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Articles avec #drame tag

Un long dimanche de fiançailles

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Jeunet (2004)

Un long dimanche de fiançailles

"Un long dimanche de fiançailles" est l'un des rares films de Jean-Pierre Jeunet que je n'avais pas encore revu. Maintenant, je me dis que c'est le destin d'avoir gardé ce film en réserve pour pouvoir rendre hommage à Gaspard Ulliel dont c'était le premier rôle majeur, couronné par le César du meilleur espoir masculin. On peut d'ailleurs saluer la qualité et la variété de la distribution qui certes, reprend une bonne partie du casting de "Delicatessen" et de "Le Fabuleux destin de Amélie Poulain" (de Audrey Tautou à André Dussollier en passant par Dominique Pinon, Ticky Holgado, Jean-Claude Dreyfus ou Urbain Cancelier) mais en ajoute pas mal de nouveaux, venus d'autres horizons comme Albert Dupontel, Denis Lavant, Clovis Cornillac, Jean-Pierre Daroussin, Julie Depardieu, Jodie Foster, Jean-Paul Rouve, Michel Vuillermoz ou bien alors des nouveaux venus à l'aube d'une belle carrière: outre Gaspard Ulliel, l'étoile montante Marion Cotillard confirmait son talent en obtenant le César du meilleur second rôle alors qu'elle n'apparaît que huit minutes dans le film (mais dans un rôle de justicière qui redouble celui de Mathilde la détective).

Cette densité de talents au mètre carré se retrouve dans l'intrigue et dans l'image. L'histoire, adaptée du roman de Sébastien Japrisot mêle deux récits (le passé de la guerre en couleurs sombres, le présent de l'après-guerre en sépia) et est originale en ce sens que c'est une femme (handicapée qui plus est) qui en est le centre et le moteur. La première guerre mondiale et ses horreurs* est évoquée en effet en fonction des progrès de l'enquête que Mathilde mène en 1920, seule contre tous ou presque à croire que son fiancé a survécu sur la foi d'une intuition intime (que l'on peut comparer à la quête de Tintin à la recherche de Tchang dans "Tintin au Tibet" alors que tout le monde le croit mort). L'obstination de ce petit bout de femme à découvrir la vérité l'amènera à croiser d'autres destins et à recouper leurs témoignages pour en démêler le vrai du faux. La scène cruciale de l'Albatros, l'avion allemand qui tire sur Manech alors qu'il grave les lettres de son amour à Mathilde (MMM) sur le tronc d'un arbre calciné est ainsi revue plusieurs fois, la version de cet épisode variant selon les témoins (français ou allemand, depuis la tranchée ou dans le no man's land à la manière d'un "Râshomon"). Quant aux lieux, ils sont superbement reconstitués avec tout le savoir-faire méticuleux d'un réalisateur attentif au moindre détail. Et si le récit tient en haleine avec un sens du rythme qui n'est plus à démontrer et des rebondissements perpétuels, il ménage des pauses solitaires et mélancoliques dans lesquelles les deux éternels fiancés pensent l'un à l'autre dans le désert, l'un en gravant ses lettres d'amour éternel dans le bois au milieu de l'enfer et l'autre en jouant du tuba face à la mer.

* La première guerre mondiale a fait l'objet de nombreuses oeuvres marquantes auquel le film de Jeunet fait référence, des BD de Jacques Tardi (dès les premières images, j'ai reconnu le cadavre du cheval pendouillant dans un arbre) jusqu'aux "Sentiers de la gloire" de Stanley Kubrick (les exécutions pour l'exemple).

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Le Choix des armes

Publié le par Rosalie210

Alain Corneau (1981)

