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Articles avec #drame tag

Les Révoltés (Outside the Law)

Publié le par Rosalie210

Tod Browning (1920)

Les Révoltés (Outside the Law)

"Outside the law" (traduit par "Les Révoltés" mais je préfère le titre en VO, plus significatif) est la deuxième collaboration entre Tod BROWNING et son acteur fétiche Lon CHANEY, spécialiste des métamorphoses (souvent monstrueuses). Comme dans leur premier film en commun, "Fleur sans tache" (1919), le personnage féminin est joué par Priscilla DEAN, se situe dans le milieu de la pègre et a pour thème principal celui de la rédemption. Mais contrairement à "Fleur sans tache" dans lequel Lon CHANEY jouait seulement le rôle du truand, dans "Les Révoltés", il joue deux rôles. Le second, celui d'un chinois* au service d'une sorte de philosophe bouddhiste est aux antipodes du premier. Il est d'un côté le mal absolu sous les traits de Black Mike Sylva qui n'a de cesse que de perdre "Silent" Madden et sa fille Molly qui veulent s'en sortir. De l'autre, sous les traits de Ah Wing il est au service du bien, Chang Lo ne cessant par sa sagesse de tenter de désamorcer la violence qui gangrène le chinatown de San Francisco (du côté des flics comme du côté des voyous). Entre le film de gangsters et le cabinet de philosophie orientale**, Tod BROWNING introduit une pause (un peu longuette) lorgnant du côté de la comédie avec la découverte par Molly et son ami dans leur planque des joies de la parentalité avec un gamin craquant qui fait penser à celui du film de Charles CHAPLIN (il y a aussi toute une portée de chiots plus mignons les uns que les autres). La bagarre de la fin (tout comme la fusillade du début) bénéficie d'un rythme haletant avec un science du montage parfaite, dommage que la pellicule soit très abîmée dans les quinze dernières minutes. Le film est donc inégal avec des morceaux de grand cinéma et d'autres plus moyens et le film ne fait pas partie des meilleurs opus du tandem mais il vaut la peine d'être découvert. A noter que dix ans plus tard, Tod BROWNING fera un remake de son film comme cela se pratiquait quand il y avait une révolution technologique, ici le parlant.

* Comme les noirs, les asiatiques étaient interprétés à l'époque par des blancs grimés dans le cinéma hollywoodien.

** Bien que ne se déroulant pas dans les mêmes villes, l'ambiance m'a fait penser à des films néo-noirs alliant pègre et orientalisme ("Chinatown" (1974) et "Il était une fois en Amérique") (1984).

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L'Homme au bras d'or (The Man With a Golden Arm)

Publié le par Rosalie210

Otto Preminger (1955)

L'Homme au bras d'or (The Man With a Golden Arm)

"L'Homme au bras d'or" est un titre à caractère polysémique. Il peut désigner aussi bien la dépendance à l'héroïne de Frankie (Frank SINATRA), son talent de batteur que sa dextérité dans la manipulation des cartes. Avec ce film et ce dès le générique, on ressent une impression de modernité grâce aux pulsations de la partition de jazz de Elmer BERNSTEIN (style musical alors peu employé au cinéma) et au graphisme de Saul BASS avec son style tout en figures géométriques si caractéristique qui illustrera par la suite les génériques les plus marquants des films de Alfred HITCHCOCK. Saul BASS choisit d'ailleurs de dessiner un bras tordu, renforçant encore la richesse thématique du titre. Car "L'Homme au bras d'or" est un film qui met en scène un conflit: celui de la volonté du héros (de s'en sortir) face au déterminisme social (son environnement). La première scène du film de Otto PREMINGER est, comme dans beaucoup de très bons films, programmatique. Frankie sort d'un bus, bagages à la main et visage rayonnant rempli d'espoir. L'illustration vivante du nouveau départ. Mais dès qu'il se met à marcher sur le trottoir de son quartier, il ne cesse d'être sollicité, tenté de toutes parts avant d'échouer derrière la vitrine d'un bar où il regarde ses anciens complices tourmenter un alcoolique: toute joie a alors disparu de son visage. Et la suite montre qu'effectivement, Frankie traîne d'énormes casseroles dont la plus grosse est son épouse, Zosh (Eleanor PARKER) qui est aussi accro à lui que lui l'est à l'héroïne (qui se ressemble s'assemble). Evoquer frontalement la dépendance aux drogues dures en 1955 était évidemment une gageure* et comme on s'en doute, Otto PREMINGER eut maille à partir avec la censure. Mais ce qui est remarquable, c'est que le réalisateur montre tout ce qui nourrit cette dépendance: l'attitude profondément castratrice de sa femme, le cercle vicieux de l'endettement, le harcèlement de ses complices escrocs et de son dealer qui ont tout intérêt à l'affaiblir le plus possible pour l'exploiter. Le personnage de Kim NOVAK offre un contrepoint positif à cet environnement toxique et donne lieu à des scènes d'un vérisme effrayant sur le processus du sevrage. Frank SINATRA est remarquable, on oublie totalement le chanteur derrière l'acteur.

