féminin. Mais bon, la question essentielle que traite ce film sans le dire explicitement c'est pourquoi certains autistes sont accros ("Jumbo" signifie "crack", c'est une addiction) aux attractions à sensations fortes, plus particulièrement quand elles tournent en rond. Et bien la meilleure réponse qui soit se trouve dans, "Ma vie d'autiste" le livre de, Temple Grandin et plus particulièrement dans le chapitre intitulé "Le Manège". Extrait:

"Par hasard, j'ai découvert un moyen de soulager temporairement mes crises de nerfs. Pendant l'été, avec l'école, nous avons fait une excursion au parc d'attraction. L'un des manèges s'appelait le Rotor, un énorme baril dans lequel les gens se tenaient contre les parois pendant qu'ils tournaient rapidement. La force centrifuge les poussait contre les parois du baril même quand le plancher se dérobait* (...) désormais mes sens étaient à un tel point submergés par la stimulation que je ne sentais ni l'anxiété ni la peur. Je n'éprouvais qu'une sensation de bien-être et de détente (...) Le Rotor est devenu une obsession (...)."

L'explication est très simple. Les sens des autistes sont déréglés. Ils sont soit hyposensibles (ils ne sentent rien) soit hypersensibles (ils ressentent trop). La plupart du temps, ils alternent entre les deux (trop de stimuli et c'est le court-circuit). Certains autistes ne peuvent pas monter sur un manège mais d'autres éprouvent un apaisement à leur anxiété car la surstimulation s'accompagne d'un sentiment de sécurité lié à l'aspect routinier, répétitif du manège. Bref il s'agit d'une extension mécanique de l'autostimulation que pratiquent beaucoup d'autistes pour calmer leur anxiété (balancements, flapping etc.)

Jeanne n'est donc pas folle, son fonctionnement qui la pousse à rejeter les contacts humains au profit d'une histoire d'amour avec un manège est au contraire parfaitement logique pour qui connaît le phénomène. Même les neurotypiques (non autistes) peuvent ressentir de l'excitation sexuelle dans certaines attractions. La machine est prévisible contrairement aux humains et c'est ce qui en fait un formidable allié pour un autiste dont le besoin le plus viscéral est la sécurité. Là où ça se complique, c'est quand le jugement s'en mêle**. De ce point de vue l'écriture du film a la main bien trop lourde, offrant une galerie de personnages stéréotypés bas du front assez désolante. Comme si le monde se divisait en deux catégories, les freaks et les "normaux" affreux, bêtes et méchants. Fallait-il également adjoindre à cette pauvre Jeanne une mère aussi vulgaire, infantile et elle aussi bête à pleurer? Le retournement de dernière minute semble bien peu crédible. Dommage.

* Ce manège est visible par exemple dans "Les Quatre cents coups" (1959).

** Je me souviens encore de l'incompréhension qu'a suscité la joie que ma meilleure amie et moi-même (qui avons par ailleurs longtemps écumé les parcs d'attraction ^^) avons ressenti quand nous avons découvert qu'au Japon, nous pouvions commander nos repas au restaurant sur des machines, comme cela se pratique dans les fast-food en France. Lorsque nous en avons parlé à notre retour, on s'est vu rétorquer que cela manquait de chaleur humaine...

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Riz amer (Riso amaro)

Publié le par Rosalie210

Giuseppe De Santis (1949)

Riz amer (Riso amaro)

