Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #drame tag

Petite Nature

Publié le par Rosalie210

Samuel Theis (2022)

Petite Nature

J'avais bien aimé l'aspect improvisé de "Party Girl" (2013), le précédent film de Samuel THEIS (qu'il n'avait cependant pas réalisé tout seul), la véracité des acteurs et actrices non-professionnels (dont sa mère dans le rôle principal, le rôle étant inspiré de sa vie), leur ancrage dans un territoire (l'Alsace-Moselle) et enfin le primat donné sur les élans de la vie à toute forme de jugement (sans que le réalisateur n'édulcore pour autant le poids d'avoir une mère "pas comme les autres"). "Petite Nature" qui possède les mêmes caractéristiques prolonge d'une certaine manière "Party Girl" sauf que cette fois, le personnage central n'est plus la mère (bien qu'elle occupe une place non négligeable) mais son fils de 10 ans, Johnny, lui aussi "pas comme les autres" (il est assez clair que Samuel Theis s'y raconte à demi-mot). "Petite Nature" est l'histoire d'une séparation qui se fait déchirement: pour pouvoir grandir et trouver sa place dans le monde, Johnny doit quitter sa mère et trahir son milieu social d'origine avec lequel il est totalement désaccordé. Sa rencontre avec un maître d'école menant une vie bourgeoise et cultivée (Antoine REINARTZ) va être l'élément déclencheur de son émancipation. On pense à "En finir avec Eddy Bellegueule" de Edouard Louis qui possède certains traits similaires (le milieu social prolétaire d'origine, le caractère efféminé du protagoniste, l'éveil au désir homosexuel) sauf que Johnny est beaucoup plus jeune, que son attirance pour son mentor s'exprime de façon plus maladroite bien que relevant plus de l'adolescence que de l'enfance* et que sa famille ne le rejette pas. Bien au contraire et de façon assez paradoxale, elle s'appuie sur lui en raison de sa précocité et ce rôle qu'il est trop jeune pour endosser l'écrase tout en faisant réfléchir le spectateur. En effet alors que Johnny grandit dans un milieu de macho surjouant la virilité, les hommes y fuient systématiquement leurs responsabilités puisque la mère élève seule ses trois enfants que l'on devine de trois pères différents, les seuls hommes adultes présents dans la maison étant des amants de passage. Le frère aîné, Dylan suit le même modèle individualiste "courant d'air" si bien que la mère doit assumer le rôle paternel (elle travaille et se comporte de façon quelque peu "caillera de cité") alors que Johnny assure le rôle maternel auprès de sa petite soeur dont il semble être le seul à s'occuper. On comprend d'autant mieux sa fascination pour le maître qui représente à la fois un père de substitution et l'attirance pour l'inconnu (un très beau plan le montre avec le haut de son visage noyé dans l'ombre superposé sur une image projetée sur un mur du centre Pompidou de Metz). Les acteurs sont remarquables, surtout les non-professionnels. Le jeune Aliocha Reinert crève l'écran par son charisme et son jeu habité.

* On peut se demander d'ailleurs s'il n'aurait pas été plus judicieux d'attendre 3 ans de plus pour que Aliocha Reinert soit adolescent afin que les émois que le réalisateur revit à travers lui correspondent à son âge dans le film (aucun enfant de CM2 n'a des comportements aussi sexualisés en dehors de ceux qui ont été abusés).

Voir les commentaires

Un fils du sud (Son of the South)

Publié le par Rosalie210

Barry Alexander Brown (2022)

Un fils du sud (Son of the South)

"Un fils du sud" est l'adaptation de l'autobiographie de Bob Zellner par le monteur de la plupart des films de Spike LEE, Barry Alexander BROWN. Spike Lee a d'ailleurs co-produit le film.