* Même s'il n'est pas le premier à évoquer l'addiction à Hollywood, Billy WILDER ayant réalisé "Le Poison" (1945) dix ans auparavant sur l'alcoolisme.

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Boulevard de la mort (Grindhouse: Death Proof)

Publié le par Rosalie210

Quentin Tarantino (2007)

Boulevard de la mort (Grindhouse: Death Proof)

"Boulevard de la mort" était un film de Quentin TARANTINO que je n'avais pas encore vu. Il s'agit clairement d'un hommage au cinéma des seventies de série B, tant sur le fond que sur la forme. Sur la forme, le travail effectué est impressionnant tant sur la pellicule (son grain, ses rayures etc.) que sur la bande-son toujours au top ou encore sur l'emballage du film présenté comme la première partie d'un diptyque nommé Grindhouse* d'après le nom des cinémas d'exploitation qui proposaient deux films pour le prix d'un seul ticket. Sur le fond, le film est un hybride de genres et de sous-genres de l'époque liés à ce cinéma bis cheap mais explorant les tabous de la société. Ainsi structure et thématique font penser à un "rape and revenge". Deux parties de longueur quasi identique se répondent: une première partie dans laquelle quatre filles se font littéralement "défoncer" par un tueur psychopathe cascadeur (Kurt RUSSELL qui trouve ainsi comme d'autres avant lui un second souffle après ses rôles pour John CARPENTER) et une deuxième dans laquelle quatre autres filles prises à leur tour en chasse par le même tueur (dont deux cascadeuses) vont se venger à la manière de l'arroseur arrosé (mais en bien plus spectaculaire). Le film d'action se taille logiquement la part du lion avec un hommage appuyé à "Vanishing Point" (1971) abondamment cité dans la deuxième partie avec dans le rôle de la star une Dodge Challenger Blanche identique à celle du film de Richard C. SARAFIAN. On connaît le fétichisme de Quentin TARANTINO pour les voitures mais il y en a un autre qui est encore plus envahissant que dans ses autres films: celui des pieds de jeunes et jolies filles en gros plan (dès le générique!). Il faut dire que "Boulevard de la mort" aurait pu s'appeler "Prendre son pied en voiture" car c'est en effet infiniment plus jouissif que le sinistre "Crash" (1996) alors qu'il traite fondamentalement du même sujet (sauf qu'on a des bimbos en lieu et place des BCBG et que question course-poursuite et cascades, ça déchire, surtout en deuxième partie!). Néanmoins il y a quelques longueurs car le film est très bavard et les sujets de conversation des filles, inintéressants et répétitifs (filles interchangeables en dépit de quelques noms qui claquent à la façon du gang de "Kill Bill" comme Jungle Julia). C'est nettement moins drôle et marquant que "Like a Virgin" dans "Reservoir Dogs" (1992) ou "Le Big mac et le foot massage" de "Pulp Fiction" (1994) même si c'est filmé de la même manière.

* La deuxième partie "Planète Terreur" (2007) a été réalisée par Robert RODRIGUEZ.