Dès la première séquence du film de Giuseppe de SANTIS, le mélange imparable de (néo)réalisme documentaire attaché à décrire les conditions de travail du lumpenprolétariat et de film noir, de destinées individuelles emportées dans un mouvement collectif merveilleusement filmé nous prédispose à un film hybride parfaitement maîtrisé, à la fois ancré dans le réalisme social tout en étant sujet à de belles envolées lyriques (au sens propre comme au sens figuré). "Riz amer" raconte le dur labeur des repiqueuses de riz de la plaine du Pô dans l'après-guerre avec des accents de tragédie grecque: un choeur de travailleuses sur lequel se détachent quatre personnages principaux, deux femmes et deux hommes. Les femmes sont toutes deux des exploitées du système mais aussi d'un séducteur crapuleux et sans scrupules, Walter (Vittorio GASSMAN). Mais alors que la première, Francesca (l'américaine Doris DOWLING) partie de la situation la plus misérable se redresse peu à peu au contact de ses "soeurs de labeur", la seconde, Silvana (Silvana MANGANO l'une de mes actrices italiennes préférées, révélée par le film) à l'allure fière, sensuelle et libre tombe peu à peu sous le joug de Walter à force de vouloir troquer son existence laborieuse pour la chimère d'une vie facile. Face au truand manipulateur, la loi (démobilisée mais qui reprend du service pour la bonne cause) est représentée par le sergent Marco (Raf VALLONE) qui vient tendre la main à ces deux prolétaires en tentant de les protéger du vautour qui rôde dans le grenier à riz, prêt à chaparder la récolte obtenue au prix d'heures passées courbées les pieds dans la boue.

Ce qui est également fascinant dans "Riz amer", c'est sa féminité. Pas seulement par le fait de se plonger au coeur d'un microcosme de femmes mais par la manière dont elles sont mises en valeur par la caméra qui les filme de manière très charnelle. Evidemment, l'aura érotique dégagé par la plantureuse Silvana MANGANO domine l'ensemble, notamment lors de ses scènes dansées.

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Seules les Bêtes

Publié le par Rosalie210

Dominik Moll (2019)

Seules les Bêtes

Thriller bien foutu en forme de puzzle dont on reconstitue peu à peu les divers morceaux sans baisse de rythme jusqu'à la fin. Mais outre que le procédé n'a rien de novateur, l'intrigue est invraisemblable à force de coïncidences forcées à gros traits et surtout il s'agit d'un film se complaisant dans une atmosphère malsaine et mortifère. Tous les personnages ont pour point commun d'être de grands solitaires masochistes à force de tordre le cou vers un fac-similé d'amour qui s'appelle le miroir aux alouettes. Mais comme (je cite le film) "l'amour, c'est donner ce qu'on a pas", il est remplacé par l'argent et se transforme en exploitation économique ou en transaction financière. Une vision très sombre des rapports humains, nourrie par les inégalités sociales et géographiques. C'est par exemple une grande bourgeoise d'âge mûr (Valeria BRUNI-TEDESCHI) qui s'offre une jeune serveuse (Nadia TERESZKIEWICZ) le temps d'une escapade mais lorsque celle-ci a le malheur de s'attacher, elle l'arrose de billets pour s'en débarrasser. C'est cette assistante sociale (Laure CALAMY) victime du syndrome de l'infirmière qui croit réchauffer par ses étreintes le paysan rustre qu'elle aide (Damien BONNARD) alors que celui-ci ne rêve que d'étreindre le cadavre bien froid d'un substitut de sa mère. C'est le mari de l'assistante sociale (Denis MÉNOCHET) qui sous couvert de comptabilité tchate avec une superbe "Amandine", laquelle s'appelle en réalité Armand, vit à Abidjan et utilise un faux profil (celui de la jeune serveuse) pour lui soutirer de l'argent. Armand espère ainsi reconquérir la mère de sa fille, laquelle a fait le choix de la sécurité financière en se maquant avec un blanc, lequel s'avère lié aux autres personnages et la ramène bien sûr au point de départ c'est à dire dans le Causse Méjean. La boucle est parfaitement bouclée avec au passage plusieurs coeurs brisés, un suicide et un meurtre. Bref un film maîtrisé mais plombant avec sa mauvaise conscience de riche blanc qui croit devoir expier ses privilèges en s'accablant de tous les maux de la terre.

