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Articles avec #drame tag

M le Maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1931)

M le Maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder)

M Le Maudit est à la fois l'instantané d'une société dont Lang prophétise le basculement imminent dans le nazisme et un film qui analyse l'être humain dans toute sa complexité. D'un côté les institutions légales sont mises à mal par leur incapacité à capturer le criminel. Elles finissent par se faire doubler par une société parallèle clandestine venue des bas-fonds, celle de la pègre tout aussi organisée et dont les méthodes musclées sont couronnées de succès. Comment ne pas voir dans ce parallélisme (souligné par le montage alterné) un reflet de la faiblesse de la République de Weimar minée par la crise et menacée par la montée des extrêmes? Le chef de la pègre Stränker a d'ailleurs l'allure d'un milicien SA ou SS. Les signes de la crise sont partout: les bureaux éventrés, les usines désaffectées, le poids de la pègre, les inégalités sociales qui se creusent (la mère de la petite Elsie victime du meurtrier ne peut pas aller la chercher à l'école) et enfin la montée de la violence populaire.

Parallèlement Lang analyse en effet le mal à l'échelle d'un individu et d'une foule. Il choisit un pédophile comme personnage principal, l'une des formes de criminalité qui déchaîne les plus bas instincts. Son but est de montrer le populisme dans ce qu'il a de plus abject: la chasse à l'homme, le lynchage, la délation. L'humanité du meurtrier est niée "Nous devons le traiter comme un chien enragé, écrasez-le!" "Tuez la bête" révélant que cette bête est tapie en chacun de nous et qu'au lieu de la reconnaître, on la rejette sur un autrui qui sert de bouc-émissaire. Belle analyse au passage de l'idéologie nazie (une purification ethnique au détriment d'un peuple jugé porteur de tous les maux). Le meurtrier s'avère être en effet également une victime de lui-même autant que de ceux qui le traquent, un malade schizophrène démuni face à des actes qu'il n'arrive pas à contrôler. Les signes abondent d'ailleurs en ce sens (la figure spiralaire hypnotique en image et en musique avec l'air de Grieg, la figure phallique avec la flèche qui monte et descend...) Comme le dit son avocat une société civilisée doit soigner un tel homme et non le livrer au bourreau. Car traiter le mal par la vengeance ne fait que le faire grandir.

Premier film parlant de Fritz Lang, M n'en est pas moins fortement marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première séquence du film est un modèle en la matière avec les images signifiant la mort de la petite fille (images de lieux vides et d'objets abandonnés) ou la célèbre scène de la colonne Morris avec l'ombre du tueur qui couvre puis révèle le mot "meurtrier". De même le jeu de Peter Lorre est très corporel et poussé à l'extrême.

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L'Enfant sauvage

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1970)

L'Enfant sauvage

Inspiré d'une histoire vraie, le film de Truffaut n'en est pas moins très personnel. Le fait qu'il soit dédié à Jean-Pierre Léaud et en noir et blanc le situe dans la lignée des 400 coups. Sauf que Truffaut se met en scène lui-même dans le rôle de l'éducateur d'un enfant différent au lieu de seulement s'identifier à cet enfant et de rester hors-champ comme il le faisait jusque là. Comme Antoine Doinel (et comme Truffaut lui-même) Victor est un enfant non désiré. Encombrant au point d'avoir été abandonné dans la forêt après avoir été laissé pour mort. Il a été privé d'éducation, de socialisation et d'affection pendant de nombreuses années. Les 10 premières minutes du film montrent le "résultat" de ce traitement: un enfant réduit à l'état animal (tour à tour singe, chat, oiseau, renard, serpent...) qui grogne et marche à 4 pattes mais dont certains comportements évoquent également l'humain autiste (les balancements). Volontairement, Truffaut montre que la rencontre de Victor et du monde humain s'effectue d'abord dans le chaos, la violence et le rejet. La bande-son n'offre pas de sons articulés au contraire elle est saturée par les aboiements des chiens lancés à ses trousses alors que le langage utilisé par les chasseurs (le patois) est incompréhensible pour le spectateur. Plus tard, Victor échoue dans un institut de sourds et muets où ces enfants déshérités s'acharnent sur lui car ils ont trouvé encore plus misérable qu'eux. Quant aux adultes, ils l'exhibent comme un phénomène de foire. Seul un paysan empathique montre de la compassion pour l'enfant qui en retour se laisse approcher et humaniser (la scène symbolique où il lui lave la figure). Ce paysan préfigure à un degré primitif le docteur Itard.