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Petit Paysan

Publié le par Rosalie210

Hubert Charuel (2017)

Petit Paysan

"Petit paysan" est le premier long-métrage, très remarqué et à juste titre de Hubert CHARUEL. Adoptant les codes du thriller, il réussit en même temps à réaliser un documentaire sur la fin du monde d'où il est issu, celui des petits exploitants agricoles familiaux attachés à leur terre, à leur pays, à leur troupeau, à leurs racines au profit de l'agrobusiness et sa gestion capitaliste de la question alimentaire. Mais pour autant le film n'est ni manichéen, ni démonstratif, ni désespéré malgré sa dureté. Au contraire, c'est sa force, il nous plonge dans la tête de Pierre (Swann ARLAUD) qui vit tellement en osmose avec ses vaches qu'il élève dans le domaine familial dont il a hérité (en réalité la ferme des parents du réalisateur) qu'il n'existe aucun espace pour quoi que ce soit d'autre dans sa vie. Jusqu'au jour où celle-ci bascule à la faveur d'une maladie bovine (fictive mais tout le monde comprend qu'il s'agit d'une allusion à la vache folle qui terrorisait les parents de Hubert CHARUEL quand il était enfant) qu'il va tenter de cacher coûte que coûte à sa soeur vétérinaire (Sara GIRAUDEAU), à ses parents, à ses amis, aux contrôleurs, bref à tous ceux qui approchent ses vaches d'assez près pour découvrir le pot aux roses. Les séquences de suspense s'enchaînent ainsi crescendo au fur et à mesure que la crise s'aggrave et que le film s'assombrit. Parallèlement, Hubert CHARUEL mélange fiction et réalité, comédiens professionnels et membres de sa propre famille (la mère de Pierre est jouée par Isabelle CANDELIER mais son père est joué par celui de Hubert CHARUEL et Swann ARLAUD a fait un stage de plusieurs semaines chez les Charuel pour apprendre les gestes techniques du métier et créer un lien de confiance avec les vaches) pour montrer un processus de contamination: celui des images de cinéma par celles des vidéos youtube (seul accès de Pierre au monde extérieur), celui de la confiance par la peur, celui d'un monde immuable par celui du changement, celui de l'organique (filmé au plus près de la peau des bêtes) par celui des machines, celui des petits noms affectueux par celui des numéros de série. Mais paradoxalement, cet arrachement à la terre, cette perte de ce qui semble être une partie de sa propre chair (celle de Pierre étant elle-même atteinte par des manifestations psychosomatiques semblables à celles bien réelles de ses bêtes, le gros plan sur leurs yeux respectifs les montrant comme des égaux) est aussi peut-être la fin d'une aliénation, le début d'une libération. Le film s'ouvre sur un cauchemar claustrophobique dans lequel les animaux ont envahi l'espace intime de l'homme et se termine sur une route dégagée en plein jour c'est à dire sur la perspective de nouveaux horizons.

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Melancholia

Publié le par Rosalie210

Lars von Trier (2011)