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Place Vendôme

Publié le par Rosalie210

Nicole Garcia (1998)

Place Vendôme

Troisième film de Nicole GARCIA, "Place Vendôme" est le premier film que j'ai vu de cette réalisatrice et reste à ce jour mon préféré d'elle. Certes, les réserves que j'ai sur ses autres films valent aussi pour celui-ci. Nicole GARCIA est prisonnière d'une vision du monde étriquée par les conventions bourgeoises. De film en film, on retrouve les mêmes paramètres castrateurs: petit milieu clos, photographie sombre, cruauté feutrée, personnages engoncés dans leurs costumes sociaux chics comme s'il s'agissait d'armures, lieux luxueux mais impersonnels comme des halls de gare, froideur extrême. Ça manque de naturel, de vie, de chaleur humaine, aucun cheveu ne dépasse. Cette vie sous étouffoir explique paradoxalement le besoin d'évasion de ses films soit du côté du thriller (espionnage, meurtre, escroqueries) soit du côté de la romance (passion délétère, addictions). Mais tout reste bien "peau-lissé" si je puis m'exprimer ainsi.

Néanmoins "Place Vendôme" vaut le détour moins pour son intrigue à grosses ficelles (suicide, trahison, chute et rédemption) ou son aspect documentaire sur le milieu des diamantaires (survolé) que pour son interprétation. A défaut d'avoir un rôle réaliste, Catherine DENEUVE réussit à émouvoir en femme déchue qui relève la tête et reste d'une beauté fascinante. Son tête à tête avec Jacques DUTRONC en vieil escroc séducteur rattrapé par son passé possède une vraie densité dramatique. Et sa relation avec le personnage joué par Jean-Pierre BACRI, payé pour la surveiller mais qui se laisse prendre à son charme fuyant ne manque pas non plus d'intérêt. En revanche répéter cette histoire avec une femme plus jeune en tous points semblable hormis le charisme (Emmanuelle SEIGNER) alourdit le propos.

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Séraphine

Publié le par Rosalie210

Martin Provost (2008)

Séraphine

Fascinante Séraphine Louis (interprétée magistralement par Yolande MOREAU) que le beau film de Martin PROVOST a contribué à sortir de l'oubli. Issue du même terreau que le douanier Rousseau, promue par le même marchand d'art, Wilhelm Uhde (joué par Ulrich TUKUR déjà remarquable dans "Amen" (2001) et "La Vie des autres") (2006) elle fut pourtant victime de la même discrimination de genre que dans la plupart des autres domaines artistiques, l'histoire de l'art préférant retenir son homologue masculin plutôt qu'elle-même.

Ce n'est toutefois pas le sujet du film de Martin PROVOST même si au détour d'un plan, on voit que le seul tableau que les Udhe décident d'emporter avec eux lors de leur fuite au début de la guerre est celui d'Henri Rousseau. Le film est tout entier dédié à ce magnifique portrait de femme pour laquelle il suit deux axes principaux.

Le premier concerne ses sources d'inspiration. Issue d'un milieu humble, pauvre, cantonnée à des taches ingrates de servante, autodidacte et solitaire, Séraphine puise une immense consolation d'une part dans sa relation profondément sensuelle à la nature (on la voit caresser la végétation, humer le vent, se baigner nue, grimper aux arbres etc.) et de l'autre dans la foi catholique. Cette double influence, à la fois païenne et religieuse (que l'on retrouve aussi chez Charlotte Brontë dans la littérature) est une des raisons du génie de sa peinture. Créant elle-même ses couleurs à partir de pigments issus de végétaux ou d'animaux (du sang pour le rouge par exemple qu'elle mêle à la cire des cierges d'église) elle donne vie à ses tableaux à partir de racines terrestres d'une puissante matérialité pour élever ses compositions florales ou fruitières jusqu'au ciel (de son propre aveu, son inspiration "vient d'en haut"). Une telle contradiction ne peut que créer de malaise. Les religieuses se demandent si c'est comme elle le prétend la Vierge Marie et les Anges qui guident sa main alors que tout dans sa personne (son indépendance, son rapport à la nature, son travail créatif qui ressemble à celui d'une alchimiste) mais aussi dans le caractère troublant de ses toiles (des végétaux qui ressemblent à des insectes en mouvement mais aussi aux parties intimes su corps féminin, sans parler de l'importance du sang dans les coloris de ses tableaux) fait penser à une sorcière habitée par le diable.

