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Articles avec #drame tag

Meurtre d'un bookmaker chinois (The Killing of a Chinese Bookie)

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1976)

Meurtre d'un bookmaker chinois (The Killing of a Chinese Bookie)

Dans Minnie and Moscowitz qui rendait hommage à la screwball comédie, Humphrey Bogart (dont les points communs avec Cassavetes crèvent les yeux) était cité trois fois. Il était donc logique que tôt ou tard Cassavetes réalise un film noir. Mais un film noir à sa manière. Pas de privé donc mais un patron de night-club interlope, Cosmo Vitelli joué par le 3° "Husband" (après Cassavetes et Falk) l'élégant Ben Gazarra. Cosmo est une sorte de double de Cassavetes. Il est le metteur en scène du spectacle qu'il présente aux clients chaque soir et il réinvestit tous ses revenus dans la boîte quitte à l'hypothéquer (Cassavetes réinvestissait ses cachets et recettes voire hypothéquait sa maison pour autofinancer ses films). Cosmo cherche avant tout à garder son indépendance, financière notamment. Il se fait un peu son film. En bon macho italien, Il se prend pour le sultan d'un harem menant la grande vie (limousine avec chauffeur, champagne, costume clinquant, joli assortiment de filles de toutes les couleurs etc.) Il a tellement perdu le contact avec la réalité qu'il n'hésite pas à dire à ses girls "Je suis le roi, je tiens le monde par les c........") La réalité est nettement moins idyllique. Derrière le titre pompeux de la revue "M. Sophistication et ses divines" se cachent des numéros minables avec un M. Loyal maquillé à la truelle et doté d'une voix de casserole ainsi que des filles plus potiches que danseuses. Quant à Cosmo, il lui est bien difficile de résister aux puissances de l'argent. Il met un doigt dans l'engrenage de la mafia avec une naïveté confondante ("j'ai juste signé des papiers, cela ne veut rien dire") et c'est le début des ennuis. Maintenant ce sont eux qui le tiennent par les c....... Mais Cosmo est doté d'une étonnante baraka. Alors qu'il aurait dû mourir 10 fois face aux chinois et aux gangsters, il arrive à chaque fois à leur glisser entre les mains. Une capacité à survivre qui nous rappelle qu'il est un vétéran de la guerre de Corée (1950-1953).

Élément récurrent dans les films de Cassavetes qui est particulièrement mis en valeur ici: l'escalier que ne cesse de monter et descendre Cosmo. Il incarne les hauts et les bas, l'ascension et la chute d'un homme aux rêves démesurés confrontée à une réalité étriquée. Mais quels que soit les revers de fortune, même sur le point de tuer un caïd de la mafia, même avec une balle dans le ventre, Cosmo conserve son sourire en coin et ses airs bravaches car il ne pense qu'à une chose "The show must go on." C'est peut-être le secret de sa chance étonnante qui le fait toujours retomber sur ses pattes.

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Une femme sous influence (A Woman Under the Influence)

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1974)

Une femme sous influence (A Woman Under the Influence)

