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Articles avec #drame tag

Ma vie de courgette

Publié le par Rosalie210

Claude Barras (2016)

Ma vie de courgette

Le sujet était casse-gueule et ce ne sont pas les prix et les critiques dithyrambiques qui allaient me rassurer. Ces mêmes critiques avaient bien encensé il y a quelques années des films français absolument détestables sur des sujets relatifs à l'enfance meurtrie (Polisse, La guerre est déclarée...) Cependant un élément m'a convaincu de tenter l'expérience: la présence de Céline Sciamma au scénario. Céline Sciamma a prouvé avec Tomboy qu'elle pouvait traiter avec justesse de thèmes délicats concernant la construction identitaire de l'individu dans l'enfance. C'est aussi ce qui ressort de Ma vie de courgette qui aborde de front mais sans pathos la maltraitance des enfants et leur protection juridique. La sinistre réalité qu'ils ont connu n'est jamais édulcorée même si elle est évoquée avec des mots d'enfant et à hauteur d'enfant. Des mots simples qui vont droit au but et une technique d'animation en stop motion qui tape dans le mille pour représenter leur monde. Les corps des marionnettes animées portent les stigmates de ce lourd passé (cernes, cicatrices...), les milieux d'où sont issus ces enfants sont très défavorisés voire marginaux ce qui fait d'eux doublement des parias. Mais le film n'est pas sinistre pour autant. Il montre que le meilleur peut sortir du pire et que pour reprendre les mots de Boris Cyrulnik, les tuteurs de résilience existent. Solidarité entre enfants, créativité artistique permanente, adultes bienveillants sont autant de perches salvatrices. Sans parler de l'étonnante capacité des enfants à rebondir et à se créer des bulles de survie même au cœur de la pire des situations. Ainsi le héros, Courgette (alias Icare) qui a transformé son père disparu en super-héros dessiné sur un cerf-volant, qui fait des châteaux avec les canettes de bière que sa mère alcoolique laisse traîner partout ou Camille qui sans se démonter trouve un moyen astucieux de se libérer de sa tante-marâtre avec l'aide de Courgette et de Simon, le (faux) petit dur de la bande.

Un film d'animation hors des sentiers battus du genre et beaucoup plus profond que nombre de films live sur le sujet.

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Parle avec elle (Hable con ella)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2002)

Parle avec elle (Hable con ella)

"De la mort surgit la vie; du masculin surgit le féminin; de la terre surgit l'éther" dit Katerina (Géraldine Chaplin), professeur de danse à Benigno (Javier Camara), l'infirmier qui veille jour et nuit sur son ancienne élève plongée dans le coma Alicia (Léonor Watling). Parle avec elle est un grand film de la trans(fusion), l'énergie vitale, le sang, la magie, le miracle s'incarnant tour à tour dans l'amitié, l'amour, la parole, l'art, la foi:

- Transfusion de la chair (terre) à l'esprit (éther): Alicia et Lydia (Rosario Flores) sont mortes pour la science, mortes pour Marco (Dario Grandinetti) qui raisonne en cartésien. Alicia est vivante pour Benigno et Katerina, des mystiques qui croient aux forces de l'esprit, à l'impalpable, à l'invisible, à l'inconnaissable "le cerveau des femmes est un mystère, surtout dans cet état." A la fin Benigno est à son tour devenu éther, il occupe un siège vide entre Marco et Alicia. A moins qu'il soit à jamais en Alicia.

- Transfusion du masculin au féminin: "L'amant qui rétrécit", court-métrage muet en noir et blanc réalisé dans le style expressionniste des films des années 20 montre un homme qui retourne dans "l'origine du monde." Il ne fait plus qu'un avec la femme qu'il aime. Avant de s'occuper d'Alicia, Benigno s'est dévoué corps et âme pour sa mère au point d'effacer toute trace de vie personnelle. D'autre part Lydia est une femme androgyne qui est toréador. Pourtant après avoir hurlé de peur face à un serpent et s'être faite encorner par un taureau (des symboles phalliques évidents), elle termine comme Alicia en belle endormie condamnée à une totale passivité.

