Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #drame tag

Gens de Dublin (The Dead)

Publié le par Rosalie210

John Huston (1987)

Gens de Dublin (The Dead)

"Gens de Dublin" est le dernier film de John HUSTON. C'est une adaptation littéraire, celle de la nouvelle de James Joyce "The Dead" extraite du recueil "Les Gens de Dublin" à qui il est fidèle tout en en faisant son oeuvre testamentaire. C'est en effet le film d'un homme qui se savait condamné et dont la fin tombe comme un couperet. Car le film (très court, 1h15) est divisé en deux parties de longueur inégale. La première qui dure une heure relate une soirée dans une famille de la bonne société dublinoise au début du XX° siècle. Les couleurs sont chaudes, on chante, on danse, on rit et il faut être attentif aux légères dissonances de l'ensemble pour comprendre que derrière la façade joyeuse, il y a l'ombre de vies insatisfaites, inaccomplies, inachevées qui parfois se fait jour à travers un long regard mélancolique tourné le temps d'une vieille chanson irlandaise vers un ailleurs invisible, une voix hésitante célébrant des noces qui on le découvre à travers l'inventaire visuel des objets de sa chambre n'ont jamais eu lieu, l'excès d'alcool d'un homme sous l'emprise de sa mère, un poème d'amour rempli d'amertume ou un plan sur des marches d'escalier vides. Et puis arrive le moment où se produit le basculement vers la deuxième partie du film qui ne dure qu'un quart d'heure. Quart d'heure qui donne tout son sens au film. C'est dans le climat intimiste d'une chambre d'hôtel (on relèvera la contradiction qui elle aussi a du sens) que Gretta Conroy (Anjelica HUSTON, la propre fille du cinéaste qui d'une certaine manière devient son porte-parole) avoue le secret qui la tourmente c'est à dire la personne qui occupait ses pensées lorsqu'elle écoutait avec une profonde émotion la vieille chanson irlandaise avant de s'écrouler dans une posture troublante qui évoque davantage la mort que le sommeil. Et puis soudain, la neige et les couleurs froides de l'extérieur hivernal envahissent l'écran et la chambre d'hôtel cède la place à un cimetière alors que le film se termine sur un monologue, celui de son mari qui découvre qu'il est (et a toujours été) complètement seul.

Voir les commentaires

The Innocents

Publié le par Rosalie210

Eskil Vogt (2021)

The Innocents

"The Innocents" est le deuxième long-métrage de Eskil Vogt, le fidèle collaborateur de Joachim Trier, pour qui il a co-écrit les scénarios de ses longs métrages et qui a été présenté dans la section Un Certain Regard du festival de Cannes. Il s'agit d'un thriller fantastique à la sauce norvégienne c'est à dire stylisé et minimaliste. Les protagonistes en sont quatre enfants dotés de pouvoirs surnaturels (télépathie et télékinésie) plus ou moins livrés à eux-mêmes dans une cité désertée au coeur de l'été. Pour accentuer leur étrangeté, l'une des enfants, Anna est autiste et une autre Aisha souffre d'un vitiligo. Mais le plus inquiétant est Benjamin, d'origine immigrée qui vit seul avec sa mère et est le souffre-douleur d'un adolescent à l'allure 100% nordique.

Si les mouvements de caméra, aériens, sont particulièrement beaux ainsi que l'esthétique, froide et géométrique, le film est étiré au-delà du raisonnable et sa progression dramatique est poussive à cause de nombreuses redondances. De plus, sa manière d'envisager les enfants comme de petits sadiques en puissance n'est pas vraiment progressiste. Alors que dans les faits, ce sont eux les victimes des adultes, le film les montre dotés de super-pouvoirs et cette toute-puissance est mise au service du mal (tortures, manipulation et meurtres). Enfin, le fait d'avoir fait d'un enfant d'origine immigrée (du genre pakistanais) l'incarnation du diable m'a paru plus que douteux alors que Ida et Anna, les deux norvégiennes blondes de souche qui ont leurs deux parents sont les seules à s'en sortir. Bref que ce soit volontaire ou pas, j'ai trouvé que le message du film était complètement réactionnaire.

