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Articles avec #drame tag

Liliom

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1930)

Liliom

Plastiquement, Liliom est un film superbe. Bien que parlant, il se situe dans le prolongement des œuvres muettes du cinéaste très influencées par l'expressionnisme allemand. Les décors stylisés, dépouillés et géométriques sont à la limite de l'abstraction. On a le plus souvent affaire à deux plans. Le premier plan quasi vide évoque une scène de théâtre. Le second plan visible par une grande ouverture montre les lumières et les formes circulaires ou elliptiques de la fête foraine nocturne. Cet irréalisme des décors contribue à créer une atmosphère onirique voire féérique renforcée par des lumières contrastées en clair-obscur. Il permet d'effectuer en douceur le basculement de la dimension terrestre vers la dimension céleste. Celle-ci passe du deuxième au premier plan lorsque le train du grand huit visible au fond de l'image change de direction, se rapproche et passe soudain par l'ouverture, traversant la chambre pour emporter l'âme du défunt.

Mais si la forme enchante voire éblouit, le contenu n'est pas à la hauteur et tourne rapidement à vide. On aurait pu presque s'en passer tout comme des paroles, bien inutiles tant le film est proche de l'esthétique du muet et du cinéma expérimental. Borzage a adapté une pièce de théâtre du dramaturge hongrois Ferenc Molnar publiée en 1909 qui raconte l'histoire de Julie, une domestique naïve qui tombe éperdument amoureuse d'un séduisant mais veule bonimenteur de foire, Liliom. Quoiqu'il lui fasse subir, elle l'accepte avec le même air de mouton résigné. Julie incarne pour Liliom l'espoir d'échapper à une vie qui à l'image du carrousel où il travaille tourne en rond. Il lorgne vers la ligne de fuite des rails, vers une nouvelle vie en Amérique, vers la rédemption par l'amour. Mais Liliom est un personnage minable, un velléitaire bouffi d'orgueil qui refuse les offres d'emploi honorables qu'il ne trouve pas assez bien pour lui. Il se fait entretenir par Julie puis se compromet avec un voleur. Mais de cela aussi il est incapable et préfère lâchement se supprimer. Qu'un personnage aussi médiocre se voit offrir par l'au-delà une seconde chance alors que personne d'autre n'a eu ce privilège défie l'entendement. La manière dont il l'utilise laisse pantois tout comme la façon dont son acte est interprété ("non ce n'est pas un échec.") Et Julie et sa fille d'en rajouter sur le thème "Il me frappe mais ça ne fait pas mal." (C'est merveilleux quoi!) Où quand Borzage mélange amour absolu et maltraitance et tente de le justifier. Bref, c'est daté, daté et cet aspect ne passe plus aujourd'hui. A sa sortie ce drame fantastique atypique connut un échec critique et public retentissant et les passages religieux furent censurés dans certains pays ce qui faillit compromettre la carrière de Borzage.

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Excalibur

Publié le par Rosalie210

John Boorman (1981)

Excalibur

Les plus belles légendes s'appuient toujours sur un fond de vérité. Même si son existence historique n'est pas attestée, on situe l'existence du roi breton (c'est à dire anglais) Arthur au VI° siècle après JC. La mise par écrit des éléments essentiels de sa légende (Uther Pendragon, Merlin, Excalibur, Mordred, Avalon...) s'effectue au XII° siècle par Geoffroy de Monmouth, puis par Chrétien de Troyes qui y ajoute Lancelot et le Graal et Robert de Boron qui évoque l'épreuve de l'enclume par laquelle Arthur, simple palefrenier obtint le trône. Le XII° correspond au triomphe de la culture chevaleresque féodale dont les rites et les valeurs sont portés par le cycle arthurien. Mais c'est plutôt sur les romans arthuriens modernes que s'est appuyé John Boorman pour construire son film. La mort d'Arthur de Thomas Malory (1470) et plusieurs oeuvres de fantasy du XX° siècle jusqu'à Tolkien. On ressent dans le film les lointains échos du Seigneur des anneaux que Boorman avait le projet d'adapter. Ce projet échoua mais il réutilisa certaines idées pour Excalibur. D'autre part, les contraintes de durée l'obligèrent à fusionner certains personnages (Arthur et le roi pêcheur, Perceval et Galahad) et à faire des ellipses. Mais le film gagne en clarté ce qu'il perd en détails.