Le Choix des armes

La première fois que j'ai vu ce film, c'était dans le cadre d'un cycle consacré à Catherine Deneuve et j'avais trouvé que ce n'était pas le meilleur choix pour lui rendre hommage. Bien que le "Le Choix des armes" dépasse son genre pour atteindre une véritable profondeur, il traite d'un univers d'hommes tout juste "coloré" par la présence de l'actrice dont le rôle quelque peu potiche (^^) se résume selon ses propres termes à "obéir" (à son mari) mais surtout à symboliser (au choix) la douceur, l'innocence, la rédemption, le paradis pour Noël Durieux, le personnage de Yves Montand, ancien truand devenu "gentleman farmer" à la tête d'un haras. Lorsque Serge, un ancien membre de sa bande s'évade de prison avec un jeune chien fou du nom de Mickey (Gérard Depardieu), ce n'est pas seulement son passé qui vient frapper à sa porte. C'est aussi son avenir, incarné par Mickey, cet écorché vif aux accès de violence imprévisible qui aurait l'âge d'être son fils. Celui-ci l'arrache à son confort bourgeois pour le plonger au coeur de la misère sociale des cités de banlieue, dépeintes avec un naturalisme impressionnant ce qui était à l'époque une nouveauté*. D'ailleurs le film en lui-même est hybride, conciliant un polar à l'ancienne avec l'esprit de bande composée de personnages charismatiques élégamment vêtus et se comportant selon un code d'honneur et un polar plus moderne âpre, urbain, chaotique faisant une large place aux paumés, aux marginaux, aux "rebuts" de la société incluant également Dany, l'ami de Mickey père de famille (joué par Richard Anconina alors peu connu) et Ricky le drogué (Jean-Claude Dauphin). Ce même choc social et culturel des générations se retrouve du côté de la police avec d'un côté le placide commissaire Bonnardot (Michel Galabru) et de l'autre le fougueux inspecteur Sarlat (Gérard Lanvin) dont les actes irréfléchis ont des conséquences aussi tragiques que ceux de Mickey de l'autre côté de la barrière. Mais le coeur du film se retrouve dans la confrontation entre Noël et Mickey, joué par un Gérard Depardieu habité dont la composition est tout bonnement hallucinante. Complètement fou furieux au début, son personnage devient peu à peu poignant et tragique au fur et à mesure qu'il est approfondi. C'est dans cette confrontation (qu'on retrouve jusque dans le choix du montage alterné) qu'il faut chercher le sens du titre "Le Choix des armes" qui est polysémique. On peut l'interpréter comme un retour au choix de recourir à la violence lorsque celle-ci frappe à nouveau Noël de plein fouet ou bien à l'inverse, comme la décision d'y renoncer pour mettre fin au cycle infernal de la vengeance. En cherchant par exemple à comprendre cette jeune génération privée de repères, en assumant ses responsabilités vis à vis d'elle, en retissant du lien (aussi bien social que filial). La parole est une arme. L'éducation également comme le laisse entendre la fin de ce film très noir mais où perce une lueur d'espoir.

* Cette confrontation générationnelle de personnages issus d'un même milieu d'origine mais dont les plus anciens se sont embourgeoisés et les plus jeunes au contraire précarisés m'a fait penser au film de Robert Guédiguian "Les Neiges du Kilimandjaro".

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Diva

Publié le par Rosalie210

Jean-Jacques Beineix (1981)

Diva

Je ne suis pas spécialement fan de Jean-Jacques Beineix et de l'esthétique années 80 qui l'accompagne mais j'aime bien "Diva" son premier film qui a acquis le statut de film culte. Celui-ci a en effet relativement bien vieilli comparativement à d'autres oeuvres de cette époque et je pense que c'est lié au fait que "Diva" est un alliage réussi d'éléments contradictoires. En effet la réalisation tape-à-l'oeil (la critique a suffisamment taillé en pièces les films de Beineix en raison de leur parenté avec l'esthétique du clip et de la publicité pour que je n'aie pas besoin de développer davantage cet aspect) est contrebalancée par un travail d'épure qui par moments, touche, n'ayons pas peur des mots, la grâce (pour le dire autrement, il y a une âme derrière l'image). Chaque passage où l'on écoute l'air extrait de "La Wally" chanté par Wilhelmenia Wiggins Fernandez (la diva du titre qui fascine Jules, l'improbable facteur mélomane héros de l'histoire) s'accompagne de mouvements de caméra planants, épousant le rythme lent et hypnotique de la musique. Il y a aussi l'univers tout aussi hypnotique de l'allié de Jules, Gorodish qui pratique la philosophie zen dans son loft quasi vide plongé tout entier dans le "grand bleu" de "La Vague" de Hokusai (le travail très pop art sur les couleurs primaires, jaune, rouge et bleu et les jeux de lumières et de mouvements oscillatoires d'une sculpture associée au bleu renforcent l'effet d'hypnose ressenti, un peu comme l'atmosphère de "Blade Runner").

