L'Ange de la rue a été réalisé dans la foulée du succès de l'Heure suprême. Le public voulait absolument voir un autre film avec le couple d'amoureux joués par Janet Gaynor et Charles Farrell. Borzage décida d'adapter très librement une pièce de théâtre de Monckton Hoffe pour y injecter sa personnalité. L'intrigue fut déplacée de Londres à Naples (Borzage était d'origine italienne) le héros devint un véritable artiste et sa compagne un "ange des rues", oxymore désignant les prostituées.
On retrouve dans ce film tous les thèmes chers à Borzage. Des personnages isolés, bannis, rejetés de la société. Un amour fou purificateur qui agit comme une assomption. Un dégoût des institutions et des autorités qui broient les individus. Un art consommé des contrastes où la putain se mue en madone, où la félicité côtoie le désespoir et où la cîme est tout près de la chute. Borzage a l'art de jouer aux montagnes russes avec les émotions du spectateur en transcendant pourtant les ficelles du mélodrame. Le climax du film est ainsi une longue et déchirante scène où Angela que Gino vient de demander en mariage après avoir décroché un gros contrat est rattrapée par son passé. Lui croit à des lendemains radieux alors qu'elle sait qu'elle passe sa dernière heure avec lui avant d'être arrêtée. Ses yeux pleins de larmes dans son visage souriant bouleversent.
De manière encore plus flagrante que dans l'Heure suprême, l'Ange de la rue bénéficie de l'esthétique de l'expressionnisme allemand. Jeux d'ombres, formes géométriques stylisées, perspectives penchées et échelles faussées (la scène du procès fait paraître Angela minuscule dans un décor qui l'écrase), effets de brume etc. Borzage a assisté au tournage de l'Aurore et a voulu rivaliser avec Murnau. Enfin on sent que le passage au parlant est proche. Lorsque les amants communient, ils ne le font plus visuellement avec des médailles religieuses mais en sifflotant l'air de O Sole Mio et grâce à un effet sonore qui avait fait sensation à l'époque, on entend l'air parfaitement synchronisé.
D'une pièce de théâtre à succès d'Austin Strong (le petit neveu de Robert Louis Stevenson) misérabiliste et bondieusarde très XIX° siècle Borzage parvient à tirer un film personnel rempli de moments de grâce tout en donnant une leçon de cinéma.
Borzage, cinéaste de l'expressivité sublime aime les contrastes seuls à même de la mettre en valeur. L'heure suprême est structuré par les contrastes. Pour qu'il y ait élévation il faut partir de très bas: le film commence dans les égouts où travaille Chico et où pataugent moralement Nana, alcoolique et violente et sa soeur martyre Diane, trop faible pour lui résister. Lorsque Chico prend Diane sous sa protection et l'emmène chez lui on assiste à un travelling vertical ascensionnel d'étage en étage magnifique "je travaille dans les égouts mais je vis près des étoiles." La mansarde de Chico devient le nid paradisiaque (seventh heaven, le paradis du septième ou le septième ciel en VO) où pourra éclore leur amour, un amour que les éreuves ne feront que renforcer jusqu'à atteindre une dimension mystique et miraculeuse. Nouveau contraste: c'est l'éclatement de la guerre de 14, l'imminence de la séparation et l'ombre de la mort qui pousse Chico à déclarer son amour. En utilisant le montage alterné, Borzage oppose l'immonde liesse patriotique de la foule (vue le plus souvent depuis la mansarde en plongée d'où l'impression de vermine grouillante) et l'union divine des deux amants qui viennent juste de découvrir la force de leur amour (opposition entre une mauvaise et une bonne passion.) La haine de la guerre de Borzage était d'ailleurs si forte que les scène de bataille du film furent tournées par John Ford qui était comme lui sous contrat à la Fox. Elles tranchent par leur réalisme documentaire (taxis de la Marne, évolution des uniformes) avec un film par ailleurs très stylisé. Une esthétique expressionniste très influencée par le cinéaste star de la Fox, Murnau qui tournait en même temps L'Aurore. Borzage a d'ailleurs prêté à Murnau sa vedette féminine Janet Gaynor, une inconnue qu'il avait réussi à imposer au studio tout comme Charles Farrell. Pendant 15 jours elle a tourné pour lui en blonde durant la journée pendant qu'elle devenait brune la nuit pour Borzage. Et ce n'est que l'un des nombreux échos entre les deux films.