"Mabel est sensible et fragile. Elle n'est pas cinglée, elle est différente." Et cette différence dérange dans le film aussi bien qu'en dehors où la prestation hors-norme de Gena Rowlands est qualifiée encore aujourd'hui par certains spectateurs de "simagrées" ou de "singeries" (ceux qui lui ont remis le Golden globe seraient heureux d'apprendre qu'ils sont des singes). Alors essayons de ne pas juger le personnage. Mieux encore, essayons de nous mettre à sa place. Mabel est tout entière tendue vers un seul objectif: le don de soi. Elle donne tout, tout le temps, sans compter, avec passion, avec une sincérité totale. Pas de demi-mesure! Elle se consume dans son désir de faire plaisir et son anxiété de ne pas y arriver. Du coup elle donne trop, n'importe comment, sans tenir compte des contraintes, convenances sociales, de la distance à garder envers les gens. Ceux à qui elle croit donner sont gênés, mal à l'aise devant l'intimité maladroite qu'elle cherche à instaurer avec eux. L'un des collègues de son mari pense qu'elle le drague et ne sait plus où se mettre. Un voisin crispé à qui elle propose (ou plutôt impose car elle vous enveloppe de sa présence et ne vous laisse pas le choix) de chanter et danser avec leurs enfants finit par lui faire comprendre qu'il la croit dangereuse. Son mari impuissant, dépassé (le formidable Peter Falk, pilier de la bande à Cassavetes depuis Husbands au regard plein d'humanité) l'aime profondément mais ne sait plus que réprimer ses élans en l'injuriant, en la frappant. Rempli de honte à cause de son comportement, il se laisse influencer par le regard des autres et surtout par sa mère qui lui met la pression pour que Mabel soit mise à l'asile psychiatrique. Les fous, on les enferme et ils nous reviendront remis dans le droit chemin après quelques séances d'électrochoc. En attendant, on appelle le médecin pour qu'il "calme" Mabel. Devant tant d'injustice elle qui ne cherche qu'à être gentille pour être aimée, elle se révolte avec violence. Son équilibre mental fragile vacille. Son langage se défait: elle ne parle plus que par onomatopées et grimaces comme si elle était retournée à l'état primitif. Mais rien ni personne ne peut venir à bout de son irréductible originalité ni briser définitivement l'amour que Nick et elle se portent.

Fidèle à sa technique habituelle (longs plans-séquences permettant aux acteurs de déployer leur jeu, tournage en famille dans un quasi huis-clos théâtral, dialogues écrits conçus pour paraître improvisés, caméra au plus près du visage et du corps saisissant l'émotion sur le vif) Cassavetes nous livre une œuvre intense, bouleversante (ou agaçante diront certains, c'est une question de point de vue) sur les notions de différence et de normalité, sur le poids aliénant de la famille et de la société. Son film est sans aucun doute possible un autoportrait, celui d'un cinéaste farouchement indépendant tentant de tracer sa propre route loin de tous les formatages et de toutes les conventions. Il livre en même temps un portrait inoubliable de femme et de couple. A l'image de son personnage, Gena Rowlands se donne entièrement à la caméra. Sa prestation m'a tellement impressionnée la première fois où je l'ai vue que j'ai longtemps jugé les actrices à l'aune de ce qu'elle était capable de faire elle. Autrement dit il n'y en avait pas beaucoup qui trouvaient grâce à mes yeux.

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Les innocentes

Publié le par Rosalie210

Anne Fontaine (2016)

Les innocentes

Lors de la "libération" de l'Allemagne et des pays d'Europe de l'Est occupés par les nazis en 1945, l'armée rouge s'est rendue coupable de viols et de meurtres à grande échelle. Ces crimes n'ont pas épargné les religieuses et le film s'inspire de faits réels longtemps demeurés tabous en Pologne, pays ultra-catholique. Une femme médecin pour la Croix-Rouge française, Mathilde Beaulieu se rend clandestinement dans un couvent à l'initiative d'une novice pour aider l'une des religieuses à accoucher. Elle découvre alors l'ampleur des dégâts (une sœur déjà décédée en couches, 6 grossesses, des MST...)

Les Innocentes est un film de femmes. Les hommes sont des prédateurs tapis dans l'ombre de la forêt et prêts à bondir à tout moment. Seule exception, Samuel, le personnage joué par Vincent Macaigne. Mais il est juif et dans le contexte de la Pologne ravagée par la guerre, la Shoah et l'occupation soviétique, il est de fait dans le camp des victimes. Malgré le passif opposant le catholicisme polonais au judaïsme, il est amené à secourir lui aussi les religieuses en détresse.