Le motif de la vague a aussi selon moi un autre sens. "Diva" rend à sa manière -décalée- hommage aux courants qui l'ont précédé: le réalisme poétique et la nouvelle vague. Côté Carné, le film met en avant des décors de studio et une galerie d'acteurs typés inconnus à l'époque mais que le film allait hisser au rang de stars: Gérard Darmon, Dominique Pinon et surtout Richard Bohringer. Côté Godard (outre les couleurs primaires), je ne peux pas m'empêcher de penser à une parodie du début de "Le Mépris" quand j'entends les répliques de Dominique Pinon dans le film "j'aime pas Beethoven", "j'aime pas les ascenseurs", "j'aime pas ta gueule"* et son comparse qui finit par lui dire "mais t'aime rien alors?" (sans parler de l'actrice asiatique qui joue Alba, la compagne de Gorodish et qui je trouve joue comme Bardot).

Enfin "Diva" a une parenté qui m'a sauté aux yeux lorsque je l'ai revu avec le cinéma de Leos Carax et particulièrement ses deux premiers films, "Boy meets Girl" et "Mauvais Sang" (dans la manière de filmer des marginaux, les quais déserts de Paris, des intérieurs désaffectés, de mener un thriller, de décrire des couples improbables incarnant le "modern love") ainsi qu'avec celui de Jean-Pierre Jeunet. Et pas seulement en terme d'esthétique (des décors en studio à la Trauner façon "Le jour se lève") mais aussi en terme de "gueules de cinéma". Ainsi les répliques de Dominique Pinon font penser au court-métrage "Foutaises", le prototype du "Fabuleux destin de Amélie Poulain" où celui-ci alterne entre les "j'aime" et les "j'aime pas". Alors "cinéma du look" comme cette "nouvelle-nouvelle vague" (incluant aussi évidemment Luc Besson) a été qualifiée ou bien cinéma "d'atmosphère-atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère!"

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Toni

Publié le par Rosalie210

Jean Renoir (1935)

Toni

Ce n'est pas du tout à Marcel Pagnol que j'ai pensé pensé en regardant les premières images de "Toni"* (sauf peut-être à "Angèle"), mais à "L'arrivée d'un train en gare de la Ciotat" des frères Lumière. Une affiliation qui a du sens, de même que celle que la Nouvelle Vague établira plus tard avec le cinéma de Jean Renoir. En effet, dès les premières images donc, on est saisi par le caractère naturaliste, presque documentaire du film qui a été tourné en extérieurs et qui montre l'arrivée d'immigrants espagnols et italiens venus travailler dans le sud-est de la France alors que la crise des années 30 bat son plein. Le film offre une chronique précise de l'âpreté de la vie de ces hommes et de ces femmes du monde ouvrier et paysan qui semblent enfermés dans leur condition (au point que la fin du film reprend presque à l'identique les premières images comme s'il s'agissait de boucler la boucle).

Sur cette toile de fond, l'histoire se resserre sur les protagonistes de l'histoire (tirée de faits réels) et leur tragédie intime. Le film adopte alors une scénographie de théâtre en plein air et donne à voir deux types de personnages: ceux qui se consument pour leur passion et ceux qui en profitent. Le tout dans un style qui annonce le néo-réalisme italien** (acteurs non-professionnels, tournage en décors naturels, son en prise directe, utilisation de la musique populaire, refus absolu du pittoresque, couleur locale et autre folklore, mise en scène sèche et dépouillée qui déjoue les effets mélodramatiques mais non clinique pour autant grâce notamment à la sensualité de certaines scènes comme celle de la guêpe). Le résultat a l'allure d'une tragédie grecque avec une ronde de passions à sens unique (Fernand aime Marie qui aime Toni qui aime Josépha, séductrice plus naïve que méchante et victime de deux salauds) dont il est impossible de s'échapper comme le montre la course de Toni sur le pont, fauché en plein vol.

* Alors que le film a été réalisé avec certains de ses acteurs (Blavette, Delmont, Andrex) et techniciens et produit par lui.