C'est le 4eme film de Cassavetes mais son 2eme vraiment indépendant. Et cette indépendance se paie au prix fort: hypothèque de la maison de Cassavetes et Rowlands, comédiens bénévoles qui tournent de nuit après leur travail jusqu'à épuisement, réalisateur qui fait l'acteur en parallèle pour réinjecter les cachets dans le film, recyclage de chutes de pellicules d'autres productions, montage interminable...A tous points de vue Faces s'est construit à la marge du système et n'a dû son existence qu'à la détermination sans faille de toute son équipe. Alors oui Faces est un film fauché, pas complètement abouti techniquement (un seul technicien pour l'ensemble du film) mais who cares? C'est un film d'un engagement fou, total, absolu. Un film réalisé avec les tripes où le besoin de s'exprimer librement est viscéral.
Faces s'inscrit dans la lignée de Shadows. Même noir et blanc granuleux, même caméra à l'épaule filmant au plus près des corps et des visages, même errances nocturnes, même montage dicté par le rythme de l'action et le jeu des comédiens, même frontière ténue entre la fiction et le documentaire.
Faces possède plusieurs strates. A première vue, le film aurait pu s'intituler "la valse des pantins". On assiste en effet à de nombreuses scènes hystériques où les personnages copieusement imbibés d'alcool crient, gesticulent, rient frénétiquement, pleurent etc. Mais Cassavetes arrache toujours le masque à un moment ou à un autre. Souvent au bout de longs plans-séquences où les corps s'abandonnent, s'empoignent en toute impudeur. Et au bout du compte, la tristesse, le désespoir, un profond désarroi. Faces dissèque les faux-semblants de l'american way of life. Une société d'apparences privée de sens et de communication où les couples se délitent sous nos yeux. Où les hommes d'affaires fuient leurs épouses "givrées" ou suicidaires dans les bras des call-girls. Où les épouses délaissées se consolent en parallèle en faisant appel à des gigolos. Il y a un parallélisme évident entre le rôle de Jeannie l'escort-girl et celui de Chet, le danseur au service des dames. Tous deux tenus par des piliers de la bande de Cassavetes (Gena Rowlands et Seymour Cassel), ils sont à la fois objets de désir et de défoulement. Faces montre le vrai visage d'une certaine Amérique de la réussite. Et il n'est pas beau à voir même si les fragments d'humanité arrachés aux masques sont bouleversants.
Elephant est le deuxième film de ce que Gus Van Sant a appelé sa trilogie de la mort (ou tétralogie si on ajoute "Paranoïd Park (2007)". Un cinéma expérimental, sensoriel, consacré à l'errance d'une jeunesse déboussolée et qui s'inspire de faits réels. Elephant est ainsi une relecture élégiaque, mythologique, anthropologique et chorégraphique de la tuerie du lycée de Columbine à Littletown (Colorado) qui avait défrayé la chronique en 1999.