L'aspect le plus intéressant du film est l'étude de caractères des religieuses. Confrontées au même traumatisme, au même désarroi, elles n'ont pas les mêmes réactions. En fonction de leur vécu et de leur tempérament, certaines vont se réfugier dans le déni de grossesse et/ou le rejet du nouveau-né, d'autres vont être envahies de honte et hantées par la crainte de la damnation ou du déshonneur, certaines refusent les soins et mêmes les consultations au point d'en mourir, d'autres vont au contraire se libérer du poids de leur secret et/ou des dogmes quitte à désobéir à leur hiérarchie. D'autres vont s'attacher à leur enfant et découvrir la maternité. Inversement l'une d'entre d'elle décide de changer de vie en laissant l'enfant derrière elle. L'actrice Agata Buzek est particulièrement remarquable dans le rôle de soeur Maria.

Cependant comme trop de films français contemporains, la réalisatrice ne resserre pas assez son sujet et le délaye dans l'anecdotique. L'amourette entre Mathilde Beaulieu et Samuel censée aérer le récit est totalement superflue. Le personnage de Mathilde Beaulieu est d'ailleurs peu crédible. Lou de Laâge apparait bien trop jeune et lisse pour incarner une femme confrontée à un environnement aussi dur. De façon plus générale, la volonté d'équilibrer le drame par des notes plus légères ou optimistes apparaît très maladroite. La fin particulièrement apporte un happy-end à la naïveté consternante.

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Témoin à charge (Witness for the Prosecution)

Publié le par Rosalie210

Billy Wilder (1957)

Témoin à charge (Witness for the Prosecution)

Témoin à charge est un film de procès, assez théâtral et statique donc qui fut souvent confondu à l'époque de sa sortie avec Le procès Paradine d'Hitchcock. L'influence d'Agatha Christie qui est l'auteur de la nouvelle et de la pièce dont est tiré le film est également très forte avec tous ces rebondissements qui rendent l'issue du procès imprévisible (et la vérité tout autant).

Mais si pour ces deux raisons, Témoin à charge n'est pas le film le plus personnel de Wilder il vaut quand même le détour pour ses dialogues brillants et sa direction d'acteurs exceptionnels. Les numéros des deux monstres sacrés amis de Wilder, Laughton et Dietrich sont à déguster sans modération. Wilder a eu l'idée géniale de mettre en valeur le personnage joué par Laughton, Sir Wilfrid en le confrontant en permanence à son infirmière trop zélée Miss Plimsoll ce qui donne lieu à des dialogues ciselés comme il en avait le secret. De plus l'infirmière est jouée par la femme de Laughton ce qui ajoute encore plus de saveur à ces chamailleries de vieux couple où Wilfrid tente 1001 stratagèmes pour fumer ses cigares et boire son brandy en douce ou prouver qu'il n'est pas un grabataire bon à mettre au placard. Quant à Dietrich, il lui offre un rôle à tiroirs qui lui permet de jouer brillamment de son image de femme fatale froidement manipulatrice tout en s'essayant à d'autres registres (l'amoureuse éperdue, la gouailleuse à l'accent cockney etc.)

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Your name (Kimi no na wa)

Publié le par Rosalie210

Makoto Shinkai (2016)

Your name (Kimi no na wa)

Une jeune fille, Mitsuha. Elle s'ennuie dans ses montagnes, au coeur du Japon rural marqué par des traditions ancestrales. Elle rêve de vivre à Tokyo dans la peau d'un jeune garçon "branché".
Un jeune garçon, Taki. Il vit à Tokyo et se sent à l'étroit dans sa vie partagée entre le lycée et son petit boulot de serveur de restaurant. Il rêve de grands espaces.
Les rêves complémentaires de ces deux adolescents qui ne se connaissent pas vont entrer en résonance deux à trois fois par semaine, permettant à chacun d'investir temporairement la peau de l'autre de façon imprévisible. Mitsuha devient Taki et Taki devient Mitsuha ce qui donne lieu à toutes sortes de quiproquos amusants et à des interrogations sur l'identité de genre (ou quand la transmigrations des âmes permet d'aborder la thématique transgenre). Puis chacun retrouve son identité habituelle sans conserver la mémoire de ce qui lui est arrivé. Cependant les interrogations de l'entourage et les traces laissées par les épisodes de "possession" vont finir par mettre en contact les deux jeunes gens via leur portable. Ils commencent alors à correspondre pour ajuster au mieux leurs comportements dans les moments où ils échangent leurs identités.