Voir les commentaires

Residue

Publié le par Rosalie210

Merawi Gerima (2020)

Residue

"Residue" est le premier long-métrage de Merawi Gerima, réalisateur indépendant afro-américain issu d'une famille de cinéastes et d'écrivains. Il est en particulier le fils du célèbre cinéaste éthiopien Haile Gerima, figure légendaire du mouvement cinématographique L.A. Rebellion qui fait référence à la génération de jeunes cinéastes africains et afro-américains (incluant également la mère de Merawi Gerima) qui ont étudié à la UCLA Film School de la fin des années 1960 à la fin des années 1980 (école suivie également par Merawi Gerima) et ont créé un cinéma noir offrant une alternative au cinéma hollywoodien classique. Il a été projeté en avant-première à la Cinémathèque dans le cadre de la cinquième saison du cycle rétrospectif "American fringe" en novembre 2021. Il doit sortir au cinéma en France le 5 janvier 2022.

"Residue" raconte l'histoire de Jay, alter ego du cinéaste (le film entre fiction et documentaire a de fortes résonances autobiographiques) qui après des études cinématographiques en Californie revient sur les lieux de son enfance dans le quartier d'Eckington à Washington DC et a toutes les peines du monde à y retrouver ses marques tellement celui-ci a changé. Merawi Gerima aborde ainsi deux thèmes majeurs dans son film: la gentrification des quartiers pauvres des grandes villes* et le sentiment de trahison généré par le départ du héros et son changement de classe sociale. Les retrouvailles de Jay avec ses anciens amis reposent en effet sur un malentendu. Lui pense que son métier est un moyen de militer, de témoigner et de faire oeuvre de mémoire (dans la mouvance "Black Lives Matter") alors que les autres considèrent qu'il s'est rallié aux blancs qui effacent peu à peu l'identité noire du quartier sous leurs yeux impuissants. De fait, Jay se retrouve typiquement dans la situation inconfortable du transfuge (situation si bien décrite part Annie Ernaux dans "La Place") qui est rejeté aussi bien par son ancienne communauté que par les blancs qui poussent par tous les moyens ses parents à déménager pour s'approprier leurs biens et renforcer leur entre-soi. Pour ne pas perdre pied, Jay s'accroche alors à ses souvenirs d'enfance, le film étant parsemés de flashbacks filmés avec beaucoup d'élégance et de fluidité. On découvre peu à peu le triste sort des membres de sa bande. Disparu, mort, emprisonné, aucun n'a pu sortir du ghetto et c'est aussi cette génération perdue que filme Jay/Gerima a qui il redonne des racines: les mères et les grands-mères de ces garçons sont bien mises en valeur (alors que la plupart des pères sont absents ou ont failli hormis comme par hasard celui de Jay) et lorsque celui-ci retrouve un "grand frère" dans le parloir d'une prison, une projection onirique les montre au beau milieu de la forêt comme si le cadre carcéral n'avait plus de prise. Quant aux blancs, ils restent la plupart du temps hors-champ ou bien en fond ou au bord du cadre, comme cela a été si longtemps le cas des noirs dans les films blancs. Mais si Merawi Gerima choisit l'art pour s'exprimer, la colère de son double cinématographique débouche sur une explosion de violence stérile.

* Un thème qui ne concerne pas que les USA. A quand les films témoignant de la gentrification de la petite couronne de la banlieue parisienne se cachant derrière l'édification du "Grand Paris" (mais sans ses pauvres)? Par exemple la Butte rouge de Châtenay Malabry "rénovée", Saint-Denis et Aubervilliers grignotées par les futures installations olympiques etc.

