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Articles avec #drame tag

Le Fantôme (Phantom)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1922)

Le Fantôme (Phantom)

Mais quel est ce fantôme ou plutôt cette chimère après laquelle court Lorenz Lubota (Alfred Abel qui a 25 ans de trop pour le rôle)? Cet homme rêveur menant une vie de modeste employé municipal va littéralement perdre la tête pour une femme de la bourgeoisie qui l'a renversé avec sa calèche. Hanté par le visage de cette femme et bercé d'illusions sur ses talents de poète, il va connaître une descente aux enfers suggérée par des images de plus en plus hallucinées: des façades qui se tordent vers lui, la table à laquelle il se trouve qui s'enfonce etc. Le film n'est pas fantastique à proprement parler mais il est marqué par l'expressionnisme.

Même si "Phantom" n'est pas aussi abouti que "L'Aurore", on retrouve beaucoup d'aspects communs aux deux films: l'interaction du rêve et de la réalité, la figure circulaire, la dualité entre la femme vertueuse et la femme débauchée (sauf qu'à l'inverse de "l'Aurore", la vertu est brune et la débauchée blonde, cette dernière étant même dédoublée), la vampirisation menant un "honnête" homme au bord de la folie et du meurtre et la rédemption au bout du chemin (pas d'aurore ici mais des arbres en fleur et l'épouse dévouée jouée par Lil Dagover qui troque sa robe noire pour une robe blanche).

"Phantom" est relativement peu connu dans la filmographie de Murnau parce qu'on l'a longtemps cru perdu. Il a été retrouvé au début des années 2000 et restauré. En France il est sorti en DVD en 2010.

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Le Vent se lève (Kaze tachinu)

Publié le par Rosalie210

Hayao Miyazaki (2013)

Le Vent se lève (Kaze tachinu)

"Les avions sont des rêves magnifiques et maudits à la fois". Tout est dit dans cette citation de la profonde ambivalence qui habite Miyazaki, pacifiste convaincu et néanmoins passionné d'aviation y compris militaire. Ambivalence à la fois terrible et précieuse. Elle nous a donné ces œuvres si belles et si nuancées que sont "Nausicaa de la vallée du vent", "Le château dans le ciel", "Princesse Mononoké" et bien sûr "Le Vent se lève" qui aurait tout aussi bien pu s'intituler "Guerre et amour" ou encore "Menace et élan" selon le sens (mort ou vie) dans lequel souffle le vent. Le titre s'inspire d'une citation de Paul Valéry extraite du cimetière marin qui porte en elle cette ambivalence "Le vent se lève, il faut tenter de vivre".

"Le Vent se lève", oeuvre testamentaire (même si depuis Miyazaki est revenu sur sa décision: une contradiction de plus!) est aussi sans nul doute l'une de ses œuvres les plus personnelles. Comment ne pas le reconnaître à travers le destin de Jiro qui comme lui a dû renoncer à son rêve de devenir pilote en raison de sa mauvaise vue? D'autre part le père de Hayao Miyazaki dirigeait une entreprise au service de l'armée impériale et sa mère était tuberculeuse (comme le raconte "Mon voisin Totoro.") Or Miyazaki fusionne dans "La Vent se lève" deux destins, celui de Jiro Horikoshi, inventeur du chasseur Mitsubishi A6M Zero, fleuron de l'armée nippone durant la guerre et celui de Tatsuho Hori qui dans son autobiographie a décrit sa relation avec son épouse malade de la tuberculose. Dans le film, le sacrifice du grand amour de Jiro est le prix à payer pour son génie créateur et destructeur à la fois. On pense plus d'une fois à "Porco Rosso", tant les points communs entre les deux films sautent au yeux: le modèle de Jiro est un concepteur d'avions italien, Giovanni Caproni, la fiancée joue un rôle rédempteur et Miyazaki avait représenté Jiro dans un court manga doté d'une tête de cochon (de fasciste) comme son Marco Pago!