Puis un jour, tout contact est rompu, la mémoire du portable est effacée et les échanges d'âme s'arrêtent brutalement. Taki qui se souvient du paysage où vit Mitsuha décide d'enquêter pour la retrouver ainsi que son village. C'est là que les choses se corsent: il découvre qu'elle ne vit pas dans la même temporalité que lui mais dans un passé récent. Le jour où le contact a été rompu, le fragment d'une comète s'est écrasé sur son village, anéantissant une grande partie de ses habitants (allusion à peine voilée à la catastrophe de Fukushima.) A la manière de Retour vers le futur, Taki décide alors de remonter le temps pour prévenir Mitsuha et la sauver à temps ainsi que les habitants du village. Cet élément n'est pas seulement fantastique, il relève des croyances shinto traditionnelles. Le "musubi" (noeud, lien) est la divinité protectrice de la région où vit Mitsuha. Mitsuha et Taki sont liés l'un à l'autre malgré l'espace et le temps qui les séparent comme les deux branches d'une comète qui ne cessent de fusionner et de se scinder, comme une tresse (l'art pratiqué par la grand-mère de Mitsuha) qui se fait et se défait. Un lien spiritualo-charnel qui se renforce encore quand Taki boit l'offrande que Mitsuha a faite au Musubi (du saké fabriqué à partir du riz mâché par sa salive) lui permettant de retourner dans le passé alors que Mitsuha est partie le chercher à Tokyo. La tâche est d'autant plus compliquée que ces moments de fusion/croisements restent intermittents (crépuscule, rames de métro qui se croisent...) Lorsque les deux branches se séparent, leur mémoire s'efface à nouveau au point qu'ils ne se souviennent plus du nom de l'autre (ils se souviennent juste qu'ils cherchent quelqu'un/quelque chose qui leur est cher). D'où le titre: Your Name.

Derrière la romance compliquée par les problématiques transgenre et les paradoxes spatio-temporels, on comprend ce qui a pu faire de ce film sur le temps et la mémoire un méga-hit au Japon au point de dépasser en nombre d'entrées de nombreux films Ghibli. Les dichotomies du film (masculin/féminin, passé/présent, urbain/rural, tradition/modernité, souvenir/amnésie etc.) dessinent l'image de deux facettes du Japon. D'un côté la nostalgie de la culture ancestrale immémoriale s'appuyant sur un rapport puissant à la nature et aux forces cosmiques. De l'autre, la civilisation urbaine high-tech contemporaine avec les menaces qu'elle fait courir sur "l'autre Japon." Seule la mémoire du lien entre ces deux Japon peut permettre au deuxième de sauver le premier au lieu d'être englouti avec lui.

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La femme au corbeau (The River)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1929)

La femme au corbeau  (The River)

Enhardi par les immenses succès de l'Heure suprême et de l'Ange de la rue, Borzage s'aventure dans son film suivant sur un terrain tabou en 1928, celui de l'érotisme. L'amour physique, le désir, la sensualité étaient discrètement suggérés dans ses films précédents mais dans La Femme au corbeau ils éclatent au grand jour. L'union des corps est indissociable chez Borzage de celle des émotions et des esprits. Il n'existe qu'une seule échelle qui prend ses racines dans l'amour profane et monte jusqu'au sacré. L'amour est assomption mais celle-ci n'est possible que parce que toutes les dimensions de l'humain sont prises en compte. Et comme on est encore dans la période pré-code Hays, Borzage va oser réaliser "l'oeuvre la plus sensuelle et la plus provocatrice de tout le cinéma muet." (Hervé Dumont)