Melancholia

Je n'ai vu à ce jour que deux films de Lars von TRIER ("Breaking the Waves" (1996) et "Mélancholia") et j'ai été frappée par leur trame similaire. Les deux films sont centrés sur une jeune femme que sa rupture sociale reconnecte à la nature. Elle devient alors surpuissante, provoquant miracles ou cataclysmes tout en s'autodétruisant. D'une certaine manière, Lars von TRIER fait revivre la figure tant redoutée de la sorcière, cette femme dont le savoir empirique fut éradiqué par la rationalité triomphante et si masculine de l'Humanisme du XVI° siècle (car contrairement aux idées reçues, les sorcières furent brûlées à la Renaissance et non au Moyen-Age). Cependant, la rationalité scientifique incarnée par John (Kiefer SUTHERLAND) ne peut rien contre la sombre dépression de Justine (Kirsten DUNST) qui semble attirer Melancholia comme un aimant. De même que toute sa fortune échoue lamentablement à réussir le mariage de celle-ci ou à la rendre heureuse. Le film qui comporte deux parties (comme il comporte deux planètes et deux soeurs) montre dans un premier temps l'échec de John en tant que patriarche à prendre le contrôle des femmes de sa belle-famille au travers du naufrage d'une cérémonie de mariage pourrie de l'intérieur. Puis la deuxième partie narre son échec en tant que scientifique à prendre le contrôle de la trajectoire de la planète Melancholia. Avec sa disparition, c'est tout un ordre du monde qui s'écroule. Ne restent plus que des femmes, des jouets d'enfant, une cabane faite de quelques branches, outils qui face à l'inéluctable apocalypse sont ramenés au même niveau que le télescope sophistiqué et l'immense et luxueux domaine tiré à quatre épingles de John et Claire (Charlotte GAINSBOURG) qui fait un peu penser par sa géométrie aux jardins du château de "L Année dernière à Marienbad" (1961). Le génie propre de Lars von TRIER réside dans ce travail mettant en relation les échelles macro et micro cosmiques, la société humaine et ce qui la dépasse (mais dont elle dépend). Dans "Melancholia" à défaut de créer l'éco-anxiété, il a créé la "cosmo-anxiété" au travers du personnage de Claire qui contrairement à Justine souhaite continuer à vivre notamment pour son fils. Enfin "Melancholia" se caractéristique par sa majestueuse beauté. Construit comme un opéra avec une introduction résumant le film et deux parties, il est baigné par la musique de "Tristan et Isolde" de Wagner et des images oniriques très picturales dont celle de son affiche qui représente Justine qui telle Ophélie flotte dans une rivière-tombeau baignée de fleurs ou bien tente en vain de s'arracher à des branches griffues qui l'empêchent d'avancer. Sous la surface de la pelouse et des arbres bien taillés grouille un psychisme humain insaisissable et potentiellement terrifiant.

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Le Sommet des dieux

Publié le par Rosalie210

Patrick Imbert (2021)

Le Sommet des dieux

"Le Sommet des dieux" est l'un des mangas de Jiro Taniguchi que je préfère. Un chef-d'oeuvre mystique et grandiose adapté d'un roman de Baku Yumemakura (pas encore traduit en français mais la sortie du film va peut-être changer la donne comme pour "Le château de Hurle" qui a servi de base au "Château ambulant"). Au Japon, "Le Sommet des dieux" a bénéficié d'une adaptation en prises de vues réelles en 2016. Le film d'animation est en revanche d'origine française. Il y avait déjà eu des précédents mais en prises de vues réelles: "Quartier lointain" (2008) et "Un Ciel Radieux" (2016). Jiro Taniguchi est en effet particulièrement apprécié en France et bénéficie d'un lectorat plus large que celui des habitués des mangas en raison notamment de la profondeur de ses histoires et de son style très européen. Cependant, oser l'adapter en animation reste un défi, le genre étant loin d'être aussi banalisé auprès des adultes qu'au Japon. C'est le deuxième film d'animation de Patrick IMBERT après le très remarqué "Le Grand Méchant Renard et Autres Contes (2016). Et le résultat est à la hauteur: absolument magnifique. Au niveau de l'histoire d'abord qui est tellement intelligemment condensée qu'on ne voit pas la différence entre les cinq tomes du manga et les 1h30 du film. Au niveau du graphisme et de la bande-son qui donnent vie à ce terrible duel entre l'homme et les forces de la nature avec un réalisme confondant. Au niveau de son questionnement philosophique enfin. Les alpinistes du manga de Taniguchi sont tous des êtres épris d'absolu, brûlés de l'intérieur par leur désir de conquêtes d'espaces vierges, une quête passionnée, obsessionnelle qui ressemble à une drogue dure. De celles dont on ne revient pas. Suprême paradoxe: c'est en défiant (ou venant chercher) la mort que ces hommes parviennent à se sentir vivants et à donner un sens à leur existence. Entre eux aussi c'est le paradoxe: ils sont en rivalité, font semblant de s'ignorer mais pourtant sont reliés les uns aux autres par un fil à la fois matériel et spirituel. Le film évoque autant leurs épreuves physiques que leurs tourments psychiques avec des scènes oniriques particulièrement impressionnantes.

