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La Femme des sables (Suna no onna)

Publié le par Rosalie210

Hiroshi Teshigahara (1964)

La Femme des sables (Suna no onna)

Oeuvre minimaliste extrêmement riche, "La femme des sables" (d'après le roman de Kôbô Abe également auteur du script du film) est une sorte de conte aussi beau que cruel sur la condition humaine. Jouant en permanence sur les changements d'échelle, le film nous fait partager l'expérience d'un maître d'école passionné d'entomologie (Eiji OKADA) parti chasser des spécimens dans le désert et qui se retrouve lui-même "entomologisé" au fond d'un tube qui n'est autre que le trou de sable dans lequel il se retrouve piégé par des villageois cupides et voyeuristes. Tel Sisyphe égaré quelque part chez Beckett, il doit jour après jour écoper le sable qui menace de l'engloutir en même temps que la maison de sa logeuse (Kyoko KISHIDA). Une tache infiniment répétée à la fois absurde et vitale. Le sable, mesure de toute chose est le véritable héros du film. Un héros ambivalent comme l'est la femme qui recueille l'homme et lui fait partager son existence. Elle est en effet implicitement comparée à un foumilion, cet insecte qui creuse des trous dans le sable pour y piéger des fourmis. Dans un premier temps, elle inspire donc de la répulsion à Niki (l'entomologiste) qui tente par tous les moyens de s'échapper. Evidemment, c'est la nature qui a toujours le dernier mot: plus il se débat, plus il s'enfonce, plus le sable se dérobe sous ses pieds. Et ce jusqu'au moment où il accepte son sort et lâche prise: du sable se met alors à jaillir de l'eau. Soit ce que ne cessait de lui dire la femme depuis le début mais il ne la croyait pas. Car l'entonnoir de sable humide est aussi une évidente métaphore du sexe féminin et l'engloutissement est une peur parmi les plus archaïques de l'être humain. Une fois surmontée, cette peur se mue en désir. Le sable aride se liquéfie, devient sensuel, il colle à la peau, se confond avec elle avant de se mettre à couler en traînées de sperme. Le réalisateur, Hiroshi TESHIGAHARA qui a fait des études d'art plastique filme les ondulations du sable, les gouttes de sueur et le grain de la peau comme autant d'oeuvres d'art abstraites, tout en donnant à son film un caractère profondément érotique. Des paysages de fin du monde post-coïtum "ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres", immuables et changeants qui comblent à la fois le corps, le coeur et l'esprit de celui qui les regarde. C'est ce qu'on appelle la plénitude.

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Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago)

Publié le par Rosalie210

David Lean (1965)

Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago)

S'il ne fallait retenir qu'un seul film de David LEAN, ce serait celui-là. Il contient en effet la quintessence de son art. On y retrouve à la fois sa sensibilité littéraire avec l'adaptation du célèbre roman de Boris Pasternak, le mélodrame intimiste de "Brève rencontre" (1945) (un homme déchiré entre bonheur conjugal et passion amoureuse) mêlée au souffle romanesque d'une grande fresque épique et historico-politique dont il s'est fait une spécialité depuis "Le Pont de la rivière Kwaï" (1957). On y retrouve également l'un de ses acteurs fétiches depuis les adaptations des romans de Charles DICKENS (Alec GUINNESS) et la célèbre musique de Maurice JARRE qui avec son "Lara's theme" a suffit à elle seule à immortaliser le film. C'est aussi l'un de ceux qui a imposé David LEAN comme un maître de la couleur. La partie "moscovite" du film (tournée en réalité comme presque toutes les scènes du film dans la banlieue de Madrid, les Pyrénées faisant office d'Oural) joue sur un contraste entre le rouge, le noir et le blanc qui a à la fois une dimension politique (tsarisme contre communisme) et individuelle (l'initiation brutale de Lara par Komarovsky se manifeste par les changements de couleur de sa robe). La partie campagnarde se coule dans le cycle des saisons avec des hivers glaciaux suivis de la renaissance du printemps et ses champs couverts de jonquilles. La fleur jaune est associée à ce que représente Lara pour Jivago dès l'époque de la guerre avec le bouquet de tournesols sur fond noir qui perd ses pétales quand Lara s'en va. Il existe d'autres aspects symboliques dans le film. Par exemple les trois hommes de la vie de Lara représentent chacun une facette de l'être humain pris dans la tourmente révolutionnaire. Jivago c'est l'humaniste rêveur et idéaliste qui ne vit que pour la beauté c'est à dire l'amour et l'art et tente de faire du bien à son prochain sans tenir compte des enjeux partisans. Komarovsky, c'est le chancre corrupteur opportuniste et cynique qui parvient à survivre dans toutes les situations et ressurgit régulièrement comme un cauchemar dans la vie de Lara. Pavel Antipov enfin est l'idéologue psycho-rigide qui sacrifie tout (à commencer par l'humanité, la sienne et celle des autres) à sa cause. On peut également souligner l'opposition des deux femmes de Jivago, Tonya la brune et Lara la blonde.