Voir les commentaires

Plaire, aimer et courir vite

Publié le par Rosalie210

Christophe Honoré (2018)

Plaire, aimer et courir vite

J'avais juré de ne plus jamais remettre les pieds dans le cinéma de Christophe Honoré, l'un des réalisateurs parmi les plus affectés du cinéma français actuel dont j'ai détesté chacun des films que j'ai pu voir. Mais le passage de "Plaire, aimer et courir vite" sur Arte m'a donné quand même envie de le voir à cause des deux acteurs principaux que j'aime beaucoup: Pierre Deladonchamps et Vincent Lacoste. Le fait est qu'ils sont impeccables, chacun dans leur registre et qu'ils vont bien ensemble. Il y a aussi incontestablement un caractère intimiste et personnel dans ce film qui convoque les fantômes d'un grand nombre d'artistes morts du sida (ou trop jeunes et admirés par Christophe Honoré) dans les années 80 qui seraient autant de "Jacques" (l'écrivain déclinant joué par Pierre Deladonchamps) que pourrait enfin rencontrer le jeune "Arthur" (l'étudiant breton joué par Vincent Lacoste, étoile montante vraisemblablement un double de Christophe Honoré au même âge). La maîtrise technique (cadrages, lumière, mouvements de caméra) se combine à une bande sonore magnifique. J'ai beaucoup écouté Cocteau Twins à une époque, Ariodante à une autre et la scène qui l'accompagne est particulièrement belle. Quand aux "gens qui doutent" de Anne Sylvestre, c'est une chanson sublime et elle accompagne également une très belle scène intimiste dans laquelle Jacques est en proie à des sentiments contradictoires qui le font souffrir.

Néanmoins ce qui me déplaît dans le cinéma de Christophe Honoré n'a pas disparu comme par magie. En particulier le côté verbeux-prétentieux. Autant les scènes musicales ou simplement chorégraphiées sont réussies, autant les scènes dialoguées brisent le charme par leur caractère souvent péremptoire, poseur, ampoulé et condescendant. C'est censé refléter le caractère de diva du dandy qu'est Jacques (et son métier, écrivain) sauf que cela revient de film en film comme une signature, celle de Christophe Honoré. Ainsi grâce à lui, on saura que manger des BN au petit déjeuner c'est un truc de plouc (ça c'est dans "Métamorphoses"), que les hôtels bon marché puent l'eau de javel (ça c'est dans "Plaire, aimer et courir vite") et que nous, pauvres spectateurs de la plèbe ne sommes "pas des Lumières" (ça c'est dans "Les Malheurs de Sophie"). L'indélicatesse paradoxale d'un monsieur se définissant comme raffiné et érudit se révèle de temps à autre ainsi, au détour de ces petites phrases méprisantes, à l'image d'un personnage écrit pour une partition de mélodrame mais dont l'ego surdimensionné et le caractère dominateur font obstacle à toute forme d'empathie, particulièrement lorsqu'il prend la parole. Goujat avec les femmes, classant ses amants en catégories comme des étalons de concours (mais à partir de références littéraires, histoire d'étaler sa science en prime), se livrant à des ébats sexuels excluant son meilleur ami devenu trop vieux (Denis Podalydès, remarquable, comme ses deux partenaires)*, se querellant avec un ex en phase terminale devant son fils de 9 ans et faisant la leçon à tout le monde, Jacques a beau être gay et malade, jamais Christophe Honoré ne laisse ce versant prendre le dessus sur celui du mâle dominant version intello-bobo-macho qui contrôle et manipule à qui mieux mieux. Heureusement que Pierre Deladonchamps (ultra talentueux, je ne le répèterai jamais assez!) parvient grâce à son jeu sensible à faire passer un peu d'humanité dans le personnage. Christophe Honoré devrait par exemple apprendre outre la simplicité et l'humilité l'art du silence, comme Ada dans "La Leçon de Piano" à qui il rend un drôle d'hommage dont on ne sait si c'est de l'art ou du cochon ^^.