- Transfusion de la mort à la vie et du mal vers le bien: le comportement psychotique de Benigno (amoureux fou d'une morte à la manière de Scottie dans Vertigo) et son acte transgressif, jugé comme criminel par la société est aussi un comportement sacrificiel et un acte d'amour et de foi. Pour qu'Alicia revive, Benigno accepte de mourir socialement et finit par mourir physiquement.

Les transfusions sont réversibles. Ainsi les œuvres d'art captent le mouvement de la vie pour le retranscrire en "natures mortes" avant d'irriguer de nouveau le cerveau et le cœur des vivants (pour d'éventuelles œuvres d'art futures). Et des œuvres d'art contenues dans Parle avec elle, il y en a plusieurs. "L'amant qui rétrécit", la tauromachie (vue comme un art chorégraphique), la sublime voix de Caetano Veloso sur la chanson mélancolique "Cucurrucucu Paloma" mais aussi l'extrait de Café Müller, spectacle de Pina Bausch qui ouvre le film. Comment ne pas voir dans ces deux femmes somnambules qui dansent en miroir et manquent trébucher à chaque pas, veillées par un homme qui écarte les obstacles sur leur route une métaphore de l'histoire des deux couples Alicia-Benigno et Lydia-Marco? Deux couples en miroir qui finissent par fusionner. Benigno se fond en Alicia et il trouve son double en Marco comme le montre le passage où les deux hommes joignent leurs mains de part et d'autre d'une vitre. Chacun injecte un peu de sa substance à l'autre. Benigno finit par instiller en Marco sa croyance dans le pouvoir magique de la parole. Marco ramène Benigno sur terre à tous les sens du terme. Les deux femmes sont également le miroir l'une de l'autre en étant plongées dans un coma jugées irréversible. Et leurs destinées se répondent. L'une se dessèche parce qu'elle est privée d'amour, l'autre renaît sous l'effet de la puissance d'un amour hors des lois humaines. 

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Loving

Publié le par Rosalie210

Jeff Nichols (2016)

Loving

Loving commence comme une chronique quasi-documentaire du quotidien d'une petite communauté vivant dans l'Etat de Virginie en 1958. On travaille, on fait des courses de vitesse, on va boire et danser, on fait des projets. Bref, rien que de très banal s'il n'y avait pas des éléments perturbateurs. A commencer par les paysages campagnards de Virginie nimbés dans leur magnifique lumière et le son des grillons. Ces paysages représentent les racines. Ils sont filmés avec insistance comme témoins de ce qui se joue dans le film. D'accueillants, ils peuvent se transformer en un clin d'œil en sourde menace tout comme dans "Take Shelter", l'un des précédents films de Jeff Nichols. Une source menace qui créé une tension palpable durant tout le film et invalide l'interprétation de ceux qui n'y voient qu'une histoire à l'eau de rose.

Ce qui se joue dans ces paysages est révélé dès la première phrase du film "Je suis enceinte". D'où le deuxième élément perturbateur, la présence de Richard, un blanc, au milieu des noirs. Richard est le père du bébé à naître et feint d'ignorer le troisième élément perturbateur: les regards désapprobateurs posés sur lui et sur Mildred, sa compagne noire. Mildred, plus lucide que Richard sur ce qui les attend réagit avec anxiété lorsqu'il lui annonce qu'il a acheté un terrain et va leur construire une maison. Tant qu'ils vivaient ensemble en concubinage, couverts par leurs familles, leur couple était plus ou moins toléré. A partir du moment où Richard épouse Mildred dans un Etat voisin avant de revenir en Virginie, il franchit une ligne rouge invisible. Celle de la loi sur la pureté du sang promulguée en 1924 qui interdit les mariages interraciaux en Virginie. Le couple est donc persécuté pour ce qu'il représente de menace aux yeux des ségrégationnistes blancs qui brandissent en guise de justification l'interprétation erronée d'un passage de la Genèse et des doctrines raciales inspirées du règne animal.