Bob Zellner est un militant américain des droits civiques né en 1939 en Alabama d'une famille d'origine allemande dont la plupart ont été membres du Ku Klux Klan. Néanmoins si son grand-père est montré comme un homme particulièrement radicalisé, son père, pasteur méthodiste a rompu avec le Klan. Bob Zellner qui était étudiant au début des années 60 découvre rapidement que l'inaction est une position intenable revenant à cautionner le système inique mis en place par le KKK et va donc cependant beaucoup plus loin en devenant le premier blanc à occuper le poste de secrétaire du SNCC (le comité de coordination non-violent des étudiants, un des principaux organismes du mouvement afro-américain pour les droits civiques). On le voit également à de multiples reprises transgresser les lois du Klan, la ségrégation étant montrée comme une idéologie clanique imposée aux Etats du sud par une organisation toute-puissante pratiquant la terreur et bénéficiant de nombreuses complicités dans les autorités locales et la police, favorisée alors par la non-implication de l'Etat fédéral). Outre sa rencontre avec des figures très connues du mouvement militant pour les droits civiques comme Rosa Parks, on en apprend beaucoup sur les Freedom rides, ces convois mixtes qui traversaient les Etats sudistes ségrégationnistes et dont les militants étaient soumis aux pires violences de la part de suprémacistes blancs enragés. On voit également comment la tactique de la non-violence pratiquée par les militants (et fruit d'un réel entraînement, la nature humaine n'étant pas faite pour supporter les agressions sans réagir) s'avère payante en renvoyant la violence du côté des bourreaux. Bob dont la vie est bouleversée par son engagement (il est exclu de l'université, sa petite amie le quitte) doit affronter à plusieurs reprises les membres de sa communauté qui l'accusent de trahison alors qu'il est accueilli dans un premier temps avec beaucoup de défiance par la communauté noire, leurs organisations étant infiltrées par des espions à la solde du Klan.

Dommage qu'un sujet aussi intéressant soit traité de manière aussi plate d'autant que le film souffre également d'une interprétation au rabais. L'acteur qui joue Bob Zellner (Lucas TILL, nouveau visage de Mac Gyver dans le reboot de la série culte des années 80 et qui s'est également illustré dans des X-Men) est aussi expressif qu'une brique et aurait tout à fait pu figurer au casting des jeunes acteurs-mannequins interchangeables de "Mort sur le Nil" (2019).

Voir les commentaires

Les Longs adieux (Dolguie provody)

Publié le par Rosalie210

Kira Mouratova (1971)

Les Longs adieux (Dolguie provody)

"Je me souviens dans un film, j'ai eu des sensations vraiment fortes de ce que c'est que toucher. C'étaient deux mains qui caressaient un chien. Les mains se frôlaient. celle du garçon n'osaient pas toucher celles de la fille. Et les poils du chien... ça faisait une impression... très érotique, je crois."

"C'était quel film?"

"Les longs adieux de Kira Mouratova."

"Akira, un japonais?"

"Non, Kira. Kira Mouratova. Une ukrainienne. J'adore ses films. C'est rare les films où on a l'impression que les choses existent à ce point, jusqu'à en sentir les caresses."

(Kira Mouratova par Jean-Paul Civeyrac, Blow Up, Arte, 2019 à l'occasion de la rétrospective consacrée à la cinéaste décédée en 2018 par la Cinémathèque).

Kira Mouratova, dont le second métrage, "Les Longs adieux" est disponible en ce moment sur la plateforme Henri de la Cinémathèque jusqu'au 5 avril 2022 a une identité complexe puisqu'elle est née en 1934 d'un père russe et d'une mère roumaine en Bessarabie, une région qui était alors roumaine (elle est aujourd'hui moldave). Mais elle a réalisé presque tous ses films dans le studio d'Odessa où elle a vécu jusqu'à sa mort ce qui l'a conduite à affirmer après la dislocation de l'URSS son identité ukrainienne, réaffirmée en 2014 lors de l'annexion de la Crimée. Durant toute sa carrière, elle a refusé de servir les intérêts de la propagande soviétique ce qui l'a exposée à la censure. Ainsi "Les Longs adieux" dont le ton contemplatif et mélancolique ne pouvait être utilisé pour galvaniser les foules est resté invisible jusqu'en 1987, date à laquelle il a été redécouvert durant la Perestroïka.

