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Sophie Scholl-Les derniers jours (Sophie Scholl – Die letzten Tage)

Publié le par Rosalie210

Marc Rothemund (2005)

Sophie Scholl-Les derniers jours (Sophie Scholl – Die letzten Tage)

1942-1943 est un tournant dans l'histoire du IIIeme Reich. Alors que l'Allemagne nazie baigne encore dans le mythe de son invincibilité, elle connaît ses premiers revers militaires, en Afrique du nord, en Sicile et surtout à Stalingrad qui égratigne au passage un autre mythe, celui du surhomme aryen. Cette fragilisation radicalise encore un peu plus le régime, lancé dans une guerre totale à outrance depuis l'invasion de l'URSS en juin 1941 qui se traduit notamment par l'extermination des juifs d'Europe mise en œuvre en URSS puis étendue à toute l'Europe en 1942.

C'est dans ce contexte que se situent les événements racontés par le film. La résistance intérieure était très difficile en Allemagne à cause de la répression impitoyable et de la puissance de l'embrigadement des esprits. Cependant, elle existait, notamment dans les milieux chrétiens dont les convictions humanistes étaient foulées aux pieds par les agissements du régime hitlérien. Le milieu universitaire à la longue tradition critique n'était pas non plus totalement asservi. C'est d'ailleurs sans doute pour neutraliser ces deux institutions qu'Hitler embrigadait les jeunes dans les organisations nazies. Sans toujours cependant parvenir à les lobotomiser. Sophie Scholl, une étudiante âgée d'une vingtaine d'années avait fondé en juin 1942 avec son frère Hans et d'autres étudiants un mouvement antinazi baptisé "La Rose blanche". Leur activité consistait principalement à imprimer et distribuer des tracts, à écrire des slogans sur les murs et collecter du pain pour les prisonniers des camps de concentration.

Le film se concentre sur les six derniers jours de la vie de Sophie Scholl, de son arrestation le 17 février 1943 à son exécution le 22 février. Il se base sur une abondante documentation historique, notamment les procès-verbaux d'interrogatoires de la Gestapo de Hans et Sophie longtemps dissimulés dans les archives est-allemandes et rendus accessibles après la fin de la guerre froide. Cela se traduit dans la plus grande partie du film par un dispositif théâtral épuré où une héroïne aux convictions humanistes inébranlables tient tête à un policier de la gestapo dont l'argumentaire idéologique s'effrite pour laisser place à des motivations bien connues dans la victoire d'Hitler (la revanche sur la France avec l'humiliation du traité de Versailles) ou bassement humaines (l'ambition carriériste). Ce policier est néanmoins montré sur un jour bien trop favorable par rapport à la réalité historique. Le film passe en effet complètement sous silence le fait que Sophie Scholl est sortie de l'interrogatoire avec la jambe cassée. De même, son frère et leur ami restent propres sur eux jusqu'à la fin. L'édulcoration de la réalité passe également par les gestes d'humanité des geôlières de Sophie ou le silence penaud des témoins nazis du procès lorsque Sophie parle en leur nom "Vous en avez assez de cette guerre mais vous n'osez pas le dire". Cet adoucissement est dommageable car il rend moins évident le courage dont Sophie a fait preuve, témoignant que quelles que soient les circonstances, l'être humain garde toujours son libre-arbitre.
 

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L'Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1951)

L'Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train)

Quand Patricia Highsmith rencontre Hitchcock cela donne "L'Inconnu du Nord-Express". Deux rails parallèles qui convergent en un même point avant de se dénouer au terme d'une course folle à bord d'un manège qui s'emballe. A bord d'un train, un homme sans histoire (en apparence), Guy Haines rencontre son double inversé, Bruno Antony pour qui il éprouve des sentiments ambivalents (ça c'est pour Highsmith). En dépit de ses réticences, il accepte de déjeuner avec lui, signant tacitement un pacte faustien (ça c'est pour Hitchcock). Bruno propose de tuer l'épouse encombrante de Guy et demande à ce dernier en échange de le débarrasser de son père qu'il déteste. Bien entendu Guy n'assume pas sa part du contrat et tente de fuir Bruno mais son ombre le poursuit.

