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Articles avec #drame tag

A bout de souffle

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1960)

A bout de souffle

En 1946, le public français découvre les films américains réalisés pendant la guerre (par exemple, Citizen Kane d’Orson Welles). Parmi eux, un groupe de critiques (plutôt de droite catho) se réunit régulièrement à la cinémathèque fondée en 1936 par Henri Langlois. Ces critiques (dont fait partie Godard) fondent en 1951 Les Cahiers du cinéma. Le n°31 de 1954 contient un article célèbre « Une certaine tendance du cinéma français » signé François Truffaut qui critique « le cinéma de papa » c’est-à-dire les films traditionnels de qualité des années 40 réalisés par Marcel Carné, Yves Allégret, Claude Autant-Lara avec un scénario très écrit, de bons mots, une réalisation en studio, des décors soignés, des têtes d’affiche (les français ont Gabin pendant que les USA ont James Dean) etc.

C'est autant par rejet de ces films à l'ancienne que par manque de moyens financiers que Godard va inventer une nouvelle façon de faire du cinéma. A bout de souffle est l'acte de naissance de la nouvelle vague qui va justement faire souffler un vent de liberté sur le cinéma français.

A bout de souffle repose sur un certain nombre de caractéristiques:

-Les images sont tournées sans le son puis celui-ci est post-synchronisé en studio. Cette discordance image-son explique en partie les jump-cuts (appelés à tort « faux-raccords ») c'est à dire l’image qui saute alors que le son lui ne saute pas. C’est lié autant à un désir artistique qu'à l’absence de moyens. La scène du meurtre du policier est exemplaire de ce point de vue : on ne voit pas le meurtre car Godard n’a pas les moyens de le filmer. De plus il préfère montrer les conséquences de l’action que l’action elle-même (dans le Mépris, il ne filme pas non plus l’accident mais seulement la voiture accidentée). Ce refus de la mimesis est révolutionnaire par rapport au cinéma traditionnel.

-Il ne peut s’offrir un vrai chef-opérateur mais grâce à son producteur, George de Beauregard, il rencontre un ancien photographe de guerre, Raoul Coutard qui va « inventer » l’image de la nouvelle vague et se débrouiller pour pallier l'absence de moyens. Exemple : comment faire un plan-séquence quand on a pas les moyens d’acheter des rails de travellings ? Avec un chariot. A bout de souffle fonctionne ainsi sur une alternance de jump-cuts hachés et de plans-séquences "bricolés". Il fonctionne aussi sur deux musiques, l’une au piano qui lui donne sa couleur policière et l’autre plus élégiaque avec des cordes pour son caractère de film d’amour. Godard aime bien filmer les oppositions binaires (homme-femme, amour-mort etc.)

-Autre innovation : le personnage qui parle tout seul (Poiccard dans la voiture) et dont les mots sont rythmés par les jump-cuts « Pat, Pat, Pat, Patricia » (avec 4 jump-cuts de la N7) ce qui créé un style rapide, rythmé, jazzy et donc moderne. Le regard-caméra en soi n’est pas une nouveauté (il existait déjà au temps du muet) mais c’est l’ensemble qui donne un ton de manifeste dès le début du film.

-Contrairement à ce qui a été dit, Godard n’improvise pas même s'il n'a pas de scénario. Il a une histoire, écrit la nuit et distribue les dialogues tous les matins aux comédiens. Il est incapable d’anticiper et de modéliser le film qu’il va faire.

-Les « private joke » et digressions sont lègion: une fille qui vend les Cahiers du cinéma et demande à Poiccard s’il aime les jeunes, Godard lui-même en indic, des citations diverses (musiques, tableaux, poèmes…) « On peut mettre de tout dans un film. » A bout de souffle a un aspect film-collage, film fourre-tout.