Enfin la réussite du docteur Jivago doit aussi beaucoup à sa distribution. Omar SHARIF l'oriental qui a dû à David LEAN sa notoriété mondiale (pour sa participation à "Lawrence d Arabie") (1962) est absolument parfait dans le rôle de Jivago alors que l'on retrouve avec un immense plaisir les acteurs de la nouvelle vague britannique, Julie CHRISTIE et Tom COURTENAY (qui avaient joué ensemble dans "Billy le menteur" (1963) de John SCHLESINGER). Enfin c'est le premier grand rôle d'une débutante illustre: Geraldine CHAPLIN.

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Lolita

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1962)

Lolita

"Moi je m'appelle Lolita
Lo ou bien Lola, du pareil au même."

Et bien non Mylène FARMER, Lolita ne s'appelle ni "Lo" ni "Lola", mais Dolores. Autrement dit elle n'est pas une invitation au plaisir mais à la douleur. De même, le roman de Nabokov fut pendant des décennies interprété par le "male gaze". Celui d'un Bernard Pivot aux yeux égrillards et au rire gras en osmose avec celui d'un pédophile notoire (Gabriel Matzneff) sachant s'entourer de "nymphettes" (sous entendu "toutes des vicieuses qui n'attendent que ça"). Sauf que c'était bien entendu un contresens. Nabokov avait d'ailleurs tenu à rétablir la vérité sur le plateau de ce même Bernard Pivot. Lolita n'était pas une jeune fille perverse mais une pauvre enfant qu'on débauchait et dont les sens ne s'éveillaient jamais sous les caresses de l'immonde monsieur Humbert. "En dehors du regard maniaque de monsieur Humbert, il n'y a pas de nymphette." Comme l'ont révélé les mouvements #MeToo et #Metoo Inceste, c'est la domination patriarcale qui est au coeur de ces déviances et le soi-disant "consentement" voire les attitudes "provocantes" de l'objet du désir ne sont qu'une projection de leur prédateur qui satisfait ainsi ses archaïques besoins de possession.