L'apparition du docteur Itard marque l'irruption de la culture et du langage articulé dans ce monde inintelligible. Il révèle également le regard empathique et le désir de communication (voire de réparation) que Truffaut porte en lui vis à vis de l'altérité blessée. Seul contre tous, il affirme que l'enfant n'est pas idiot et peut être éduqué. Le reste du film montre les étapes de cette difficile et incertaine éducation, présentée comme un accouchement (elle dure 9 mois!) qui si elle n'atteint pas son objectif premier (permettre à l'enfant de parler) réussit quand même à l'humaniser. Un lien affectif se créé entre l'enfant et ses parents de substitution (le docteur Itard et sa gouvernante), il reçoit un prénom, fait toutes sortes d'acquisitions (marche debout, repas à la cuillère, notions d'hygiène, port de vêtements et de chaussures, inventions, manifestations émotionnelles comme les sourires et les pleurs, marques de tendresse, acquisition du sens de la justice etc.) et c'est de lui-même qu'il revient à la fin après une fugue (le film se termine par son regard à lui, un regard de "sujet" au lieu d'être toujours "objet.") Cette fin, plus optimiste que dans la réalité s'explique notamment par le fait que Truffaut a été sauvé d'un sinistre destin par son accès à la culture permis par le critique André Bazin (dont le rôle auprès de lui a été déterminant).

Il n'en reste pas moins que le docteur Itard s'interroge sans cesse sur le bien fondé de ce qu'il fait. Quant à Victor, s'il évolue considérablement, il n'acquiert pas le langage et reste donc en quelque sorte coincé quelque part entre les deux mondes, celui de la nature dont il a la nostalgie mais qu'il ne peut plus réintégrer comme le lui prouve sa fugue à la fin du film et le monde de la civilisation dans lequel il fera toujours figure de corps étranger. La fenêtre de la maison d'Itard devant laquelle se tient Victor incarne cette position ambivalente (dedans/dehors, nature/culture).

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Les parapluies de Cherbourg

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1964)

Les parapluies de Cherbourg

"En musique, en couleurs et en chanté", l'accroche de l'affiche déroule les partis pris d'art total qui caractérisent le film idéal que Jacques Demy a enfin les moyens de réaliser. Celui-ci est conçu en effet comme un opéra en trois actes ("le départ", "l'absence" et "le retour") sans récitatifs: tous les dialogues sont chantés y compris les plus triviaux ce qui créé un effet de distorsion qui divisa à sa sortie (et divise toujours aujourd'hui). La musique signée Michel Legrand mélange thèmes jazzy et classique avec le bonheur que l'on connaît. D'autre part c'est le premier film en couleurs de Demy dont l'utilisation est tout aussi symphonique que la musique. Bien que typé années 60, le décor, assorti aux costumes et variant selon les états d'âme des personnages a un caractère indémodable car son raffinement est un ravissement pour les yeux. Le sens de l'harmonie et de la géométrie de Demy fait que nombre de scènes ressemblent à des tableaux.