"Les Longs adieux" relate la relation tourmentée entre une mère divorcée possessive et immature et son fils adolescent mal dans sa peau. "Ni avec toi, ni sans toi" pourrait-on l'intituler tant le film ressemble à une valse-hésitation entre cette mère incapable de couper le cordon au point de ne pouvoir refaire sa vie et son fils qu'elle étouffe, qu'elle empêche de grandir et qui a bien du mal à trouver la bonne distance pour pouvoir exister par lui-même, ce que le film montre de façon éclatante au travers de l'éloignement et du rapprochement de leurs corps mais aussi de leur relation vis à vis d'autres corps. Car Sacha est attiré par les filles de son âge et son bouillonnement hormonal se traduit par des scènes extrêmement sensuelles (celle du chien mais aussi celle du ruban dans les cheveux). Il envisage également de partir vivre avec son père qui apparaît cependant comme bien trop lointain pour pouvoir l'arracher à sa mère à laquelle il reste scotché. De son côté, les velléités de séduction de celle-ci auprès d'hommes de son âge sont étouffées par l'obsession de perdre l'emprise qu'elle a sur son fils ce qui la conduit à adopter des comportements de harcèlement. La scène la plus impressionnante de ce point de vue est celle où à force d'insistance auprès d'une guichetière, elle parvient à subtiliser et à ouvrir le courrier envoyé par son ex-mari à Sacha en dépit de la précaution qu'a pris ce dernier d'utiliser la poste restante. Guichetière qui est enceinte ce qui expliquer sans doute qu'elle ne parvienne pas à résister à la pression maternelle, plus forte que la Loi des pères semble nous dire la cinéaste. Pas vraiment raccord avec l'idéologie soviétique, égalitaire de façade et patriarcale en profondeur dans laquelle les mères devaient enfanter une armée de travailleurs et de soldats pour la gloire du régime.

Voir les commentaires

Les Amants passionnés (The Passionate Friends)

Publié le par Rosalie210

David Lean (1949)

Les Amants passionnés (The Passionate Friends)

On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, autrement dit la romance passionnelle et la sécurité matérielle et affective. Faute de parvenir à choisir, Mary Justin (Ann TODD) se retrouve écartelée entre son mari (Claude RAINS) et son amant (Trevor HOWARD) qu'elle connaît depuis sa prime jeunesse, auquel elle a renoncé mais qu'elle ne peut oublier. Et quand elle espère enfin avoir tourné la page, le destin s'en mêle et c'est reparti pour un tour! Les flashbacks enchâssés n'aident pas le spectateur à s'y retrouver (l'apparence des personnages ne change pas d'un iota malgré le temps écoulé sans parler de quelques projections fantasmatiques qui viennent rendre le scénario encore plus confus) et on peut être agacé par ce personnage de femme qui ne veut prendre aucun risque dans la vie et refuse de s'engager auprès des deux hommes qui l'aiment (à celui auquel elle offre son coeur elle refuse de partager sa vie et à celui qu'elle épouse, elle refuse son coeur). Néanmoins, Ann Todd offre une prestation suffisamment douloureuse pour parvenir à émouvoir. Quant à Claude Rains, il est impérial dans le rôle complexe d'un homme froid en apparence mais bouillonnant à l'intérieur et capable de beaucoup plus d'humanité qu'on ne l'imagine. David LEAN, le spécialiste des histoires d'amours impossibles qui adapte un roman de H.G. Wells ne parvient pas à se hisser au niveau de son magnifique "Brève rencontre" (1945) réalisé quatre ans plus tôt (ce qui explique à mon avis la moindre notoriété de ces amants passionnés), néanmoins il évoque les affres de la passion, de l'indécision, de la jalousie, des regrets avec beaucoup de subtilité. Les scènes avec Steven se déroulent volontairement dans des grands espaces naturels magnifiant leur amour (lac, sommet enneigé de montagne) ou bien dans des intérieurs aux baies vitrées donnant sur une vue splendide alors que Howard doit se contenter de voir sa femme dans le cadre étriqué de son bureau.

Voir les commentaires

Roma

Publié le par Rosalie210

Alfonso Cuaron (2018)

Roma

"Roma", titre trompeur n'a aucun rapport avec la capitale de l'Italie. Il s'agit du quartier de Mexico où a grandi Alfonso CUARÓN qui restitue donc une partie de son enfance avec une beauté et une inventivité qui forcent l'admiration. Sous ses allures de simple chronique familiale, le film ne cesse en effet de gagner en intensité au fil des minutes pour aboutir à un final bouleversant. Final qui répond d'ailleurs à un générique particulièrement génial qui sous sa simplicité apparente est d'une grande richesse. Le plan-séquence montre en plongée un sol dallé et mouillé et on entend en hors-champ que celui-ci est en train d'être lavé à grande eau ce qui introduit sous forme métaphorique le paradoxe d'un personnage principal invisible car triplement discriminé: en tant que femme, domestique et d'origine indigène. Parallèlement le flux et le reflux de l'eau savonneuse fait penser à l'immensité de la mer où se dénoue l'intrigue du film mais s'oppose aussi en tous points à la fixité et la géométrie du sol de même qu'elle reflète le ciel dans lequel passe un avion: on a donc la juxtaposition de trois des quatre éléments de l'univers (le feu surgira plus tard dans le film) et de pôles contraires, terre/ciel, propre/sale, mouvement/fixité. Des pôles qui seront ensuite développés.