"Le Vent se lève" est nettement moins familial que les autres films de Miyazaki car beaucoup plus réaliste. Le film est en effet ancré dans des événements historiques précis: le tremblement de terre du Kanto en 1923, la crise de 1929, la montée des totalitarismes, la seconde guerre mondiale. Les séquences oniriques soulignent à quel point il est facile de dévoyer les intentions les plus pures pour les mettre au service des pires desseins.

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Maris et femmes (Husbands and Wives)

Publié le par Rosalie210

Woody Allen (1992)

Maris et femmes (Husbands and Wives)

Les films de Woody Allen sont tellement proches de lui qu'il est devenu courant de les interpréter à l'aune des rebondissements de sa vie privée compliquée (comme les critiques de son dernier opus "Wonder Wheel" le montrent).

"Maris et femmes" est de ce point de vue un cas d'école. C'est en effet le dernier film qu'il a tourné avec Mia Farrow, juste avant qu'ils ne se séparent. En effet pendant le tournage, elle a découvert la liaison qu'il entretenait avec sa fille adoptive Soon Yi et a eu bien du mal à terminer le film. Or justement, "Maris et femmes" est un film sur la crise du couple où l'effet de mise en abyme joue à plein. L'annonce de la séparation de leurs amis Sally (Judy Davis) et Jack (Sydney Pollack) déstabilise profondément le couple formé par Judy (Mia Farrow) et Gabe (Woody Allen) qui se croyaient à l'abri. La tourmente conjugale est soulignée par une mise en scène hachée novatrice à l'époque avec un tournage caméra à l'épaule et de nombreux jump-cuts. On remarque également que pour la première fois, Mia Farrow n'est pas magnifiée mais enlaidie. Son personnage porte des vêtements informes, ses cheveux sont coupés courts, son visage est livide et elle pratique derrière sa fragilité de façade le mensonge et la manipulation pour parvenir à ses fins.

Woody Allen se donne évidemment le beau rôle dans cette histoire. Il apparaît comme une victime de Judy et suscite l'admiration de Rain (Charlotte Lewis), une très belle étudiante qui rêve d'avoir une relation avec lui. On ne compte plus le nombre de films où Woody Allen (ou ses clones) entretiennent une relation amoureuse avec une jeune fille, la relation prof-étudiante en étant une des variantes (on la retrouve dans "L'Homme Irrationnel"). Quant à Jack, autre avatar d'Allen, il se ressource dans les bras d'une jeune fille inculte (thème central de "Wathever works"). Evidemment la différence majeure avec la réalité réside dans le fait que ces relations asymétriques ne sont pas incestueuses. Néanmoins on peut remarquer que dans le film, une des raisons profondes de la séparation du couple Judy/Gabe est le refus de ce dernier d'avoir un enfant avec elle, celle-ci étant déjà mère d'une précédente union. Un reflet troublant de la réalité puisque le couple Farrow/Allen s'est révélé stérile, leur seul enfant prétendument biologique étant probablement celui de Frank Sinatra, son précédent mari.

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Dracula (Bram Stoker's Dracula)

Publié le par Rosalie210

Francis Ford Coppola (1992)

Dracula (Bram Stoker's Dracula)


Un film est inséparable du contexte dans lequel il a été réalisé. L'adaptation du "Dracula" de Bram Stoker par Francis Ford Coppola, aussi déroutante que fascinante a la force d'une évidence. Se déroulant en 1897, date de la sortie du livre, elle lui est extrêmement fidèle narrativement tout en exacerbant la dimension romantique et sexuelle du mythe vampirique. Le sexe et la mort y sont d'autant plus inextricablement liés que l'époque s'y prête. Les maladies vénériennes du XIX° couvrent l'angoisse de l'épidémie de sida qui fait rage au début des années 1990 lorsque sort le film. D'où l'importance donnée aux maladies du sang, à la contamination et aux plans anachroniques montrant des globules.