C'est exactement cela que l'on retrouve dans le film de Stanley KUBRICK qui décrit l'itinéraire d'un homme malade, remarquablement joué par James MASON. Sans jamais montrer ni même surligner le caractère sulfureux de la relation entre un homme mûr et une gamine (Sue LYON qui a donné un visage à Lolita était plus âgée de deux ans que le personnage du roman), il fait ressentir le caractère intenable d'une relation fondée sur l'oppression (la jalousie maladive de Humbert Humbert qui veut contrôler tous les faits et gestes de celle qu'il considère comme sa propriété) et la clandestinité (le regard social pesant et la destructivité de la confusion des rôles, le beau-père étant décrédibilisé par l'amant lui-même démonétisé par le beau-père). Par conséquent, ce couple aberrant est marqué du sceau de l'errance et de la culpabilité. Humbert Humbert est en effet poursuivi par sa conscience, laquelle prend le visage de différentes figures d'autorité (flic, psy). Mais ces surmoi ne sont que les divers déguisements du dramaturge pédophile Clare Quilty (avatar de guilty, coupable) interprété par le génial Peter SELLERS (qui se démultipliera encore plus dans Docteur Folamour) (1963). Chez Stanley KUBRICK, Peter SELLERS incarne des monstres aussi grotesques qu'inquiétants. Dans une scène mémorable, il emmène son personnage jusqu'aux portes de la folie lorsqu'il exprime son désir pour Lolita. Quilty est le ça de Humbert Humbert, hommes aux deux visages, d'un côté universitaire et père de famille , de l'autre criminel et pédophile incestueux. Pas étonnant qu'en éliminant ce double monstrueux qui lui pourrit la vie, Humbert Humbert se détruise lui-même.

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Au nom de tous les miens

Publié le par Rosalie210

Robert Enrico (1982)

Au nom de tous les miens

Je ne pensais pas pouvoir revoir un jour "Au nom de tous les miens" que j'avais découvert sous forme de série télévisée de huit épisodes d'une heure dans les années 80. La version cinématographique qui ne fait que 2h20 est d'ailleurs bancale avec des coupes brutales et des problèmes de raccord. D'autre part elle est déséquilibrée: les années qui suivent la guerre sont expédiées en vingt minutes. De façon plus générale la qualité du film laisse à désirer. Entre autre la pellicule accuse son âge et la distribution (dominée par Michael York, Jacques Penot, Macha Méril et Brigitte Fossey) est inégale. On est plus proche du téléfilm (bien qu'il y en ait d'excellents, dans ce domaine aussi la nuance s'impose) que du film de cinéma.

Il n'en reste pas moins que "Au nom de tous les miens" mériterait de sortir de l'oubli car il occupe une place intéressante dans l'histoire de la mémoire de la Shoah. Contemporain du documentaire fleuve de Claude LANZMANN sur les centres d'extermination polonais, il appartient à cette même ère d'avènement du témoin. Il s'agit en effet de la transposition des mémoires d'un des rares survivants de l'insurrection du ghetto de Varsovie, Martin Gray dont le destin fut hors-norme puisqu'il réussit également à s'évader du camp d'extermination de Treblinka. Une telle "baraka" suscita à sa sortie des polémiques sur la véracité des faits relatés. En effet plusieurs historiens dont Pierre Vidal Naquet, bien connu pour son travail sur les négationnistes pensaient que Martin Gray et son "nègre", l'historien Max Gallo qui rédigea le livre en 1971 avaient enjolivé les faits voire en avaient inventés certains, mettant en doute plus particulièrement le passage de Martin Gray à Treblinka. Mais il lui fut impossible tout comme aux autres de démêler ce qui relevait de la fiction et ce qui relevait de la réalité.

En réalité, je dirais "peu importe", finalement l'essentiel n'est pas là. Romancé ou pas, le témoignage de Martin Gray reste très riche (sur le fonctionnement du ghetto notamment) et sa vie exceptionnelle fait s'interroger sur le concept de résilience. En effet celui-ci partage avec Roman POLANSKI également juif polonais rescapé de la Shoah le fait d'avoir perdu deux fois sa famille à plus de vingt ans d'écart dans des circonstances tragiques et de s'en être relevé pour la reconstruire une troisième fois tout en poursuivant une oeuvre d'utilité publique. Le "merveilleux malheur" de Boris Cyrulnik (lui-même un rescapé) s'y incarne de façon très concrète au travers de ces acharnés de la survie qui ont puisé leur force de vivre et de témoigner dans leurs drames personnels.