* L'affiche du film où l'on voit trois hommes hilares dans un lit est purement et simplement MENSONGERE. Et j'ai en horreur le mensonge.

Voir les commentaires

L'Ange exterminateur (El Angel exterminador)

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1962)

L'Ange exterminateur (El Angel exterminador)

"Qui veut faire l'ange fait la bête", l'expression de Blaise Pascal est parfaitement appropriée pour parler de l'un des plus célèbres films de Luis BUÑUEL. Dix ans avant "Le Charme discret de la bourgeoisie" (1972), il cible déjà cette classe située au sommet de l'échelle sociale pour mieux la faire chuter de son piédestal. Le tout avec force métaphores religieuses (le titre, tiré de l'Apocalypse mais aussi les premières et dernières images ainsi que les agneaux qui traversent l'écran et font penser à l'agnus dei) mais aussi politiques et sociales. La séquence d'introduction sépare en effet les personnages en deux camps très nets. D'un côté les domestiques qui n'ont qu'une idée, se tirer à temps de ce qu'ils sentent instinctivement être un guêpier et sur lesquels les ordres des bourgeois n'ont aucun effet. Idée jouissive (et juste): la nécessité de sauver sa peau l'emporte sur l'ordre social. De l'autre les bourgeois qui tournent tellement en rond (comme le montre la répétition de certaines scènes) dans leur tout petit monde qu'ils finissent coincés à l'intérieur d'un salon avec le majordome (qui bien que chef des larbins paye ainsi le fait d'être toujours l'imitateur le plus zélé des maîtres). Il n'y a pourtant aucun obstacle visible qui les empêche de sortir de l'espace réduit dans lequel ils (se?) sont confinés. Mais le fait est qu'ils sont incapables de franchir la limite qui sépare le salon de la salle à manger qui communique vers le monde extérieur alors que celui-ci est au contraire incapable d'y entrer. C'est comme si les deux mondes (celui de la bourgeoisie et celui du peuple) s'étaient déconnectés physiquement l'un de l'autre. S'ensuit une étude satirique de ces hommes et de ces femmes dont on suit l'inexorable et humiliante déchéance, d'autant plus saisissante qu'ils sont parés pour aller à l'opéra. Mais la faim, la soif, la promiscuité, l'inconfort, la saleté ont rapidement raison de leur vernis de civilisation. Plus les jours passent, plus l'animalité de ces gens qui se croyaient au-dessus du commun des mortels ressort. C'est la bousculade pour un verre d'eau; les agissements lubriques de certains hommes sur les femmes pendant leur sommeil; les hallucinations qui s'emparent des esprits; les propos d'un des confinés sur sa congénère qui rompt le silence tacite en proclamant "qu'elle sent la hyène"; les animaux égorgés, cuits et mangés à même le sol du salon avec le bois des meubles et des instruments de musique; l'apparence de plus en plus négligée; les besoins naturels assouvis dans les placards quand ils ne servent pas à enfermer les cadavres; les pulsions de lynchage sur le maître de maison, accusé d'être la cause de l'impasse dans laquelle s'est enfermée la communauté. Et si l'une de ses membres parvient à briser le maléfice en utilisant un énième mécanisme de répétition, le piège se referme à nouveau un peu plus tard, cette fois dans une église. Quand on voit la date du film (1962), le comportement d'insubordination des domestiques et la séquence dans laquelle les bourgeois observent un ours se promener dans la salle à manger où ils ne peuvent pénétrer eux-mêmes, il n'est pas absurde d'accréditer la thèse selon laquelle cet ours pourrait représenter l'URSS étant donné que le communisme est sans doute le pire cauchemar que pouvaient éprouver les bourgeois à l'époque. Mais le film montre surtout leur déconnexion du réel et leur dépendance vis à vis du peuple qui lui à l'inverse peut parfaitement se passer d'eux. A méditer donc.