Les pulsions sexuelles refoulées et transmuées en pulsions meurtrières sont comme souvent chez Hitchcock au cœur du film. Guy a un problème avec les femmes. Il est pris en tenaille entre "la vierge et la putain" c'est à dire une promise frigide et une épouse lubrique qui "ne pense qu'à ça" (avec d'autres, suggérant ainsi que le pauvre Guy ne la satisfait pas). Tout dans la mise en scène suggère son attraction-répulsion pour Bruno, cet "obscur objet du désir" qu'il refoule mais qui revient toujours le hanter quelque part dans un coin de l'image. Bruno quant à lui est piégé au cœur d'un conflit oedipien. Il souhaite tuer son père par procuration pour (inconsciemment) pouvoir coucher avec sa mère abusive selon un schéma très proche de celui de Norman Bates dans "Psychose". Comme Norman, Bruno est un psychopathe qui éprouve une haine meurtrière vis à vis des femmes, surtout lorsqu'elles sont désirables. L'attirance qu'il éprouve pour Guy est carnassière: il veut le dominer, le manipuler, le dévorer et la fin sur le manège avec le va et vient du sabot du cheval et sa position au-dessus de sa victime métaphorise le viol.

Comme il est impossible dans les années 50 d'exprimer directement de telles turpitudes, tout est en effet suggéré par la mise en scène, les lieux et les objets. Le train et le tunnel ("of love") sont une métaphore bien connue de l'acte sexuel comme dans "La Mort aux trousses" mais comme Hitchcock fusionne l'amour et la mort, le "tunnel of love" devient le "tunnel of death" lorsque l'ombre de Bruno recouvre celle de la femme qu'il s'apprête à étrangler. Un acte qui est filmé comme un baiser et vu à travers les lunettes de la jeune femme, métaphore du regard voyeuriste de la mère castratrice (c'est la même métaphore que la longue-vue de "Fenêtre sur cour" dont le personnage principal a la jambe -c'est à dire sa virilité- dans le plâtre). Et de même que Bruno est le double maléfique de Guy (comme Tom l'était de Jonathan dans "L'Ami Américain" autre transposition d'Highsmith), la femme que Bruno pense avoir détruit renaît à travers un double (joué par Patricia Hitchcock, la fille de Sir Alfred qui a droit à deux zooms saisissants), preuve que la mère est indestructible. Quant aux relations entre les deux hommes, la mise en scène suggère combien elle se développe dans le refoulement et la clandestinité avant que leurs pulsions n'explosent dans la scène du manège, celle-ci étant une scène de violence et de plaisir coupable entremêlés débouchant sur la mort, la petite et la grande.

Si en dépit de toutes ses qualités le film n'est pas tout à fait un chef d'œuvre, c'est la faute de l'interprétation, très inégale. Si Robert Walker est excellent dans le rôle de Bruno, Farley Granger est catastrophique dans celui de Guy. Il est totalement inexpressif, ne semble jamais être vraiment concerné par ce qui lui arrive ce qui affadit le film, celui-ci reposant en partie sur ses épaules.

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Les Guichets du Louvre

Publié le par Rosalie210

Michel Mitrani (1974)

Les Guichets du Louvre

C'est au moment de la sortie de "La Rafle" en 2010 que l'on s'est brusquement souvenu des "Guichets du Louvre", le premier film français consacré à la rafle du Vel d'Hiv, sorti en 1974 qui était depuis tombé dans l'oubli.

Les années 70 marquent en effet en France le réveil des mémoires de la seconde guerre mondiale jusque-là occultées par le résistancialisme du Général de Gaulle selon lequel les français auraient été tous résistants ("la France n'a pas besoin de vérités, la France a besoin d'espoir"). "Le Chagrin et la Pitié" de Marcel Ophüls sorti en 1969 en dépit des conditions difficiles de sa diffusion est un tournant qui ouvre la porte à d'autres films explorant la réalité de la collaboration comme "Lacombe Lucien" de Louis Malle sorti la même année que les "Guichets du Louvre" ou "Monsieur Klein" de Joseph Losey sorti en 1976.