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Remorques

Publié le par Rosalie210

Jean Grémillon (1941)

Remorques

"Remorques" de Jean GRÉMILLON se situe à la fois en continuité et en rupture par rapport au courant du réalisme poétique des années 30. En continuité car il reprend le couple vedette de "Le Quai des brumes" (1938), Jean GABIN et Michèle MORGAN tous deux magnétiques ainsi que Jacques PRÉVERT pour le scénario et les dialogues, toujours aussi savoureux à écouter. Mais par ailleurs, il y a beaucoup de choses qui détonent par rapport aux films de Marcel CARNÉ de la même époque. Le caractère naturaliste de la description de la vie des marins sauveteurs brestois mais aussi de la crise de la conjugalité (aussi bien dans l'étude du couple formé par Jean GABIN et Madeleine RENAUD que dans celui de Michèle MORGAN et Jean MARCHAT). La puissance et la modernité des personnages féminins qui savent ce qu'elles veulent (le franc-parler de Catherine-Morgan qui pousse André-Gabin à assumer ses désirs par exemple). A l'inverse, des "effets spéciaux" ratés, ceux des maquettes de navire pris par la tempête et ce d'autant plus qu'ils se raccordent à des scènes d'intérieur qui semblent filmées dans un salon (heureusement que la bande-son puissamment évocatrice façon "bête humaine" pallie en partie le caractère factice des images). Il en va de même avec l'accent d'un acteur censé être breton mais qui donne l'impression de sortir d'un film de Marcel PAGNOL (Charles BLAVETTE). Enfin un tournage perturbé par les débuts de la guerre et qui s'est effectué en partie dans des décors naturels (exemple, la plage du Vougot). Bref "Remorques" est un film de son temps, un film de transition entre le cinéma d'avant-guerre et celui de la nouvelle vague ^^ alors que "Les Visiteurs du soir" (1942) qui date de la même époque en dépit des symboles que l'on peut y relever semble hors du temps.

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Secrets

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1924)

Secrets

Frank BORZAGE a réalisé deux versions de "Secrets", l'une muette en 1924 avec Norma TALMADGE et l'autre parlante en 1933 avec Mary PICKFORD. Il fait donc partie des cinéastes qui ont fait un auto-remake de l'une de leurs oeuvres notamment dans le but de la moderniser ou de la perfectionner (passage du muet au parlant ou bien du noir et blanc à la couleur ou bien du court au long métrage ou bien du petit au gros budget).

La version muette, passablement abîmée et surtout incomplète (il manque environ une-demi heure de film, remplacé par des photos et/ou un résumé de l'intrigue) est néanmoins suffisamment conservée pour constater qu'il s'agit d'un grand cru de Frank BORZAGE qui traite ici de l'un de ses thèmes favoris: l'amour absolu qui transcende tout sur son passage. Chez Frank BORZAGE, l'amour est une expérience totale à la fois mystique et charnelle qui relève du sacré. Ainsi "Secrets" raconte 60 ans de l'histoire d'une femme, Mary (Norma TALMADGE star du muet dont la carrière n'a pas survécu au parlant mais qui a assuré ses arrières grâce à son mariage avec le producteur Joseph M. SCHENCK) qui a voué sa vie à son grand amour, John Carlton (Eugene O BRIEN). Le film qui repose sur les souvenirs d'une Mary âgée consignés dans son journal intime fonctionne donc en flashbacks situés à différentes périodes de sa vie, de l'adolescence à la maturité. Dans chaque moment relaté, son amour est mis à l'épreuve (par l'opposition de ses parents, par la mort d'un enfant, par l'adultère et enfin par la maladie) ce qui ne rend son triomphe que plus éclatant. La variété de tons et de genres employés (du vaudeville au western, de l'érotisme subtil à la tragédie) ainsi que la performance d'actrice de Norma TALMADGE fait d'autant mieux ressortir la force immuable de cet amour semblable à la foi, capable d'accomplir des miracles et qui semble guider et porter John, même quand celui-ci s'en écarte.