Outre ce substrat littéraire très riche, outre une esthétique picturale flamboyante qui doit autant aux préraphaëlites qu'à Gustav Klimt, outre une interprétation collégiale remarquable composée de jeunes visages en 1980 appelés à faire une grande carrière par la suite (Gabriel Byrne, Helen Mirren, Liam Neeson...), outre une bande originale digne des meilleurs films de Kubrick (ou comment friser la grandiloquence sans y tomber avec O Fortuna pour l'un et Ainsi parlait Zarathoustra pour l'autre) l'aspect qui me fascine le plus dans le film de Boorman est sa profonde compréhension des enjeux de la fusion entre culture barbare et chrétienté qui façonna la civilisation occidentale du Moyen-Age. Cette fusion eut en effet un prix, celle du sacrifice du paganisme au profit du christianisme. Ce n'est pas un hasard si le personnage le plus marquant du film de Boorman est Merlin le magicien et philosophe qui prophétise à Morgane que pour leur espèce, "les jours sont comptés. Le dieu unique chasse les dieux multiples." Le thème musical de la mort de Siegfried extrait du crépuscule des Dieux de Wagner sur fond de soleil couchant ne dit pas
autre chose. C'est en effet dans la dernière partie du film consacrée à la quête du Graal que la christianisation de la légende est la plus évidente. Perceval devient Jésus. Il trouve le Graal après ce qui ressemble à son baptême dans la rivière et lorsqu'il en fait boire le contenu à Arthur celui-ci ressuscite et part vaincre Mor(t)dred en traversant des paysages printaniers (un symbole majeur de la résurrection). Boorman dont le cinéma a un caractère panthéiste magnifie la nature en filmant de somptueux paysages reflétants les états d'âme des protagonistes (terre aride de la quête, forêt des tourments...)

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Opening night

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1977)

Opening night

Une claque cinématographique qui a inspiré d'autres films de premier plan comme Tout sur ma mère d'Almodovar ou Black Swan de Daren Aronofsky mais qui reste beaucoup moins connu. De nombreux grands et/ou beaux films centrés sur l'âme féminine (et j'emploie cette expression à dessein car il ne suffit pas qu'une femme soit l'héroïne d'un film pour qu'il exprime une quelconque féminité) sont ainsi passés sous le radar. Parmi eux, plusieurs Cassavetes centrés sur Gena Rowlands (Minnie et Moscowitz, Une femme sous influence et Opening Night, les deux derniers étant à juste titre considérés comme ses chefs-d'oeuvre.)

La peur de vieillir est un thème récurrent chez Cassavetes. Une peur qu'il exprime dans plusieurs de ses films au travers de femmes solitaires et vieillissantes aux prises avec le désir, l'amour, la sexualité. Dans Opening Night qui se situe dans l'univers du théâtre et a pour héroïne principale une star quadragénaire, Myrtle Gordon (Gena Rowlands, éblouissante, au sommet de son art), la question de l'image et de la carrière ajoutent une dose supplémentaire de tourments. Myrtle se débat sur scène et en coulisses avec un rôle, celui de Virginia, qui lui renvoie une image désespérée d'elle-même. La pièce qui s'intitule "second woman" (la seconde femme) a été écrite par une femme sexagénaire, Sarah Goode (Joan Blondell) dont l'état d'esprit résigné se rapproche de la chanson de Léo Ferré "Avec le temps". Et pour couronner le tout, Nancy (Laura Johnson), une jeune groupie de dix-sept ans qui poursuivait la voiture de Myrtle est renversée et meurt sur le coup. Le fantôme de Nancy, symbole de la jeunesse enfuie de Myrtle revient la hanter et la torturer, tel un double maléfique. L'auteur de la pièce, le producteur David Samuels (Paul Stewart), le metteur en scène Manny Victor (Ben Gazarra) et les autres acteurs la voient sombrer dans la folie et tentent tant bien que mal de la maintenir à flots (quand ils ne sont pas tentés de la laisser tomber, lassés par ses "caprices"). Mais Myrtle est une femme qui même au fond du trou ne se résigne pas et remonte la pente (une fois de plus la métaphore de l'escalier fait des merveilles). Comme le dit l'un des membres de l'équipe technique de la pièce "jamais je n'ai vu une femme aussi ivre qui pouvait encore marcher." Combattant pied à pied la fatalité (un texte déjà écrit), elle n'hésite pas à improviser et à changer les dialogues et le sens de la pièce. La dernière demi-heure du film est ébouriffante de par les enjeux existentiels qu'elle soulève. Devant un vrai public convoqué pour assister au captage des scènes tournées de la pièce, on y voit Myrtle et sa robe rouge sang (en opposition avec la robe de deuil portée au début de la pièce) transformer en temps réel le drame en grosse farce avec la complicité de son partenaire longtemps récalcitrant Maurice Aarons qui n'est autre que John Cassavetes. La mise en abyme semble vertigineuse mais chez Cassavetes, vie, théâtre et cinéma ne font qu'un car ils sont traversés par les mêmes flux énergétiques. D'où un film d'une rare puissance en forme de résistance au temps qui passe.

