Mais quel dommage que ce film ne soit à ce jour jamais sorti en DVD. Vu lors d'une discrète rediffusion tardive sur France 2 en 2010 (et enregistré à cette occasion) c'est pourtant un film remarquable et éclairant sur les racines du mal qui ronge notre société actuelle. Mais peut-être justement son sujet sensible fait-il l'objet d'une censure déguisée? Heureusement le roman de Claire Etchevelli dont il est adapté est disponible dans toutes les librairies de France.
Le film se situe en 1957 en pleine guerre d'Algérie. C'est aussi la période des 30 Glorieuses en France. Les usines tournent à plein régime et ont besoin de toujours plus de main-d'oeuvre. L'exode rural ne suffit pas si bien qu'il faut faire appel à l'immigration des colonies tout juste émancipées ou en train de le faire.
D'une façon quasi-documentaire, le film retranscrit une réalité révolue à frémir. De quoi démythifier à jamais cette période et son sacro-saint plein-emploi. La séquence où Elise découvre l'inhumanité du travail à la chaîne, ses cadences infernales, son bruit assourdissant n'a d'équivalent dans l'histoire du cinéma que dans Les Temps modernes. Les conditions de logement des ouvriers sont indignes. Ils s'entassent dans des taudis à plusieurs par pièce ou dans des foyers sordides (le film n'évoque pas les bidonvilles, une autre réalité de cette époque.) Enfin le racisme se manifeste de façon insoutenable. Les insultes et les humiliations pleuvent sur les algériens accusés d'être des paresseux venus en France pour tirer au flanc et piquer les plus belles femmes françaises. La guerre de décolonisation qui a des répercussions en métropole avive encore les tensions. Dans ce contexte l'histoire d'amour Elise/Arezki s'avère impossible alors que la division des ouvriers entre français et étrangers fait le jeu du patronat.
Tournant dans la carrière de George Cukor jusque là plutôt abonné aux screwball comedies, Une étoile est née fut son premier musical et son premier film tourné en technicolor et cinémascope. Il éclipse la version de 1937 pour au moins trois raisons. La première est la férocité et la justesse de la satire du star-system hollywoodien. Contemporain du terrible et magnifique Sunset boulevard de Wilder il montre comment les studios dépossèdent et exploitent les artistes avant de les rejeter comme des déchets quand ils ne sont plus bankable. La deuxième tient au choix des acteurs, magnifiquement dirigés. Bien plus tragique que merveilleux, le film est une autobiographie à peine masquée de Judy Garland. Enfant-star, elle fut lâchée par les studios lorsque ses problèmes d'addictions se firent trop manifestes. Cukor la sortit des limbes pour lui offrir ce qui allait être son chant du cygne en même temps que son plus beau rôle. Car si elle interprète le versant lumineux de son existence (c'est à dire son ascension fulgurante) son visage déjà marqué par la souffrance montre que la descente aux enfers de Norman Maine son mari-pygmalion dans le film est le miroir de son propre déclin. Enfin cet aspect crépusculaire qui culmine dans une scène finale poignante et spectrale est tempéré par la flamboyance du technicolor et des numéros musicaux de l'âge d'or hollywoodien.
A ces trois raisons on pourrait en rajouter une quatrième: son statut de film maudit. Amputé de 90 minutes à sa sortie il ne put jamais être restauré dans son intégralité. Les scènes dont ils ne restent plus que la piste sonore sont remplacées aujourd'hui par des photomontages.
Source d'inspiration majeure de Charles Laughton pour La nuit du chasseur, Sparrows est un film remarquable aussi bien par son atmosphère, sa photographie que par ses péripéties dont le rythme calculé ne laisse aucun répit au spectateur. Inspiré de faits réels, le film tient cependant davantage du conte horrifique pour enfants. Dès les premières images, un lieu et des personnages de cauchemar nous sont présentés. Le lieu c'est la ferme Grimes perdue au milieu des marais infestés d'alligators. Les personnages ce sont les Grimes, des Thénardiers locaux. Pour gagner de l'argent ils exploitent et maltraitent des enfants, orphelins pour la plupart. Le père Grimes est un véritable ogre. Une image d'une grande puissance évocatrice le montre enfonçant le visage d'une poupée avant de la jeter dans les marais: il annonce le projet de meurtre à venir. Face à lui des enfants miséreux certes mais soudés autour de la plus âgée d'entre eux, Molly qui joue le rôle d'une mère de substitution pleine d'énergie et de ressources. Sa présence permet d'équilibrer le film en empêchant tout misérabilisme. La mort du bébé devient par exemple une expérience mystique. Mary Pickford qui avait 33 ans est parfaitement crédible dans la peau d'une gamine de 15 ans et son abattage impressionne.