Richard et Mildred vivent un véritable chemin de croix. Ils sont arrêtés en pleine nuit, emprisonnés, condamnés à une peine de prison auquel il ne peuvent se soustraire qu'en étant bannis de l'Etat. Les familles et amis adressent des reproches à Richard comme s'il était fautif, l'un d'entre eux lui demandant pourquoi il ne divorce pas. Mais toutes ces pressions se heurtent au mur du bien nommé Loving. Richard, bâti comme un roc taiseux impénétrable qui sait au plus profond de lui-même que la loi est injuste et qu'il ne fait rien de mal encaisse et souffre en silence. Mais à aucun moment il ne fait porter le poids des épreuves sur sa femme qu'au contraire il protège avec amour (d'où le surnom affectueux qu'il lui donne, brindille). Mildred, timide mais moins fataliste ne supporte pas l'exil. Elle choisit de retourner clandestinement en Virginie avec Richard et de se battre. Un combat judiciaire qui remontera jusqu'à la Cour suprême laquelle fera invalider les lois interdisant les mariages mixtes et le métissage à l'échelle de l'Union en 1967 dans le contexte de la lutte pour les droits civiques. La force de l'arrêt résidant autant dans son contenu que dans la symbolique des patronymes: Loving versus Virginia, la plus grande des forces humaines portant l'estocade à une Virginie virginale fantasmatique obsédée par la peur inepte de la "souillure" raciale.

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Les enfants du paradis

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1945)

Les enfants du paradis

Les enfants du Paradis est l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma français. Les critiques qui ne jurent que par la Nouvelle Vague (Télérama et les Inrocks pour ne pas les citer) et dédaignent de le faire figurer dans leurs classements des 100 meilleurs films français feraient bien de réviser leurs manuels d'histoire. A savoir le mea culpa de Truffaut qui après avoir dénigré dans les Cahiers du cinéma en 1956 l'œuvre de Carné-Prévert (en tant que "cinéma de papa" à abattre) a fini 28 ans plus tard par admettre qu'il aurait donné volontiers tous les films qu'il avait réalisé contre Les enfants du Paradis. Car si pour s'affirmer il faut sans doute tuer le père, vient un jour où la lucidité vous rattrape. Et puis parler de "cinéma de papa" avec tout ce que cela sous-entend de confort alors que les Enfants du Paradis a été réalisé en pleine guerre dans des conditions particulièrement difficiles avec une partie de son équipe obligée de travailler dans la clandestinité est un contresens. Le spectacle durant l'occupation et les rapports entre le spectacle et la vie constituent d'ailleurs le sujet du Dernier Métro, l'un des plus grands succès de Truffaut, comme un hommage inavoué au chef-d'oeuvre du "père" du cinéma français.

Le sujet principal des Enfants du Paradis est l'amour. "Que ça concerne le cinéma ou le reste, la seule chose qui m'intéresse, c'est l'amour" disait Jacques Prévert, l'auteur du scénario et de dialogues devenus mythiques ("Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour"). L'amour dans tous ses états et tous ses éclats, l'amour omniprésent et protéiforme.

L'amour du spectacle tout d'abord avec sa multitude de mises en abyme. Ayant lieu dans la première moitié du XIX° siècle, l'intrigue se déroule sur le boulevard du crime dans une atmosphère de kermesse et de carnaval et confronte deux mondes, celui de la pantomime en déclin et celui du théâtre en plein essor avec différents genres à l'affiche (comédie, mélodrame, tragédie). Chacun de ces arts est porté par une figure ayant réellement existé: le mime Deburau (Jean-Louis Barrault) d'un côté et l'acteur Frédéric Lemaître de l'autre (Pierre Brasseur). Mais à travers eux, on reconnaît aussi une autre transition ayant eu lieu un siècle plus tard, celle qui a fait passer le cinéma du muet au parlant et qu'a connu Marcel Carné. L'imbrication entre théâtre et cinéma est telle que le film est divisé en deux époques comme une pièce en deux actes avec à chaque fois un lever de rideau.