Mais le film n'a rien de clinique, bien au contraire, il se singularise par sa mise en scène digne d'un opéra baroque, surchargée d'effets somptueux parfois à la limite du kitsch. Nombre d'entre eux proviennent du cinéma muet auquel Coppola rend un hommage appuyé au détour d'une scène qui montre la projection des vues Lumière. Mais c'est surtout à l'expressionnisme qu'il se réfère. L'ombre démesurée du comte qui se meut de façon autonome rappelle le film de Murnau, de même que le plan menaçant du navire qui contient le mal dans ses flancs, prêt à se répandre. Les ornements et superpositions rappellent quant à eux la mise en scène de Peter Greenaway ainsi que les costumes extravagants.

Toute cette flamboyance est mise au service du thème de la passion qui est centrale dans le film. La scène inaugurale en ombres chinoises montre le chevalier Vlad tournant le dos à la passion religieuse et guerrière des chrétiens trucidant les Ottomans et se damnant par amour pour son épouse Elisabetha qui en se suicidant a été excommuniée. La passion amoureuse a fait de lui un vampire condamné à aspirer l'énergie vitale des vivants pour l'éternité. C'est pourquoi seule une réincarnation de son épouse défunte peut briser la malédiction en l'aidant à mourir en paix. Et à la différence de Murnau (où elle se sacrifie) et de Stoker (où elle est agressée), Mina tombe passionnément amoureuse de Dracula et réciproquement. C'est cette dimension qui m'a particulièrement marquée. Ce n'est pas pour rien que l'on dit de quelqu'un qui tombe amoureux qu'il est "mordu". En effet quel contraste entre la fiancée prude de Jonathan Harker (dont la fadeur est liée également à l'interprétation peu expressive de Keanu Reeves) et l'amante enflammée et luxurieuse de Dracula, semblable à ses maîtresses vampires. Winona Ryder nous offre là l'un de ses plus beaux rôles. Il en est de même pour Gary Oldman, lui aussi tout en dualités et métamorphoses. Vieux papy cynique et desséché, singe en rut, rats, ombre et vapeur, toutes ces apparences soulignent son inhumanité. Mais en retrouvant son amour perdu, il devient un jeune dandy au charme envoûtant dont la délicatesse et la mélancolie touchent au coeur.

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La Forme de l'Eau (The Shape of Water)

Publié le par Rosalie210

Guillermo del Toro (2017)

La Forme de l'Eau (The Shape of Water)

"La Forme de l'Eau" mérite sa réputation par sa richesse narrative et formelle nourrie de multiples références sans que pour autant le film n'y perde en originalité et en personnalité. La filiation avec "Le Labyrinthe de Pan", l'œuvre phare de Guillermo Del Toro est très forte. Le fantastique et l'atmosphère onirique de conte servent dans les deux cas à protéger une innocente de la brutalité de la guerre et de ses suites (espagnole dans "Le Labyrinthe de Pan", froide dans "La Forme de l'Eau"). Celle-ci est incarnée à chaque fois par un ogre terrifiant, incarnation la plus brutale du mâle alpha tueur et tortionnaire. Dans les deux cas aussi, l'eau enveloppe et protège comme à l'intérieur d'un ventre maternel (de manière littérale dans "La Forme de l'Eau", symbolique dans "Le Labyrinthe de Pan" où l'héroïne s'appelle Ofelia) alors que le corps des ogres est mutilé (les doigts putrescents de Strickland équivalent à la joue entaillée de Vidal avec l'élément liquide en plus). Ces différents niveaux de réalité sont représentés spatialement de façon verticale (surface/monde souterrain dans "Le Labyrinthe de Pan", premier étage où flottent en apesanteur Elisa et son voisin/cinéma au rez-de-chaussée qui nourrit l'imaginaire/laboratoire bunkerisé qui contient les forces obscures qui nourrissent l'imaginaire en surface).