Tout ce dispositif se marie parfaitement à l'histoire qui en dépit de ses apparences lumineuses est une tragédie hantée par la mort et l'absence de couleurs à laquelle on l'associe en occident: le noir. Un film où comme le dit Guy "Le soleil et la mort marchent ensemble". Les parapluies noirs qui succèdent à ceux de couleur à la fin du générique, Roland Cassard vêtu de noir tel un oiseau de mauvais augure qui vient tourner autour de l'univers pastel de Geneviève, le client qui s'entend répondre par la mère de Geneviève que "le marchand de couleurs, c'est la porte à côté" tout concourt à prendre au pied de la lettre la célébrissime chanson où Geneviève s'exclame " je ne pourrai jamais vivre sans toi, je ne pourrai pas, ne pars pas, j'en mourrai." Effectivement la séparation des amants est fatale à Geneviève. Certes elle ne meurt pas physiquement mais son mariage arrangé avec Roland Cassard signe sa mort intérieure. Roland qui depuis le premier film de Demy a tiré les leçons de son échec amoureux avec Lola et est devenu diamantaire. Guy est également transformé à jamais par cette expérience. La dernière demi-heure du film méconnue et poignante le montre de retour d'Algérie, blessé, amer, révolté, incapable de se réadapter à sa vie d'avant et à deux doigts de sombrer avant d'être sauvé par la soumise et jusque là invisible Madeleine. Le rouge sang puis l'orange remplacent alors les couleurs pastels.

A travers cette histoire, Demy dénonce l'hypocrisie des moeurs bourgeoises et les ravages de la guerre. Deux thèmes que l'on retrouve dans plusieurs de ses films. Le "Demy-monde" est rempli d'exclus ou de marginaux: fille-mère, bohémiens, transgenres... quant à la guerre, elle brise les vies et les destins (l'exemple le plus achevé étant Model Shop). L'irréalisme de la forme est donc au service d'un contenu très politique. C'est encore aujourd'hui l'une des forces du film.

Comme son film suivant, Les Demoiselles de Rochefort, les Parapluies de Cherbourg est devenu un film de référence pour les jeunes réalisateurs français sans que pour autant ils ne parviennent à en retrouver la magie. Citons l'exemple du célèbre plan où Guy et Geneviève glissent comme par magie sans toucher le sol (une citation du célèbre film de Murnau l'Aurore qui est une référence majeure de Demy) et qui est reprise quasi telle quelle dans Les chansons d'amour d'Honoré.

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Mia Madre

Publié le par Rosalie210

Nanni Moretti (2015)

Mia Madre

Comme la plupart des Moretti, Mia Madre est un film qui pense trop. Un film très cérébral, plein d'interrogations intéressantes mais qui en oublie de vivre. Résultat en dépit de l'interprétation loufoque de John Turturro, l'ensemble apparaît bien triste et bien terne. Il faut dire que le film ne fait pas dans la légèreté puisque ses thèmes sont la maladie, la mort, le deuil, la difficulté à communiquer, la peur de perdre son travail, les conflits sociaux. Concernant ce dernier sujet, il s'agit heureusement d'un film dans le film dont Moretti dresse en plus une satire très juste. Il montre en effet tous les artifices de ce soi-disant cinéma vérité. Il n'en reste pas moins que l'usine est le décor le moins cinégénique qui soit. Quant aux personnages principaux (une réalisatrice et son frère joué par Nanni Moretti) ils arborent en permanence des airs de chien battus qui finissent par être pénibles à regarder. Moretti ayant perdu sa mère pendant le tournage de son précédent film a sans doute voulu faire une autofiction. Mais celle-ci est d'humeur manifestement trop dépressive. Il y a cependant quelques beaux moments abolissant la frontière entre rêve et réalité qui nous font ressentir le manque, l'absence et la tristesse du deuil par exemple celui qui montre l'appartement de l'héroïne inondé pendant la nuit (de toutes ses émotions contenues le jour) ou toutes les affaires de la mère (des livres principalement) emballées dans des cartons ou cette même mère quittant l'hôpital en chemise de nuit.