Dans "Roma", ce n'est pas en effet le cinéaste qui est au centre de l'histoire mais la domestique de la maison où il a grandi, Cléo dont on suit la vie quotidienne. Résidant dans la maison de ses employeurs, elle est considérée comme en faisant partie intégrante. On le voit à plusieurs reprises: quand Sofia la maîtresse de maison apprend la grossesse de Cléo et qu'elle l'emmène à l'hôpital se faire examiner, quand elle la prend avec eux en vacances ou encore quand la mère de Sofia va dans un grand magasin acheter un berceau pour le bébé à naître. Par ailleurs Cléo aime les enfants de Sofia comme s'ils étaient les siens ce que la scène finale prouve de façon éclatante. Néanmoins, la distance sociale se fait sentir à travers le fait que Cléo réside dans un logement à part avec une autre domestique, qu'on leur rationne l'électricité mais surtout par le fait que lorsque Sofia est émotionnellement débordée, elle a tendance à passer ses nerfs sur elle.

Malgré cela, la véritable fracture est surtout entre les femmes et les hommes. Alors que les femmes sont montrées comme solidaires, manifestant une sororité qui dépasse parfois les clivages ethniques et sociaux, les hommes sont à l'inverse absents ou menaçants. La présentation du mari de Sofia est volontairement inhumaine puisque la mise en scène l'efface au profit de sa voiture qui a bien du mal à s'encastrer dans la maison. Ce mari ectoplasmique qui n'existe qu'au travers de ses machines finira par disparaître tout à fait du paysage. Outre les difficultés de la voiture à entrer au garage, le dysfonctionnement de cette famille se traduit par le fait qu'en dépit des domestiques, le désordre et la saleté règnent dans leur grande et belle maison et lorsque quelque chose est cassé, il n'est pas réparé. Quant à l'amant de Cléo, présenté dans un premier temps comme plutôt sympathique, il s'avère d'abord lâche, puis odieux puis enfin dangereux. La scène où on le voit s'entraîner avec d'autres camarades aux arts martiaux a des relents néo-fascistes qui ne laissent aucun doute sur sa véritable nature de tueur*. Et au cas où on n'aurait pas compris, tous les combattants se figent dans une posture statuaire pendant que l'avion du générique traverse de nouveau le ciel.

Car l'un des thèmes majeurs qui traverse le film est celui de la vie et de la mort. Ce clivage ne traverse pas seulement les femmes et les hommes. Il touche Cléo au travers de son rapport paradoxal à la maternité**. Là encore, la mise en scène à l'intérieur des plans joue un rôle essentiel. Une scène de tremblement de terre dans une maternité se termine par un présage funeste. Une scène au premier plan d'accouchement se transforme à l'arrière-plan en cérémonie funèbre. Une scène de noyade se transforme en scène de sauvetage et de renaissance par un travelling qui les relie intimement. Si les enfants sont abandonnés voire reniés par leurs géniteurs, ils sont protégés par leurs mères, qu'elle soit biologique ou non. C'est donc un message d'amour à celles qui l'ont élevé et plus particulièrement à la plus humble d'entre elles que Alfonso CUARÓN dédie le film.

Ajoutons que "Roma" a fait sensation en étant le premier film produit par Netflix a avoir été primé. Bien sûr, un film aussi abouti aurait mérité de sortir en salles. Mais sans Netflix, il n'aurait tout simplement pas existé. Quel producteur américain mainstream aurait pris le risque de financer un film en noir et blanc en langue espagnole et indigène?

* La scène nous prépare à découvrir son rôle actif pendant le massacre de Corpus Christi en 1971, une journée durant lequel plus de cent étudiants qui manifestaient en faveur de la démocratisation du pays furent massacrés par des paramilitaires au service de l'Etat mexicain et formés par la CIA.

** Un thème qui semble particulièrement lui tenir à coeur, sauf qu'il l'avait jusque là traité dans des films de science-fiction (le futur) et non dans une chronique historico-biographique (le passé).