D’autre part, Godard a voulu réaliser un film noir en hommage aux films américains découverts par sa bande dans l’après-guerre. A bout de souffle contient une scène du genre avec l’interrogatoire, la filature, les retrouvailles. Il contient aussi un hommage à Bogart, référence majeure de Poiccard car symbole du « privé » dès son premier film noir important, Le faucon maltais (1941). Le privé est libre, sans emploi du temps et Poiccard se prend un peu pour lui. Enfin les thèmes récurrents du genre sont présents dans le film : crime et châtiment (Le panneau lumineux « L’étau se resserre » est une allusion à Scarface de Hawks) et la trahison féminine (une obsession de Godard qui partage avec ses camarades une vision limitée et datée de la femme). L’hommage aux USA passe aussi évidemment par la visite d’Eisenhower à Paris captée en direct et par le casting avec Jean SEBERG, la dernière star avec Nathalie Wood ayant eu le temps d’émerger au temps des studios avant leur chute. Seberg était l'actrice fétiche d’Otto Preminger, un cinéaste chez qui Godard a puisé son inspiration au même titre que Fritz Lang, Joseph Losey ou Raoul Walsh. Des cinéastes mis en valeur par le groupe du cinéma Mac-Mahon, un satellite des Cahiers du cinéma. Le Mac-Mahon apparaît évidemment dans A bout de souffle. Au contraire de Resnais ou Antonioni, Godard ne voulait pas faire des films cérébraux, intellectuels (en dépit de l’image qui lui colle à la peau).

A bout de souffle épouse le mouvement de la vie ce qui en fait encore aujourd'hui un film de facture très moderne en dépit de certains aspects datés dans son contenu. Beaucoup de connexions entre le cinéma et la vie n’avaient pas été explorées à cette époque et Godard s'est engouffré dans la brèche. Les imperfections du film l'ont servi en tant que manifeste d'une liberté nouvelle au cinéma (liberté de ton, de regard, de posture, d'image, de cadre, de manière de filmer...)

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Blow Out

Publié le par Rosalie210

Brian De Palma (1981)

Blow Out

Blow Out s’inscrit comme le troisième opus d’un tryptique dont le premier volet est Blow up d’Antonioni (1967) et le deuxième, Conversation secrète de Francis Ford Coppola (1974). Dans le premier film un photographe prend des clichés d’un meurtre, dans le second, un agent espion entend les cris d’un meurtre. Dans Blow Out, De Palma réunit l’image et le son : dans une séquence du film, John Travolta synchronise les images et le son de la séquence qu’il a enregistrée pour obtenir la preuve qu’il s’agit d’un meurtre et non d’un simple accident de voiture.

Blow Out est un tournant philosophique dans la carrière de Brian De Palma après l’énorme succès de Pulsions. Son rejet public et critique initial est lié à la tonalité sombre du film et à sa fin tragique. Blow Out a plusieurs sens : explosion, cri, révolte. Et le film est effectivement par bien des aspects un cri de révolte. Le son a une dimension de critique politique évidente. Il dénonce les secrets et mensonges de la démocratie américaine alors que l’on célèbre parallèlement le centenaire de la cloche de la liberté. En effet le film s’appuie sur des faits réels et notamment sur l'accident de Chappaquiddick où Ted Kennedy (le frère de John) ivre avait précipité sa voiture qui passait sur un pont dans un bras d’eau. Lui s’en était sorti sans égratignure alors que sa jeune assistante de 28 ans était morte. Pendant plusieurs jours, il avait tenté de dissimuler la mort de la jeune femme, couvert par les plus hautes autorités US. Finalement l’affaire n’avait pu être étouffée mais le scandale avait seulement empêché Ted Kennedy de se présenter aux élections présidentielles. L'engagement politique de Brian De Palma lui coûta cher : après Redacted (Censuré) qui révélait lui aussi un scandale (le viol et le meurtre d’une jeune irakienne et de toute sa famille par les G.I américains), De Palma vit sa carrière aux USA définitivement brisée et fut obligé de s’exiler en France.

Cet engagement éthique, humaniste démonte l’image qui est attachée à Brian de Palma : celui d’un simple réalisateur d’exercices de style maniéristes inspirés de son maître Hitchcock. La filiation est évidente entre les deux cinéastes mais elle ne se limite pas au style. L’obsession du remake chez l'un et l'autre est lié à la pulsion qui est répétition, et la principale pulsion des deux réalisateurs est le regard via la caméra qui est un regard-voyeur. Toute la séquence qui ouvre Blow Out place le spectateur en position de voyeur d’un mauvais slasher érotique. Le spectateur voit à travers le regard du tueur une bimbo se déshabiller (et peut ainsi se rincer l’œil) puis elle est tuée (punition du voyeurisme) dans une douche. Ce sont bien entendu les mécanismes de Psychose mais De Palma y rajoute une dimension parodique (perche qui dépasse, cri ridicule qui sonne faux) et une couche de vulgarité assumée « tout cinéma est porno. »