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Whiplash

Publié le par Rosalie210

Damien Chazelle (2014)

Whiplash

Whiplash offre un vrai paradoxe. Les instruments envahissent le cadre, les morceaux jazz (très beaux au demeurant) joués en live saturent l'espace sonore. Mais la vision de l'art et de l'artiste est complètement tordue, biaisée. Le jazz est instrumentalisé, vidé de son identité et de sa substance (à commencer par son terreau afro-américain. Les noirs sont relégués aux marges du film au profit des blancs dominants) Au lieu d'être l'expression d'une sensibilité ou d'une passion, la musique devient objet d'un affrontement musclé entre un professeur sadique et particulièrement retors (vu la façon abjecte dont il feint l'empathie pour soutirer des confidences qui lui servent ensuite à mieux asseoir son pouvoir castrateur) et un élève masochiste qui en redemande. But noblement affirmé de ces séances de tortures psychologiques et physiques: faire sortir le génie qui est en lui ("c'est pour ton bien mon fils.") But inavoué: transformer un "puceau" trop tendre en vrai mec... de boîte gay SM vu les insultes sexistes et homophobes qui pleuvent sur les épaules d'Andrew sommé de s'extirper de sa peau de "tarlouze sodomite" tout en devant se livrer corps et âme à son bourreau. Le réalisateur lui-même affirme s'être inspiré de l'instructeur psychopathe de Full Metal Jacket pour le personnage du professeur. Sa classe ressemble en effet plus à un terrain d'entraînement militaire ou à un ring de boxe qu'à un orchestre. Quant aux élèves terrorisés, ils sont au garde-à-vous, regard à terre, pétrifiés par la peur. Mais on pense également aux jeunesses hitlériennes et au discours que tenait Hitler sur elles "Il ne doit y avoir en elles rien de faible ni de tendre. Le fauve libre et magnifique doit briller dans ses yeux." Andrew adhère si bien à cette idéologie de la virilité (et ses paradoxes cachés mis à jour par Visconti dans Les Damnés), de la (force) brute, de l'individualisme et de la compétition à outrance que l'élève finit par dépasser le maître. On le voit suer sang et eau, sacrifier sa vie personnelle à son objectif mais aussi écraser les autres et finir même par piétiner son maître. Celui-ci en est ravi d'ailleurs. Il a fabriqué un monstre à son image. Et la mise en scène intense, (trop) fascinée finit par distiller une intolérable ambiguïté comme si elle justifiait l'injustifiable au nom d'un prétendu intérêt supérieur. Aucun recul, aucune réflexion, aucun esprit critique possible avec ce genre de mise en scène immersive (une plaie du cinéma contemporain) qui flatte les pulsions en endormant la raison. On est à des années-lumières d'un Kubrick.

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Spotlight

Publié le par Rosalie210

Tom McCarthy (2015)

Spotlight

Un film dont la sobriété et la pudeur parfois critiquées peuvent être aisément retournées comme étant des qualités:

- Aucun excès de gras: l'intrigue se concentre sur l'essentiel, l'enquête aux ramifications complexes ayant permis de mettre à jour un scandale de pédophilie touchant l'Eglise de la région de Boston. La mise en scène tout comme l'interprétation sont au diapason. Le portrait des journalistes d'investigation se fait "en creux". On perçoit bien leurs différences d'approche, de style, d'origine entre le bourgeois catholique mondain (Walter Robinson joué par Michael Keaton) qui fait jouer ses réseaux du collège au terrain de golf, le jeune bull-terrier adepte du rentre-dedans (Mike Rezendes joué par Mark Ruffalo), la psy qui privilégie le porte-à porte et l'écoute empathique (Sacha Pfeifer jouée par Rachel McAdams) et enfin le rat de bibliothèque taiseux qui épluche et recoupe les registres et les dossiers (Matt Caroll joué par Brian d'Arcy James, acteur moins médiatique que les autres car n'ayant pas eu la chance d'incarner Batman ou Hulk à l'écran). Cependant tout ce qui ne relève pas de l'enquête (et notamment leurs vies privées) est laissé hors-champ.