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All is lost

Publié le par Rosalie210

J.C. Chandor (2013)

All is lost

Ce film limpide grâce à son parti pris radical et rigoureux (un lieu, un personnage, pas de dialogues, pas d'explications, juste l'immersion dans le présent) ramène l'humain à ce qu'il est: une poussière dans l'univers. L'univers ici est l'immensité de l'océan, indifférent aux malheurs successifs du héros qui lutte de façon acharnée pour sa survie dans une situation toujours plus précaire, utilisant toutes les ressources de son intelligence et de son savoir-faire avant de s'avouer vaincu et de lâcher prise. Scène énigmatique à dimension mystique car la main tendue au moment où tout semble perdu ressemble à la grâce divine. Un des plus grands rôles de Robert Redford dont la retenue émotionnelle impressionne autant que son acceptation de la vieillesse vis à vis du regard de la caméra (qui le filme au plus près).

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Le dernier des hommes (Der Letzte Mann)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wihelm Murnau (1924)

Le dernier des hommes (Der Letzte Mann)

Murnau a porté le muet à un tel degré de perfection que le parlant paraît souvent bien fade à côté.
Pourquoi faut-il voir Le dernier des hommes?
- Pour la prouesse d'une narration entièrement visuelle. Murnau se passe d'intertitres hormis deux cartons au début et à la fin. Il prouve que l'image peut se substituer aux mots et devenir un langage à part entière.
- Pour la fluidité de la caméra qui évolue librement dans l'espace et place le spectateur en immersion.
- Pour la reconstruction d'une ville en studio avec de fausses perspectives et de multiples trucages pour un résultat étonnant de vie et de réalisme.
- Pour la performance d'Emil Jannings. Grand acteur expressionniste, il parvient à traduire par les postures de son corps et les expressions de son visage tous les états par lesquels il passe. On est frappé en particulier par le contraste saisissant entre sa droiture lorsqu'il arbore fièrement sa livrée de portier et son dos courbé lorsqu'il doit enfiler piteusement sa tenue de "Monsieur pipi".
-Pour la puissance métaphorique de l'utilisation des décors et des objets. Une porte-tambour qui symbolise la roue du destin, des portes battantes qui ouvrent sur une volée de marches descendantes jusqu'au sous-sol qui symbolisent la déchéance, des toilettes cellules-soupirail, une livrée chromée comme un uniforme de général etc.

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Intolérance (Intolerance : Love's Struggle Throughout the Ages)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1916)

Intolérance (Intolerance : Love's Struggle Throughout the Ages)

D.W Griffith en quête de rédemption après Naissance d'une nation choisit de réaliser dès l'année suivante une superproduction encore plus pharaonique et ambitieuse avec quatre récits d'époques différentes s'entrecroisant autour du thème de l'intolérance combattue par l'amour. Bien que reliés par un leitmotiv, celui de la mère (Lilian Gish) au chevet du berceau de l'humanité, les quatre récits forment un ensemble assez disparate.

Les trois récits historiques (Chute de Babylone, trahison et crucifixion de Jésus et la Saint Barthélémy) traitent tous trois d'intolérance religieuse mais la primauté est donnée au premier récit en raison de son aspect spectaculaire. La reconstitution de la cour du palais du roi de Babylone avec ses 3000 figurants est grandiose. D'autre part aussi bien dans ce récit que dans celui de la Saint-Barthélémy, Griffith mêle la grande et la petite histoire de façon à accrocher l'intérêt du spectateur. La fille des Montagnes, un garçon manqué amoureuse du roi de Babylone qui l'a affranchie sert de fil conducteur au récit. Pour le 16° siècle c'est une fille protestante aux yeux bruns fiancée à un catholique qui a cette fonction. Les extraits des Evangiles en revanche servent juste à souligner tel ou tel aspect des autres récits.