A l'imbrication entre théâtre et cinéma répond l'imbrication entre ce qui se joue sur scène et ce qui se joue derrière la scène. La mise en abyme est flagrante lorsque Lacenaire (Marcel Herrand) dit au comte de Montray (Louis Salou)" Je ne suis pas un personnage de vaudeville moi alors que vous, oui. Et je le prouve." Là-dessus il écarte les rideaux du hall, révélant Garance (Arletty) qui est alors la maîtresse du comte dans les bras de Deburau. Différentes sortes d'amour se croisent, se heurtent mais ne parviennent pas à s'accorder, la scène et la vie se répondant en miroir. Le catalyseur de tous ces amours désaccordés est incarné par Garance une femme fascinante aussi libre qu'insaisissable. La première "scène" où elle apparaît définit bien son "rôle" puisqu'en tant qu'attraction de foire, elle tourne sur elle-même plongée dans une baignoire en forme de puits sous les regards masculins mais elle ne les voit pas plongée dans son miroir. Durant tout le film, on la voit se dérober vis à vis des hommes qui la convoitent, qui cherchent à la posséder et qui au final finissent par la perdre. Garance vit dans l'instant présent, obéit à l'impulsion du moment et déteste mentir: " je suis comme je suis, j'aime plaire à qui me plaît, c'est tout. Et quand j'ai envie de dire oui, je ne sais pas dire non." Après les avoir essayés, elle rejette tour à tour "l'amour" de Lacenaire, de Frédéric Lemaître et du comte de Mortray. Tous trois ont pour points communs le goût du paraître (bandit-dandy pour Lacenaire, acteur cabotin sûr de son génie pour Lemaître, aristocrate plein de morgue pour Mortray), l'orgueil, un ego surdimensionné qui les rend incapables d'aimer véritablement et une jalousie dévorante qui les conduisent jusqu'à l'assassinat (sublimé par le théâtre dans le cas de Lemaître, bien réel pour les deux autres). Reste Baptiste Deburau, pierrot lunaire passionnément épris de Garance mais que ses projections idéalisées paralysent. Elles l'empêchent en effet d'affronter les demandes charnelles de la Garance de chair et d'os "c'est dans les livres que l'on aime comme ça, pas dans la vie"; "Il ne faut pas m'en vouloir mais je ne suis pas comme vous rêvez." Garance finira par éprouver les mêmes sentiments pour Baptiste mais seulement de loin et lorsqu'elle le saura marié et père comme si elle n'acceptait cet amour que parce que elle le savait impossible. C'est d'ailleurs ce que lui rétorque avec lucidité Nathalie (Maria Casarès), la femme de Deburau qui souffre depuis toujours que son amour pour Baptiste ne soit pas payé de retour "Vous partez, on vous regrette. Le temps travaille pour vous et vous revenez, tête nouvelle embellie par le souvenir...mais rester et vivre avec un seul être, partager avec lui la petite vie de tous les jours, c'est autre chose." L'amour qu'évoque le film est en réalité surtout l'illusion de l'amour.

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Les dames du bois de Boulogne

Publié le par Rosalie210

Robert Bresson (1945)

Les dames du bois de Boulogne

"Il n'y a pas d'amour Hélène, il n'y a que des preuves d'amour" dit Jacques (Jean Marchat) à son amie (Maria Casarès) rongée de doutes au début du film sur la réalité de l'amour que lui porte Jean (Paul Bernard). Jacques est une référence à l'œuvre dont le film est l'adaptation, "le mariage saugrenu", l'un des récits contenu dans Jacques le fataliste et son maître de Denis Diderot. Il s'agit de l'histoire de Mme de la Pommeraye qui délaissée par son amant le marquis des Arcis décide de se venger en oeuvrant secrètement à son mariage avec Mademoiselle d'Aisnon que sa mère a prostituée. Elle fait passer les deux femmes pour des dragons de vertu.