La deuxième partie du film proche du thriller est encore plus intense que la première. Elle montre la fuite des enfants à travers les marais, traqués par leurs poursuivants. Le montage alterné fait monter le suspense ainsi que l'utilisation expressionniste des décors comme la branche qui craque et menace de s'effondrer entraînant les enfants dans la gueule des alligators. Alligators qui représentent aussi les prédateurs humains.
Un américain à Paris n'est pas un chef-d'oeuvre car il est trop inégal pour cela. La faute à un scénario bourré de clichés qui tient sur un timbre-poste assorti avec un Paris de carte postale reconstitué en studio et donc assez figé. Mais dans ce médiocre canevas sont incorporés des morceaux de génie qui composent à la fois une invitation au rêve et un hommage à l'art sous toutes ses formes. A ce titre l'Américan in Paris Ballet final, morceau de bravoure de 17 minutes est une des expérience d'art total les plus réussies du cinéma avec son hommage aux grands peintres dont le style donne lieu à une ambitieuse tentative de correspondance avec la musique et la danse. Autre morceau mythique le concerto en fa où Oscar Levant se duplique pour jouer tous les rôles à l'intérieur d'une salle de concert. Enfin les pas de deux sous les ponts du duo Kelly-Caron sont magiques et gracieux.
Ces moments de grâce on les doit à la collaboration de plusieurs talents. Gershwin pour la musique, Gene Kelly pour les chorégraphies et la danse, Minelli pour la mise en scène et le sens de la couleur. Ancien peintre, il conçoit le film comme une sucession de tableaux. Enfin le producteur Arthur Freed a joué un rôle important dans la création du film. Dommage que celui-ci n'ait pas bénéficié d'un scénariste à la hauteur.
Le dernier des cinq westerns réalisé par Anthony Mann avec James Stewart est le premier tourné en cinémascope. Il est aussi celui qui se rapproche le plus avec Winchester 73 de la tragédie shakespearienne. Ce qui peut expliquer la préférence de Mann issu du théâtre pour le premier et le dernier opus de son cycle. Il avoué à ce propos qu'il avait voulu faire une adaptation du roi Lear dans l'univers du western. Lear c'est le patriarche Alec Waggoman tout puissant propriétaire de la ville de Coronado. Mais cette puissance cache un drame intime, celle de sa descendance. D'un côté Dave son fils biologique, un véritable psychopathe au comportement incontrôlable. De l'autre Vic, son employé aux dents longues, sorte de fils adoptif, mal aimé en dépit de ses efforts pour se rendre indispensable. Enfin Will, son fils spirituel qui lui ressemble mais dont il est persuadé qu'il est venu à Coronado pour tuer Dave.
Malgré les grands espaces, le règlement de comptes familial a quelque chose d'un huis-clos étouffant. Vic a pour mission de surveiller Dave qui a pour obsession de détruire Will et de prouver qu'il est un homme aux yeux de son père. Comme dans les Atrides, tout ce petit monde s'entretue.
La notion de héros est donc particulièrement mise à mal. Stewart contribue simplement à accélérer un processus fatal qui de son propre aveu était en route bien avant son arrivée. Sa motivation qui est de venger son jeune frère tué par un fusil à répétition qu'un trafiquant a fourni aux Apaches devient l'occasion d'en détourner tous les codes. Il subit agression sur agression sans jamais les provoquer, la violence gratuite le dégoûte, il laisse la vie sauve au responsable de la mort de son frère, le duel avec le père tourne au fiasco ce dernier étant aveugle et Will blessé à la main. "La vengeance ne vous va pas" lui dit-on au début du film et la suite le prouve ce qui offre une variation intéressante sur un thème archi rebattu sans parler de la profondeur de caractère des protagonistes. L'homme de la plaine comme les autres films du cycle est un grand western introspectif qui offre une véracité documentaire sur le far west.