Le quatrième récit, contemporain du film est très différent. Il n'évoque pas l'intolérance religieuse mais la lutte des classes (c'est à dire l'intolérance sociale). Il critique de façon virulente la morale bourgeoise et dénonce l'utilisation de la charité. Il montre que l'argent des bonnes oeuvres est pris sur les salaires des ouvriers, que les grèves sont réprimées dans le sang, que les chômeurs réduits à la misère des bas-fonds sont traités en criminels et que leur réinsertion est impossible. Là encore, Griffith illustre son propos en prenant un couple en exemple. L'homme qui a déjà purgé une peine de prison est condamné à mort pour un meurtre qu'il n'a pas commis, la femme est contrainte de confier son enfant aux dames des "bonnes oeuvres" qui jugent qu'elle n'est pas capable de l'élever. C'est le seul des quatre récits où l'amour triomphe de l'intolérance annonçant la fin et son message pacifiste alors que l'Europe était plongée en pleine guerre mondiale.

On retrouve toutes les qualités de ce réalisateur, par exemple l'utilisation brillante du montage alterné pour faire monter le suspens, particulièrement à la fin, du gros plan pour souligner l'expressivité ou un leitmotiv (les yeux bruns) ou encore une utilisation magistrale de l'espace, des décors, des figurants et des acteurs.

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Ander

Publié le par Rosalie210

Roberto Caston (2009)

Ander

Ander, paysan du Pays Basque, célibataire, la quarantaine, vit avec sa mère et sa sœur Arantxa dans un hameau isolé du Pays Basque, la Biscaye. Sa vie est partagée entre les travaux de la ferme familiale et quelques heures à l'usine. Dans ce petit pays sauvage, rustique, la routine d'Ander n'est troublée que par quelques heures dans les bras de Reme, la prostituée locale. En effet, malgré l'insistance de sa mère, Ander refuse de s'engager et de se marier.
Jusqu'au jour où, à la suite d'une fracture de la jambe, il est obligé d'embaucher José, un ouvrier agricole péruvien. José débarque avec son sourire lumineux, sa douceur et sa timidité. L'immigré va bouleverser le monde si cloisonné du paysan et lui faire ressentir des choses qu'il ne soupçonnait même pas.

Dans son premier long-métrage superbe de sensibilité, de retenue et de grâce, Roberto Caston aborde de manière magistrale la thématique LGTB dans un environnement inattendu, celui du Pays Basque. L'histoire d'amour qu'il nous raconte est empreinte de délicatesse. Les regards sont fuyants, les gestes du quotidien évoluent imperceptiblement, les silences sont plus parlants que de longs dialogues : un suspense s’installe, entretenu avec tendresse et empathie. Puis vers le milieu du film, c'est l'explosion du désir qui nous surprend dans une scène d'amour physique brève et enfiévrée. Tout est juste et profondément humain, de la durée des plans au jeu sobre, pudique et intense des acteurs qui font de cet opus charnel, un bouleversement amoureux de deux hommes en quête de délivrance.

 

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L'Aurore (Sunrise: A Song of Two Humans)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1927)

L'Aurore (Sunrise: A Song of Two Humans)