Il ne reste plus aujourd'hui que la moitié du film d'origine. Le début, la fin et deux scènes intermédiaires ont été perdus (la pellicule s'est décomposée) et sont remplacés aujourd'hui par des photos du tournage et des cartons explicatifs permettant de suivre l'intrigue. Coup de chance, ce qui nous reste du film est la partie la plus intense, celle qui montre la naissance du désir, le jeu de séduction puis l'éclosion de l'amour entre les deux personnages principaux, Allen John (Charles Farrell) et Rosalee (Mary Duncan). Ce sont ces scènes qui ont offusqués les puritains (le film a été interdit ou censuré dans de nombreux Etats aux USA et dans le monde) et à l'inverse ont provoqué la pâmoison des surréalistes en France qui l'ont élevé au rang de film culte. Farrell sortant de la rivière dans le plus simple appareil, réchauffé par le corps de Rosalee couché sur lui ou sa main guidée par elle touchant son sein sont autant de magnifiques visualisations du désir féminin. Entre cette femme revenue de tout (et surtout des hommes) et cet innocent qui n'a jamais connu de femme (un petit garçon qui devient un homme), l'amour prend une tournure bouleversante qui les révèle à eux-mêmes. Le corbeau, métaphore des obstacles à vaincre (le rival castrateur, le passé encombrant etc.) sur le chemin de la libération et de la plénitude ne peut qu'être vaincu. Une fois de plus, Borzage a recours a des jeux d'ombres expressionnistes pour symboliser la menace qui pèse sur les amants alors que la puissance de leurs désirs se manifeste à travers les déchaînements de la nature (tourbillons, tempêtes de neige...) Ajoutons que le jeu des acteurs stupéfie par sa modernité. Mary Duncan est incroyablement directe dans ses attitudes et ses gestes (elle se caresse le sein, s'allonge lascivement, porte une sucrerie offerte par Allen John à la bouche avec un regard provocateur etc.) Et Charles Farrell dans son initiation au désir provoque le trouble.

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L'isolé (Lucky Star)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1929)

L'isolé (Lucky Star)

L'isolé en France, Lucky star en VO est le dernier film muet réalisé par Frank Borzage et son dixième film pour la Fox. Contrairement aux autres films tournés avec le couple vedette Janet Gaynor et Charles Farrell celui-ci se heurta à un contexte difficile en raison de la crise de 29 mais surtout de l'avènement du parlant. William Fox exigea l'introduction de séquences sonorisées (aujourd'hui perdues) et à sa sortie le film fut boudé: il était passé de mode. On le crut longtemps définitivement perdu comme 90% des films muets mais l'on finit par retrouver au début des années 90 une copie de la version muette aux Pays-Bas avec des intertitres en flamand. Le script ayant été conservé, il fut possible de restaurer le film dans son état d'origine et de le redécouvrir.

Quelle que soit l'intrigue, Borzage développe toujours les mêmes thèmes. Ici il adapte à sa manière une nouvelle très courte de Tristram Tupper, Trois épisodes dans la vie de Tim Osborne. Tim connaît une succession de hauts et de bas. Réparateur de poteaux électriques, on le découvre perché sur leurs cîmes avant que la guerre de 14 ne le cloue dans un fauteuil roulant. L'isolé c'est lui, rejeté de tous, enfin de presque tous: "je m'occupe des débris, ils ne m'intéressaient pas avant." L'autre débris c'est Mary Tucker, fille d'une fermière veuve qui vit dans la misère. Mary seconde sa mère auprès de ses petits frères, accomplit les durs travaux de la ferme. Elle est négligée, maltraitée, mal élevée. Tim la prend sous son aile et l'éduque (la scène du schampoing fait penser à Charlot violoniste où la souillon à décrasser est Edna Purviance.) Mary lui redonne le goût de vivre et de se battre. Mais sa mère voit d'un mauvais oeil cette relation avec un infirme et veut la forcer à faire un beau mariage. Le prétendant a beau être un escroc, c''est un séducteur beau parleur qui la couvre de cadeaux. Face à l'adversité le couple devra puiser comme toujours chez Borzage dans la force de son amour pour triompher des obstacles et accomplir des miracles. La scène où Tim accomplit son chemin de croix avec ses béquilles fait penser à la fin de l'Heure suprême où aveugle il parvenait à retrouver le chemin de sa maison et à gravir les étages pour retrouver sa bien-aimé. Les comédiens sont formidables et leurs sentiments retranscrits avec beaucoup de finesse. Charles Farrell y joue une partition plus grave, plus mature que dans les films précédents avec Janet Gaynor et il est d'autant plus émouvant.