"Qui fait l'ange fait la bête." C'est l'expression qui vient tout de suite à l'esprit quand la caméra filme de face, de profil et encore plus de dos cet étrange bestiaire adolescent, somme d'êtres hybrides enfermés dans un aquarium géant. L'ange-taureau, c'est John, jeune garçon androgyne qui fait figure de minotaure serpentant dans les interminables couloirs labyrinthiques de son lycée. Mais sa présence n'est qu'un trompe-l'oeil, les véritables tueurs se prénommant Eric et Alex. Ce dernier joue du Beethoven, une référence appuyée à Kubrick et au héros d'Orange Mécanique (les déambulations dans les couloirs d'un lieu clos faisant penser elles à Shining). Fidèle au mythe des 7 jeunes gens et 7 jeunes filles livrées en pâture au monstre, Gus Van Sant dresse une série de portraits funéraires des derniers moments sur terre des principales victimes des tueurs. Chacun nous est présenté isolément comme enfermé dans sa bulle (y compris sonore) ou sa caverne même si les trajectoires de tous ces jeunes n'arrêtent pas de se croiser, d'autant que la distorsion du temps permise par le cinéma nous fait retourner en arrière pour filmer la même scène d'un autre point de vue. Cette mise en scène savante suggère que ces jeunes ont en commun un profond mal-être mais qu'ils ne parviennent pas à communiquer pour autant. C'est le regard d'une jeune fille qui fuit obstinément l'objectif, c'est la résistance d'une seconde à mettre un short, c'est le rituel boulimique-anorexique de trois autres qui s'enferment parallèlement mais séparément dans les toilettes pour se faire vomir après la cantine, c'est le harcèlement que subissent les plus faibles dans le silence le plus complet. Une violence qui appelle en retour la violence. Michelle, la jeune fille timide au physique ingrat moquée par les autres porte sur son sweat-shirt un tigre qui ne demande qu'à sauter à la gorge des autres. Alex qui est également un souffre-douleur souffre de surdité et comme son partenaire Eric, est un homosexuel refoulé dans une ambiance teinté d'homophobie.
A force de transparence, de géométrie rectiligne, de dimensions disproportionnées, de silence, le lycée où évoluent ces adolescents finit par incarner le tombeau mais aussi un vide abyssal: celui des adultes, les grands absents du film. Certains traversent de temps à autre le champ de la caméra mais ils ne sont que des figures fantomatiques d'arrière-plan. Les parents sont défaillants et/ou insignifiants, les professeurs indifférents... Et par conséquent on est guère surpris de voir ces jeunes sans repères confondre les jeux vidéos de tueries et la réalité, s'acheter des armes sur internet sans contrôle (l'une des significations du titre se rattache à l'Eléphant, mascotte du parti Républicain qui défend l'accès libre aux armes) et tuer sans état d'âme.
Le lycée filmé par Gus Van Sant a tout d'une arche de Noé (dysfonctionnelle) juste avant le déluge. La dimension sinon divine du moins cosmique du film est très forte. Le huis-clos du lycée est interrompu par des plans de verdure automnale (civilisation moribonde?) alors que les pulsions et souffrances refoulées s'accumulent dans le ciel sous forme de gros nuages noirs menaçants. L'orage qui éclate quand la violence se déchaîne est une autre interprétation possible du titre car l'Eléphant est la monture du dieu de la foudre indien Indra. Une fois purgé, le ciel retrouve sa sérénité habituelle.