 

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Carmen

Publié le par Rosalie210

Ernst Lubitsch (1918)

Carmen

Oeuvre de jeunesse de Ernst LUBITSCH tournée durant la période où il travaillait pour la UFA*, "Carmen" qui a bénéficié d'une belle restauration vaut surtout pour sa reconstitution soignée**, son rythme enlevé et l'interprétation de l'héroïne par la charismatique Pola NEGRI (actrice récurrente de Ernst LUBITSCH durant sa période allemande). Sa Carmen est particulièrement insolente et provocante. Les autres personnages sont en revanche bien falots, à commencer par le pathétique José (Harry LIEDTKE), espèce de chiffe molle (dans le film) qui reste complètement léthargique devant sa propre déchéance. On comprend que Carmen lui préfère le toréador Escamillo mais celui-ci n'est introduit que dans les dix dernières minutes du film ce qui est particulièrement décevant car le dénouement est bâclé. Quant à la réalisation, elle est professionnelle mais quelque peu impersonnelle. Elle ne porte pas encore la signature qui fera de Ernst LUBITSCH un des grands réalisateurs du cinéma mondial.

*Ernst LUBITSCH a réalisé une quarantaine de films en Allemagne entre 1915 et 1922 qui lui ont permis d'acquérir une certaine notoriété. "Carmen" y a d'ailleurs contribué (on voit d'ailleurs son visage au début du film en même temps que la présentation des acteurs principaux). Il a pu ensuite débuter sa carrière hollywoodienne à partir de 1923 avec le succès que l'on sait puisque ses films américains ont éclipsé le reste de sa filmographie.

** Le choix d'une oeuvre célèbre déjà plusieurs fois adaptée sur grand écran par des cinéastes américains et l'opulence des décors font comprendre que la UFA visait à l'époque à concurrencer les studios hollywoodiens avec des superproductions historiques (ou opératiques).

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Jenny

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1936)

Jenny

"Jenny" est le premier long-métrage de Marcel CARNÉ. C'est aussi sa première collaboration avec Jacques PRÉVERT: un duo légendaire du cinéma français était né. Bien que moins connu que les films du tandem qui suivirent, "Jenny" est déjà rempli de qualités:

- Un panel de comédiens remarquables dont certains deviendront récurrents dans le cinéma de Marcel CARNÉ comme Robert LE VIGAN et surtout Jean-Louis BARRAULT dans l'un de ces rôles secondaires savoureux dont le film abonde. On reconnaît aussi dans le rôle principal, celui de Jenny Françoise ROSAY, l'épouse de Jacques FEYDER dont Marcel CARNÉ avait été l'assistant.

- Ub style original: l'intrigue principale est conventionnelle mais rehaussée par une galerie de personnages pittoresques. Par ailleurs ces personnages sont pour la plupart des marginaux et des solitaires dont certains cachent une partie de leur vie ou de leurs activités peu recommandables selon les conventions de l'époque* (ce qui fait penser à Marcel CARNÉ lui-même). Par conséquent le film a une tonalité mélancolique voire amère en dépit de sa fin heureuse. Cette hybridité ("réalisme poétique"; "fantastique social") se retrouve au niveau des lieux, en particulier dans les scènes d'extérieur. Par exemple une scène d'amour est paradoxalement filmée dans un décor d'usines et d'entrepôts autour du canal de l'Ourcq dans un petit matin blafard. L'envie d'évasion n'en est que plus grande, notamment pour Lucien (Albert PRÉJEAN) qui préfigure Raymond dans "Hôtel du Nord" (1938).

- Enfin les dialogues écrits par Jacques PRÉVERT qui font mouche et dont on retrouve des variantes dans des films ultérieurs. Par exemple lorsque Florence (Sylvia BATAILLE) dit à l'Albinos (Robert LE VIGAN) un client fortuné du club affamé de chair fraîche " Vous avez les poches pleines et le coeur vide, on ne peut pas tout avoir" on entend déjà Garance dire au Comte dans "Les Enfants du paradis" (1943) "Vous êtes riche et vous voudriez être aimé comme un pauvre. Et les pauvres on ne peut quand même pas tout leur prendre aux pauvres!"