** Luchino Visconti travaillait en tant qu'assistant sur le tournage et a reconnu sa dette envers Renoir dans son premier film, "Ossessione" (1942).

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Capitaine Conan

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1996)

Capitaine Conan

J'ai eu il y a quelques années un "faux départ" avec "Capitaine Conan". Enthousiasmée par "La Vie et rien d'autre" (mon film préféré de Bertrand Tavernier) j'ai voulu enchaîner avec le DVD de son autre grand film sur l'après-guerre (de la première guerre mondiale) mais j'ai baissé les bras au bout de cinq minutes, découragée par l'argot des tranchées dont j'étais loin de connaître tous les termes qui plus est débité à une cadence infernale.

Il serait pourtant vraiment dommage de se laisser arrêter par cet obstacle (gênant surtout au début, après, on s'y habitue ou alors on prend un lexique pour s'aider). Les films historiques de Bertrand Tavernier, saisissants de réalisme et de dynamisme comme s'ils étaient une sorte de reportage de terrain "pris sur le vif" font partie des meilleurs qui existent par le fait d'être capable de donner vie et chair au passé, par le fait qu'il s'agit d'un cinéma humaniste, un cinéma filmé à hauteur d'homme, sans aucun manichéisme. Une scène en particulier illustre bien "l'esprit Tavernier" dans "Capitaine Conan": celle de l'armistice du 11 novembre 1918 qui est totalement démythifié. On y voit des soldats torturés par la dysenterie dont certains partent se cacher derrière le premier obstacle venu pour se soulager plutôt que d'écouter un discours officiel aux allures de pétard mouillé, au sens propre d'ailleurs puisqu'il pleut des cordes. D'ailleurs cette armistice n'en est pas un pour Conan et ses hommes que l'on envoie en Roumanie traquer le Bolchévik. Et même s'ils avaient été démobilisés, la guerre aurait de toute façon continué dans leur tête et dans leur corps.

Car ce que le film de Bertrand Tavernier montre d'une façon admirable, c'est comment la "culture de guerre" c'est à dire la sauvagerie vécue au quotidien imprègne des hommes au point qu'ils ne peuvent plus revenir à la civilisation une fois celle-ci terminée. La décision d'envoyer le corps franc du capitaine Conan terroriser les roumains plutôt que de les faire revenir en France est d'un cynisme révoltant. Un redoutable commando dont la France a bien su se servir en temps de guerre comme champions du combat au corps à corps mais dont elle cherche ensuite à se débarrasser en temps de paix quand ces comportements deviennent ceux de hors la loi, délinquants et criminels en se défaussant de ses responsabilités et en "refilant le bébé" à d'autres pays. C'est pourquoi, sans excuser les exactions dont se rendent coupables ces soldats, Bertrand Tavernier montre comment ceux-ci sont à la fois des bourreaux et des victimes. Et dresse au passage deux admirables portraits, non moins admirablement joués, celui de leur capitaine, Conan (Philippe Torreton, magistral), un dur à cuire fruste issu du peuple qui partage le sort de ses hommes et les défend corps et âme au point de prendre tous leurs errements sur lui et celui du lieutenant Norbert (Samuel Le Bihan) issu d'un milieu intellectuel et bourgeois donc bien plus policé et conscient des lois mais qu'une amitié indéfectible lie à Conan. Norbert décide d'accepter la mission de commissaire-rapporteur pour faire régner la justice au milieu du chaos. Non une justice désincarnée mais une justice humaine pour redonner des repères à ces hommes perdus et les protéger du pire tout en protégeant également la société de leur dérive. Cela ne va pas sans tensions avec Conan qui accuse Norbert d'être un vendu (la vision que Conan -et derrière lui Bertrand Tavernier- a de l'Etat-Major est digne de celle de Stanley Kubrick dans "Les Sentiers de la gloire" même si le personnage du lieutenant joué par Bernard le Coq vient nuancer le propos) mais leur conflit lié à leur différence de classe et d'éducation renforce au final leur amitié. Au point que l'on voir Conan faire ce qu'aucun membre du tribunal militaire ne daigne faire: aller sur le terrain pour comprendre comment un jeune soldat a pu perdre les pédales au point de se livrer à l'ennemi avec des secrets militaires dans la poche (haute trahison qui le rend passible du peloton d'exécution). La valeur du geste étant lié au fait que ce soldat est pourtant issu de l'aristocratie, sa mère étant même liée aux membres de l'Etat-Major. On comprend ainsi comment le fait de se comporter en homme d'honneur sur le champ de bataille peut transcender les barrières de classe sociale (soit exactement ce que démontrait Jean Renoir dans "La Grande Illusion" autre grand film sur cette période). La scène finale, d'une grande force émotionnelle montre aussi comment une fois sorti pour de bon de la guerre, Conan qui faisait office de pilier pour tous les autres s'avère rongé de l'intérieur par le mal incurable de ce qu'il a subi et infligé. Une scène si forte qu'elle vous poursuit bien au-delà du visionnage du film*.