Dans le quatrième western du duo Mann-Stewart l'enjeu n'est plus la vengeance ou la rédemption mais l'engagement et le sens des responsabilités. Jeff le personnage joué par Stewart est un cowboy solitaire misanthrope et nihiliste qui ne se sent pas concerné par ce qui se passe autour de lui et l'affiche sans vergogne au cours de ses dialogues avec la généreuse Renee ou le vieux Ben. Extraits choisis: " Tu vas me gêner, que vais-je faire de toi à Dawson?" " Pourquoi devrais-je aimer les gens?" "Les actes gratuits n'existent pas." "Je n'ai besoin de personne" etc. Cependant Jeff n'est pas aussi simple qu'il le prétend. Il est en effet inséparable de son ami Ben avec lequel il caresse le projet de construire un ranch dans l'Utah. Avec ce vieil homme débonnaire (joué par Walter Brennan un habitué du western, chez Hawks par exemple) il fend l'armure et se montre tendre et attentionné. Ben représente ce qui lui reste d'humanité et de conscience.
Les deux hommes effectuent un parcours périlleux qui les mène avec le troupeau que Jeff souhaite vendre pour financer le ranch, de Seattle à Dawson City au Canada en passant par Stagway en Alaska. La piste du Klondike est aux confins de la frontière toujours repoussée de la conquête de l'ouest. Comme dans les Affameurs deux logiques s'opposent: celle des profiteurs et prédateurs et celle des bâtisseurs, celle des chercheurs d'or et celle des colons. Mais dans ces lieux éloignés de la civilisation où la présence de l'homme commence à peine à marquer les paysages (grandioses), la loi du plus fort règne. Le seul représentant de l'Etat est le shérif Gannon, un être malfaisant et cupide qui utilise la loi pour couvrir ses méfaits. Ainsi il dépossède les colons de leurs concessions en les faisant enregistrer à son nom à Ottawa, profitant de leur ignorance de la procédure légale. Toute contestation est réprimée dans le sang par ses hommes de main. Une seule personne pourrait arrêter Gannon mais son féroce individualisme l'empêche de se considérer comme citoyen d'une communauté à protéger. Il souhaite juste en partir après avoir exploité ses ressources. Tout à fait à l'image de son double féminin la redoutable femme d'affaires Ronda Castle.
En dépit de cette trame sombre le film est plutôt jubilatoire. Il offre toute une série de scènes pittoresques et de personnages hauts en couleur. L'utilisation de la profondeur de champ est remarquable par exemple lorsque surgit le tueur de Ben en arrière-plan et contre-plongée. Enfin l'utilisation du son dans ce film est tout aussi remarquable au travers du symbolisme changeant du grelot suspendu à la selle de Jeff. D'abord associé à l'individualisme il symbolise la prise de conscience de Jeff et annonce sa mue en justicier. Il leurre ses ennemis, accompagne tel un chant funèbre le cadavre de Ben et termine sa course en symbole du foyer que Jeff et Renee s'apprêtent à construire. Un passage de relai puisque c'est Ben qui avait offert le grelot à Jeff pour lui rappeler leur objectif de construire un ranch ensemble.
Troisième western du cycle Mann-Stewart, l'Appât est le plus dépouillé, le plus amer et le plus sombre, proche d'un film noir. C'est une mise à nu des rapports humains dans ce qu'ils ont de plus brutal, de plus âpre. La dureté des paysages des Montagnes Rocheuses renvoie à celle des sentiments. La mise en scène est épurée à l'extrême. Jamais elle ne dévie de son sujet principal, elle fonce droit au but, sans digression. Entre la nature sauvage et tourmentée et les cinq protagonistes nulle ville, nul ranch, nul rôle ou intrigue secondaire. C'est un huis-clos à ciel ouvert qui exacerbe passions et conflits avec le torrent pour catalyseur.