Voir les commentaires

Des hommes

Publié le par Rosalie210

Lucas Belvaux (2020)

Des hommes

Les films français (ou comme ici franco-belge) traitant de la sale guerre d'Algérie sont plus nombreux qu'on ne le pense mais beaucoup ont traité la question de façon allusive ou indirecte (notamment dans les films de la nouvelle vague contemporains des "événements", je pense à "Le Petit soldat" (1960), "Cléo de 5 à 7" (1961), "Les Parapluies de Cherbourg" (1964), "Muriel ou le temps d un retour" (1962), "Adieu Philippine" (1963). Il existe également un certain nombre de documentaires assez remarquables. En revanche les films de fiction récents sont peu nombreux ("L Ennemi intime" (2007), "Hors La Loi") (2010) et se situent à l'époque des événements. Bien peu à ma connaissance évoquent les conséquences à long terme de cette guerre qui n'a pas voulu dire son nom jusqu'en 1999 alors qu'elle pèse de tout son poids sur notre société post-coloniale qui fait cohabiter soixante ans après d'anciens appelés, pieds-noirs, harkis, indépendantistes et toute leur descendance (thème qui imprègne par exemple "Parlez-moi de la pluie") (2007). C'est donc tout l'intérêt de "Des hommes", l'adaptation cinématographique du roman de Laurent Mauvignier que de faire des allers-retours spatio-temporels et d'offrir une pluralité de points de vue pour montrer comment un passé non digéré continue à faire des ravages dans le présent.

Malheureusement, Lucas BELVAUX n'est pas Alain RESNAIS. Ce dernier pouvait manier des dispositifs narratifs aussi complexes que celui de "Hiroshima mon amour" (1958) qui m'a fait penser à "Des hommes". Mais Lucas Belvaux ne maîtrise pas aussi bien la polyphonie et le patchwork. En résulte un film assez confus dont les pièces et les morceaux ne s'ajustent pas bien. Si le début est assez saisissant avec la métaphore du monstre (incarné par le Gargantua Gérard DEPARDIEU) qui incarne toute la mauvaise conscience "d'un village français", la suite est nettement plus laborieuse avec des personnages d'appelés que l'on a du mal à distinguer les uns des autres, des destins trop vite laissés de côté et un Jean-Pierre DARROUSSIN plus ectoplasmique que véritablement douloureux tout comme sa cousine Solange (Catherine FROT). Le film ne tranche pas assez dans le vif. Il aurait gagné à se concentrer davantage sur l'histoire familiale de Bernard et à développer le présent tant l'écart de talent est grand entre les acteurs expérimentés nommés ci-dessus et leurs avatars censés les incarner jeunes.

Voir les commentaires

Mademoiselle de Joncquières

Publié le par Rosalie210

Emmanuel Mouret (2018)