Autres thèmes communs aux deux cinéastes, celui du double et de l’impuissance. Blow Out s’ouvre sur un cri mais comme la scène primitive traumatique est parodique, ce cri sort mal. Il est le symbole d’une impuissance, d’un empêchement qui est celui du héros à sauver la femme qu’il aime. Le parallèle avec Vertigo est frappant. Non seulement Scottie échoue à sauver la femme qu’il aime à cause de sa phobie des hauteurs mais il en est guéri seulement lorsqu’il la tue. Dans Blow Out, la scène primitive est rejouée à l’identique dans la salle de projection à la fin du film mais remontée et remixée avec un vrai cri de terreur et de mort, celui de Sally. La scène fonctionne enfin à cause de cette greffe mais le prix à payer semble monstrueux car pour que le film gagne en puissance il faut que la jeune femme ait été tuée. L’homme est en effet impuissant à crier chez De Palma (dans Blow Out le cri de Travolta n’apparaît que sur l’affiche et reste donc muet). Par conséquent, il doit passer par le truchement de la femme. Le cri de la femme et sa dualité est une question sous jacente du cinéma de De Palma et du cinéma d’Hitchcock (pour qui acte d’amour et acte de mort se confondent, s’échangent). A la fin de Blow Out, Travolta a trouvé sa voix, sa place dans le monde, dans la vie. Certes il a trouvé l’amour mais l’a perdu, il a trouvé la vérité mais personne de l’écoute cependant ce qu’il a trouvé est vrai, humain. Le film raconte un parcours qui passe insensiblement du cinéma bis (cinéma phallocrate, pornographique) à un cinéma féminin, flottant, lunaire, enfantin un cinéma du vent, de l'invisible et de l'impalpable. Une métamorphose du réel par le féminin qui se heurte à la domination politique phallocrate mais qui sauve au moins le film de fiction au prix du sacrifice de cette femme.  

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La Marquise d'O...

Publié le par Rosalie210

Eric Rohmer (1976)

La Marquise d'O...

Adaptation élégante et raffinée de la nouvelle d'Heinrich von Kleist, La marquise d'O qui obtint le prix spécial du jury à Cannes en 1975 est aussi un passionnant "conte moral/immoral" à multiples facettes. Tous les personnages s'y révèlent ambivalents, complexes à des années lumières de leurs comportements stéréotypés et de leurs cadres de référence manichéens. La marquise est une jeune veuve qui s'attache à donner d'elle une image maternelle et filiale de sainte éthérée. Mais son nom ambigu et les miroirs placés derrière elle révèlent une autre marquise tenaillée par des désirs inavouables. Et ce même si Rohmer attribue son inconscience durant le viol à un narcotique et non à un invraisemblable évanouissement. Même chose pour le comte qu’elle prend d’abord pour un ange (le sauveur tombé du ciel comme le suggère le plan où il apparaît) puis pour le diable (le violeur bestial). Ni l’un, ni l’autre il est tout simplement humain. Comme la marquise à qui il ressemble comme deux gouttes d’O, il est tiraillé entre sa morale chevaleresque et ses pulsions animales. Pour la marquise il est inconcevable que l’on puisse à la fois sauver une femme et abuser d’elle. C’est l’ambivalence de la nature humaine qu’elle doit assimiler afin de devenir pleinement femme. Ce qui redéfinit aussi les rapports à ses parents, des parents pas moins ambigus qu’elle derrière leurs attitudes outrancières. Le père a un comportement ouvertement incestueux et la mère a une manière particulièrement retorse de manipuler sa fille en prêchant le faux pour savoir le vrai. Symboliquement, le film commence lorsque l’ennemi russe (dont fait partie le comte qui est lieutenant-colonel) assiège, bombarde et pénètre la forteresse tenue par la père de la marquise. La guerre étant une métaphore bien connue du sexe, il est facile d’établir un rapport avec la fille du commandant qui est aussitôt assaillie par cinq soudards russes prêts à lui faire subir les derniers outrages. Le film se termine d’ailleurs sur un intertitre ambigu « Dès lors toute une série de jeunes russes vit le jour à la suite du premier »…

Outre l’aspect très littéraire de cette adaptation, le film ressemble à un tableau vivant. La photographie, les décors et costumes, les attitudes des personnages s’inspirent de nombreuses références picturales : David (La marquise ressemble à Juliette Récamier, elle s’appelle d’ailleurs elle-même Julietta), Ingres, Delacroix, Le cauchemar de Johan Heinrich Füssli (pour la scène de « l’évanouissement » de la marquise) etc. Enfin Rohmer a fait appel à trois merveilleux comédiens de la prestigieuse Schaubühne (la comédie-française berlinoise) dirigée alors par Peter Stein : Bruno Ganz (le comte), Otto Sander (le frère de la marquise) et Edith Clever (la marquise). Les deux premiers deviendront célèbres sur le plan international 11 ans plus tard avec Les anges des Ailes du désir de Wim Wenders.