De ce conte moral du XVIII° siècle transposé dans le Paris contemporain, Bresson a tiré non un mélodrame mais un film dont la grandeur tragique et mystique n'a d'égale que la sobriété du jeu tout en retenue des acteurs allié au dépouillement des décors et de la mise en scène. Les conditions extrêmement difficiles du tournage en pleine guerre n'expliquent que partiellement cette économie de moyens. Bresson n'en est qu'à son deuxième film mais il est déjà extrêmement rigoureux, perfectionniste et exigeant. Il recherche l'épure, la sobriété, la simplicité. Tout le contraire de Maria Casarès à qui il impose une sorte de "vœu de silence" malgré sa résistance. Toute la frustration de la tragédienne brimée s'exprime dans une rage contenue qui donne une force extraordinaire à son personnage de femme-araignée perfide et cruelle qui emprisonne ses proies dans sa toile pour satisfaire sa rancune.

Là où Bresson se différencie franchement de Jacques le fataliste, c'est que son approche moraliste se double d'une approche religieuse (Diderot était athée) portée par le beau personnage d'Agnès (Elina Labourdette). En dépit des apparences qui lui sont défavorables (sa pauvreté, sa relation trouble avec une mère mi-maquerelle, mi-mère supérieure, son costume d'entraîneuse qui rappelle celui de Marlène Dietrich dans l'Ange Bleu), Agnès dès sa première apparition irradie d'innocence. Innocence liée à la référence à Molière dans son prénom, à son caractère entier et déterminé et à la joie authentique qu'elle exprime lorsqu'elle danse, toute en élan et en ouverture. Le film nous raconte son chemin de croix vers la rédemption, une rédemption qu'elle atteint dans une scène finale sublime, un véritable acte de grâce divine qui révèle à chacun ce qu'il est, profondément. Agnès auréolée de blanc, merveilleusement éclairée dans sa pureté retrouvée. Jean que la vengeance d'Hélène n'atteint que dans son vernis mondain, faisant éclater au grand jour ses sentiments véritables ("la vanité et l'amour sont incompatibles" disait déjà Madame de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses, une œuvre apparentée à celle-ci). Et enfin Hélène repliée dans sa noirceur, sa vanité et son amour-propre qui croyait tout contrôler et à qui la situation finit par échapper.

Jacques Demy aimera tellement ce film qu'il lui inventera une suite. Ce sera Lola, son premier film avec Elina Labourdette qui reprendra son rôle d'ancienne danseuse et Anouk Aimée en costume d'Ange Bleu, femme "de mauvaise vie" à la pureté éclatante.

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Gloria

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1980)

Gloria

Les puristes considèrent Gloria comme une œuvre bâtarde et à ce titre, la rejettent du "premier cercle" des œuvres de Cassavetes. En effet parce qu'il était aux abois après les échecs successifs de Meurtre d'un bookmaker chinois et Opening night, Cassavetes avait accepté un travail alimentaire: écrire un scénario de polar pour la MGM. Le projet étant tombé à l'eau, Cassavetes contacta la Columbia qui accepta de le produire avec Gena Rowlands comme actrice principale. Cassavetes prit alors la décision de réaliser le film qu'il qualifia par la suite "d'incident de parcours", confortant l'avis des puristes de son œuvre.

En réalité Gloria est une œuvre profondément originale. Sa beauté et son identité vient justement de ce qu'il lui a été reproché: sa bâtardise. Car Gloria est tout autant un polar, un thriller, un film de traque, une histoire d'amour, une radiographie des bas-fonds d'une ville. Une œuvre métissée qui parle de métissage. Le générique offre un magnifique condensé de l'ADN du film. Il s'agit de gros plans d'aquarelles de l'artiste afro-américain Romane Bearden qui défilent sur fond de musique hispanique. Ces aquarelles annoncent les trois thèmes majeurs du film: la ville (New-York), l'enfance (Gloria partage la vedette avec Phil, un enfant de 6 ans), le métissage.