Le film se concentre sur trois chasseurs de prime mus par la soif de l'or et l'instinct de survie. Tous sont la proie de leurs bas instincts, ont une âme tourmentée ou un passé trouble. Trois parfaits antihéros. Mais alors que Jesse Tate le chercheur d'or aussi bête que cupide et Roy Anderson le violeur sanguinaire sont irrécupérables, le film se concentre sur Howard Kemp l'ex fermier et soldat naïf trahi par sa petite amie et que sa blessure non cicatrisée a rendu fou, sans foi ni loi, violent, taciturne, inquiétant voire odieux. Mais comme dans les Affameurs, il s'agit d'un héros en gestation. Un homme qui doit affronter un parcours semé d'embûches pour reconquérir son humanité et se racheter. Stewart est prodigieux dans ce type de rôle ambigu qui peut passer en un éclair de la tendresse la plus profonde à la haine la plus bestiale.
Kemp étant le seul des trois hommes à pouvoir évoluer il devient l'enjeu d'un combat entre le diable et l'ange. Le diable c'est Ben dont la tête est mise à prix et qui a parfaitement compris comment il pouvait semer la zizanie entre les 3 hommes venus l'arrêter en exploitant leurs failles. L'ange c'est Lina sa protégée loyale et fidèle mais attirée par Kemp dont elle devient la force rédemptrice. Dans les Affameurs déjà la femme aimée arrêtait par son cri le geste meurtrier du héros. Dans l'Appât la blessure de Kemp se réouvre, il redevient vulnérable et au prix d'un vrai chemin de croix il renonce à ses pulsions bestiales (il enterre Ben au lieu de le traiter en marchandise) par amour pour Lina. La guérison de son âme est symbolisé par ses larmes libératrices. Le ranch qu'il part construire avec Lina en Californie symbolise la refondation de la nation sur des bases saines et non sur la violence.
Les affameurs est le deuxième film du cycle des westerns qu'Anthony Mann a réalisé avec James Stewart, le premier en technicolor. Adapté d'un roman de Bill Gulick, Bend of the river il raconte l'histoire d'un convoi de pionniers dans les années 1840 qui se rend dans l'Oregon et dont le ravitaillement est détourné par des profiteurs dans le contexte de la ruée vers l'or. Cette trame permet à Mann de poursuivre et d'accentuer la dramatisation des paysages dont il a le secret. La nature est grandiose, sauvage et belle et le cheminement des colons est aussi une lutte contre les éléments là où il n'y a ni pont ni route. Cette âpreté et cette beauté magnifient le parcours du héros. Comme Lin, Glyn l'ex hors-la-loi poursuit avec une opiniatreté sans faille son objectif. Celui-ci n'est plus la vengeance mais la rédemption. Son choix est fait au début du film mais il doit le valider en surmontant l'hostilité de la nature mais aussi celle des hommes. Jérémy le chef des colons dénie en effet aux brebis égarées la possibilité de changer et de s'intégrer "Une pomme pourrie contamine tout le panier." D'où la rencontre dès les premières minutes du film du double maléfique de Glyn, Cole un pillard sur le point d'être pendu. Glyn le sauve (comme on l'a fait pour lui) et lui tend la main. La gémellité des deux hommes est saisissante dans leur habileté à manier les armes comme dans leur inclination pour Laura la fille de Jérémy. Mais Cole doute de la possibilité d'être accepté même après avoir montré des signes de dévouement et de loyauté "Leur gratitude sera éphémère...ou peut-être pas mais c'est une question de chance." C'est pourquoi Cole trahit les colons au profit des chercheurs d'or. Mais il laisse la vie sauve à Glyn (une façon de payer la dette qu'il a envers lui) qui devient alors sa Nemesis. Le conflit fratricide se règle dans la rivière tel un rite de purification au bout duquel Glyn vainc son ennemi intime. Au terme de ce baptême il est affranchi de son passé et admis dans la communauté. Lorsque Jérémy reconnaît son erreur et fait de Glyn son gendre on peut y lire un appel à la tolérance vis à vis d'une société prompte à enfermer et condamner les individus déviants plutôt que de les réinsérer. La démocratie et l'Etat de droit c'est aussi le droit à la seconde chance.