* Que Philippe Torreton ait reçu le césar du meilleur acteur et Bertrand Tavernier celui du meilleur réalisateur pour ce film n'est que justice.

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First Cow

Publié le par Rosalie210

Kelly Reichardt (2019)

First Cow

Le western est un genre qui, comme beaucoup d'autres (le film d'action, le film d'aventures, le film de gangsters, le film de guerre, le film noir) a été façonné par des hommes (occidentaux) à leur propre gloire: à eux l'exploration, la conquête, l'appropriation des territoires, la "mise en valeur" et à eux aussi la mise en récit (narcissique) de leurs exploits guerriers et bâtisseurs. Bien que le western classique n'ait jamais été univoque (le cinéma de John Ford ou de Anthony Mann, deux réalisateurs que j'admire en témoigne) et bien que le genre ait été déconstruit depuis bien longtemps, il manquait d'un regard spécifiquement féminin pour l'aborder. Depuis quelques années, c'est chose faite: les femmes s'emparent du genre et livrent leur propre récit de la conquête de l'ouest et des hommes qui l'ont faite. 

"First Cow" est le deuxième western de Kelly Reichardt (après "La Dernière piste"), cinéaste indépendante américaine qui aime dépeindre des marginaux, comme elle l'est elle-même dans le monde du cinéma. Il est intéressant de souligner que dans l'introduction de son film, une jeune femme anonyme contemporaine de nous (qui pourrait être la cinéaste elle-même) déterre deux cadavres dont elle raconte ensuite l'histoire. Une histoire ignorée ou longtemps étouffée par la civilisation dominante. C'est un thème ultra contemporain: "Madres Paralelas", le dernier film à ce jour de Pedro Almodovar procède lui aussi à une exhumation de corps pour raconter une histoire "parallèle" à celle qui a longtemps été officielle. 

Le film de Kelly Reichardt se déroule en Oregon au début du XIX° siècle dans une forêt généreuse et luxuriante traversée par un grand fleuve. Une nature splendide filmée de manière contemplative et sensuelle avec un luxe de détails sur les couleurs, les jeux de lumière, les sons, comme un grand organisme vivant. Le choix d'un format d'image carré à l'ancienne proche du temps du muet (le film, épuré et minimaliste est très peu bavard et possède une intrigue des plus ténues ce qui peut rebuter) ramène à cette idée de paradis originel, à peine égratigné par les nombreux trappeurs qui le sillonnent et la présence du fort. Néanmoins les apparences sont trompeuses: la vie des hommes est primitive, rude et l'arrivée des colons prédateurs en fait une jungle où règne la loi du plus fort. Les deux personnages principaux, "Cookie" surnommé ainsi parce qu'il a une formation de cuisinier et King-lu, un chinois qui rêve de faire fortune nouent une solide amitié mais leur naïveté leur sera fatale. En effet ils s'avèrent inadaptés au monde qui commence à se construire autour d'eux: celui des prémisses du capitalisme, symbolisé par une vache importée par le gouverneur du fort. Cet être vivant dont ils ont besoin pour monter leur entreprise, se retrouve parqué dans un enclos et gardé par des fusils et y toucher signifie la mort. Il est d'ailleurs dommage que Cookie et King-lu se compromettent dans le monde violent et corrompu en train de naître (celui des "winners" et des "losers" dont ils font évidemment partie) au lieu de prendre le large et de se reconstruire ailleurs, autrement. On aurait aimé aussi plus de détails sur les autres peuples fréquentant les lieux et notamment les indiens, retranscrits avec un réalisme qui fait penser au film de Terrence Malick "Le nouveau monde" mais un peu rapidement. Enfin, ce cinéma tout en retrait et en creux manque à la fois de puissance et d'émotion, deux notions que l'on peut dégenrer et qui ne sont pas incompatibles.