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Rio Bravo

Publié le par Rosalie210

Howard Hawks (1959)

Rio Bravo

Howard Hawks est un réalisateur qui s'est toujours mis au service de ses personnages. Les cinéastes de la Nouvelle Vague avaient d'ailleurs dit qu'il filmait à hauteur d'homme. C'est particulièrement frappant dans ce concentré d'humanité qu'est Rio Bravo, un "western de chambre" confiné dans le temps et dans l'espace. Cette approche théâtrale permet de mettre au centre de son film un petit groupe humain chaleureux et attachant. Comme dans Seuls les anges ont des ailes, il célèbre la camaraderie virile entre des professionnels embarqués sur le même bateau. L'individualisme affiché du shérif (sur le refrain du "je n'ai besoin de personne") est contredit tout au long du film par les liens tissés avec ses adjoints et l'aide décisive qu'ils lui apportent. Des liens plus filiaux que strictement professionnels. Dude (Dean Martin) qui souffre d'alcoolisme surnomme le shérif John T. Chance (John WAYNE) à un moment du film "papa" alors que le tout jeune, fier et fringant Colorado (Ricky Nelson, à peine 18 ans lors du tournage) qui a refusé l'association au shérif au nom de son indépendance finit par changer d'avis après l'assassinat de son ancien employeur. Enfin le gardien de la prison Stumpy (Walter Brennan) âgé et boîteux reprend auprès de Wayne le rôle pittoresque qu'il tenait auprès de Stewart dans Je suis un aventurier. Pour ces hommes insatisfaits ou diminués, le bien-nommé Chance représente l'espoir d'une amélioration, d'une rédemption ou de la restauration d'une image plus satisfaisante d'eux-même.

Bien que la mise en scène de Hawks reste discrète pour faire la part belle à ses personnages (et aux acteurs qui les interprètent, tous formidables), elle n'est pas dépourvue de morceaux de bravoure. A commencer par la première scène devenue culte. Hommage au muet, toutes les informations y passent par l'image dont ce célèbre plan en contre-plongée où Chance sauve moralement Dude de la déchéance. Autres scènes cultes, celle où Dude abat un des hommes de main de Nathan Burdette grâce à du sang qui goutte dans un verre de bière (une image symbolique de ce qui l'attend s'il continue à boire) et celle du duel final à la dynamite. Enfin la célèbre digression où les quatre hommes célèbrent en chanson leur cohésion est un pur moment de bonheur tout comme les nombreuses scènes où ils se chambrent.

A cette histoire d'hommes façon "les copains d'abord" il faut rajouter le "cinquième élément", à savoir l'une des femmes hawksienne les plus marquantes de sa filmographie, Feathers (Angie Dickinson) qui par bien des aspects rappelle Lauren Bacall dans le Port de l'Angoisse. Les scènes de séduction avec Wayne directement inspirées de la screwball comédie dont Hawks est l'un des maîtres sont un pur délice. Voir ce grand dadais se faire mener par le bout du nez (et couper la chique!) par cette bombe sexuelle particulièrement mutine est jubilatoire ce qui n'exclut pas une authentique tendresse.

En conclusion Rio Bravo est l'un des plus grands western de l'histoire de par son étude de caractères et cet équilibre miraculeux de rythmes et de genres (comédie, drame, romance, scènes d'action, scènes musicales...) Il fait également chaud au coeur. 