Même année de réalisation (1959), même envie de briser les règles d'un certain cinéma traditionnel, même sens du système D pour pallier les carences budgétaires et les approximations techniques, même goût pour les déambulations urbaines et les conversations chaotiques entre futilités et questions existentielles, même caméra en liberté filmant comme on respire... Shadows, premier film de Cassavetes qui marque la naissance du cinéma indépendant américain est une sorte de frère d'A bout de souffle, manifeste de la nouvelle vague du cinéma français. " Le film que vous venez de voir est une improvisation." Ce carton inséré dans le générique de fin ne doit surtout pas être pris au pied de la lettre. Même si l'idée de Shadows est née lors d'une improvisation théâtrale, même si l'histoire s'est construite au fur et à mesure du tournage, une grande partie du film à été scénarisée et les dialogues écrits. L'impression de spontanéité, d'improvisation, de naturel qui émane du film n'est pas le fruit du hasard mais de choix de mise en scène comme celui qui consiste à enlever les marqueurs au sol pour donner plus de liberté de mouvement aux comédiens. La caméra est obligée pour ne pas les perdre de les coller au plus près, d'épouser leur rythme. Il est beaucoup question de rythmes et de couleurs dans Shadows qui baigne dans la musique jazz et les battements de pouls du Manhattan nocturne des années 50 (cinémas, concerts, music-hall, pistes de danse, soirées privées intellos etc.) Il y est aussi beaucoup question d'identité. Hugh, Ben et Lelia qui sont frères et sœur et afro-américains ont bien des difficultés à trouver leur place dans la société. Hugh est un musicien de jazz en crise car sa musique ennuie les clients et on lui demande de s'entourer de chorus girls pour rebooster l'audience ce qu'il trouve humiliant. De plus sa négritude manifeste l'expose particulièrement au racisme et en retour le rend agressif et intolérant. Ben, son jeune frère métis est un paumé qui erre avec ses amis de bar en bar pour tenter de chiper les filles des autres ce qui lui vaut de rudes "recadrages" à coups de poing. Quant à Lelia, elle fait une expérience particulièrement douloureuse liée à son teint de peau très clair. Elle tombe en effet amoureuse de Tony, un petit blanc baratineur et lâche avec lequel elle va de désillusion en désillusion. Au plus près des visages et donc des émotions, Cassavetes nous livre quelques scènes magistrales: celle de la déception (voire du dégoût) du premier rapport sexuel très loin de ce qu'elle s'était imaginé et celle du racisme ordinaire où tout est dit en deux plans: celui du visage de Tony qui s'assombrit (sans jeu de mots) lorsqu'il découvre le frère de Lelia et comprend donc qu'elle est noire. Et celui du visage de Lelia qui lit celui de Tony et comprend que leur histoire est finie. L'absurdité de ce racisme est particulièrement bien mis en valeur par les lumières qui font souvent paraître Tony plus noir que Lelia.
Le Tombeau des lucioles n'est pas un manga mais un anime. Les mangas désignent exclusivement les bandes dessinées japonaises. Les anime désignent les films d'animation japonais qu'ils soient adaptés de mangas ou de romans. Le Tombeau des lucioles est l'adaptation d'une nouvelle quasiment autobiographique d'Akiyuki Nosaka, La Tombe des lucioles, parue en 1967. Quasiment autobiographique car c'est pour exorciser la culpabilité d'avoir survécu à la mort de sa soeur que Nosaka s'est dépeint dans la peau de Seita qui meurt à la fin de la guerre un mois après sa petite soeur Setsuko. Mais le destin de l'auteur et du personnage se rejoignent car en un sens Nosaka est lui aussi mort le 21 septembre 1945.
De cette oeuvre poignante, Isao Takahata, cofondateur avec Miyazaki des studios Ghibli, fait un film tragique et bouleversant, à la fois réaliste et poétique. Réalisme documentaire dans la description de l'horreur des derniers mois de la guerre quand les grandes villes japonaises, livrées aux bombes incendiaires des B-29 étaient à feu et à sang. Réalisme dans la description du délitement des liens sociaux et familiaux à cause des nombreux morts, des privations mais aussi de la fanatisation des esprits. Ainsi la tante des deux enfants préfère réserver son riz à ceux qui "travaillent pour la nation" et reproche à la petite Setsuko de pleurer la nuit et de réveiller ceux qui supportent l'effort de guerre. Réalisme enfin dans le portrait des deux petits orphelins, particulièrement dans celui de la petite Setsuko. Tout l'art du réalisateur se concentre sur l'animation minutieuse de cette petite fille, criante de vérité dans ses petites joies comme dans ses bouderies et ses chagrins. Il nous fait ainsi ressentir l'injustice, l'inhumanité de la guerre au plus haut point. Il renvoie dos à dos américains et japonais, dénonce le militarisme et le nationalisme. Néanmoins parce que la guerre est vue à hauteur d'enfant, Takahata ménage des pauses empreintes de poésie dans cette longue descente aux enfers, en particulier autour des lucioles dont la portée symbolique apparaît évidente.