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Volare (Tutto il mio folle amore)

Publié le par Rosalie210

Gabriele Salvatores (2019)

Volare (Tutto il mio folle amore)

Merci à Arte d'avoir mis en avant ce film italien en forme de récit picaresque aux images époustouflantes de beauté. Adaptation du livre autobiographique "N'aies pas peur si je t'enlace" de Fulvio Ervas, le film raconte le voyage de Vincent, un adolescent autiste dont l'allure n'est pas sans rappeler celle de Björn Andresen dans "Mort à Venise" avec son père biologique, Willi, chanteur de bal en tournée qui l'avait abandonné avant la naissance. Le périple américain est transposé dans l'ex-Yougoslavie pour des raisons géographiques, historiques et culturelles (la Dalmatie fut longtemps revendiquée par l'Italie avant d'être rattachée à la Croatie). Il n'en est que plus dépaysant, le sud des Balkans étant montré à travers ses espaces désertiques traversés par deux types de nomades: les migrants et les forains. Même si l'histoire n'a rien d'original sur le fond (il s'agit d'un récit initiatique avec au passage la découverte mutuelle entre un père et un fils qui ne se connaissaient pas), le film a beaucoup de charme et dégage une belle énergie au travers des multiples courses (à pied, à cheval, à moto, en voiture, en fourgonnette...) à travers les grands espaces. L'arrière-plan avec la course-poursuite de la mère et du beau-père de Vincent est un peu plus convenu. Je n'ai pu m'empêcher de penser à "Paris-Texas", le chef-d'oeuvre de Wim Wenders dont le canevas est très proche (à ceci près que l'enfant n'est pas autiste). "Volare" n'atteint pas ce niveau mais cela reste un joli film qui dépeint l'autisme d'une manière juste et sensible. Par exemple la scène de l'ordinateur qui permet à Vincent de dialoguer avec son père repose sur une réalité: l'autiste a une mémoire visuelle et s'exprime beaucoup mieux à l'écrit quand il en a la capacité qu'à l'oral (comme le montre aussi très bien le documentaire "Dernières nouvelles du cosmos" sur une autiste qui elle est tout à fait privée de parole et ne s'exprime donc qu'à travers ses poèmes).

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J'ai le droit de vivre (You only live once)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1937)

J'ai le droit de vivre (You only live once)

Jalon de la genèse du film noir américain mais aussi de certains thrillers hitchcockiens ("Le Faux Coupable" reprend Henry Fonda accusé à tort dans sa cage), "J'ai le droit de vivre", le deuxième film américain de Fritz Lang s'inspire librement de l'odyssée de Bonnie et Clyde et possède des qualités inhérentes au savoir faire de ce grand cinéaste (lumières, atmosphère, cadrages, mise en scène) ainsi qu'une interprétation remarquable, notamment de Henry Fonda dans le rôle principal.