- L'inscription dans un genre balisé par des films antérieurs à succès, celui du film-dossier ou film-enquête au déroulement haletant pour mieux dissimuler son véritable sujet qui est la mise à jour des rouages d'un système perverti dans une communauté repliée sur elle-même où l'omerta règne. " Il faut un village pour élever un enfant. Il faut un village pour abuser de lui." Le village, c'est Boston, la "plus grande petite ville" des USA et la plus catholique où tout le monde se connaît, où tout le monde sait mais où personne ne dit rien. L' Eglise catholique agit exactement comme la mafia. Elle fait taire les victimes en achetant leurs parents par l'entremise d'avocats véreux. Elle s'infiltre dans les coulisses des institutions et des pouvoirs locaux pour en prendre le contrôle ou faire pression sur eux à la manière d'un lobby. Par la corruption ou par la menace, elle musèle la justice, la police, les médias et les familles. Et quand elle n'y parvient pas, elle isole les brebis galeuses pour mieux les affaiblir comme l'avocat spécialisé dans les affaires de pédophilie, Mitchell Garabedian (joué par Stanley Tucci). D'où l'importance du travail d'équipe mis en avant par le film qui réussit à retrouver, faire parler et fédérer les nombreux protagonistes de cette histoire (victimes, avocats, policiers, prêtres etc.)

-Le film souligne aussi le rôle essentiel joué par les "étrangers" dans le dévoilement de l'affaire. Mitchell Garabedian précise qu'il est arménien et rappelle que l'enquête journalistique à été déclenchée par le nouveau rédacteur en chef du Boston Globe, Marty Baron (Liev Schreiber) qui est juif et originaire de Miami. Tom Mc Carthy le réalisateur avait déjà mis en avant dans un précédent film engagé (The Visitor sur la rencontre entre un professeur du Connecticut et un couple de clandestins) l'importance de l'ouverture à l'étranger pour être revivifié soi-même.

- Enfin le film a une valeur documentaire certaine. Pas seulement parce qu'il s'inspire de faits réels. Mais parce que au fil de l'enquête, il met en lumière l'ampleur des dégâts de ces crimes sur ceux qui en furent victimes: suicides en chaîne et pour les survivants, plongée dans la drogue et l'alcool pour s'anesthésier, ne plus ressentir l'horreur de ces actes criminels et du silence complice qui s'ensuivit. Si bien qu'en plus de s'interroger sur la notion de responsabilité collective, le film est une incitation à parler et à témoigner.

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Meurtre d'un bookmaker chinois (The Killing of a Chinese Bookie)

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1976)

Meurtre d'un bookmaker chinois (The Killing of a Chinese Bookie)

Dans Minnie and Moscowitz qui rendait hommage à la screwball comédie, Humphrey Bogart (dont les points communs avec Cassavetes crèvent les yeux) était cité trois fois. Il était donc logique que tôt ou tard Cassavetes réalise un film noir. Mais un film noir à sa manière. Pas de privé donc mais un patron de night-club interlope, Cosmo Vitelli joué par le 3° "Husband" (après Cassavetes et Falk) l'élégant Ben Gazarra. Cosmo est une sorte de double de Cassavetes. Il est le metteur en scène du spectacle qu'il présente aux clients chaque soir et il réinvestit tous ses revenus dans la boîte quitte à l'hypothéquer (Cassavetes réinvestissait ses cachets et recettes voire hypothéquait sa maison pour autofinancer ses films). Cosmo cherche avant tout à garder son indépendance, financière notamment. Il se fait un peu son film. En bon macho italien, Il se prend pour le sultan d'un harem menant la grande vie (limousine avec chauffeur, champagne, costume clinquant, joli assortiment de filles de toutes les couleurs etc.) Il a tellement perdu le contact avec la réalité qu'il n'hésite pas à dire à ses girls "Je suis le roi, je tiens le monde par les c........") La réalité est nettement moins idyllique. Derrière le titre pompeux de la revue "M. Sophistication et ses divines" se cachent des numéros minables avec un M. Loyal maquillé à la truelle et doté d'une voix de casserole ainsi que des filles plus potiches que danseuses. Quant à Cosmo, il lui est bien difficile de résister aux puissances de l'argent. Il met un doigt dans l'engrenage de la mafia avec une naïveté confondante ("j'ai juste signé des papiers, cela ne veut rien dire") et c'est le début des ennuis. Maintenant ce sont eux qui le tiennent par les c....... Mais Cosmo est doté d'une étonnante baraka. Alors qu'il aurait dû mourir 10 fois face aux chinois et aux gangsters, il arrive à chaque fois à leur glisser entre les mains. Une capacité à survivre qui nous rappelle qu'il est un vétéran de la guerre de Corée (1950-1953).