Sorti en France 8 ans après le Japon, Le Tombeau des lucioles a contribué à changer le regard des occidentaux sur l'animation japonaise et l'animation en général.
Inspiré de témoignages réels de soldats revenus traumatisés de l'enfer bosniaque, Warriors réalisé en 1999 pour la BBC est un téléfilm en 2 parties d'une force exceptionnelle, sorti depuis en DVD (et disponible également sur Youtube). C'est LA référence absolue sur la guerre ethnique qui déchira l'ex-Yougoslavie au début des années 90, l'équivalent d'un Voyage au bout de l'enfer dans les Balkans construit selon le triptyque avant/pendant/après. Le film suit le parcours de quatre jeunes britanniques dont la vie semble des plus ordinaires: ils vont en boîte, supportent leur équipe de foot favorite, s'apprêtent à convoler pour l'un d'entre eux. Mais en réalité, ces hommes ne sont pas si ordinaires. Tous sont des casques bleus de l'ONU en permission brusquement arrachés à leur vie quotidienne pour aller remplir une mission de "maintien de la paix" en Bosnie. Ils se retrouvent au coeur d'une guerre civile barbare entre serbes orthodoxes, croates catholiques et bosniaques musulmans (tous identiques sur le plan anthropologique, seule la religion liée à des facteurs historiques les différencie), une guerre à laquelle ils ne comprennent rien. Plus le film avance, plus il gagne en horreur et en complexité. On passe des expulsions et déportations aux massacres et aux charniers. Chaque village subit une épuration ethnique dont les principales victimes sont les bosniaques musulmans. Mais le plus grand traumatisme des soldats est lié à la nature de leur mandat: ils n'ont pas le droit d'intervenir dans le conflit (car ils ont un devoir de neutralité) et doivent donc assister aux tueries de civils sans pouvoir bouger le petit doigt pour pouvoir les sauver. Cette contradiction entre leurs élans humains (sans parler des liens affectifs qui se créent avec des habitants) et leur mission qui les contraint à l'impuissance les rend fous. Ce sont des hommes brisés, hantés qui rentrent chez eux. La deuxième partie explore longuement leur impossibilité à se réadapter à une vie normale, à reprendre leur vie d'avant comme si de rien n'était (d'autant qu'ils ne sont pas tous revenus vivants). Certains sont sidérés, d'autres font des cauchemars, d'autres se défoulent dans la violence ou ont des envies de suicide. Tous ont un profond sentiment de culpabilité. L'exploration des dégâts post-traumatiques montre que la guerre continue ses ravages bien après l'arrêt des combats. L'ONU semble être un rempart bien fragile face à la barbarie humaine et aux calculs politiques même si le constat est nuancé. La présence des soldats a attiré les médias, leurs témoignages recueillis auprès du tribunal pénal international a pu contribuer à l'arrestation des criminels et ils ont pu parfois adoucir le sort des populations déplacées, blessées...sans parler du fait que certains n'ont pas hésité à déplacer des civils pour leur sauver la vie en désobéissant à leur hiérarchie.