Néanmoins, il m'a profondément irrité ce qui ne m'était jamais arrivé jusque-là avec ce réalisateur. En effet il manque de manière flagrante de subtilité dans son scénario.... à moins qu'on ne considère que tout est vu par le prisme de son anti-héros, Eddie dont le film reflète la vision du monde simpliste, paranoïaque et hystérique. Pourquoi pas après tout? Il n'y a en effet pas de place pour la nuance dans le film. Soit on est à 100% avec lui, soit à 100% contre lui (quoique cela revient au même "contre" au sens de "tout contre"). Etre avec Eddie, c'est choix de sa femme Joan qui ressemble moins à une personne réaliste qu'à un prolongement de lui-même, solidaire de lui à la vie à la mort. Affichant dans un premier temps une sorte de bonheur béat digne d'une publicité ménagère complètement déconnectée de la réalité elle se compromet ensuite de plus en plus pour l'aider de manière toujours aussi naïve et finit par partager sa cavale sans issue, le choisissant lui au détriment de leur bébé (dont on se demande comment il a pu naître dans ces conditions mais le film n'est absolument pas réaliste, la mise en plis de Sylvia Sidney ne souffrant d'aucune altération après plusieurs jours de cavale dans les bois et un accouchement sauvage). La seule alternative qu'elle ait imaginé à ce funeste destin étant étant le suicide, c'est dire son degré d'autonomie (il faut dire que l'une des seules fois où elle prend une initiative, ça ne marche pas et il lui tourne le dos ce qu'elle ne supporte pas). A l'extrême inverse (puisqu'il n'y a qu'un gouffre béant entre les deux), on a quasiment tout le reste de la société et l'ensemble des institutions qui s'acharnent sur Eddie parce qu'il est un ex-taulard, le seul d'ailleurs qui semble exister aux USA puisqu'il est reconnu et montré du doigt partout où il passe. L'occupation préférée du citoyen moyen semble être de traquer le voyou et le criminel dans les magazines et les journaux de bas étage ou bien le charger pour couvrir ses propres méfaits alors que la police ne semble servir qu'à lui tirer dessus, la justice le condamne à mort sur la foi d'un seul indice et ainsi de suite. Si bien que quand enfin il est innocenté, il a tellement perdu confiance dans ses interlocuteurs qu'il tire aussitôt sur celui qui lui avait montré le plus d'humanité, un religieux (métaphore à l'appui), fermant la porte à toute possibilité de rédemption, se maudissant ainsi lui-même. Et ce n'est que la dernière (et la plus grave) d'une série de fautes de parcours qui font que Eddie n'est pas du tout la pauvre victime innocente de l'injustice de la société ou de la seule fatalité qu'on pourrait croire au premier abord mais bel et bien l'artisan de sa propre chute, un ancien voyou qui s'est racheté une conduite de surface mais à qui il en faut bien peu pour que ses instincts sauvages les plus profonds reprennent le dessus. Bref un discours d'un pessimisme  absolu sur l'âme humaine (tant dans sa dimension individuelle que collective) pas inintéressant mais auquel je préfère les films tournés en Allemagne ou dans son premier film américain, "Furie". 

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Tricheurs

Publié le par Rosalie210

Barbet Schroeder (1984)

Tricheurs

Barbet Schroeder a beaucoup filmé l'addiction et ce dès son premier long-métrage, "More". Dans "Tricheurs", c'est le jeu qui remplace la drogue comme source de vertige et de perdition. Cela va de pair avec une certaine fascination pour les abysses insondables de l'être humain et pour l'insularité: "Tricheurs" se déroule principalement à Madère et même lorsque le héros voyage, il entoure les pays visités par des cercles sur les cartes. D'ailleurs ce ne sont pas les pays qu'il visite mais leurs casinos et plus précisément leurs roulettes: encore des figures circulaires. Le casino de Madère conçu par l'architecte Oscar Niemeyer a lui-même cette forme, on évoque même à son propos les tentacules d'un poulpe de béton. Enfin, c'est un film qui pour moi lie inextricablement Barbet Schroeder à la Nouvelle Vague dont il a été un des artisans. En effet le plus grand film que je connaisse sur la passion destructrice du jeu est "La Baie des Anges" de Jacques Demy dont "Tricheurs" reprend certains motifs. Celui du couple co-dépendant (sauf que chez Demy la joueuse invétérée est la femme qui entraîne l'homme dans sa spirale infernale alors que chez Barbet Schroeder, c'est à l'inverse l'homme le joueur compulsif qui entraîne la femme avec lui), celui de l'enfermement claustrophobique dans le vice, celui du tentateur qui s'immisce dans le couple, métaphore de la place du jeu dans leur vie, celui des avers et des revers de fortune qui se traduisent par des chambres d'hôtel luxueuses ou miteuses et enfin celui d'une fin ouverte mais ambigüe où on ne sait si le couple s'échappe enfin du cadre qui l'enferme ou bien passe de Charybde en Scylla. Mais le film de Schroeder se focalise moins sur le hasard que sur la triche dont on découvre deux facettes: l'une qui relève du tour de passe-passe et l'autre, plus sophistiquée faisant appel à la technologie. La peur de se faire prendre ajoute encore une dose d'excitation à la pratique en elle-même. Mais pour le reste, la possibilité de gagner par la triche est annihilée par le besoin tout aussi compulsif de perdre (pour pouvoir goûter à nouveau le plaisir de gagner, c'est un cercle vicieux sans fin).