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Morse (Låt den rätte komma in)

Publié le par Rosalie210

Tomas Alfredson (2008)

Morse  (Låt den rätte komma in)

Présenté à sa sortie comme l'anti-Twilight, Morse est en effet une relecture très originale du film de vampires et une peinture toute en délicatesse des premiers émois adolescents. Le principal point faible du film est son manque général de rythme sans doute dû à un étirement excessif des plans et à une atmosphère de déprime généralisée. La banlieue de Stockhlom où se déroule le film offre un cadre particulièrement sinistre. Immeubles casernes, nuit perpétuelle, linceul de neige blanche à perte de vue, tout suinte, le froid, la tristesse, l'accablement. Les personnages et relations humaines sont plombés par cette désespérance climato-géographique, sociale et affective. Le héros, Oskar est un jeune garçon totalement livré à lui-même dont le quotidien est une alternance de solitude et de violence. Sa famille a éclaté, il ne parvient pas à entrer en communication avec sa mère (qui passe son temps à l'accabler de reproches) ni avec son père (alcoolique et incapable d'intimité). Quant à sa vie sociale, elle se réduit à être le souffre-douleur de camarades particulièrement sadiques. On pense d'ailleurs plus d'une fois à Elephant de Gus Van Sant qui alternait ainsi les phases contemplatives et les brusques explosions de violence.

Quoi de plus logique alors que la seule rencontre qu'Oskar réussit à faire à la fois fusionnelle et mortifère soit marquée par le sang qui nourrit autant que celui que l'on verse. D'un côté, un sang régénérateur qui à l'image du bain final agit comme une renaissance. Il sort le héros de sa pétrification, lui permet de s'affirmer et finalement de s'échapper. A la séquence initiale où le héros tourne en rond dans sa chambre et a peur de se désintégrer répond une fin ouverte où il quitte la ville en train. Mais en même temps, ce sang est celui d'un mort-vivant qui condamne aussi ce même héros à s'enfermer dans une ultra-violence sans issue et à porter un fardeau qui annule toute véritable possibilité d'évasion. Ajoutons également que la nature vampirique de l'être aimé sans âge, mutilé sexuellement et en perpétuelle quête d'hémoglobine ne laisse pas beaucoup d'espoir quant à l'avenir de leur couple. D'autant qu'avant de jeter son dévolu sur la proie facile qu'est Oskar, Eli a pompé jusqu'à la moëlle les dernières forces de son précédent "serviteur" (qui était peut-être lui aussi ado lorsqu'elle l'a rencontré et séduit?) Aussi quelle que soit la grâce, la délicatesse et la sensibilité avec laquelle leur amour est filmé, il s'agit incontestablement d'une histoire d'amour avec les forces les plus obscures de l'être, celles qui l'asservissent et l'engloutissent. L'autodestruction a des charmes insoupçonnés et c'est tout l'habileté du film de parvenir à nous les faire entrevoir.

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Maurice

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1987)

Maurice

Des trois adaptations des romans de Forster que réalisa avec succès James Ivory entre 1985 et 1992, Maurice est celle que je préfère. Le fait que ces oeuvres aient si bien résisté à l'épreuve du temps montre qu'il était injuste d'accuser Ivory d'académisme. Et c'est particulièrement vrai en ce qui concerne Maurice. Outre sa justesse de ton dans le parcours initiatique de ce jeune homme vers la connaissance de lui-même, le film est frémissant, sensuel sous son apparence corsetée. Car Forster et Ivory s'intéressent à des êtres épris de liberté qui se heurtent à la norme, ils dépeignent un désir aux prises avec les règles. Forster ancien étudiant à Cambridge et homosexuel clandestin a écrit un livre largement autobiographique qui n'a été publié qu'après sa mort. L'époque Edwardienne et l'atmosphère feutrée du collège anglais sied particulièrement bien à Ivory qui peut la filmer à sa manière à la fois pudique et inquisitrice, discrète et subversive.

Maurice est sans doute un des meilleurs films qui existe sur la condition homosexuelle vécue de l'intérieur dans une société "peu encline à accepter la nature humaine" comme le dit si justement le médecin hypnotiste joué par Ben Kingsley. Une sensation précoce de différence, la peur d'être rejeté par sa famille et par ses proches, la crainte de se confier, l'illusion et l'espoir que ce n'est qu'un goût passager ou que la science va venir à la rescousse, l'appréhension d'être découvert dans le milieu professionnel, le chantage qu'une telle découverte peut provoquer, le regard particulier sur le corps masculin, le chagrin d'être trahi et abandonné par l'âme soeur avec laquelle on vivait un amour platonique mais passionné, l'apprentissage de la solitude, l'amertume devant l'hypocrisie et l'intolérance, la répression légale vécue à juste titre comme une scandaleuse injustice. Mais aussi la découverte des plaisirs de la chair, l'étonnement d'être perçu comme tel par un autre homosexuel, la joie de renverser les barrières (sexuelles et sociales) de s'assumer, d'être soi-même quelles qu'en soient les conséquences par ailleurs.