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L'ange de la rue (Street Angel)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1928)

L'ange de la rue (Street Angel)

L'Ange de la rue a été réalisé dans la foulée du succès de l'Heure suprême. Le public voulait absolument voir un autre film avec le couple d'amoureux joués par Janet Gaynor et Charles Farrell. Borzage décida d'adapter très librement une pièce de théâtre de Monckton Hoffe pour y injecter sa personnalité. L'intrigue fut déplacée de Londres à Naples (Borzage était d'origine italienne) le héros devint un véritable artiste et sa compagne un "ange des rues", oxymore désignant les prostituées.

On retrouve dans ce film tous les thèmes chers à Borzage. Des personnages isolés, bannis, rejetés de la société. Un amour fou purificateur qui agit comme une assomption. Un dégoût des institutions et des autorités qui broient les individus. Un art consommé des contrastes où la putain se mue en madone, où la félicité côtoie le désespoir et où la cîme est tout près de la chute. Borzage a l'art de jouer aux montagnes russes avec les émotions du spectateur en transcendant pourtant les ficelles du mélodrame. Le climax du film est ainsi une longue et déchirante scène où Angela que Gino vient de demander en mariage après avoir décroché un gros contrat est rattrapée par son passé. Lui croit à des lendemains radieux alors qu'elle sait qu'elle passe sa dernière heure avec lui avant d'être arrêtée. Ses yeux pleins de larmes dans son visage souriant bouleversent.

De manière encore plus flagrante que dans l'Heure suprême, l'Ange de la rue bénéficie de l'esthétique de l'expressionnisme allemand. Jeux d'ombres, formes géométriques stylisées, perspectives penchées et échelles faussées (la scène du procès fait paraître Angela minuscule dans un décor qui l'écrase), effets de brume etc. Borzage a assisté au tournage de l'Aurore et a voulu rivaliser avec Murnau. Enfin on sent que le passage au parlant est proche. Lorsque les amants communient, ils ne le font plus visuellement avec des médailles religieuses mais en sifflotant l'air de O Sole Mio et grâce à un effet sonore qui avait fait sensation à l'époque, on entend l'air parfaitement synchronisé.

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L'heure suprême (Seventh Heaven)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1927)

L'heure suprême (Seventh Heaven)

D'une pièce de théâtre à succès d'Austin Strong (le petit neveu de Robert Louis Stevenson) misérabiliste et bondieusarde très XIX° siècle Borzage parvient à tirer un film personnel rempli de moments de grâce tout en donnant une leçon de cinéma.