Mais ce qui m'a le plus marqué dans ce film, c'est l'humanité qui s'en dégage, la tendresse palpable vis à vis de personnages névrosés mais que l'on est invité à ne pas juger*, à accepter tels qu'ils sont. En cela je retrouve l'approche d'un John Cassavetes (qui a dépeint aussi le monde du jeu dans "Meurtre d'un Bookmaker chinois" et qui s'y connaissais en addictions). "Tricheurs" dépeint un homme, Elric (Jacques Dutronc) tellement enfermé dans son vice qu'il en est devenu impuissant et asocial (il parle seul, il boîte, il a des pulsions d'automutilation, bref il est bien amoché). Son compère escroc (joué par Kurt Raab, un acteur sorti tout droit de chez Fassbinder) qui semble avoir la fièvre perpétuelle le suit comme une ombre. Seule une femme les sépare: Suzie (Bulle Ogier) qui apporte un peu de rationalité à toute cette folie hallucinogène. Amoureuse de Elric, elle devient sa complice tout en parvenant à modérer ses pulsions les plus autodestructrices. En effet, contrairement à lui, elle n'est pas saisie par le démon du jeu et sait toujours s'arrêter à temps tout comme elle parvient à conserver le contact avec le monde réel. C'est pourquoi je n'ai absolument pas été gênée par le dénouement (jugé amoral) du film car ce que j'en ai retenu, c'est le regard bienveillant de cette femme sur cet homme qui accepte de se mettre à nu devant elle et qui accepte le soutien qu'elle lui apporte. Bref qui accepte tout de même de s'ouvrir quelque peu. D'où la fin ouverte...

* Qualité que j'avais déjà soulignée dans "Amnésia".

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Trente minutes de sursis (The Slender Thread)

Publié le par Rosalie210

Sydney Pollack (1965)

Trente minutes de sursis (The Slender Thread)

Le premier film de Sydney Pollack devait entièrement reposer à l'origine sur le dialogue téléphonique d'un étudiant en médecine exerçant une mission de bénévolat au centre d'aide aux désespérés et d'une mère de famille ayant entrepris de se suicider. Deux genres se superposaient ainsi: un thriller avec le compte à rebours pour localiser la jeune femme et la sauver avant qu'il ne soit trop tard et une romance par téléphone interposé qui aurait été impossible de montrer frontalement en 1965 dans un film hollywoodien classique. On voit ainsi comment "Trente minutes de sursis" a ouvert la voie deux ans plus tard à "Le Lauréat", film-phare du nouvel Hollywood qui allait faire tomber le tabou de la différence d'âge et de statut social avec en plus la même actrice, Anne Bancroft dans le rôle de l'épouse bourgeoise insatisfaite. D'autre part, la relation téléphonique s'avère également être un excellent moyen de contourner la barrière de la couleur de peau dans un pays marqué par un profond racisme et une phobie non moins profonde du métissage. Comme le montre ironiquement Spike Lee dans "BlacKkKklansman", les membres du KKK se font berner par un policier noir parce qu'ils ne parviennent pas à le démasquer au téléphone. Il en est de même évidemment dans "Trente minutes de sursis" où jamais la question raciale ne se pose alors qu'il n'en aurait pas été de même si Alan (Sidney Poitier) et Inga (Anne Bancroft) s'étaient réellement rencontrés.

Cependant Sydney Pollack qui exécutait une commande n'a pas pu réaliser le film qu'il voulait si bien que le film est affaibli par les flashbacks expliquant pourquoi Inga en est arrivé là. Ceux-ci cassent la tension du compte à rebours et du huis-clos alors que de nombreux personnages viennent interférer avec Alan dans la cellule de crise où il était de garde ce qui détruit l'aspect intimiste de la relation qu'il avait pu instaurer avec son interlocutrice.

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