"La Forme de l'Eau" bien que se situant dans les années 50-60 au temps de la guerre froide nous parle d'une guerre bien actuelle. Guillermo Del Toro est d'origine mexicaine et son film est traversé par la barda. Il s'offre la jouissance (et nous la offre) de la revanche des opprimés sur l'oppresseur. D'un côté les minorités ethniques latinos et noire, les handicapés, les homosexuels, les femmes et même un espion soviétique déserteur réunis sous la bannière du dieu "freak" homme-poisson. De l'autre le mâle wasp, incarnation aux USA du blanc dominateur qui affirme que dieu est humain et a un visage proche du sien. Celui qui tue, torture, harcèle, humilie mais qui incarne en surface l'american way of life bien propre sur lui avec sa maison, sa femme, ses enfants et sa Cadillac. C'est par l'objet de sa puissance phallique et destructrice qu'il nous est présenté, la première rencontre avec Elisa se fait dans les toilettes lorsqu'il pose son gourdin-taser sur le lavabo (principe masculin contre principe féminin). Sa bouche carnassière concassant des bonbons est aussi un leitmotiv marquant. C'est aussi toute sa faiblesse qui nous est montrée lorsqu'il s'avère incapable de concevoir qu'il s'est fait rouler dans la farine par ces femmes de ménage qu'il méprise. Son incapacité à sonder le mystère et la grandeur de l'autre lui est fatal.

Jean-Pierre Jeunet a récemment accusé Guillermo Del Toro d'avoir copié des séquences entières de "Délicatessen" dans "La Forme de l'Eau". Les ressemblances sautent en effet aux yeux. Le visuel de "La Forme de l'Eau" en tons bleu-vert-jaune comme à l'intérieur d'un aquarium et l'esthétique rétro rappellent "Délicatessen", du moins chez Elisa et son voisin. La scène où leurs pieds dansent en rythme avec la TV alors qu'ils sont assis sur le canapé existe à l'identique dans "Délicatessen" de même que celle de l'inondation de la salle de bain pour se créer une bulle d'amour avec l'âtre aimé face à l'hostilité du monde extérieur. Mais outre qu'il devrait être flatté d'être une source d'inspiration, lui-même n'est pas parti de rien comme le disait un article du magazine Utopia consacré à "Délicatessen" et daté de 1991 "C'est tout pompé sur l'immense Brazil! Mais c'est bien pompé, ça c'est sûr!". Guillermo Del Toro était d'ailleurs le premier à rappeler tout ce que lui et Jeunet devaient à Terry Gilliam, l'initiateur de cette esthétique rétro-futuriste et de ce ton à la fois romantique, onirique et joyeusement désespéré.

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Les Virtuoses (Brassed Off)

Publié le par Rosalie210

Mark Herman (1996)

Les Virtuoses (Brassed Off)

"Les Virtuoses" s'inscrit dans la veine de la comédie sociale britannique des années 90 tout comme "The Full Monty" (1997) et "Billy Elliot" (1999). Moins désopilant que le premier, moins profond que le second, Il est néanmoins porté par un très bon casting d'où se détache la figure de Danny, l'ancien mineur chef d'orchestre joué par Pete Postlethwaite. Miné par la maladie de la mine, sa raison de vivre repose tout entière sur l'espoir de participer à la finale du championnat de brass band pour pouvoir jouer dans le célèbre Albert Hall de Londres.

En effet le film repose sur un double mouvement, souvent représenté par le montage alterné. D'un côté la dislocation d'une communauté de mineurs broyés sur l'autel du thatchérisme. Une dislocation qui touche aussi les familles. La brutalité des créanciers qui viennent saisir les biens de Phil, le fils de Danny n'est pas sans rappeler "Raining Stones", le film qui a rendu célèbre Ken Loach sur le plan international en 1993. La descente aux enfers de Phil ,implacable, commence par la perte de son travail puis de ses biens et de son foyer, le conduisant au désespoir. De l'autre, le parcours de la fanfare représente au contraire une ascension autant qu'un moyen de ressouder la communauté. Même s'il ne s'agit que d'un échappatoire éphémère et non d'une véritable alternative à la crise et au chômage qui mine leur environnement. On remarquera au passage que comme dans "The Full Monty" et "Billy Elliot" c'est l'art qui permet de sortir de la sinistrose (en anglais sinistre se dit grim et la commune où se déroule le film se nomme Grimley, ce n'est pas un hasard). Les passages musicaux sont d'ailleurs les moments les plus émouvants du film.