Voir les commentaires

Maborosi (Maboroshi no Hikari)

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (1995)

Maborosi (Maboroshi no Hikari)

"Maborosi" est le premier long-métrage de Hirokazu KORE-EDA. Même s'il ne met pas autant les personnages au centre de l'image que dans ses films ultérieurs, il est déjà orienté vers son thème obsessionnel, celui de la famille: famille dysfonctionnelle et famille recomposée. Dans "Maborosi", on passe de l'une à l'autre à travers la métaphore d'un pont qui nous entraîne d'un quartier populaire d'Osaka jusqu'à un petit village de pêcheurs. L'héroïne, Yumiko est un personnage hanté, comme le film lui-même qui a un caractère fantomatique: image épurée et parole rare. Hirokazu KORE-EDA établit un parallèle entre un souvenir d'enfance traumatique de Yumiko (le départ sans retour de sa grand-mère) et le deuil de son premier mari, Ikuo, qu'elle ne parvient pas à faire. Les plans dans lesquels Yumiko regarde ceux qu'elle aime s'éloigner d'elle pour toujours sont filmés de façon identique, les deux figures se mélangent dans ses rêves, sa période conjugale avec Ikuo est filmé de façon irréelle (extérieurs et intérieurs vides montrés en plans fixes, ambiance nocturne, Ikuo presque réduit à l'état de silhouette) et enfin elle emporte avec elle un souvenir sonore de Ikuo (une clochette accrochée à une clé de vélo) lorsqu'elle se remarie. Tout suggère à quel point ces départs (qui, comme dans "Nobody Knows" (2003) sont en réalité des abandons) ont laissé un grand vide en elle que rien ne peut venir combler.

Pourtant la deuxième partie du film qui raconte la nouvelle existence de Yumiko auprès de son second mari apporte de l'espoir à ce qui sinon aurait ressemblé à un film-tombeau (ou un film de fantômes). En dépit de l'intense mélancolie qui continue à la ronger de l'intérieur, tout semble reprendre vie autour d'elle: on y sent respirer la nature, le cadre s'élargit, permettant aux enfants de s'ébattre dans de grands espaces alors que la musique prend son envol et que les températures se réchauffent. Et on voit aussi ce dégel au fait que Yumiko s'insère dans une petite communauté dominée par un personnage qui n'est pas sans lui rappeler sa grand-mère défunte. Ce qui logiquement lui fait craindre plus que de raison pour sa vie. On y voit ses larmes couler, son questionnement s'exprimer (pourquoi m'a-t-il abandonné?), un feu au bord de la mer et une procession funéraire qui peut symboliser son travail de deuil. Mais l'interprétation de la fin reste ouverte avec un cadre vide hormis une table, une lettre, un objet lumineux (la clochette et la clé sans doute) et une fenêtre ouverte: Yumiko s'est-elle libéré de ses démons pour toujours ou les a-t-elle rejoints, cédant comme son défunt mari à "l'appel du vide" ("Mabososi" en japonais)?

Voir les commentaires

Nobody Knows (DARE MO SHIRANAI)

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2003)

Nobody Knows (DARE MO SHIRANAI)

"Une histoire bouleversante qu'on n'oublie pas de sitôt", c'est le moins que l'on puisse dire. Sur le moment, je n'ai pas ressenti d'émotion particulière sans doute parce que j'étais sidérée mais par la suite, le film m'a hanté au point de me faire faire des cauchemars ce qui ne m'était plus arrivé depuis mon adolescence.