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Crash

Publié le par Rosalie210

David Cronenberg (1996)

Crash

Crash avait fait son petit effet en 1996 sur la Croisette. Il fallait alors choquer le bourgeois avec des codes narratifs porno chic (comme pour "La vie d'Adèle") et des personnages-figurines interchangeables dignes du marquis de Sade c'est à dire tellement blasés que seul le martyre de leur chair pouvait leur faire ressentir quelque chose. Le film n'offre en effet qu'une succession de scènes érotico-morbides répétitives, prévisibles  (deux hommes, trois femmes et autant de possibilités) et qui ne renvoient à rien d'autre qu'aux moeurs échangistes et SM de ce petit club de nantis que seule la tôle froissée et la viande cabossée parvient à exciter. On voit assez bien où David Cronenberg veut en venir avec ses plans de jambes et de cuisses abîmées et gainées par du métal et cette succession de scènes de sexe mécanique. Le film renvoie au fantasme d'un dépassement de l'humain par la technologie, bref au transhumanisme dont Julia Ducournau est de nos jours une héritière. Mais il ne se donne pas les moyens de ses ambitions tant le scénario tourne à vide et tant les personnages sont ectoplasmiques (sauf au niveau des pulsions primaires). Il serait peut-être temps de replacer ces fantasmes de toute-puissance propres aux nantis (comme ceux concernant l'espace) dans la réalité, celle d'une nature que la civilisation occidentale veut dominer et dont elle veut s'affranchir mais qui la rattrape inexorablement. Aujourd'hui un tel film, fruit de son époque fait surtout "Pschitt". On est à des années-lumière de l'érotisme subtil de "La Leçon de Piano" (pour Holly Hunter), de "Sexe, Mensonges et Vidéo" (pour James Spader) ou de "Exotica" (pour Elias Koteas). 

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Grave

Publié le par Rosalie210

Julia Ducournau (2016)

Grave

Une bleue qui découvre le goût du sang et les plaisirs de la chair, voilà le programme du premier étonnant film de Julia Ducournau, qui comme son successeur, "Titane", primé à Cannes "libère les monstres" comme on lâcherait les chiens et interroge la notion de mutation corporelle mais aussi l'organicité (ou non) des liens du sang. En s'inscrivant dans le genre du film initiatique pour adolescents tendance gore (donc interdit aux moins de 16 ans, il ne faut pas craindre les scènes de boucherie et le sang qui coule à flots) "Grave" est cependant mieux structuré que "Titane" qui est plus expérimental. Mais non moins percutant, Julia Ducournau ayant de sacré bonnes idées et une maîtrise assez impressionnante de la mise en scène. Il fallait oser montrer de façon aussi frontale (et littérale!) l'animalité de l'être humain et le caractère dévorant des relations intra-familiales. La famille de Justine tente ainsi de contrôler sa bestialité en étant végétarienne. Mais de façon parfaitement contradictoire, tout le monde y est vétérinaire (pour apprivoiser cette part animale?). Justine (Garance Marillier qui joue aussi dans "Titane"), la fille cadette qui entame ses études découvre donc sa vraie nature, celle de sa famille et par extension, celle de l'homme au travers d'un bizutage musclé plus vrai que nature (sans doute l'une des meilleures représentation du corps médical dans le cinéma français avec "Hippocrate"). Nourriture et sexualité étant liées, elle découvre son féroce appétit pour la viande, et surtout la viande humaine en même temps que son désir pour son colocataire homosexuel, Adrien (Rabah Naït Ouffela) dont les muscles appétissants lui provoquent des saignements de nez (je crois que c'est la première fois que je vois cette manifestation de l'excitation sexuelle dans le cinéma hexagonal alors que les mangas et anime japonais dont je me suis abreuvée à l'adolescence et dans les années qui ont suivi en regorgent!) Mais dans cette course au mâle, elle est concurrencée par sa grande soeur, Alexia (Ella Rumpf qui incarne un personnage au prénom identique à celui de "Titane", est-ce un hasard?), élève-vétérinaire dans la même école qui est à la fois son mentor et sa rivale. Aucune ne sortira indemne de cet affrontement tout en chair et... en poils (autre tabou majeur de l'animalité du corps féminin qui est exhibé frontalement dans le film). 