Élément récurrent dans les films de Cassavetes qui est particulièrement mis en valeur ici: l'escalier que ne cesse de monter et descendre Cosmo. Il incarne les hauts et les bas, l'ascension et la chute d'un homme aux rêves démesurés confrontée à une réalité étriquée. Mais quels que soit les revers de fortune, même sur le point de tuer un caïd de la mafia, même avec une balle dans le ventre, Cosmo conserve son sourire en coin et ses airs bravaches car il ne pense qu'à une chose "The show must go on." C'est peut-être le secret de sa chance étonnante qui le fait toujours retomber sur ses pattes.

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Une femme sous influence (A Woman Under the Influence)

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1974)

Une femme sous influence (A Woman Under the Influence)

"Mabel est sensible et fragile. Elle n'est pas cinglée, elle est différente." Et cette différence dérange dans le film aussi bien qu'en dehors où la prestation hors-norme de Gena Rowlands est qualifiée encore aujourd'hui par certains spectateurs de "simagrées" ou de "singeries" (ceux qui lui ont remis le Golden globe seraient heureux d'apprendre qu'ils sont des singes). Alors essayons de ne pas juger le personnage. Mieux encore, essayons de nous mettre à sa place. Mabel est tout entière tendue vers un seul objectif: le don de soi. Elle donne tout, tout le temps, sans compter, avec passion, avec une sincérité totale. Pas de demi-mesure! Elle se consume dans son désir de faire plaisir et son anxiété de ne pas y arriver. Du coup elle donne trop, n'importe comment, sans tenir compte des contraintes, convenances sociales, de la distance à garder envers les gens. Ceux à qui elle croit donner sont gênés, mal à l'aise devant l'intimité maladroite qu'elle cherche à instaurer avec eux. L'un des collègues de son mari pense qu'elle le drague et ne sait plus où se mettre. Un voisin crispé à qui elle propose (ou plutôt impose car elle vous enveloppe de sa présence et ne vous laisse pas le choix) de chanter et danser avec leurs enfants finit par lui faire comprendre qu'il la croit dangereuse. Son mari impuissant, dépassé (le formidable Peter Falk, pilier de la bande à Cassavetes depuis Husbands au regard plein d'humanité) l'aime profondément mais ne sait plus que réprimer ses élans en l'injuriant, en la frappant. Rempli de honte à cause de son comportement, il se laisse influencer par le regard des autres et surtout par sa mère qui lui met la pression pour que Mabel soit mise à l'asile psychiatrique. Les fous, on les enferme et ils nous reviendront remis dans le droit chemin après quelques séances d'électrochoc. En attendant, on appelle le médecin pour qu'il "calme" Mabel. Devant tant d'injustice elle qui ne cherche qu'à être gentille pour être aimée, elle se révolte avec violence. Son équilibre mental fragile vacille. Son langage se défait: elle ne parle plus que par onomatopées et grimaces comme si elle était retournée à l'état primitif. Mais rien ni personne ne peut venir à bout de son irréductible originalité ni briser définitivement l'amour que Nick et elle se portent.

Fidèle à sa technique habituelle (longs plans-séquences permettant aux acteurs de déployer leur jeu, tournage en famille dans un quasi huis-clos théâtral, dialogues écrits conçus pour paraître improvisés, caméra au plus près du visage et du corps saisissant l'émotion sur le vif) Cassavetes nous livre une œuvre intense, bouleversante (ou agaçante diront certains, c'est une question de point de vue) sur les notions de différence et de normalité, sur le poids aliénant de la famille et de la société. Son film est sans aucun doute possible un autoportrait, celui d'un cinéaste farouchement indépendant tentant de tracer sa propre route loin de tous les formatages et de toutes les conventions. Il livre en même temps un portrait inoubliable de femme et de couple. A l'image de son personnage, Gena Rowlands se donne entièrement à la caméra. Sa prestation m'a tellement impressionnée la première fois où je l'ai vue que j'ai longtemps jugé les actrices à l'aune de ce qu'elle était capable de faire elle. Autrement dit il n'y en avait pas beaucoup qui trouvaient grâce à mes yeux.