Maurice (James Wilby, bouleversant) passe par tous ces états puisqu'il finit par accepter sa condition et l'idée d'un bonheur possible dans sa différence avec le garde-chasse Alec Scudder (Rupert Graves, magnifique). A l'inverse, son ancien grand amour Clive (Hugh Grant alors tout jeune et tout aussi remarquable que ses deux partenaires) ne supporte pas la pression sociale qui pèse sur ses épaules. Lorsque l'un de ses anciens camarades, le vicomte Risley est arrêté et condamné pour ses moeurs (une allusion à peine voilée au procès d'Oscar Wilde), il craque et après avoir rompu avec Maurice, il s'assèche dans une vie stérile faite de conventions et de mensonges. Comme dans Les Vestiges du jour, autre joyau de sa filmographie, Ivory excelle à suggérer via la fissure d'un plafond, un regard mélancolique derrière une fenêtre fermée les fêlures d'un être qui a renié sa nature profonde et s'est construit sa propre prison. 

 

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La prisonnière du désert (The Searchers)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1956)

La prisonnière du désert (The Searchers)

Ce film beau et profond a été souvent considéré comme le deuxième d'une trilogie fordienne consacrée à l'histoire du western. La Chevauchée fantastique signait son acte de naissance, L'Homme qui tua Liberty Valance son acte de décès et entre les deux, La Prisonnière du désert en montrait la face obscure. Mais j'aimerais apporter une nuance. A l'image de son héros, Ethan Edwards, le film est à la fois sombre ET lumineux. Ce clair-obscur est parfaitement retranscrit dans les célèbres cadrages ciselés qui ouvrent et referment le film. Dans une même image composée à la façon d'un cadre dans le cadre Ford synthétise l'alternance intérieur/extérieur qui caractérise ses films. L'intérieur sombre représente le foyer familial des pionniers, un univers matriciel autant qu'un possible tombeau. La caméra située au fond du foyer filme la porte ouverte dans l'encadrement de laquelle apparaît un bout de l'immensité rougeoyante et monumentale du désert, symbole de l'ouest sauvage que les pionniers soumis à rude épreuve tentent de conquérir et de domestiquer. Les deux mondes peuvent-ils s'interpénétrer? La greffe est-elle possible ou bien l'un des mondes rejettera-t-il l'autre? Quelle nation naîtra de ce "choc des mondes"?

A ce questionnement collectif se superpose une histoire intimiste douloureuse et complexe. L'élément perturbateur de la famille Edwards qui surgit du désert dans le premier plan du film n'est autre qu'Ethan, le frère maudit. Son retour inattendu après huit années d'absence révèle les failles cachées de la famille. Le frère d'Ethan, Aaron ne se réjouit guère de le revoir car les deux hommes sont amoureux de la même femme, Martha qui a épousé Aaron mais semble toujours très éprise d'Ethan qui est resté célibataire. Là-dessus vient se greffer un fils adoptif métis, Martin Pawley qu'Ethan supporte d'autant plus mal que lui-même n'a pas su trouver sa place dans la famille. Mais dès cet instant, l'ambivalence d'Ethan nous est révélée car on apprend que c'est lui qui a sauvé la vie de Martin après le massacre de toute sa famille et l'a en quelque sorte adopté (ce que la suite du film confirmera).

Cette introduction nous donne toutes les clés dont nous avons besoin pour comprendre la suite c'est à dire l'obsession avec laquelle Ethan se lance à la poursuite des Comanches qui ont enlevé sa nièce Debbie et l'incertitude que nous avons jusqu'au bout du sort qu'il lui réserve. En surface, il dit vouloir sa peau car ayant été souillée par les indiens, elle ne fait plus partie de la famille. Ce préjugé raciste est d'ailleurs partagé par les voisins des Edwards qui après leur disparition font figure de famille de substitution. Laurie leur fille (un double de Martha) qui est fiancée à Martin Pawley ne dit-elle pas que Debbie n'est plus qu'un "rebut, vendue de multiples fois" et qu'il vaudrait mieux qu'Ethan la tue? Mais en profondeur, ce qui torture Ethan Edwards est son secret familial, une ambivalence amour/haine liée au fait que Debbie est la fille de la femme qu'il a tant aimé et en même temps la preuve vivante de l'échec de sa vie personnelle puisqu'elle n'est pas sa fille. Deux choix s'ouvrent devant lui: ou la vengeance (supprimer la filiation de son frère) ou la réparation (protéger Debbie ce qu'il n'a pas pu faire pour sa mère). C'est pourquoi le geste instinctif par lequel il soulève l'enfant au-dessus de lui joue un rôle si important dans le film. Il symbolise la reconnaissance d'un lien de filiation plus fort que tout.