L'Aurore est un film d'une force expressive rare qui ferait presque regretter la "facilité" de l'avènement du parlant qui a lieu la même année. Chaque geste, chaque posture, chaque regard est puissamment évocateur et suscite une émotion profonde. Et à l'image de leur environnement, les personnages ne cessent de changer, de passer de l'obscurité à la lumière, de la tempête à la sérénité, de la gravité à l'insouciance (et vice versa). On a en effet beaucoup parlé des nombreuses dichotomies sur lesquelles se fonde le film (jour/nuit, soleil/lune, noir/blanc, ville/campagne, brune/blonde, vie/mort, sexe/amour, tragique/burlesque, réalisme/fantastique etc.) mais on a peu insisté sur la réversibilité de ces contraires et surtout sur leurs états intermédiaires c’est à dire un univers où tout n’est que changement, métamorphose et bouleversement. Par exemple le personnage masculin principal, Ansass, passe d’un bout à l’autre du film par 1001 états physiques et mentaux. On peut le voir tour à tour envoûté, possédé, tourmenté, ravagé, accablé, menaçant, suppliant, joyeux, vibrant et tout son corps l’exprime tantôt vulnérable et tendre comme un enfant, tantôt monstre de haine déformé par la colère. Sa femme Indre n’est pas en reste. Icône virginale menacée d’ophélisation, puis petit animal prostré dans une douleur sans fond, elle renaît à la vie en révélant qu’elle possède elle aussi certaines des qualités de la rivale qui a failli faire chavirer son couple. Indre la vierge devient Indre la femme désirante et désirée à l'image de ses cheveux qui à la fin se déploient librement (une métaphore bien connue de la sexualité). Le film est une métaphore de leur voyage intérieur vers leur accomplissement en tant que personne et en tant que couple et en même temps ce parcours a une valeur archétypale. Tout y passe: complicité enfantine (fous rires, bêtises, soirée au Luna Park), badinage, séduction, passion physique, engagement, enlisement dans la routine, tentations, pulsions meurtrières... mais pas dans cet ordre puisque tout est réversible, tout peut recommencer, aussi bien les multiples embûches et épreuves qui se dressent sur leur route que les cîmes de la félicité comme si l’un n’allait pas sans l’autre. Situé entre conte (le cercle) et roman (la digression, l'échappée) le film est au final d’une sagesse toute orientale, encore un dépassement de la dichotomie Europe/Amérique mille fois soulignée. On se croirait parfois chez Miyazaki: Le tramway qui surgit de nulle part au milieu de la forêt pour embarquer ses voyageurs a quelque chose du Chatbus de Mon voisin Totoro ou du train du Voyage de Chihiro…

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Julieta

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2016)

Julieta

Encore un film magnifique d'Almodovar sur la difficulté à communiquer, le silence destructeur qui accouche de l'absence. Ce thème est au coeur de ses chefs d'oeuvre de Tout sur ma mère au si bien nommé Parle avec elle. Dans Julieta, les non-dits s'accumulent et dressent des barrières infranchissables entre les êtres, murés dans leur solitude. Pire encore, ils se transmettent de génération en génération.

C'est d'abord ce cerf qui court derrière la vitre d'un train comme un appel muet. C'est cet homme qui s'assoit en face de Julieta et tente dans un ultime sursaut de nouer une conversation (sans succès) avant de disparaître. C'est ensuite Xoan, son futur époux avec lequel elle entretient une relation distante sauf sur le plan charnel. Entre eux il y a d'autres femmes: la première épouse décédée, la maîtresse de Xoan, Ava, la mer(e) qui accapare le pêcheur mais aussi Marian, la femme de ménage hostile qui est une sorte de mère castratrice aux attitudes lourdes de sous-entendus. Antia, la fille de Xoan et de Julieta absorbe tous ces non-dits de même que Julieta avant elle l'a absorbé au sein de sa famille (la scène où les trois générations de femmes se retrouvent sous le même toit est éloquente). Quand Antia apprend la mort de son père en mer, non seulement elle ne montre rien de ce qu'elle ressent mais elle renverse les rôles et devient chef de famille, prenant en charge sa mère devenue dépendante d'elle. Jusqu'au jour où elle craque et disparaît à son tour pour tenter de se construire une vie à elle loin des fantômes du passé. Sans succès puisque son fils prénommé Xoan se noie comme l'avait fait son grand-père... Quant à Julieta, après une phase de crise aigue, elle tente également de se reconstruire en gommant l'existence de sa fille jusqu'au moment où celle-ci ressurgit dans sa vie, laissant poindre le fragile espoir d'un nouveau départ.

Le film est rempli de références à Hitchcock de Pas de printemps pour Marnie (la serviette "magique" de l'affiche qui révèle une autre femme) à Rebecca (la gouvernante hostile à la nouvelle épouse) en passant par l'inconnu du Nord-Express pour la scène du train.

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