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Les innocentes

Publié le par Rosalie210

Anne Fontaine (2016)

Les innocentes

Lors de la "libération" de l'Allemagne et des pays d'Europe de l'Est occupés par les nazis en 1945, l'armée rouge s'est rendue coupable de viols et de meurtres à grande échelle. Ces crimes n'ont pas épargné les religieuses et le film s'inspire de faits réels longtemps demeurés tabous en Pologne, pays ultra-catholique. Une femme médecin pour la Croix-Rouge française, Mathilde Beaulieu se rend clandestinement dans un couvent à l'initiative d'une novice pour aider l'une des religieuses à accoucher. Elle découvre alors l'ampleur des dégâts (une sœur déjà décédée en couches, 6 grossesses, des MST...)

Les Innocentes est un film de femmes. Les hommes sont des prédateurs tapis dans l'ombre de la forêt et prêts à bondir à tout moment. Seule exception, Samuel, le personnage joué par Vincent Macaigne. Mais il est juif et dans le contexte de la Pologne ravagée par la guerre, la Shoah et l'occupation soviétique, il est de fait dans le camp des victimes. Malgré le passif opposant le catholicisme polonais au judaïsme, il est amené à secourir lui aussi les religieuses en détresse.

L'aspect le plus intéressant du film est l'étude de caractères des religieuses. Confrontées au même traumatisme, au même désarroi, elles n'ont pas les mêmes réactions. En fonction de leur vécu et de leur tempérament, certaines vont se réfugier dans le déni de grossesse et/ou le rejet du nouveau-né, d'autres vont être envahies de honte et hantées par la crainte de la damnation ou du déshonneur, certaines refusent les soins et mêmes les consultations au point d'en mourir, d'autres vont au contraire se libérer du poids de leur secret et/ou des dogmes quitte à désobéir à leur hiérarchie. D'autres vont s'attacher à leur enfant et découvrir la maternité. Inversement l'une d'entre d'elle décide de changer de vie en laissant l'enfant derrière elle. L'actrice Agata Buzek est particulièrement remarquable dans le rôle de soeur Maria.

Cependant comme trop de films français contemporains, la réalisatrice ne resserre pas assez son sujet et le délaye dans l'anecdotique. L'amourette entre Mathilde Beaulieu et Samuel censée aérer le récit est totalement superflue. Le personnage de Mathilde Beaulieu est d'ailleurs peu crédible. Lou de Laâge apparait bien trop jeune et lisse pour incarner une femme confrontée à un environnement aussi dur. De façon plus générale, la volonté d'équilibrer le drame par des notes plus légères ou optimistes apparaît très maladroite. La fin particulièrement apporte un happy-end à la naïveté consternante.

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Témoin à charge (Witness for the Prosecution)

Publié le par Rosalie210

Billy Wilder (1957)

Témoin à charge (Witness for the Prosecution)

Témoin à charge est un film de procès, assez théâtral et statique donc qui fut souvent confondu à l'époque de sa sortie avec Le procès Paradine d'Hitchcock. L'influence d'Agatha Christie qui est l'auteur de la nouvelle et de la pièce dont est tiré le film est également très forte avec tous ces rebondissements qui rendent l'issue du procès imprévisible (et la vérité tout autant).

Mais si pour ces deux raisons, Témoin à charge n'est pas le film le plus personnel de Wilder il vaut quand même le détour pour ses dialogues brillants et sa direction d'acteurs exceptionnels. Les numéros des deux monstres sacrés amis de Wilder, Laughton et Dietrich sont à déguster sans modération. Wilder a eu l'idée géniale de mettre en valeur le personnage joué par Laughton, Sir Wilfrid en le confrontant en permanence à son infirmière trop zélée Miss Plimsoll ce qui donne lieu à des dialogues ciselés comme il en avait le secret. De plus l'infirmière est jouée par la femme de Laughton ce qui ajoute encore plus de saveur à ces chamailleries de vieux couple où Wilfrid tente 1001 stratagèmes pour fumer ses cigares et boire son brandy en douce ou prouver qu'il n'est pas un grabataire bon à mettre au placard. Quant à Dietrich, il lui offre un rôle à tiroirs qui lui permet de jouer brillamment de son image de femme fatale froidement manipulatrice tout en s'essayant à d'autres registres (l'amoureuse éperdue, la gouailleuse à l'accent cockney etc.)