En créant Ethan Edwards, Ford s'est montré particulièrement audacieux. Dans un pays très porté sur le manichéisme, il a créé un héros complexe, imparfait, ambigu. Ethan est un sauveur mais lorsque la haine le submerge on le voit commettre des actes cruels et vils et certaines de ses paroles font frémir. S'il réussit à recomposer sa famille à l'image d'une nation désormais métissée, il en reste exclu et devra continuer à errer dans le désert à la recherche de lui-même.

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L'homme qui tua Liberty Valance (The Man Shot Liberty Valance)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1962)

L'homme qui tua Liberty Valance (The Man Shot Liberty Valance)

L'homme qui tua Liberty Valance fait partie des westerns crépusculaires de John Ford réalisés à la fin de sa carrière. Des héros vieillis, désabusés, parfois cyniques parfois nostalgiques se retrouvent aux prises avec les contradictions de la nation américaine: la violence et la loi, l'individu et la communauté, la tradition et le progrès. Le film raconte l'intégration d'un Far West sans foi ni loi dans le monde civilisé c'est à dire sa disparition. Et pourtant les mythes de l'ouest continuent à travailler la société américaine (la frontière à franchir, l'auto-défense..)

Dans le film tiré d'une nouvelle de Dorothy M. Johnson, le territoire de la petite ville de Shinbone devient un Etat de l'Union et la loi de la jungle est remplacée par la constitution et le code civil. Mais l'ascension sociale et politique de l'avocat Randsom Stoddard (James Steward) qui commence plongeur à Shinbone et finit sénateur a un prix. Celui du sacrifice de son principal allié, le cow-boy Tom Doniphon (John WAYNE) sans lequel il aurait péri sous le fouet ou sous les balles du criminel sans foi ni loi Liberty Valance (Lee Marvin) qui faisait régner la terreur dans la région. Doniphon partage le même humanisme que Stoddard mais c'est un homme solitaire, fier et profondément individualiste. En refusant toute compromission avec la civilisation de "la loi et l'ordre" de Stoddard il signe sa perte et celle du genre western avec lui tant Wayne en est la figure emblématique. Cette mort est symbolisée par l'incendie du ranch qu'il avait fait construire pour lui et Hallie et par son cercueil surmonté d'un cactus en fleur déposé par son ex-fiancée. En acceptant de recevoir l'instruction dispensée par Stoddard, elle finit par l'épouser ainsi que son monde. Un autre personnage important de Shinbone prend le parti de Stoddard, le journaliste Dutton Peabody (Edmond O'Brien) mais lui à tout à gagner au règne d'une société démocratique qui protège la liberté de la presse.

En voyant ce film, on s'aperçoit de l'absurdité qu'il y a à opposer systématiquement le classicisme fordien au baroquisme maniériste de Sergio Leone. Le style diffère mais le darwinisme social agit de façon identique dans leurs westerns crépusculaires respectifs. On pense en particulier à Il était une fois dans l'Ouest où joue également Woody Strode. Le chemin de fer apporte la civilisation, ceux qui s'y adaptent survivent les autres périssent.

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La chevauchée fantastique (Stagecoach)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1939)

La chevauchée fantastique (Stagecoach)

La chevauchée fantastique est un chef d'oeuvre du western et du cinéma tout court.

Son aspect mythique est lié au fait qu'il établit les bases du western classique hollywoodien (et même au-delà). C'est en effet le premier western parlant de John Ford qui s'imposera comme le réalisateur majeur du genre, c'est le premier film tourné à Monument Valley qui deviendra le symbole du western tout entier, c'est le premier western de Ford avec John WAYNE qui sera révélé au grand public et deviendra la figure emblématique du genre. Un genre que Ford a contribué à réhabiliter tout en faisant sortir Wayne de son statut d'acteur de série B. Le célèbre mouvement de caméra par lequel on le découvre dans le film est à lui seul une des plus belles entrées de star de l'histoire du cinéma.