Winchester 73 est le premier des 5 films du cycle des westerns qu'Anthony Mann a tourné avec James Stewart. Un des couples majeurs du genre au même titre que Ford et Wayne ou Leone et Eastwood. Avec sa structure circulaire, Winchester 73 a la sécheresse et la limpidité d'une épure. Cette histoire d'arme d'exception suscitant la convoitise et passant de main en main a plusieurs dimensions. Celle de la tragédie grecque et du récit biblique matîné de psychanalyse à travers le duel fratricide de Caïn et Abel pour la possession du phallus (la carabine) après avoir tué le père. Celle de la légende arthurienne à travers une nouvelle Excalibur qui ne se donne qu'à un héros au coeur pur et porte malheur à tous les autres. Lin est assoiffé de vengeance mais il a gagné l'arme loyalement, est désintéressé et noue de chaleureuses relations amicales. Bien que plus monolithique que dans les autres westerns de Mann, le héros n'en est pas moins fascinant par son opiniatreté et les nuances de jeu de Stewart qui passe en un clin d'oeil d'un état à un autre. Enfin celle de l'histoire. Le périple de la carabine nous fait passer du centenaire de la guerre d'Indépendance et de Wyatt Earp (soit la promesse d'un pays libre et pacifié où règne la justice) aux guerres indiennes, braquage de banques et règlements de compte à OK Corral en famille en passant par l'évocation de Gettysburg. Histoire de rappeler que dans ce pays un homme qui n'a pas d'armes sur lui est "nu". Winchester 73 est aussi un film sur l'origine de la violence qui gangrène encore aujourd'hui les USA.
Les vestiges du jour est l'adaptation d'un roman de Kazuo Ishiguro qui pose un regard critique sur les moeurs de l'aristocratie britannique des années 30, sa rigidité, son obsession de la hiérarchie et du rituel, son rejet de l'altérité et du changement, en un mot son inhumanité. Ishiguro est japonais et Ivory américain ce qui leur donne la distance nécessaire pour traiter le sujet de façon pertinente.
Le livre comme le film d'Ivory est centré sur le majordome de Darlington Hall, Stevens et sa vision complètement faussée de la vie. Celui-ci considère que la valeur suprême est la "dignité" de sa fonction qui consiste à ne jamais se laisser perturber par les événements extérieurs. Les émotions et sentiments humains ne sont que des parasites dont il faut triompher pour bien accomplir son travail. Il a d'ailleurs pour modèle le flegme d'un majordome qui continue à servir son maître alors qu 'un tigre est caché sous la table. C'est au nom de cette dignité (ou plutôt idéologie) qu'on va le voir agir dans plusieurs circonstances de façon inhumaine, faire du mal aux autres et à lui-même. Il refuse de désapprouver son maître quand celui-ci se rallie au nazisme et renvoie deux servantes juives. Il continue à le servir quand son père agonise juste à côté. Il repousse les avances de la gouvernante Sally Kenton vive et spirituelle (comme son interprète Emma Thompson) alors qu'il est amoureux d'elle. Plus il est épris, plus il se montre cruel afin de broyer ces sentiments indésirables dans son coeur. Malgré cela, tout l'art d'Ishiguro, Ivory et Anthony Hopkins (extraordinaire) est de nous faire ressentir de la compassion plutôt que de l'antipathie pour Stevens. Celui-ci paye cher ses erreurs et nous apparaît plus pathétique que monstrueux. Ivory excelle à montrer la fêlure des êtres qui renient leur nature. Dans Les Vestiges du jour c'est l'acte manqué de la bouteille qui se brise contre les marches de la cave qui suggère le coeur brisé de Stevens ainsi que l'éclair de détresse qui passe dans ses yeux. On peut citer également la scène où Miss Kenton veut lui arracher son livre des mains et l'accule dans un coin. Scène torride en dépit (ou à cause) de sa retenue dont Stevens "triomphe" en expliquant froidement qu' il lit des romans sentimentaux (et non licencieux comme le pensait Miss Kenton) pour parfaire son usage de la langue anglaise. Tout au plus une fois son monde balayé par la guerre et ayant atteint le seuil de la vieillesse éprouve-t-il des remords et un sentiment de gâchis.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.