Mademoiselle de Joncquières

Ma première incursion dans la filmographie de Emmanuel MOURET aurait pu être plus précoce. En effet "Les Dames du bois de Boulogne" (1944) de Robert BRESSON est l'un de mes films préférés et je ne me lasserai jamais de l'histoire qui sert de support originel à l'adaptation de Bresson comme à celle de Mouret à savoir l'épisode de Mme de la Pommeraye dans Jacques le Fataliste de Denis Diderot. Seulement, je n'ai compris que récemment de quoi parlait "Mademoiselle de Joncquières"* ce qui m'a conduit à me jeter sur un film que j'aurais pu voir déjà à plusieurs reprises. Si la version de Bresson se démarque par le jeu intense de la tragédienne Maria CASARÈS dans le rôle de la femme blessée et vengeresse ainsi que par une fin touchée par la grâce, celle de Mouret, très fidèle à l'histoire initiale, est tout aussi puissante mais pour des raisons différentes. En effet, elle conte l'histoire d'une métamorphose, celle du marquis des Arcis. Le choix de Edouard BAER pour l'incarner relève d'ailleurs du génie tant ce rôle lui va comme un gant. On a beaucoup comparé "Mademoiselle de Joncquières" à "Les Liaisons dangereuses" (1988) mais c'est un contresens. Choderlos de Laclos avait transposé la stratégie militaire dans le domaine amoureux si bien que chez Valmont, il n'était question que de conquête, de siège et d'assaut ce qui l'entraînait jusqu'à la guerre totale avec Mme de Merteuil, aboutissant à leur anéantissement réciproque. Des Arcis est au contraire un rêveur immature, courant après des désirs voués à disparaître aussitôt satisfaits, dont les femmes se jouent plus qu'il ne se joue d'elles et qui m'a fait penser à Antoine Doinel et à son double, François TRUFFAUT "l'homme qui rêvait les femmes" ^^. Toute la fantasmagorie du marquis autour de la pureté supposée de Mademoiselle de Joncquières a suscité chez moi des réminiscences de Fabienne Tabard que Antoine Doinel voyait comme une nouvelle Henriette de Mortsauf (l'héroïne de "Le lys dans la vallée" de Honoré de Balzac) avant que celle-ci ne le réveille brutalement en lui mettant les points sur les i quant à sa nature charnelle, loin de l'"apparition" éthérée qu'il s'était imaginé. Chez le naïf marquis aussi, le réveil est brutal lorsqu'il découvre que la prétendue sainte pour laquelle il se meurt de désir faute de ne pouvoir la posséder et qu'il a donc épousé est en réalité une ancienne prostituée, dupé par une ex résolue à le détruire socialement. Cela l'oblige à faire un choix: muer ou disparaître. En choisissant la première solution, il franchit le Rubicon entre archaïsme et modernité. Il devient en effet un homme capable d'aimer une femme réelle et entière, avec son passé ce qui est une façon de reconnaître une forme d'égalité avec lui-même qui s'est conduit en libertin. La vengeance de Mme de Pommeraye transformée en éducation sentimentale n'est certainement pas un acte d'amour de celle-ci, c'est la part irréductible de liberté en chaque personnage qui fait dévier la flèche qu'elle a lancé de son but initial. Bien que jouée plus légèrement par Cécile de FRANCE que par Maria CASARÈS, elle reste cette femme manipulatrice qui semble prendre plaisir à tirer les ficelles de son petit jeu cruel mais qui est en réalité rongée par une souffrance et une amertume que les pieux mensonges de son amie (Laure CALAMY) ne parviennent pas à duper. Les expressions du visage de Cécile de FRANCE captées par Emmanuel MOURET, en contradiction flagrante avec ses paroles (l'une des raisons avec le maniement d'une langue française châtiée qui ont amené la critique à comparer Emmanuel Mouret avec Éric ROHMER) ne laissent aucun doute là-dessus.

* Chez Diderot, elle s'appelle mademoiselle d'Aisnon et chez Bresson qui a situé l'histoire dans un contexte qui lui était contemporain (sans doute faute de moyens pour une reconstitution historique, le film datant de 1945), Agnès.

Voir les commentaires

Rosenstrasse

Publié le par Rosalie210

Margarethe von Trotta (2003)

Rosenstrasse

Film historique peu connu en France évoquant un épisode de la guerre lui-même peu connu, "Rosenstrasse" ("La rue des roses" en français) est construit sur des va et vient entre passé et présent. Hannah, la fille de Ruth, une survivante de la Shoah installée à New-York veut comprendre pourquoi sa mère s'oppose à son mariage avec Luis, un latino-américain et pourquoi elle refuse de lui parler de son passé. Elle découvre par une relation familiale l'existence d'une femme, Lena Fischer, issue d'une famille d'aristocrates allemands qui jadis, sauva Ruth à Berlin lorsqu'elle était enfant en se battant au côté de centaines d'autres femmes aryennes pour faire libérer leurs maris juifs qui avaient été arrêtés par la Gestapo en 1943 et étaient parqués dans un immeuble de la Rosenstrasse dans l'attente de leur déportation.