Tout dans ce film n'est en effet que croisements et confrontations: enfant rêveur portoricain et femme réaliste WASP, débutant qui doit tout apprendre et professionnelle chevronnée, genre codifié (le polar/thriller) et relation humaine peu banale (une adoption réciproque qui se fait dans l'urgence et la douleur), vision prosaïque de New-York du point de vue des oubliés de l'American way of life et onirisme, ghettos lépreux et tenues vestimentaires Ungaro, film de commande devant obéir aux codes hollywoodien et liberté du réalisateur qui parvient à insuffler sa personnalité non conformiste à l'intérieur de ce cadre. Le patronyme de Gloria "Swenson" est conçu comme un décalque dissonant du patronyme de la célèbre star du muet Gloria Swanson qui devint par la suite la star de Billy Wilder dans Boulevard du Crépuscule. Les deux films ont en commun la mise en pièce de l'usine à rêves. Ce n'est pas le New-York de carte postale que filme Cassavetes mais la réalité des quartiers pauvres livrés à eux-mêmes: bâtiments taudifiés, prostitution, insécurité, violence avec une atmosphère de guérilla urbaine.

Dans cette réalité cauchemardesque où la mafia traque sans relâche l'enfant qui a survécu au massacre de sa famille et celle qui le protège on assiste à un autre suspense beaucoup plus important aux yeux de Cassavetes. Celui de l'éclosion d'un sentiment d'amour aussi fort que âpre entre un enfant qui se donne des airs de petit dur et une héroïne pétrie de contradictions à la force de caractère peu commune. Gena Rowlands y insuffle tout son génie ce qui fait de Gloria l'un de ses rôles les plus mémorables. Avec sa détermination farouche, sa révolte et sa rage froide, elle affronte seule la mafia et impose ainsi le thriller au féminin. Au point d'avoir inspiré la plupart des femmes guerrières et vengeresses de Tarantino. Mais on retrouve également des influences dans d'autres films comme Léon de Luc Besson ou Julia d'Eric Zonca. Kurt Wimmer a également revendiqué l'influence de Gloria dans son film Ultraviolet. Et Sidney Lumet en a fait en remake en 1999 avec Sharon Stone.

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Un enfant attend (A child is waiting)

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1963)

Un enfant attend (A child is waiting)

Troisième film de John Cassavetes après Shadows et Too Late Blues (La ballade des sans-espoirs), Un enfant attend est sa seconde et dernière tentative pour s'intégrer dans le système hollywoodien. Tentative qui à l'image du film se terminera par un échec retentissant. En conflit avec le producteur du film Stanley Kramer, Cassavetes ira au clash ce qui lui vaudra une exclusion définitive. Il perdra également la main-mise sur le montage du film, celui-ci reflétant au final la vision de Kramer sur la place des enfants handicapés dans la société plutôt que la sienne. Un enfant attend contient en effet en filigrane le conflit de vision entre Kramer et Cassavetes. Le premier peut être rapproché du docteur Clark joué par Burt Lancaster qui pense qu'il faut protéger ces enfants en les plaçant en institution. Le second se rapproche de Jean Hansen jouée par Judy Garland qui pense que l'amour abat tous les obstacles (comme un torrent ce qui explique peut-être le choix de Wildside de réunir en coffret DVD Un enfant attend et Love streams). Et bien que très classique dans sa forme (images léchées, musique un peu démonstrative), le film contient la genèse de l'oeuvre à venir. Il se focalise sur un sujet audacieux pour l'époque, celui des enfants anormaux et par extension, des fous. Des enfants différents qui ne peuvent s'exprimer que par leurs troubles autistes ou hystériques et n'en être délivrés que par l'art dramatique. La fin du film qui se déroule sur une scène de théâtre est très cassavetienne avec le personnage du père dont la difficulté d'aimer insuffle un suspense comparable (en beaucoup moins intense) à celui d'Opening night. Face à cet homme qui n'aime déjà pas assez (comme dans Love Streams) on a une femme qui aime trop jouée par Gena Rowlands qui tournait pour la première fois sous la direction de son mari. Une Gena encore corsetée (pas de grain de folie possible dans ce cadre!) mais dont on sent déjà le volcanisme intérieur. Cassavetes a donc réussi malgré tout à insuffler sa personnalité (l'amour dans tous ses états, l'amour dans ses contradictions et ses maladresses) dans ce film profondément humaniste. Burt Lancaster, mélange d'autorité et d'humanité est convaincant et Judy Garland (dont la fragilité émotionnelle est palpable et que l'on sent au bout du rouleau) est absolument bouleversante.