Entretien avec un vampire est adapté d'un roman d'Ann Rice. Ce n'est pas un grand classique comme Nosferatu, ni un flamboyant film de studio comme Dracula, ni un film de série B de référence comme le Cauchemar de Dracula de la Hammer ni une parodie géniale de ce même type de films de série B comme Le bal des vampires ni un film ambigu poétique et décalé comme Morse. C'est un film dont les principaux atouts sont l'élégance dans le choix des décors, costumes et photographie et un casting d'acteurs tous plus charismatiques les uns que les autres (Brad Pitt, Tom Cruise, Antonio Banderas et Kirsten Durst qui n'avait que 11 ans mais crevait déjà l'écran comme Nathalie Portman dans Léon à la même époque). En revanche le film est assez impersonnel dans sa forme. Il y a des longueurs et les passages humoristiques quoique très réussis sont trop rares: les "caprices" de Claudia et l'humour noir tordant de Lestat, surtout dans la scène finale face à un Louis dont les états d'âme finissent par lasser. Tom Cruise fait une prestation déjantée mémorable alors que Brad Pitt est plus proche de la statue de cire. On peut néanmoins relever une contradiction que l'on retrouve dans nombre de films de vampires à savoir le fait de prêter à ces morts-vivants, ces créatures inhumaines des sentiments humains comme de l'amour, du chagrin, de la mélancolie ou pour Claudia de la souffrance liée à la perte de sa mère et au fait qu'elle mûrit sans pouvoir grandir.
Mais si Entretien avec un vampire est devenu un film culte, c'est surtout à cause de son aspect crypto gay. La bonne vieille leçon d'Hitchcock "filmer les scènes d'amour comme des scènes de meurtres et les scènes de meurtres comme des scènes d'amour" n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Les morsures de Lestat à Louis baignent dans l'érotisme, Louis et Armand sont à deux doigts de s'embrasser, Lestat et Armand ne cachent pas qu'ils recherchent un compagnon et qu'ils désirent Louis, de même le journaliste Malloy est lui aussi complètement envoûté par Louis (quel tombeur ce Brad Pitt!). Quant à Claudia, devenue la fille adoptive de Louis et Lestat, elle forme avec eux la parfaite petite famille homoparentale. Quant à la petite communauté de vampires parisiens dirigée par Armand, elle se livre à des sacrifices humains qui ressemblent à des soirées libertines. Mais de façon plus générale, toutes les scènes de vampirisation sont très sexuelles, de nombreuses victimes étant des prostituées se faisant posséder à la faveur de la nuit.
Beau, intense et subtil, voilà le mélange génial dont est fait La Maîtresse du lieutenant français. Le roman de John Fowles dont le film est l'adaptation mêlait déjà deux niveaux/plaisirs de lecture: une grande histoire d'amour romanesque dans le style le plus flamboyant du genre, description cruelle et tragique des entraves sociales et morales de l'époque victorienne (où plane l'ombre de Thomas Hardy modèle avoué de Fowles) et un exercice de style en forme de distanciation narrative où Fowles commente les événements et interpelle à plusieurs reprise le lecteur jusqu'à lui laisser le choix parmi trois fins différentes, de la plus romantique à la plus sombre. Harold Pinter, l'auteur du script a l'idée lumineuse de reprendre le même dispositif de mise en abyme en l'adaptant au contexte cinématographique. Deux récits s'enchâssent en miroir: celui, fidèle au livre d'une passion interdite entre un gentleman et une outcast du XIX° siècle et celui d'une liaison entre les deux acteurs jouant ces rôles pendant le tournage du film. Chaque récit possède sa vérité propre, sa coloration propre tout en renvoyant sans cesse à son alter ego.