Le deuxième axe est celui qui concerne la dialectique entre le génie et la folie. En sortant de l'ombre grâce à Wilhelm Udhe qui partage avec elle solitude et marginalité, Séraphine perd le fragile équilibre qui la maintenait jusque-là. Bien que celui-ci fasse ce qu'il peut pour l'aider, il ne peut lui assurer la stabilité dont elle a tant besoin, d'abord à cause de la guerre, puis à cause de la crise économique des années 30, sans parler de l'argent qui lui fait perdre la tête. Conséquence, bien qu'elle ait de l'or dans les mains, Séraphine termine sa vie misérablement à l'asile.

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Les Chatouilles

Publié le par Rosalie210

Andréa Bescond (2018)

Les Chatouilles

"Les Chatouilles", film coup de poing, comme "Chaos" (2001), résonne comme un cri, celle d'une voix longtemps muselée. Tellement d'ailleurs, qu'elle n'a d'abord été qu'un corps de poupée mis à disposition du voisin pédophile à qui des parents savamment manipulés par celui-ci ouvraient aveuglément leur porte. Les mécanismes sociaux et individuels de l'emprise sont parfaitement décortiqués. Gilbert (Pierre DELADONCHAMPS) est un parfait piège à c..., entre sa réussite sociale qu'il exhibe aux parents d'Odette dont il fait ses obligés et sa vitrine familiale exemplaire derrière laquelle se cache le viol de sa propre soeur. A cela s'ajoute un père (Clovis CORNILLAC) faible et naïf, incapable de jouer son rôle et une mère (Karin VIARD) tellement aliénée par ses propres traumatismes qu'elle finit par en devenir la complice inconsciente du bourreau en lui livrant sa fille pieds et poings liés puis en s'enfonçant dans la haine et le déni une fois le secret révélé. C'est donc par le corps que Odette (Andréa BESCOND qui joue en réalité son propre rôle) exprime sa souffrance. Son rêve d'être danseuse étoile se transforme une fois devenue adulte en soubresauts d'une âme torturée par le silence. Et lorsque les mots sortent enfin devant une psychologue (Carole FRANCK) qui au départ a bien du mal à y faire face, c'est de façon désordonnée, comme le film l'est lui-même: brut de décoffrage, pas aimable, maladroit parfois sur le plan formel mais "who's care?" à part quelques critiques trop esthètes pour apprécier ce flot généreux à défaut d'être toujours parfaitement maîtrisé. Mais de beaux objets polis et vides de contenu, il y en a plein les tiroirs. Le cri de colère de Andréa BESCOND est lui d'une absolue sincérité et à chaque instant elle se donne à la caméra. On sent que ça vient des tripes et du coeur. Son témoignage marque un jalon important de la reconnaissance des souffrances des anciens enfants abusés, leur parole semblant enfin être entendue. Et sa réconciliation avec elle-même, plus exactement avec la petite fille qu'elle a été est bouleversante tant Andréa BESCOND irradie de joie et de larmes mêlées.

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There Will Be Blood

Publié le par Rosalie210

Paul Thomas Anderson (2007)

There Will Be Blood

Cela faisait déjà un moment que je voulais voir cette fresque contemporaine sur "la naissance d'une nation" ramenée à l'échelle d'un trou perdu regorgeant de pétrole. D'une grande maîtrise formelle tant dans le domaine des images (très belle utilisation de la profondeur de champ par l'utilisation des lignes de fuite dans les grands espaces, de la verticalité pour suggérer la construction du pouvoir ou du gros plan en plongée ou contre-plongée pour suggérer les rapports de force) que dans celui de la musique (qui souligne très efficacement les moments de tension), le film est la fausse success story d'un petit prospecteur devenu magnat du pétrole qui à force de misanthropie, d'individualisme, de cupidité et d'arrivisme acharné fait le vide autour de lui au point que sa vie n'a plus de sens (d'où le parallèle souvent effectué avec un autre célèbre self-made-man du cinéma: Charles Foster Kane dans "Citizen Kane") (1941). Il faut dire que tout dans le film de Paul Thomas ANDERSON est fait pour sonner faux et de ce fait, susciter l'esprit critique du spectateur: on y évoque la terre promise et l'on ne voit qu'une étendue stérile bientôt souillée par la matière visqueuse que Plainview arrache du sous-sol, on y parle de salut et d'élévation spirituelle mais on y est damné par la soif de l'or (noir) et les hommes se traînent misérablement au sol comme des vers de terre quand ils ne sont pas abattus comme des chiens, on y célèbre la famille mais les femmes -symbole de fertilité- en sont absentes et on s'y déchire quand celle-ci ne s'avère pas bâtie sur des faux-semblants (le faux frère, le fils adoptif renégat). Bref s'il y a un mot qui pourrait parfaitement qualifier le film de Paul Thomas ANDERSON, c'est "sécheresse".