J'ajoute pour ma part le plaisir de voir Laurent Lucas jouer un père dont le corps recèle bien des secrets après son mémorable rôle dans un autre must du cinéma de genre français: "Harry, un ami qui vous veut du bien" (2000) de Dominik Moll. Oui, on a besoin d'être nourris par ce genre de films et on est loin d'être rassasiés!

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Les Amants du Pont-Neuf

Publié le par Rosalie210

Leos Carax (1991)

Les Amants du Pont-Neuf

J'avais très peu de souvenirs du film de Leos Carax. Tout au plus m'était resté une voix au fort accent étranger dépeignant à Michèle (Juliette Binoche) l'enfer qui attendait les femmes sans-abri, sans doute parce que ça m'avait impressionné à l'époque. Maintenant que je l'ai revu, je considère que c'est l'un de ses plus beaux films. Le plus beau même, à égalité avec "Annette". Parce que comme le dernier film en date de Carax, "Les Amants du Pont-Neuf" est un peu fou (une "folie" qui a d'ailleurs coûté cher au réalisateur, le transformant en "cinéaste maudit" à la suite d'un tournage tumultueux digne de celui du Don Quichotte de Terry Gilliam même si Carax a pu mener son film à terme), généreux, démesuré, opératique même, d'une grande beauté visuelle dans lesquels l'amour se conjugue avec l'absolu. Il est rare de trouver dans l'art d'aujourd'hui plutôt désenchanté ce qui faisait le souffle et la beauté du romantisme du XIX° siècle, romantisme qui s'est prolongé dans le cinéma muet dont Leos Carax est un fervent admirateur. D'ailleurs l'un comme l'autre de ces deux films se sont prolongés bien après leur visionnage par l'écoute d'extraits musicaux. J'avais en effet oublié la chanson des Rita Mitsouko qui clôt le film justement intitulée "Les Amants" que je trouve personnellement superbe et qui s'accompagne d'images faisant penser à "L'Atalante" de Jean Vigo!

Cependant, contrairement à "Annette", le film ne dévoile pas tout de suite sa vraie nature. Il commence comme un documentaire naturaliste sur la vie âpre des SDF. On comprend pourquoi Alex (Denis Lavant) ne pense qu'à une chose: retourner dans sa bulle! Et sa bulle, c'est le Pont-Neuf fermé au public pour travaux mais où il a fait son nid en compagnie d'un autre SDF qui pourrait être son père, Hans (Klaus Michael Grüber). La mise en abyme continue de plus belle après deux premiers films dans lesquels Denis Lavant jouait déjà Alex, le double de Leos Carax (qui dans la réalité s'appelle Alex... Dupont). Elle se poursuivra d'ailleurs jusque dans "Holy Motors" dans lequel par un effet miroir, ce n'est plus la Samaritaine que l'on aperçoit depuis le Pont-Neuf mais le Pont-Neuf que l'on aperçoit depuis le toit de la Samaritaine.

La bulle de Alex n'a plus rien à voir avec la réalité crue des bus de nuits et autres hébergements d'urgence dans lesquels s'entassent les corps suppliciés par la misère la plus sordide. Le Pont-Neuf en dépit de son état de chantier et de la crasse propre à la vie de sans-abri reste un décor somptueux, digne d'un conte de fées (et ce d'autant plus qu'il a été reconstitué... en Camargue). Et c'est bien la recherche de la beauté lui permettant de transcender son statut de paria que recherche Alex (et à travers lui, Leos Carax) dans son huis-clos à ciel ouvert. L'arrivée de Michèle sur le pont en est la principale manifestation. Ce n'est pas seulement à cause de sa beauté délicate ou la promesse amoureuse qu'elle représente mais aussi parce qu'elle est une artiste-peintre talentueuse elle-même amoureuse de la beauté. La rencontre de ces deux éléments contraires, l'eau et le feu fait des étincelles (sublime scène du bicentenaire et non moins féérique scène de noël) jusqu'à embraser la pellicule. Seulement la vue de Michèle est si malade qu'elle ne supporte pas la lumière vive que dégage Alex lorsqu'il crache du feu (sa flamme pour elle) et ne peut portraiturer son corps burlesque rompu aux acrobaties alors même que celui-ci tente d'empêcher qu'elle puisse la retrouver, de peur qu'elle ne le quitte. Une valse-hésitation en forme d'impasse existentielle qui ne peut trouver de ligne de fuite que dans la perte, la renaissance et le recommencement.