Si le film est un peu inégal (la partie historique est bien plus intéressante que celle du présent, plutôt convenue et peu approfondie), il révèle une nouvelle facette de la résistance interne au troisième Reich tout en soulignant combien celui-ci n'était pas infaillible en dépit de sa brutalité. En effet pour pouvoir agir à l'extérieur en déployant toute son efficacité, le régime avait besoin d'une cohésion interne qu'il obtenait par la propagande, la terreur mais aussi l'adhésion à l'idéologie impliquant l'anéantissement des populations considérées comme exogènes à la communauté de sang allemand, à commencer par les juifs, bouc-émissaire (ou "ennemi imaginaire") absolu du régime. Or en 1943 le front extérieur se lézarde sérieusement avec la défaite de Stalingrad qui signe le début de la fin du troisième Reich. Et le front intérieur menace de rompre lui aussi. D'une part parce que le fossé entre la propagande de l'invincibilité et la réalité de la défaite doublée d'une boucherie fauchant toute la jeunesse allemande ne pouvait plus être totalement occultée. Et de l'autre parce que les lois de Nuremberg de 1935 qui avaient interdit les mariages entre juifs et aryens afin de souder la communauté allemande soi-disant "de race supérieure" contre le judéo-bolchévisme se heurtait à des décennies d'intégration et d'assimilation des juifs au reste de la société allemande se traduisant par de nombreux "mischehen" (mariages mixtes) et enfants "mischlinge" (métis), un tissu social qu'il n'était pas possible de défaire ou de détruire du jour au lendemain. Le film montre tout l'éventail de pressions menées par les autorités du III° Reich sur les conjoints aryens pour obtenir qu'ils divorcent: persécutions (les aryens devaient partager le sort de leur conjoint juif s'ils voulaient rester avec lui c'est à dire perdre leur travail et leurs biens, vivre dans les résidences réservées aux juifs etc.), insultes, intimidations, menaces etc. Le film montre également que les femmes résistèrent mieux que les hommes qui souvent, abandonnèrent leur conjointe juive et leurs enfants métis comme ce fut le cas du père de Ruth, les condamnant ainsi à la mort. En revanche l'exemple de la Rosenstrasse montre que les autorités nazies se sentirent obligées de reculer lorsqu'elle ne purent dissoudre ces liens qui menaçaient de révéler au grand jour leur entreprise d'extermination et provoquer des remous dans toute la société. Preuve qu'en dépit de l'extrême brutalité du régime, celui-ci avait peur de l'opinion, aussi muselée fut-elle, les femmes de la Rosenstrasse obtinrent satisfaction et 98% des juifs allemands qui survécurent à la guerre furent protégés par un conjoint aryen. C'est la preuve éclatante que même face au pire, il était encore possible d'agir et d'infléchir le destin. Margarethe von Trotta rend ainsi hommage au courage et à la détermination de ces femmes que la puissance de leurs liens affectifs transformèrent  en héroïnes alors qu'elle souligne parallèlement la lâcheté de nombreux hommes que ce soit le père de Ruth ou celui de Lena. Mais pas tous: le frère de Lena rescapé mutilé de Stalingrad (et donc "déradicalisé") est de son côté tandis qu'un père juif vient se jeter dans la gueule du loup pour aider sa fille, arrêtée avant lui tandis que sa femme aryenne reste de l'autre côté de la barrière.

Voir les commentaires

Mort sur le Nil (Death on the Nile)

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (2022)

Mort sur le Nil (Death on the Nile)

Dans sa précédente adaptation d'Agatha Christie, "Le Crime de l'Orient-Express", un prologue et un épilogue montraient un Hercule Poirot obsessionnel, perfectionniste, amoureux de la symétrie qui allait devoir pourtant apprendre à vivre avec l'imperfection et le déséquilibre (en résumé avec la vie*). "Mort sur le Nil" qui constitue une sorte de suite implicite du moins sur un plan intimiste est également construit sur un prologue et un épilogue qui se répondent. Le prologue explique dans quelles circonstances historiques dramatiques Hercule Poirot s'est fabriqué un masque (tant en ce qui concerne son apparence que sa persona) alors qu'à l'inverse dans l'épilogue, la découverte du blues, parfait reflet de son être profond l'amène à montrer son vrai visage et donc à commettre un acte iconoclaste. La version de Kenneth Branagh est en effet beaucoup plus sombre et mélancolique que celle, plus légère et ludique de John Guillermin. Plus humaine aussi. Derrière le théâtre convenu se déroulant à bord du bateau (une scène de crime idéale, comme celle du train) le film rappelle que Kenneth Branagh est issu de la Royal Shakespeare Company et non du théâtre de boulevard. Autrement dit, celui-ci nous invite au travers de l'amplitude de sa mise en scène à prendre de la hauteur ou au contraire à plonger dans les profondeurs ou encore à contempler au travers de verrières biseautées. Objectif? Montrer ce qui se cache derrière le "beau mariage" qui sert de vitrine officielle à la croisière privée cinq étoiles à savoir un réseau grouillant de désirs et de passions souterraines non conformes voire monstrueuses aux yeux de la société de l'époque mais qui tôt ou tard remontent à la surface, comme le vrai visage de Poirot.