J'ai cependant une réserve à apporter en ce qui concerne la direction d'acteurs. Daniel DAY-LEWIS dans le rôle du capitaliste et Paul DANO dans celui du prédicateur corrompu par l'argent sont tous deux un poil trop hystériques ce qui donne à leurs affrontements un caractère grand-guignolesque qui est peut-être voulu mais qui selon moi affaiblit le film. Plus de retenue aurait permis à celui-ci de gagner encore en puissance.

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Le Jeu de la dame (The Queen's Gambit)

Publié le par Rosalie210

Allan Scott, Scott Frank (2020)

Le Jeu de la dame (The Queen's Gambit)

"Le Jeu de la dame" est une mini-série de 7 épisodes adaptée d'un roman de Walter Travis qui est arrivée sur Netflix à l'automne 2020 en catimini. On devine assez facilement pourquoi: un sujet (les échecs) a priori peu porteur, une héroïne atypique qui fait jeu égal avec les hommes, se moque du regard des autres et des attentes sociales et dont la principale qualité, l'intelligence n'est pas ce qui ressort le plus souvent dans la représentation du sexe féminin, la reconstitution d'une époque (années 50-60) qui donne un cachet vintage à la série pas forcément en phase avec le jeune public, principaux utilisateurs de la plateforme... c'est pourtant le bouche à oreille qui l'a propulsée sur le devant de la scène et en a fait la mini-série la plus populaire de Netflix, un succès international, n°1 dans 63 pays, preuve qu'une histoire originale, atypique peut avoir des résonances universelles.

D'abord "The Queen's Gambit" (titre en VO) se rattache au roman d'apprentissage. C'est une success story, l'histoire de l'ascension fulgurante d'une jeune prodige des échecs dont on suit le parcours via tous les passages obligés de ce type d'histoire (championne régionale puis nationale puis internationale et finalement n°1 mondial). Mais n'y a-t-il pas un paradoxe dans le fait de raconter une telle histoire avec un jeu qui s'appelle "échecs"? Car le parcours de Beth est semé d'embûches et hanté par l'échec, justement.

Cette success story se combine en effet avec un parcours de résilience. Beth est une survivante au sens propre: elle a survécu à l'accident d'automobile qui a emporté sa mère. Et au sens figuré: son véritable adversaire, ce ne sont pas les hommes qu'elle affronte aux échecs, non. Car dans ce domaine qu'elle maîtrise à la perfection et investit d'une manière obsessionnelle, elle est avec eux sur un pied d'égalité. En revanche, sortie de ce pré carré, elle se retrouve à chaque instant renvoyée à sa marginalité dans une société patriarcale qui lui est profondément hostile. Beth grandit dans la perte (de sa mère biologique puis de sa mère adoptive) et l'abandon (ses pères successifs la rejettent). Elle observe en restant à l'écart les adolescents flirter, ses camarades de lycée se marier, avoir des enfants dans la plus pure tradition de l'American way of life. Son atypie la condamne à la solitude, solitude qu'elle remplit avec des addictions. Son passage à l'orphelinat a été de ce point de vue édifiant car elle y a appris clandestinement les échecs grâce au gardien, un homme aussi taciturne qu'elle mais aussi l'addiction aux calmants administrés aux enfants pour les rendre dociles au point de ne plus arriver à dissocier l'un de l'autre, en croyant qu'elle ne peut réussir que par l'ingestion des "pilules magiques". C'est pourquoi son ascension vers les sommets est aussitôt entravée par une spirale autodestructrice qui l'entraîne vers l'abîme faite d'ingestion de drogues et d'alcools en quantité phénoménales.