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Wonder Wheel

Publié le par Rosalie210

Woody Allen (2017)

Wonder Wheel

Le titre et l'affiche ne mentent pas: c'est la circularité qui caractérise ce film.

D'abord parce qu'il recycle (avec brio toujours mais c'est quand même du recyclage) les thèmes, personnages et références du cinéaste. Ginny la flamboyante rousse interprétée par Kate Winslet est une lunatique dont l'humeur fait des tours de montagnes russes (celles de Coney Island qui sert de toile de fond au film). Et quand elle est en bas (ce qui est souvent le cas) on reconnaît en elle une nouvelle "Blue Jasmine" sortie de l'univers de Tennessee Williams. Le chef opérateur Vittorio Storaro joue beaucoup avec ces deux couleurs pour dépeindre les états d'âme successifs de son héroïne qui oscille entre d'un côté ses rêves de gloire évanouis et sa quête chimérique d'amour et de l'autre sa frustration liée à sa vie minable somatisée sous forme de maux de tête récurrents.

Ensuite parce que la circularité de "Wonder Wheel" est également liée à son caractère de tragédie familiale en huis-clos. Avec "Hamlet", "Œdipe" et "Winchester 73" pour références, on comprend que l'on va avoir droit à une histoire d'inceste et de meurtre en boucle. Pas étonnant que Ginny se sente oppressée par un sentiment de claustrophobie. Il est bien réel car c'est une vision noire de la famille qu'a Woody Allen (et qui fait couler tant d'encre depuis quelque temps). Et c'est du besoin irrépressible de s'évader de cette situation sans issue que naît le drame. L'infidélité de Ginny à son premier mari qui fait exploser sa famille et transforme son fils en pyromane. Puis son infidélité envers son deuxième mari pour un homme plus jeune et sa rivalité avec sa belle-fille qui est au cœur de l'intrigue. Kate Winslet est remarquable dans ce rôle ingrat d'épouse et de mère indigne qui s'autodétruit alors que les autres personnages peinent à exister.

Wonder Wheel malgré ses couleurs pimpantes est donc un film désespéré qui exprime la noire misanthropie de son auteur comme dans "Blue Jasmine", "L'homme irrationnel", "Crimes et Délits", "Match Point" ou "Le rêve de Cassandre".

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Hamlet

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (1996)

Hamlet

"Hamlet" est l'œuvre-somme de Shakespeare et Branagh, lui répondant en miroir en a fait son film-somme. Une œuvre monumentale de 4 heures (en version longue) pour laquelle Branagh a convoqué différents pans de la mémoire du cinéma hollywoodien dans ce qu'il a de plus puissant, de plus spectaculaire. Cela va du muet (la séquence finale en montage alterné et suspense dilaté fait penser à "Naissance d'une nation" de D.W. Griffith) jusqu'aux grandes fresques des années 50-60 comme le "Docteur Jivago" de David Lean (choix du format 70 mm, des paysages enneigés et de l'actrice principale Julie Christie pour jouer Gertrude) ou "Ben-Hur" de William Wyler (également pour le 70 mm, la durée de 4 heures et Charlton Heston qui joue le chef de la troupe des comédiens).

C'est donc du très grand spectacle qui nous est offert. Mais c'est aussi une réflexion sur le spectacle et son rapport avec la vie. Le jeu de miroirs accentue le théâtre dans le théâtre qui est au cœur de la pièce. Il s'agit du célèbre passage de mise en abyme où des comédiens rejouent la scène du meurtre de Hamlet père par son frère Claudius dont la réaction épidermique a valeur d'aveu. Le simulacre de la pièce dans la pièce accouche d'une vérité (de plusieurs même puisque Claudius comprend à cette occasion qu'Hamlet connaît son secret). A l'inverse, lorsque la pièce "imite" la vie, elle prend l'allure d'une énorme mascarade sociale. Claudius, forcé de dissimuler son crime joue la comédie à tout le monde et Hamlet excelle à feindre la folie furieuse pour déstabiliser son entourage. Sans parler des scènes ou celui-ci se sait observé derrière un rideau ou un miroir sans tain et en rajoute à l'intention de son public.

"Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark". Effectivement le royaume-monde dans lequel se déroule le film, clos sur lui-même, entouré de grilles, de bibliothèques, de rideaux, de miroirs a quelque chose de terriblement claustrophobique. La transposition de cet univers dans un XIX° très "fin de siècle" en accentue le caractère décadent. C'est en effet à cette époque que l'aristocratie anglo-saxonne, rongée par la consanguinité s'est progressivement éteinte. Or ce "Hamlet" met particulièrement bien en valeur l'aspect nihiliste, "no future" de l'histoire. Les enfants de "Hamlet" sont pris au piège de relations incestueuses dont ils ne parviennent pas à se défaire. C'est évidemment le péché originel de Claudius-serpent qui convoite le trône et la femme de son frère aîné et s'en empare par le crime. C'est Hamlet fils, privé d'identité propre qui en dépit de ses atermoiements (eux-mêmes troubles) ne parvient pas à devenir autre chose que le bras armé de la statue du commandeur qu'est son père. Il finit dans le film littéralement crucifié. C'est également Ophélie, rejetée par Hamlet qui la défend de concevoir et l'enjoint d'entrer dans un couvent. Ophélie dont l'amour pour Hamlet ne fait pas le poids face à l'emprise de son père Polonius dont elle ne supportera pas la mort. Les images claustrophobiques s'accentuent alors et on voit cette pauvre Ophélie se jeter contre la grille qui la sépare du corps de son père puis se cogner contre les murs de sa cellule de contention dans sa camisole de force jusqu'à ce qu'elle en dérobe la clé et aille se jeter dans la rivière pour le rejoindre.

Dans ce contexte verrouillé, il n'est guère étonnant que tout ce petit monde s'entretue jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne. Le royaume d'Elseneur, envahi de toutes part s'écroule alors comme un château de cartes. Et le film de refermer la boucle en rappelant que les statues réputées les plus indéboulonnables meurent aussi (une référence sans doute à "Octobre" d'Eisenstein où la statue du Tsar est brisée). Toute forme de passion (pouvoir, argent, plaisir) n'est-elle pas que vanité en ce bas-monde ou rien ne dure?

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La flûte enchantée (The magic Flute)

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (2006)

La flûte enchantée (The magic Flute)

Après Ingmar Bergman en 1975, Kenneth Branagh a été le deuxième réalisateur à proposer une version cinématographique de la "Flûte enchantée" en 2006. Désireux tout comme Bergman en son temps de rendre accessible l'opéra le plus connu mais aussi le plus ésotérique de Mozart, il a pris un certain nombre de risques:

- Il a transposé l'histoire dans le contexte de la première guerre mondiale ce qui donne une profondeur supplémentaire à cette histoire où s'affrontent la lumière et les ténèbres, la paix et la guerre, l'amour et la haine ou encore la fraternité et le combat. Ce choix est en tout cas plus convaincant que celui de situer "Peines d'amours perdues" son précédent film au début de la seconde guerre mondiale. Même si parfois le dispositif paraît un peu artificiel (la propreté des soldats fait sourire tout comme la couleur de leur uniforme rouge garance, impossible en 1918), il fonctionne et se marie bien avec la magie de l'histoire.

- Il a confié à Stephen Fry le soin de traduire le livret en anglais et de rajouter quelques dialogues. Evidemment son film s'adresse d'abord à des anglais mais la langue de Shakespeare étant plus familière aux oreilles d'un francophone que la langue allemande (langue d'origine du livret) cette traduction nous procure un sentiment de familiarité bienvenue.