* Jenny cache à sa fille Danièle (Lisette Lanvin) que son club est en réalité un tripot et une maison de passe. De même, Lucien cache à Danièle que la source de ses revenus n'est autre que Jenny dont il est le gigolo. Et Lucien ignore le lien de filiation entre les deux femmes.

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Dune

Publié le par Rosalie210

David Lynch (1983)

Dune

Je ne connaissais pas du tout "Dune", ni le roman, ni le film de David LYNCH. Mais l'énorme battage médiatique autour de la nouvelle version de Denis VILLENEUVE sortie tout récemment et le fait que plusieurs membres de mon entourage l'ont vu m'a rendu nécessaire le fait d'avoir une idée de ce que c'était. Mais entre David LYNCH et Denis VILLENEUVE, j'ai vite fait mon choix. Parce que même si on lit partout que "c'est son oeuvre la moins personnelle", je connais et apprécie assez le cinéma de David LYNCH pour être capable d'affirmer que ce film porte sa signature et que cela donne un résultat assez fascinant.

Je suis d'accord avec beaucoup de choses qui ont été dites à propos du film: qu'il était "malade", "bancal", "kitsch" et "elliptique". Je peux comprendre que les puristes du roman n'y retrouvent pas forcément leurs petits. David LYNCH lui-même n'a pas eu la totale maîtrise de son film puisque le montage lui a échappé afin que la durée totale du film ne dépasse pas 2h (2H10 exactement) format standard de l'époque alors qu'il aurait voulu une version de 3h30. Mais il n'est pas le premier cinéaste à la tête d'un mastodonte qui voit ses ambitions charcutées par la production (même s'il faut saluer le côté visionnaire du producteur Dino DE LAURENTIIS qui lui a confié le projet et a ensuite continué à le soutenir pour "Blue Velvet") (1985). En son temps Erich von STROHEIM a subi les mêmes déboires, ça n'a pas empêché ses chefs d'oeuvre mutilés de passer à la postérité. Tel quel, malgré ses passages explicatifs destinés à remplacer les parties manquantes, le film se suit très bien. Le prologue, très pédagogique permet de cerner d'emblées des enjeux qui ressemblent à une transposition SF de la guerre du pétrole (déjà au coeur des convoitises en 1965 au temps du roman). L'exploitation d'une "épice" poison qui permet d'acquérir de super pouvoirs mais qui ne se trouve que dans une planète désertique faisant l'objet de rivalités entre puissances, la population locale étant spoliée et obligée de vivre souterrainement en attendant le futur "messie" qui les délivrera du joug de leurs oppresseurs, cela ressemble beaucoup à la géopolitique du Moyen-Orient d'hier... et d'aujourd'hui. Sur cette intrigue qui a conservé toute son actualité (la guerre des ressources faisant plus rage que jamais) se greffe un mysticisme new-age qui aurait pu prêter à sourire au premier degré mais sur lequel David LYNCH a lâché ses monstres. Si bien que les rêves éveillés (et prophétiques) de Paul (Kyle MacLACHLAN), les fulgurances traversant l'esprit des personnages dont on écoute la voix intérieure, leurs mantras mêlés à la très belle et planante musique du groupe Toto et de Brian Eno se mélangent à des cauchemars de corps difformes et mutants. J'ai vu furtivement passer des images très organiques qui m'ont renvoyé à "Eraserhead" (1976 , "Elephant Man" (1980) ou encore à "Twin Peaks" (1992). Impossible de ne pas ressentir un profond dégoût devant les Harkonnen, clan dégénéré dominé par un baron au visage suintant et pustuleux particulièrement répugnant et aussi libidineux que Jabba the Hutt (à qui il m'a fait penser). Sauf que l'objet de son désir se porte sur le seul beau mec du clan, une sorte d'Alex Delarge au sourire sadique interprété par un STING se dévoilant en très petite tenue (au départ il ne devait même rien porter du tout mais la censure ne l'a pas permis). Si le clan rival des Atréides est en revanche tout ce qu'il y a de propre sur lui (d'ailleurs le baron crache sa bave de crapaud sur dame Jessica d'où mon association avec Jabba), certains plans ramènent à cet aspect fondamentalement organique du cinéma de Lynch. Je pense en particulier au plan récurrent de la naissance d'Alia, la petite soeur de Paul pas très éloigné des plans de foetus d'agneau de "Eraserhead" (1976) (bon appétit!) Et puis il y a l'émissaire de la guilde intergalactique, ces navigateurs qui grâce à l'épice peuvent "replier l'espace" c'est à dire voyager sans se déplacer. Pur amas d'organes dans un aquarium, celui-ci possède une bouche baveuse filmée en gros plan qui ressemble à un vagin. Si l'on ajoute à cela des décors grandioses rétro-futuristes steampunk (ce qui est la meilleure façon de bien vieillir) évoquant d'immenses cathédrales sacrées et profanes (les cathédrales industrielles du XIX° siècle) on obtient un résultat fascinant, réévalué par la suite et qui non seulement a gagné avec le temps son statut de film culte mais aussi a réintégré de plein droit son statut de film 100% lynchien.