Inspiré par un sordide fait divers qui avait défrayé la chronique au Japon à la fin des années 80, "Nobody Knows" n'est pas sans faire penser à "Le Tombeau des lucioles" (1988) à qui il est d'ailleurs souvent comparé*. Les deux films racontent en effet l'existence d'enfants abandonnés qui tentent de survivre dans une société indifférente voire hostile à leur sort et dont on suit l'inexorable dépérissement. Bien que le contexte historique ne soit pas le même, on est dans les deux cas en face d'un Japon en crise, crise qui retombe toujours sur les plus fragiles. Dans les deux cas, le réalisateur choisit d'immerger le spectateur dans le quotidien des enfants et d'adopter leur point de vue afin de capter les moindres instants de magie qui viennent éclairer une situation extérieure de plus en plus difficile, montrant aussi la capacité d'adaptation et de résilience hors-norme de ces petits êtres mais aussi les ravages de la négligence de la part des adultes.

La fratrie de "Nobody Knows" est triplement victime. Victime de pères (le terme plus juste serait "géniteurs") qui ne s'en sont jamais occupés, d'une mère toxique, immature, inconsciente et démissionnaire et enfin d'une société qui les rejette parce qu'ils ne rentrent pas dans les clous: trop nombreux, trop petits, trop pauvres et issus de quatre pères différents. Rythmé par les saisons qui se succèdent (automne, hiver, printemps puis été), on voit ces enfants changer au fur et à mesure que leur situation se dégrade. Désocialisés depuis leur naissance, obligés de se cacher pour ne pas être chassés de leur appartement trop petit ou séparés par les services sociaux, ils n'ont pas le réflexe de se tourner vers l'extérieur lorsque leur mère les abandonne. Bien au contraire, ils se forgent un cocon qui tient la route plusieurs mois grâce à l'aîné, Akira, promu chef de famille par la mère et qui parvient à gérer tant bien que mal l'économie du foyer avec le peu d'argent qu'elle lui a laissé. Seul des quatre enfants à avoir une existence officielle et à pouvoir sortir, il fait preuve d'une grande maturité pour son âge et l'acteur qui l'interprète est si convaincant qu'il a eu le prix d'interprétation à Cannes. Néanmoins il finit par être dépassé par un rôle trop grand pour lui et le manque d'argent rend la situation des enfants de plus en plus intenable, les transformant peu à peu en petits sauvageons, à l'image des mauvaises herbes qu'ils font pousser sur le balcon de leur appartement transformé en squat. Même lorsqu'ils finissent par sortir, au vu et au su de tout le monde, personne ne fait attention à eux, y compris dans l'immeuble, comme s'ils étaient toujours invisibles. Même le drame, inévitable, se déroule dans un silence assourdissant (drame filmé avec une pudeur admirable). Seule une adolescente en rupture scolaire et sociale parvient à percer -un peu- la muraille qu'Akira a forgé entre lui et le monde ainsi que les vendeurs d'un konbini**.

* De façon plus générale, les maux qu'évoque Hirokazu KORE-EDA dans le film ont été traités dans le cinéma d'animation. Les enfants clandestins vivant au coeur de Tokyo sont évoqués dans "Les Enfants Loups, Ame & Yuki" (2012) alors que la prostitution adolescente est un thème important de "Colorful" (2010).

** Dans la réalité ce sont d'ailleurs les commerçants qui ont donné l'alerte.

Voir les commentaires

Après la tempête (Umi yori mo mada fukaku)

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2016)

Après la tempête (Umi yori mo mada fukaku)