Ce qui donne beaucoup de crédibilité à cette série, c'est le travail absolument époustouflant accompli sur la reconstitution historique ainsi que l'interprétation. Les costumes et les décors sont splendides, incroyablement détaillés et reflètent parfaitement les motifs géométriques obsessionnels qui hantent l'héroïne (des carrés, des diagonales...) Quant à Anya TAYLOR-JOY, elle est tout simplement parfaite pour le rôle. Déjà dans "Split" (2016) puis "Glass" (2018) de M. Night SHYAMALAN, elle interprétait avec beaucoup de magnétisme une adolescente sociopathe victime de traumatismes d'enfance et qui de ce fait, avait des capacités hors-normes (notamment celle de pouvoir ramener à la raison un dangereux psychopathe). C'est exactement la même chose dans "Le Jeu de la Dame". Son visage presque figé semblable à celui d'une poupée de cire (elle est surnommée d'ailleurs "face de craie" à l'orphelinat) fait ressortir un regard concentré et perçant qui électrise les parties d'échecs, superbement chorégraphiées pour que le spectateur néophyte ne s'ennuie pas tout en satisfaisant les connaisseurs.

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Trop belle pour toi

Publié le par Rosalie210

Bertrand Blier (1989)

Trop belle pour toi

Bernard (Gérard DEPARDIEU) a "tout pour être heureux" selon l'expression consacrée: une grande maison qui ressemble aux salles de réception d'un hôtel 5 étoiles, une épouse magnifique (Carole BOUQUET), de beaux enfants, un groupe d'amis, un bon travail. Mais tout cela est si parfait que cela en devient irréel. D'ailleurs Bernard semble presque déplacé dans un tel univers dans lequel il ne fait juste que passer, comme s'il était un simple visiteur. Bientôt, il s'éprend de Colette (Josiane BALASKO) une secrétaire intérimaire au physique quelconque et d'un milieu social beaucoup plus modeste. Mais le rêve d'exotisme de Bernard tourne court dès qu'il s'englue dans la routine de Colette. Au lieu de la rondeur de ses formes et de la blancheur des draps, c'est le bruit infernal du train qui passe sous les fenêtres, la grisaille, le jardin en friches, son peignoir usé et son vélo peu glamour qu'il voit. Des "tue-l'amour" pour cet amateur de Schubert qui ne sait plus très bien où il vit ni ce qu'il veut. Au risque de s'y perdre et de tout perdre.

Avec son style si reconnaissable fait de narration non linéaire, d'adresse directe aux spectateurs, de langage sans filtre (social), d'un mélange de provocations triviales et d'envolées lyriques passionnées flirtant avec la grâce, Bertrand BLIER réinvente le triangle amoureux et le romantisme en cassant les codes habituels, donnant à Carole BOUQUET et à Josiane BALASKO de beaux rôles à contre-emploi. La gravure de mode qui fait rêver tous les mecs devient une épouse trompée par un homme qui reporte son désir sur un fantasme ancillaire*, lui-même évanoui dès qu'il se concrétise véritablement. Cela souligne assez bien le vide qui se cache derrière les images ainsi que la nature éphémère du désir qui repose sur le manque et qui est souvent dramatiquement confondu avec l'amour. En effet dès que celui-ci est comblé, il se porte automatiquement sur un autre objet, démontrant par là même qu'il chosifie ses cibles. Florence est considérée comme un beau bibelot dans un superbe écrin et au bout d'un moment la médiocrité de la vie de Colette la renvoie elle aussi aux objets dont elle s'entoure (bon marchés, usés). On pourrait dire que Bernard se comporte comme un drogué de la passion amoureuse qui cherche désespérément à combler un vide intérieur. Il carbure à la musique, mélancolique et mortifère de Schubert devant cette illusion qui lorsqu'elle se dissipe ne lui laisse le choix qu'entre un objet précieux et un objet de consommation ordinaire. Le cri de la fin est-il le signe d'une prise de conscience de cette impasse existentielle?

* "Le Bruit des glaçons" (2010) reprend un schéma de ce type sauf que les amants sont sur un pied d'égalité face à la mort qui les suit partout.

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