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Titane

Publié le par Rosalie210

Julia Ducournau (2020)

Titane

Ira, ira pas? Je me suis posée la question pendant quinze jours. D'un côté un film qui traite de sujets qui m'intéressent et une réalisatrice dont le discours ému à Cannes et les tremblements incontrôlables de son bras tranchaient avec le caractère convenu des autres. De l'autre mon peu d'envie de me confronter à des scènes insoutenables. Finalement, ayant appris que ces scènes étaient brèves, prévisibles, peu nombreuses et concentrées dans la première partie, j'ai pu les gérer en fermant les yeux au moment adéquat. D'ailleurs si ces scènes sont globalement nécessaires dans le parcours du personnage d'Alexia, l'une d'entre elle (la plus longue) me semble limite superflue, comme un sacrifice fait au genre.

Quel genre d'ailleurs? Les scènes de meurtre se rattachent au slasher, celle de violence sur soi et de transformations corporelles au body horror, deux sous-genres du film d'horreur aussi bien occidental que nippon (j'ai personnellement beaucoup pensé à la saga Alien, à certains films de Brian DE PALMA et à "Akira" (1988) en plus des références citées partout à David CRONENBERG et à John CARPENTER). Il faut en passer par là pour que le film comme l'héroïne mue un peu (trop) abruptement vers une seconde partie très différente dans laquelle Alexia, sorte de cyborg qui se comporte à la fois comme une machine à tuer et un animal sauvage ne devienne Adrien, jeune homme transgenre frêle, ravagé et mutique en quête d'amour et d'acceptation. Alexia et Adrien tous deux incarnés par une impressionnante Agathe Rousselle sont en effet constitués d'un alliage d'homme, de femme et de métal*. Une fusion perturbante dont les manifestations marquent le spectateur: la plaque de titane se greffe sur le crâne, l'huile de moteur coule des orifices charnels et un enfant hybride en sort, une jeune femme utilise un long dard de métal sur ses victimes, un jeune homme danse lascivement sur un véhicule de pompiers sous les regards gênés de ses collègues et de son père adoptif. Vincent LINDON qui s'oppose en tous points au père biologique de Alexia (joué par Bertrand BONELLO) occupe en effet une position clé dans le film et il s'agit d'un choix de casting particulièrement judicieux. Car ce n'est pas tant sa quête de masse musculaire voire d'éternelle jeunesse que j'ai trouvé convaincante que le fait que son humanité ressort de façon saisissante dans un univers futuriste nocturne qui en manque cruellement. "On est responsable pour toujours de ce que l'on a apprivoisé" disait le renard dans Le Petit Prince et c'est exactement la ligne de conduite de Vincent (choix du prénom à mon avis non fortuit), prêt à recevoir tous les secrets que renferme le corps d'Adrien. Vraiment tous.

* Alliage qui sert de support réflexif à la déconstruction des stéréotypes de genre. Le lien femme-automobile au coeur de tant de publicités virilistes est par exemple un fil directeur du film de Julia DUCOURNAU sauf que si le point de départ (la scène de lap-dance dans un salon de tuning automobile) est tout à fait conforme aux pires clichés sexistes, la suite leur tord le cou, offrant aux regards masculins du film (et au spectateur) de quoi déranger cette vision caricaturale du monde.

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