La mise en scène de Branagh est tout de même inégalement inspirée. Le plan-séquence du début rempli d'images de synthèse nous plonge au cœur des partis-pris du film avec beaucoup de dynamisme. Il en va de même pour le premier air de Tamino poursuivi de façon assez saisissante par un serpent de gaz moutarde. Par la suite, cela se gâte avec de nombreuses scènes trop théâtrales dans le château de Sarastro. Heureusement il y a aussi ici et là des fulgurances visuelles comme celle du recueillement dans le cimetière militaire blanc sur fond de champ de bataille, celle des grosses lèvres rouges sur fond vert ou bien celle du chant choral des sacs de sable des tranchées transformées en têtes humaines. Et les superbes scènes de bal en noir et blanc où dansent Tamino et Pamina rappellent "Dead again". Après, on aime ou pas le style baroque qui est le propre de ce réalisateur. L'acteur-chanteur qui interprète Sarastro, René Pape est particulièrement remarquable et son charisme a lui seul compense en partie l'aspect statique de la majeure partie des scènes où il figure.

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Nausicaa de la vallée du vent (Kaze no Tani no Naushika)

Publié le par Rosalie210

Hayao Miyazaki (1984)

Nausicaa de la vallée du vent (Kaze no Tani no Naushika)

"Nausicaa de la vallée du vent" est le deuxième long-métrage de Miyazaki mais c'est sa première œuvre totalement personnelle. C'est aussi sa première collaboration avec Joe Hisaishi (alors peu connu). Pour obtenir le financement nécessaire à sa réalisation, il dû créer une version manga qui rencontra un important succès. Le film est basé sur les deux premiers tomes de ce manga dont la publication s'étala sur 12 ans. Quant au succès du film, il lui permis de fonder les studios Ghibli.

Nausicaa est une œuvre-clé magnifique, d'une brûlante actualité, qui contient tous les thèmes et obsessions de son auteur. Il s'agit également d'une œuvre universelle qui s'inspire aussi bien de la culture occidentale qu'orientale. Ainsi le prénom de l'héroïne est une référence à la princesse phéacienne qui recueillit Ulysse dans "l'Odyssée" d'Homère en dépit de son aspect repoussant mais son caractère s'inspire aussi d'un conte japonais du XII° siècle intitulé "La princesse qui aimait les insectes" (plutôt que les apparences). On discerne également l'influence de l'un des plus grands auteurs de BD français, Jean Giraud alias Moebius. Miyazaki connaissait "Arzach" et aussi le film d'animation de René Laloux "Les Maîtres du temps" dont Moebius avait co-signé le scénario et conçu l'univers visuel. En retour, Moebius qui a découvert par hasard le film de Miyazaki en 1986 a prénommé sa fille Nausicaa.

On a tendance à réduire le film à un récit de science-fiction écologique. Mais il s'agit surtout d'une grande œuvre philosophique et spirituelle. L'héroïne est un personnage messianique, une sorte d'ange de la paix qui du haut de son planeur survole la terre ravagée par les conflits entre l'homme et la nature et entre les communautés humaines avec l'objectif de ramener la paix et l'harmonie sur terre. Ce rôle de messagère et de médiatrice préfigure Ashitaka le héros de "Princesse Mononoké" (les deux films sont en effet très proches.) De plus Nausicaa est un personnage christique prêt à se sacrifier pour sauver tous les êtres vivants. Car Nausicaa contrairement aux autres personnages ne fait aucune différence entre les formes de vie. Sa compassion est universelle. Elle touche aussi bien les ennemis de son peuple que les insectes géants qui peuplent la forêt toxique dont l'extension menace d'empoisonner les humains survivants (la manière dont elle leur tend la main et communique avec eux fait penser aux "Rencontres du troisième type" de Spielberg ou l'Alien est perçu comme un frère). Plutôt que de chercher à détruire la forêt, elle tente de comprendre son fonctionnement. Et découvre qu'au contraire, elle absorbe le poison que les hommes ont répandu dans le sol, l'eau et l'air 1000 ans auparavant quand ils ont détruit la planète (une métaphore de l'apocalypse nucléaire capable de polluer l'environnement sur des centaines de milliers d'années). Miyazaki enfonce un peu plus le clou de l'homme stupide et aveugle, incapable d'apprendre de ses erreurs et qui (se) détruit faute de (s') accepter tel qu'il est.


"Nausicaa de la vallée du vent" est donc un récit qui nous élève à tous les sens que peut recouvrir ce terme.

 

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