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La Peau douce

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1964)

La Peau douce

"La Peau Douce" est un film qui est longtemps resté dans l'ombre de la filmographie de François TRUFFAUT alors que c'est l'un de ses plus réussis et l'un de ses plus personnels. Comme quoi on peut raconter l'histoire la plus banale du monde -un adultère bourgeois- en la rendant passionnante si l'on sait s'y prendre.

Sur deux points au moins "La Peau Douce" est un chef d'oeuvre. Sa mise en scène d'une précision chirurgicale d'abord qui transforme un drame bourgeois en thriller hitchcockien. Et ça commence quasiment dès le début avec la scène haletante dans laquelle Pierre (Jean DESAILLY) entame une course contre la montre pour prendre un avion pour Lisbonne. Quand on sait que sa future maîtresse, Nicole (Françoise DORLÉAC) l'attend à bord, c'est tout l'enjeu du film qui est contenu dans cette seule scène tournée pied au plancher. Des scènes de tension semblables, on en retrouve avec la grande séquence du séjour à Reims dans laquelle Pierre s'empêtre dans ses mensonges et ne parvient pas à concilier sa vie mondaine et sa vie secrète. Ou encore vers la fin, quand, sur les conseils d'une amie de son épouse, il tente de lui téléphoner pour lui avouer la vérité mais toute une mécanique bien huilée fait qu'il la rate de quelques secondes comme s'il y avait une sorte de "fatum" sur ses épaules.

Cependant, cet engrenage qui transforme un drame bourgeois en tragédie n'aurait pas été possible sans le caractère du personnage principal, artisan de son propre malheur. Pierre s'avère être la médiocrité même, incapable de prendre des décisions, incapable de communiquer franchement. Il dit oui à tout sans le penser ce qui le met dans des situations impossibles engendrant déception, frustrations et amertume. A force d'être incapable de gérer les situations, il finit par se comporter grossièrement avec l'un de ses collègues dont il n'arrive pas à se débarrasser, son épouse à qui il ne parle pas tout en laissant traîner des indices compromettants ou sa maîtresse dont il jouit sur l'instant avec une ardeur fétichiste (très beaux plans à l'appui) mais qui le reste du temps l'embarrasse. Tous deux qui ont une sensible différence d'âge ne vivent pas sur la même planète et n'ont en réalité rien à se dire. D'ailleurs Pierre appelle significativement Nicole "ma poupée", veut qu'elle porte des robes, des talons et des bas (et non des jeans) pour lui faire plaisir et n'éprouve qu'à une seule reprise le besoin de lui dire qu'il l'aime: quand il la pense loin de lui (c'est un écrivain après tout). Dès qu'il réalise sa méprise, il jette son télégramme à la poubelle. Tout cela finit par se payer cash et quand la parole ne peut pas sortir, on sait que le seul soulagement sera celui d'une explosion fatale.

 

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