Un mot sur le travail de modernisation par rapport au livre et à l'adaptation de 1978. Côté casting, Kenneth Branagh a pris le contrepied du parti pris du film de John Guillermin que Olivier Père avait qualifié de "pavillon de gériatrie" ^^ en mêlant à quelques vétérans (comme Annette Bening) des acteurs jeunes ayant percé dans des films ou des séries appréciés du public du même âge (Gal Gadot, Emma Mackey, Letitia Wright, Armie Hammer). S'ils sont pour la plupart insipides et font regretter notamment Mia Farrow, Angela Lansbury et Maggie Smith, en revanche le choix de rendre explicite des thématiques qui ne l'étaient pas à l'époque où écrivait Agatha Christie me semble parfaitement pertinent. Même un film aussi illustratif que celui de Guillermin montre par exemple que Bowers est très masculine presque à la limite du travestissement ou que Salomé Otterbourne est une marginale (mais pas dans le même genre encore que l'ancienne et la nouvelle partagent le même turban). Enfin le choix de tourner les scènes d'extérieur en numérique n'est pas un problème, bien au contraire, il fait ressortir l'aspect factice des voyages des classes aisées dans l'entre-deux-guerres, celles-ci transposant leurs salons mondains dans des décors exotiques tout en leur tournant le dos (les scènes d'extérieur, assez rares sont tout à fait dans le ton des clichés coloniaux).

* Comme Sherlock Holmes, Hercule Poirot ne peut pas traverser le temps en restant éternellement déconnecté du reste de l'humanité. Ce genre de personnage de super-cerveau complètement désincarné ne fonctionne plus. Kenneth Branagh l'a donc fait entrer dans la vie et dans l'histoire, la petite et la grande.

Voir les commentaires

La Princesse de Montpensier

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (2010)

La Princesse de Montpensier

Bertrand Tavernier a souvent excellé dans le genre du film historique en réussissant à y insuffler la vie (... et rien d'autre). Cependant, je suis plus partagée sur "La Princesse de Montpensier" que je trouve inégal. Je n'ai pas lu la nouvelle de Mme de La Fayette (je n'en connaissais d'ailleurs pas l'existence avant la sortie du film) mais soit elle ne fournit pas assez de matière pour tenir la route sur la durée d'un long-métrage, soit Bertrand Tavernier et son scénariste n'ont pas su en tirer le meilleur parti. L'histoire tient tout entière sur un paradoxe: une femme a le pouvoir de faire tourner la tête de tous les hommes qu'elle croise (un peu comme le miel et les abeilles ^^) alors qu'elle n'a pourtant comme toutes les femmes de son époque et de sa condition aucune prise sur sa propre vie. Dans la société patriarcale où elle vit, c'est son père, puis son mari qui décident de tout pour elle, la traitant comme un pion sur un échiquier. Plus profondément encore, cette femme découvre qu'elle est incapable de déchiffrer son propre coeur, découvrant trop tard que celui qu'elle croyait aimer n'était pas digne d'elle et qu'elle est passé à côté de celui qui l'aurait le plus mérité. 

Sur le papier, cette intrigue est très intéressante d'autant qu'elle se greffe sur la période troublée des guerres de religion et que la reconstitution historique (comme toujours chez Bertrand Tavernier) est particulièrement soignée avec une recherche du détail véridique qui tend à donner un caractère presque documentaire à l'époque ainsi recréée. Mais il n'en reste pas moins que le film souffre de trous d'air à répétition. La faute avant tout à une interprétation inégale. Si Lambert Wilson, excellent, se taille la part du lion avec un personnage tragique de proscrit, vétéran traumatisé par les horreurs de la guerre (quelque chose que semble éprouver intimement Bertrand Tavernier qui en a fait la chair et le sang de ses meilleurs films) et ami dévoué souffrant en silence d'éprouver un amour non payé de retour, ses concurrents n'ont aucune consistance. Gaspard Ulliel qui dans d'autres films est très bon semble faire tapisserie (on est loin du personnage séducteur et cruel qu'il est censé incarner, Henri de Guise). Raphaël Personnaz ne m'a pas paru incarner un futur Henri III crédible. Mais le pire de tous est Grégoire Leprince-Ringuet, acteur (?) complètement figé qui ne parvient pas à faire exister son personnage de mari jaloux et possessif. Le film s'en trouve forcément déséquilibré d'autant que Mélanie Thierry a beau être très jolie, elle m'a parue elle aussi bien trop lisse. Comme son histoire recoupe celle de Marguerite de Valois, promise à un moment donné à Henri de Guise, des images de "La Reine Margot" m'ont alors traversé l'esprit et j'ai pensé tout à coup à ce que le film aurait été si Isabelle Adjani jeune avait interprété le rôle.

Voir les commentaires