Mais si le film reste incontournable aujourd'hui c'est parce qu'il possède des qualités intrinsèques. Ford se révèle être un conteur hors-pair, un psychologue-né et fait preuve d'une précision sans faille dans les choix de bande-son, de cadrages, de montage, ce qui assure la réussite de son histoire et de sa mise en scène. Celle-ci alterne avec bonheur des scènes d'action étourdissantes dans l'immensité cosmique comme celle de l'attaque des indiens, et des scènes intimistes dans un huis-clos théâtral qui lui permettent d'analyser en profondeur ses personnages et les évolutions de leurs relations. La réunion de caractères différents dans un espace restreint et dans un climat tendu n'est pas en soi un thème nouveau. Ford s'est d'ailleurs inspiré d'une nouvelle de Ernest Haycox sortie en 1937, Stage to Lordsburg qui transposait dans un cadre américain la nouvelle de Maupassant Boule de Suif. Mais Ford a transcendé son sujet en posant un regard profondément humaniste sur ses personnages. En prenant le parti des exclus victimes des préjugés du puritanisme américain, il fait une critique sociale salutaire. Les épreuves que vivent les personnages révèlent leurs vraies personnalités et ce sont ceux qui sont les plus ostracisés (Boone, Dallas et Ringo Kid) qui s'avèrent être ceux qui ont les plus grandes qualités morales. Le voyage est d'ailleurs symboliquement synonyme de transformation. Les barrières de classe et les jugements moraux très palpables au début de leur périple finissent par tomber avec pour catalyseur la naissance d'un bébé dans des conditions particulièrement précaires. Seul Gatewood, le banquier escroc reste en dehors de cette communion. Symbolisant le capitalisme-voyou, il est mis hors d'état de nuire et remplace en prison le "hors la loi" Ringo Kid qui en faisant alliance avec le Shérif Curly Wilcox (un père de substitution) réintègre la société. Les bandits ne sont pas ceux que l'on croit!

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Exotica

Publié le par Rosalie210

Atom Egoyan (1994)

Exotica

Le chef-d'oeuvre d'Egoyan commence fort dès le générique. Sur une magnifique musique orientalisante de Mychael Danna au rythme serpentin, hypnotique et lancinant, on suit en travelling un décor de jungle tropicale luxuriant, moite et étouffant. Sans rien savoir du film, nos sens et notre inconscient l'ont déjà décrypté: un voyage dans les fantasmes et les pulsions refoulées (donc exotiques) de chacun: voyeurisme, exhibitionnisme, inceste, meurtre etc. Le spectateur lui-même placé dans une situation voyeuriste se retrouve paradoxalement confronté à des personnages opaques, aux comportements énigmatiques et aux relations troubles. Chacun tente de domestiquer ses désirs en les pliants à un rituel codifié. Thomas drague de beaux garçons ethniquement typés (donc exotiques) en les invitant au ballet Romeo et Juliette de Prokofiev. Son spectacle à lui, c'est la contemplation de son voisin de siège sur la danse des chevaliers. L'ironie est que l'un d'entre eux l'a longuement observé derrière le miroir sans tain d'un aéroport au début du film. Francis se rend un soir sur deux à l'Exotica, un club de striptease pour faire danser Christina à sa table, une très jeune fille déguisée en collégienne. On le voit également donner de l'argent à Tracey, une autre très jeune fille qu'il ramène en voiture pour faire la baby-sitter d'une maison où il n'y a plus que des fantômes à garder. Le DJ de l'Exotica, Eric dévoré de jalousie tient des propos équivoques dès que Christina arrive sur scène et n'hésite pas à transgresser les règles du club au milieu du film, provoquant la pagaille. Le tout au grand dam de Zoé, la patronne qui croit que l'on peut gérer le désir et la sexualité de façon comptable mais qui voit ceux-ci lui échapper. Le film est donc une invitation à percer le mystère et à comprendre les motivations profondes de tous ces personnages à l'image de la chanson qui accompagne les prestations de Christina "Everybody knows" de Léonard Cohen. Les rituels s'apparentent en réalité à une cure psychanalytique où chacun vient soigner ses traumatismes. Tous ont un passé chargé, un héritage familial lourd à porter (Thomas, Zoé), ont été victimes d'abus dans leur enfance (Christina), ont perdu leur famille dans des circonstances tragiques (Francis), sont rongés par la culpabilité (Francis et son frère Harold), minés par une basse estime de soi et l'impossibilité de se réaliser (Christina et Eric) etc.
Ce film puzzle aux apparences trompeuses -le striptease annoncé est celui de l'âme et non celui du corps- appelle plusieurs visionnages qui loin de l'affadir le font monter en puissance.

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