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Un sac de billes

Publié le par Rosalie210

Christian Duguay (2017)

Un sac de billes

Un sac de billes est la deuxième adaptation cinématographique du roman autobiographique de Joseph Joffo, quarante deux ans après la première. A l'heure où les derniers survivants et témoins de la Shoah disparaissent et où les temps sont plus que jamais troublés, cette piqûre de rappel s'imposait. Le film dépeint à travers le périple et le regard d'un enfant toutes les facettes de la France durant la période de la seconde guerre mondiale: la zone occupée où l'étau se resserre inexorablement autour des juifs, la ligne de démarcation à franchir pour passer en zone libre au péril de sa vie, le relatif refuge qu'elle offre encore au printemps 42, le havre de paix que constitue Nice occupé par les italiens jusqu'en 43 et sa chute dramatique entre les mains des nazis, la montée en puissance des réseaux de Résistance et face à eux la radicalisation des pétainistes avec les exactions de la milice, la Libération enfin et ses règlements de compte sanglants. On mesure la force de caractère des frères Joffo face à la Gestapo qui s'acharne pendant des semaines à les faire craquer pour qu'ils avouent leurs origines. On peut également constater qu'ils ont eu beaucoup de chance, rencontrant à des moments décisifs les bonnes personnes. L'interprétation est remarquable, Patrick Bruel dans le rôle du père en tête. Mais aussi (et c'est plus surprenant), Christian Clavier et Kev Adams dans des rôles dramatiques. Mention spéciale également au travail sur la photographie avec des paysages et des lumières superbes qui offrent des respirations bienvenues. Le principal bémol outre la mise en scène trop sage concerne l'absence d'un véritable travail sur l'évolution physique et psychologique des enfants qui ne semblent grandir et mûrir que sur le papier.

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Liliom

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1930)

Liliom

Plastiquement, Liliom est un film superbe. Bien que parlant, il se situe dans le prolongement des œuvres muettes du cinéaste très influencées par l'expressionnisme allemand. Les décors stylisés, dépouillés et géométriques sont à la limite de l'abstraction. On a le plus souvent affaire à deux plans. Le premier plan quasi vide évoque une scène de théâtre. Le second plan visible par une grande ouverture montre les lumières et les formes circulaires ou elliptiques de la fête foraine nocturne. Cet irréalisme des décors contribue à créer une atmosphère onirique voire féérique renforcée par des lumières contrastées en clair-obscur. Il permet d'effectuer en douceur le basculement de la dimension terrestre vers la dimension céleste. Celle-ci passe du deuxième au premier plan lorsque le train du grand huit visible au fond de l'image change de direction, se rapproche et passe soudain par l'ouverture, traversant la chambre pour emporter l'âme du défunt.

Mais si la forme enchante voire éblouit, le contenu n'est pas à la hauteur et tourne rapidement à vide. On aurait pu presque s'en passer tout comme des paroles, bien inutiles tant le film est proche de l'esthétique du muet et du cinéma expérimental. Borzage a adapté une pièce de théâtre du dramaturge hongrois Ferenc Molnar publiée en 1909 qui raconte l'histoire de Julie, une domestique naïve qui tombe éperdument amoureuse d'un séduisant mais veule bonimenteur de foire, Liliom. Quoiqu'il lui fasse subir, elle l'accepte avec le même air de mouton résigné. Julie incarne pour Liliom l'espoir d'échapper à une vie qui à l'image du carrousel où il travaille tourne en rond. Il lorgne vers la ligne de fuite des rails, vers une nouvelle vie en Amérique, vers la rédemption par l'amour. Mais Liliom est un personnage minable, un velléitaire bouffi d'orgueil qui refuse les offres d'emploi honorables qu'il ne trouve pas assez bien pour lui. Il se fait entretenir par Julie puis se compromet avec un voleur. Mais de cela aussi il est incapable et préfère lâchement se supprimer. Qu'un personnage aussi médiocre se voit offrir par l'au-delà une seconde chance alors que personne d'autre n'a eu ce privilège défie l'entendement. La manière dont il l'utilise laisse pantois tout comme la façon dont son acte est interprété ("non ce n'est pas un échec.") Et Julie et sa fille d'en rajouter sur le thème "Il me frappe mais ça ne fait pas mal." (C'est merveilleux quoi!) Où quand Borzage mélange amour absolu et maltraitance et tente de le justifier. Bref, c'est daté, daté et cet aspect ne passe plus aujourd'hui. A sa sortie ce drame fantastique atypique connut un échec critique et public retentissant et les passages religieux furent censurés dans certains pays ce qui faillit compromettre la carrière de Borzage.