J'ai beaucoup aimé ce film et la façon dont Hirokazu KORE-EDA se tient au plus près de ses personnages sans les juger. Dans "Après la tempête", il brosse le portrait d'un homme, Ryota (Abe HIROSHI), ancien écrivain qui est loin de personnifier la réussite et l'exemplarité. On le voit effectuer un boulot alimentaire de détective privé consistant à traquer les couples illégitimes dans les love hôtel (ce qui souligne le caractère traditionnaliste de la société japonaise). Comme ce travail ne lui suffit pas, on le voit jouer aux courses (et perdre le peu qu'il a gagné) et tenter de dénicher de l'argent ou des objets de valeur à gager dans l'appartement de sa mère qui vit depuis 40 ans dans le même HLM. Mais c'est peine perdue car le père défunt et la soeur de Ryota ont déjà racketté tout ce qu'ils pouvaient. Loser de père en fils pense-t-on ce que la femme de Ryota, Kyoko (Yôko MAKI) ne veut à aucun prix reproduire. Aussi elle l'a quitté, est sur le point de se remarier et lui réclame une pension alimentaire qu'il ne peut payer en échange du droit de voir son fils Shingo une fois par mois. Mais Hirokazu KORE-EDA ne tombe pas dans le pathos. Il monte une sorte de mayonnaise destinée à nous faire (res)sentir la valeur humaine intrinsèque de chaque personnage, en dehors de toute considération utilitariste. Comme le dit la mère de Ryota (Kirin KIKI qui est une fois encore formidable) "Il faut laisser refroidir une nuit pour que le goût infuse". Un typhon va la conduire à héberger Ryota, Kyoko et Shingo sous son modeste toit durant toute une nuit, dans l'espoir qu'ils parviennent à se parler et à apaiser leur relation tout en distillant l'air de rien ses petites phrases sur le bonheur qui fuit les hommes qui ne savent pas vivre au présent. Si Ryota est resté un grand enfant (comme l'artiste qu'il est au fond de lui), il est aussi celui qui transmet à Shingo son expérience de la vie et celle-ci vaut bien celle des autres. Par rapport à son rival Fukuzumi (Yukiyoshi OZAWA) incarnant les valeurs de réussite, il détient le trésor familial dont Shingo a aussi besoin pour se construire. Il lui transmet la complicité qu'il a connu avec son père en le faisant entrer dans leur ancienne cabane (un toboggan) pour s'y abriter pendant le typhon. La mise en scène le souligne. Alors que Fukuzumi et Shingo sont montrés comme très éloignés l'un de l'autre et dans des plans différents, Ryota et Shingo se retrouvent l'un près de l'autre dans le même plan et sous le même toit.

Voir les commentaires

Marie-Octobre

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1959)

Marie-Octobre

"Marie-Octobre" repose sur un paradoxe fascinant qui en fait toute sa force: des gens troubles nageant dans des eaux limpides. A la manière d'un jeu de Cluedo, il s'agit d'un huis-clos réunissant onze personnages qui ne sortiront pas de la pièce tant que le "whodunit" ne sera pas résolu. Venus d'horizons très divers et de tempéraments très différents (et faisant penser en cela à un autre huis-clos policier célèbre, celui des "10 petits nègres" de Agatha Christie), tous ces personnages ont en commun d'avoir appartenu quinze ans auparavant à un réseau de Résistance découvert par les allemands ce qui a abouti à la mort de leur chef, Castille. Lorsque la seule femme du groupe les réunit de nouveau à l'occasion d'un dîner, c'est pour leur annoncer qu'elle a appris qu'ils avaient été vendus par l'un des leurs. Dès lors, le vers est dans le fruit, le huis-clos agit à plein avivé par la mise en scène de Julien DUVIVIER qui agit comme un étau et la tension se fait de plus en plus forte jusqu'à la découverte du coupable qui non content d'être un traître s'avère aussi avoir volé l'organisation et assassiné Castille. On découvre au passage les zones d'ombres de chacun des personnages, que ce soit un passé fasciste, des secrets et des mensonges ou encore des erreurs inavouables. Les personnages forment un panel représentatif de la société (industriels, médecins, magistrats, commerçants, ouvriers et même ex-truand reconverti dans le business érotique) interprétés par un panel tout aussi représentatif des acteurs français de cette époque (Danielle DARRIEUX, Paul MEURISSE, Lino VENTURA, Bernard BLIER, Serge REGGIANI, Paul FRANKEUR, Robert DALBAN ou encore Noël ROQUEVERT).