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Your name (Kimi no na wa)

Publié le par Rosalie210

Makoto Shinkai (2016)

Your name (Kimi no na wa)

Une jeune fille, Mitsuha. Elle s'ennuie dans ses montagnes, au coeur du Japon rural marqué par des traditions ancestrales. Elle rêve de vivre à Tokyo dans la peau d'un jeune garçon "branché".
Un jeune garçon, Taki. Il vit à Tokyo et se sent à l'étroit dans sa vie partagée entre le lycée et son petit boulot de serveur de restaurant. Il rêve de grands espaces.
Les rêves complémentaires de ces deux adolescents qui ne se connaissent pas vont entrer en résonance deux à trois fois par semaine, permettant à chacun d'investir temporairement la peau de l'autre de façon imprévisible. Mitsuha devient Taki et Taki devient Mitsuha ce qui donne lieu à toutes sortes de quiproquos amusants et à des interrogations sur l'identité de genre (ou quand la transmigrations des âmes permet d'aborder la thématique transgenre). Puis chacun retrouve son identité habituelle sans conserver la mémoire de ce qui lui est arrivé. Cependant les interrogations de l'entourage et les traces laissées par les épisodes de "possession" vont finir par mettre en contact les deux jeunes gens via leur portable. Ils commencent alors à correspondre pour ajuster au mieux leurs comportements dans les moments où ils échangent leurs identités.

Puis un jour, tout contact est rompu, la mémoire du portable est effacée et les échanges d'âme s'arrêtent brutalement. Taki qui se souvient du paysage où vit Mitsuha décide d'enquêter pour la retrouver ainsi que son village. C'est là que les choses se corsent: il découvre qu'elle ne vit pas dans la même temporalité que lui mais dans un passé récent. Le jour où le contact a été rompu, le fragment d'une comète s'est écrasé sur son village, anéantissant une grande partie de ses habitants (allusion à peine voilée à la catastrophe de Fukushima.) A la manière de Retour vers le futur, Taki décide alors de remonter le temps pour prévenir Mitsuha et la sauver à temps ainsi que les habitants du village. Cet élément n'est pas seulement fantastique, il relève des croyances shinto traditionnelles. Le "musubi" (noeud, lien) est la divinité protectrice de la région où vit Mitsuha. Mitsuha et Taki sont liés l'un à l'autre malgré l'espace et le temps qui les séparent comme les deux branches d'une comète qui ne cessent de fusionner et de se scinder, comme une tresse (l'art pratiqué par la grand-mère de Mitsuha) qui se fait et se défait. Un lien spiritualo-charnel qui se renforce encore quand Taki boit l'offrande que Mitsuha a faite au Musubi (du saké fabriqué à partir du riz mâché par sa salive) lui permettant de retourner dans le passé alors que Mitsuha est partie le chercher à Tokyo. La tâche est d'autant plus compliquée que ces moments de fusion/croisements restent intermittents (crépuscule, rames de métro qui se croisent...) Lorsque les deux branches se séparent, leur mémoire s'efface à nouveau au point qu'ils ne se souviennent plus du nom de l'autre (ils se souviennent juste qu'ils cherchent quelqu'un/quelque chose qui leur est cher). D'où le titre: Your Name.

Derrière la romance compliquée par les problématiques transgenre et les paradoxes spatio-temporels, on comprend ce qui a pu faire de ce film sur le temps et la mémoire un méga-hit au Japon au point de dépasser en nombre d'entrées de nombreux films Ghibli. Les dichotomies du film (masculin/féminin, passé/présent, urbain/rural, tradition/modernité, souvenir/amnésie etc.) dessinent l'image de deux facettes du Japon. D'un côté la nostalgie de la culture ancestrale immémoriale s'appuyant sur un rapport puissant à la nature et aux forces cosmiques. De l'autre, la civilisation urbaine high-tech contemporaine avec les menaces qu'elle fait courir sur "l'autre Japon." Seule la mémoire du lien entre ces deux Japon peut permettre au deuxième de sauver le premier au lieu d'être englouti avec lui.

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