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Excalibur

Publié le par Rosalie210

John Boorman (1981)

Excalibur

Les plus belles légendes s'appuient toujours sur un fond de vérité. Même si son existence historique n'est pas attestée, on situe l'existence du roi breton (c'est à dire anglais) Arthur au VI° siècle après JC. La mise par écrit des éléments essentiels de sa légende (Uther Pendragon, Merlin, Excalibur, Mordred, Avalon...) s'effectue au XII° siècle par Geoffroy de Monmouth, puis par Chrétien de Troyes qui y ajoute Lancelot et le Graal et Robert de Boron qui évoque l'épreuve de l'enclume par laquelle Arthur, simple palefrenier obtint le trône. Le XII° correspond au triomphe de la culture chevaleresque féodale dont les rites et les valeurs sont portés par le cycle arthurien. Mais c'est plutôt sur les romans arthuriens modernes que s'est appuyé John Boorman pour construire son film. La mort d'Arthur de Thomas Malory (1470) et plusieurs oeuvres de fantasy du XX° siècle jusqu'à Tolkien. On ressent dans le film les lointains échos du Seigneur des anneaux que Boorman avait le projet d'adapter. Ce projet échoua mais il réutilisa certaines idées pour Excalibur. D'autre part, les contraintes de durée l'obligèrent à fusionner certains personnages (Arthur et le roi pêcheur, Perceval et Galahad) et à faire des ellipses. Mais le film gagne en clarté ce qu'il perd en détails.

Outre ce substrat littéraire très riche, outre une esthétique picturale flamboyante qui doit autant aux préraphaëlites qu'à Gustav Klimt, outre une interprétation collégiale remarquable composée de jeunes visages en 1980 appelés à faire une grande carrière par la suite (Gabriel Byrne, Helen Mirren, Liam Neeson...), outre une bande originale digne des meilleurs films de Kubrick (ou comment friser la grandiloquence sans y tomber avec O Fortuna pour l'un et Ainsi parlait Zarathoustra pour l'autre) l'aspect qui me fascine le plus dans le film de Boorman est sa profonde compréhension des enjeux de la fusion entre culture barbare et chrétienté qui façonna la civilisation occidentale du Moyen-Age. Cette fusion eut en effet un prix, celle du sacrifice du paganisme au profit du christianisme. Ce n'est pas un hasard si le personnage le plus marquant du film de Boorman est Merlin le magicien et philosophe qui prophétise à Morgane que pour leur espèce, "les jours sont comptés. Le dieu unique chasse les dieux multiples." Le thème musical de la mort de Siegfried extrait du crépuscule des Dieux de Wagner sur fond de soleil couchant ne dit pas
autre chose. C'est en effet dans la dernière partie du film consacrée à la quête du Graal que la christianisation de la légende est la plus évidente. Perceval devient Jésus. Il trouve le Graal après ce qui ressemble à son baptême dans la rivière et lorsqu'il en fait boire le contenu à Arthur celui-ci ressuscite et part vaincre Mor(t)dred en traversant des paysages printaniers (un symbole majeur de la résurrection). Boorman dont le cinéma a un caractère panthéiste magnifie la nature en filmant de somptueux paysages reflétants les états d'âme des protagonistes (terre aride de la quête, forêt des tourments...)

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