Bien que très différent par son contexte et dans sa forme de "La Belle Équipe" (1936), je trouve que "Marie-Octobre" lui ressemble beaucoup. Soit une petite communauté masculine autrefois réunie autour d'un bel idéal mais qui finit "façon puzzle" par la faute d'une femme. Pas seulement parce que c'est elle qui a découvert qu'ils avaient été trahis et qui lance les hostilités mais parce que les causes de cette trahison remontent jusqu'à elle. Avec un peu de mauvaise foi, on pourrait même la juger coupable de tout tant il est facile de rejeter la responsabilité de ce qui s'avère être un "crime passionnel" sur elle. C'est d'ailleurs elle qui finit par endosser le crime envisagé par le groupe. La noirceur de Julien DUVIVIER est, il faut le dire, teintée d'une misogynie toute biblique. Il fait de la femme celle dont l'altérité détruit l'harmonie de l'entre-soi masculin. C'est la faute à Eve si les hommes ont été chassés du paradis. Autrement dit lui aussi est paradoxal en faisant des films aux idéaux progressistes mais aux ressorts réactionnaires.

Voir les commentaires

Frenzy

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1972)

Frenzy

"Frenzy", avant-dernier film de l'un des plus grands cinéastes de l'histoire peut être considéré comme son film-testament. En effet il constitue la quintessence de son cinéma. On peut y humer un parfum d'Angleterre, terre de ses origines d'où est issue près de la moitié de sa filmographie. Le film aurait pu s'appeler "le ventre de Londres" (en référence au "Ventre de Paris" de Emile Zola) parce qu'il se déroule au coeur d'un marché de fruits et légumes dont Alfred HITCHCOCK capte les pulsations mais aussi parce qu'il met beaucoup les tripes en avant. Dans une sorte de running gag, l'épouse de l'inspecteur de police lui cuisine des plats plus organiques les uns que les autres: des tripes bien évidemment mais aussi des pieds de porc, des canetons ou encore une soupe de poisson avec des morceaux entiers dedans. Une nourriture faite de cadavres (entiers ou morcelés) qui sert de métaphore aux crimes en série commis par celui qui dans l'imaginaire collectif des londoniens fait figure de nouveau Jack l'Eventreur. Alfred HITCHCOCK peut ainsi établir une nouvelle variante de ses thèmes fétiches dont font partie la psychopathologie sexuelle et le faux coupable. La nouveauté par rapport à ses classiques des années cinquante et soixante tient encore une fois à la crudité organique des images. Alors que les crimes avaient lieu dans ses précédents films hors-champ ou bien étaient plus ou moins édulcorés par divers procédés cinématographiques destinés à déjouer le code Hays quand il était en vigueur, dans "Frenzy", Alfred HITCHCOCK peut tout montrer. Les cadavres des victimes du tueur, dénudées ressemblent à des morceaux de viande froide et à la manière de Michael POWELL dans "Le Voyeur" (1960), l'agonie est montrée en très gros plans avec tous les détails (yeux révulsés, langue sortant de la bouche etc.)*. Le tueur lui-même lorsqu'il est en action fait penser à un porc suant et haletant. Pour en rajouter une couche, l'un des morceaux de bravoure du film se déroule dans un camion transportant des patates au milieu desquelles le tueur a dissimulé un corps qu'il est obligé d'exhumer avant de lui briser les doigts rigidifiés pour en extirper un objet compromettant. Des détails très concrets qui marquent l'esprit. Cependant Alfred HITCHCOCK n'abuse pas du procédé et alterne scènes/plans frontaux (le premier meurtre) et art de la suggestion par le hors-champ (le deuxième meurtre). Cela suffit amplement à compenser une distribution moins flamboyante qu'à l'époque de son âge d'or avec des prestations inégales (Jon FINCH est très moyen, l'assassinat des femmes de son entourage n'ayant pas l'air de l'affecter plus que ça) ainsi qu'une intrigue assez prévisible.

* Il reprend également la même actrice, Anna MASSEY.

Voir les commentaires