Une scène sublime résume à elle seule tous les enjeux du récit du XIX° siècle, une scène qui célèbre le pouvoir romanesque du cinéma: Une jeune femme mystérieuse et encapuchonnée se tient au bout d'une digue et brave la mer houleuse. Elle attend le retour d'un fantôme, celui du "lieutenant français" qui jadis la séduisit et l'abandonna à l'opprobre de la société. Un beau jeune homme l'aperçoit et, fasciné quitte aussitôt le bras sécurisant de sa fiancée bourgeoise pour aller lui porter secours. Nous assistons à la rencontre d'un spectre et d'un homme qui à l'image de sa collection de fossiles se prépare à une vie de mort-vivant. De cette rencontre jaillit un embrasement que les interdits ne font qu'aviver et qui donne lieu à des scènes d'amour parmi les plus fiévreuses vues au cinéma. Mais il s'agit d'une relation qui fait autant appel aux sens qu'à l'esprit. En effet elle se double d'une fine étude de moeurs. Charles éprouve une pitié dangereuse pour Sarah qu'il veut sauver de la prostitution à laquelle croit-il elle est condamnée. Fière, indépendante, séductrice et passionnée (à l'image des cheveux rouge feu qu'elle cache sous son capuchon), Sarah veut s'en sortir seule, être son propre maître. Elle s'appuie pour cela sur ses compétences (elle est couturière, dessinatrice, préceptrice, gouvernante.) Mais au XIX°, une femme qui n'est pas sous la protection-domination d'un homme ne peut être qu'une dépravée. Alors Sarah assume sa réputation de femme perdue, exclue, condamnée à la solitude et en fait une force au service de son indépendance quitte à mentir et manipuler son entourage. Pour rejoindre une telle femme, Charles devra à peu près se dépouiller de tout tel un ascète pour pouvoir renaître enfin, guidé par celle qu'il aime vers on ne sait quelle destination. Ajoutons que la composition picturale des paysages, magnifiques et symboliques, participe pleinement au pouvoir d'envoûtement de cette histoire: la mer déchaînée de la passion, la forêt luxuriante des instincts avec la mer en contrebas s'opposent à la ville et au jardin d'hiver de la nature encagée. On a souvent comparé cette atmosphère, à raison à celle des Hauts de Hurlevent.
L'histoire moderne qui enchâsse le récit du XIX° n'a en revanche rien de romanesque. L'image tout comme les paysages sont sans recherche et sans relief à l'image de la liaison des deux acteurs qui s'apparente à un adultère parfaitement trivial. L'hypocrisie, la médiocrité et l'inconstance tranchent avec le récit enchâssé qui fait appel aux comportements les plus nobles et aux sentiments les plus profonds. Le but de cette mise en abyme est d'établir comme dans le roman une distanciation critique. L'effet d'illusion est brisé par les scènes montrant les coulisses de la fabrication du film. Des informations nous sont données permettant de comprendre la condition féminine du XIX° siècle. Enfin la mise en abyme renvoie aux innombrables liaisons clandestines entre acteurs pendant le temps d'un tournage où ceux-ci se perdent dans leurs rôles. Meryl Streep et Jeremy Irons qui interprètent Anna et Mike qui interprètent Sarah et Charles crament la pellicule qu'ils se consument de passion ou soient volages et détachés.
Un film largement inabouti que ce soit au niveau du scénario mal ficelé et qui part dans tous les sens sans en creuser un seul, de l'univers pompé sur les oeuvres antérieures du réalisateur, Harry Potter et X-Men ou de personnages pléthoriques à peine esquissés. Cette superficialité et ce manque de cohérence expliquent le fait que ce film agréable à regarder (il y a de très belles images et quelques vrais moments de poésie avec l'épave du bateau par exemple) ne dépasse pas le stade du divertissement. Il faut dire que le seul véritable enjeu qui transparaît dans ce film est celui des états d'âme de Tim Burton ce qui n'est pas très enthousiasmant. Ex-artisan dont le talent a fini par se dissoudre dans l'insipide soupe de l'industrie hollywoodienne, il n'en finirait pas de pleurer sur son sort. Ce que certains croient discerner dans le combat des squelettes-marionnettes animées contre des créatures 100% virtuelles, les sépulcreux. J'aurais personnellement préféré qu'il s'intéresse vraiment aux enfants particuliers et à la tragédie historique qui sous-tend leur histoire. Celle de la guerre et de la Shoah qui est évoquée explicitement, l'orphelinat constituant un refuge que seules les manifestations surnaturelles (Ombrunes, boucles temporelles) protègent contre l'anéantissement.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.