Borzage, cinéaste de l'expressivité sublime aime les contrastes seuls à même de la mettre en valeur. L'heure suprême est structuré par les contrastes. Pour qu'il y ait élévation il faut partir de très bas: le film commence dans les égouts où travaille Chico et où pataugent moralement Nana, alcoolique et violente et sa soeur martyre Diane, trop faible pour lui résister. Lorsque Chico prend Diane sous sa protection et l'emmène chez lui on assiste à un travelling vertical ascensionnel d'étage en étage magnifique "je travaille dans les égouts mais je vis près des étoiles." La mansarde de Chico devient le nid paradisiaque (seventh heaven, le paradis du septième ou le septième ciel en VO) où pourra éclore leur amour, un amour que les éreuves ne feront que renforcer jusqu'à atteindre une dimension mystique et miraculeuse. Nouveau contraste: c'est l'éclatement de la guerre de 14, l'imminence de la séparation et l'ombre de la mort qui pousse Chico à déclarer son amour. En utilisant le montage alterné, Borzage oppose l'immonde liesse patriotique de la foule (vue le plus souvent depuis la mansarde en plongée d'où l'impression de vermine grouillante) et l'union divine des deux amants qui viennent juste de découvrir la force de leur amour (opposition entre une mauvaise et une bonne passion.) La haine de la guerre de Borzage était d'ailleurs si forte que les scène de bataille du film furent tournées par John Ford qui était comme lui sous contrat à la Fox. Elles tranchent par leur réalisme documentaire (taxis de la Marne, évolution des uniformes) avec un film par ailleurs très stylisé. Une esthétique expressionniste très influencée par le cinéaste star de la Fox, Murnau qui tournait en même temps L'Aurore. Borzage a d'ailleurs prêté à Murnau sa vedette féminine Janet Gaynor, une inconnue qu'il avait réussi à imposer au studio tout comme Charles Farrell. Pendant 15 jours elle a tourné pour lui en blonde durant la journée pendant qu'elle devenait brune la nuit pour Borzage. Et ce n'est que l'un des nombreux échos entre les deux films.

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Faces

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1968)

Faces

C'est le 4eme film de Cassavetes mais son 2eme vraiment indépendant. Et cette indépendance se paie au prix fort: hypothèque de la maison de Cassavetes et Rowlands, comédiens bénévoles qui tournent de nuit après leur travail jusqu'à épuisement, réalisateur qui fait l'acteur en parallèle pour réinjecter les cachets dans le film, recyclage de chutes de pellicules d'autres productions, montage interminable...A tous points de vue Faces s'est construit à la marge du système et n'a dû son existence qu'à la détermination sans faille de toute son équipe. Alors oui Faces est un film fauché, pas complètement abouti techniquement (un seul technicien pour l'ensemble du film) mais who cares? C'est un film d'un engagement fou, total, absolu. Un film réalisé avec les tripes où le besoin de s'exprimer librement est viscéral.

Faces s'inscrit dans la lignée de Shadows. Même noir et blanc granuleux, même caméra à l'épaule filmant au plus près des corps et des visages, même errances nocturnes, même montage dicté par le rythme de l'action et le jeu des comédiens, même frontière ténue entre la fiction et le documentaire.

Faces possède plusieurs strates. A première vue, le film aurait pu s'intituler "la valse des pantins". On assiste en effet à de nombreuses scènes hystériques où les personnages copieusement imbibés d'alcool crient, gesticulent, rient frénétiquement, pleurent etc. Mais Cassavetes arrache toujours le masque à un moment ou à un autre. Souvent au bout de longs plans-séquences où les corps s'abandonnent, s'empoignent en toute impudeur. Et au bout du compte, la tristesse, le désespoir, un profond désarroi. Faces dissèque les faux-semblants de l'american way of life. Une société d'apparences privée de sens et de communication où les couples se délitent sous nos yeux. Où les hommes d'affaires fuient leurs épouses "givrées" ou suicidaires dans les bras des call-girls. Où les épouses délaissées se consolent en parallèle en faisant appel à des gigolos. Il y a un parallélisme évident entre le rôle de Jeannie l'escort-girl et celui de Chet, le danseur au service des dames. Tous deux tenus par des piliers de la bande de Cassavetes (Gena Rowlands et Seymour Cassel), ils sont à la fois objets de désir et de défoulement. Faces montre le vrai visage d'une certaine Amérique de la réussite. Et il n'est pas beau à voir même si les fragments d'humanité arrachés aux masques sont bouleversants.

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