A l'origine des "Guichets du Louvre", il y a le livre éponyme de Roger Boussinot écrit vingt ans après les faits qui raconte en détails le déroulement de la funeste journée du 16 juillet 1942 à laquelle il a pris part essentiellement en tant que témoin. Alors étudiant d'obédience anarchiste, il a essayé avec d'autres jeunes de sauver (en vain) des juifs. Son impuissance l'a plongé dans une amnésie traumatique dont il a mis 20 ans à sortir "la première censure infligée à ce récit fut la difficulté, pour moi-même d’accepter ce souvenir." Son livre s'est ensuite heurté à une censure plus officielle car il y mettait en cause les protagonistes français de la rafle: la police du régime de Vichy, la gendarmerie mobile et les membres du PPF (parti populaire français de Jacques Doriot, un mouvement fasciste, véritable pépinière de futurs miliciens). Rappelons qu'il fallut attendre 1995 pour que le président Jacques Chirac reconnaisse officiellement la collaboration de l'Etat français à la Shoah.

Le film de Michel Mitrani propose une véritable immersion dans le récit du livre qui se déroule quasi-intégralement dans le quartier du Marais, bouclé par la police pour y rafler les juifs tout au long de la journée (la rafle s'est d'ailleurs poursuivie le lendemain). En 1974, le quartier n'avait pas été rénové et la reconstitution minutieuse produit un saisissant effet de réalisme. Il en va de même en ce qui concerne les réactions des protagonistes. Le jeune homme se heurte à la passivité, l'incrédulité ou la méfiance des juifs qu'il vaut sauver d'autant que la mission consiste à entraîner avec lui une femme et/ou des enfants ce qui le fait passer au choix pour un violeur ou pour un pédophile. Quant aux policiers et aux témoins non-juifs (dont Paul, le héros de l'histoire et double de Boussinot), ils ne sont pas univoques, il y en a qui font du zèle et se réjouissent, d'autres s'indignent et font de la résistance passive ou active, la majorité étant tout simplement indifférente.

Si le film n'a cependant pas réussi à marquer les mémoires, c'est en raison de la faiblesse de son intrigue principale, celle de la rencontre amoureuse éphémère entre Paul (Christian Rist) et Jeanne (Christine Pascal), la jeune fille juive qu'il tente d'escorter hors de la zone dangereuse. Leur histoire traîne en longueur, se répète beaucoup et se perd dans les sables. Leurs réactions à lui et à elle manquent de subtilité. Il aurait mieux valu sacrifier cette histoire au profit d'une narration moins classique où seul l'aspect kafkaïen de la trajectoire du héros aurait été conservé. Il y aurait gagné en puissance.

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Païsa (Paisà)

Publié le par Rosalie210

Roberto Rossellini (1946)

Païsa (Paisà)

Païsa est à la fois un cours d'histoire et de géographie, un reportage pris sur le vif (ou presque, quelques mois seulement séparent les événements de leur reconstitution par Rossellini) et une série de six tableaux qui réunis forment une fresque de la campagne d'Italie de 1943 à 1945 avec la progression des alliés du sud au nord:

-Le premier récit se situe dans le contexte du débarquement en Sicile de juillet 1943.
-Le deuxième daté de septembre 1943 filme Naples libérée mais en ruines et en proie à la misère noire. Le sort des orphelins qui tentent de survivre est au cœur de cet épisode.
-Le troisième évoque la libération de Rome en février 1944 et la prostitution de femmes romaines.
-Le quatrième se place au cœur des combats pour la libération de Florence en août 1944. Lui aussi montre les conditions de vie difficiles de la population.
-Le cinquième se situe en septembre-octobre 1944, au cœur de la Romagne, défendue village par village par les allemands (bien que non évoqué dans le film, on pense au massacre des habitants de Marzabotto, l'Oradour sur Glane italien).
-Le sixième enfin évoque les combats dans le delta du Pô dans lequel les alliés s'enlisèrent jusqu'au printemps 1945.

Chaque récit, d'une longueur équivalente (environ 20 minutes) mêle la grande et la petite histoire. Il commence par une contextualisation historique avec des images qui parfois sont prises dans les archives puis il se resserre sur des destins individuels qu'il parvient à restituer de façon admirable. A chaque nouveau récit, on assiste à différentes modalités de rencontre entre des italiens et des américains: difficultés de communication, incompréhension et malentendus, choc culturel, hospitalité, fraternisation et relations amoureuses systématiquement brisées par la guerre.

La puissance qui se dégage de ces récits est telle que ces fragments pourtant très ancrés dans l'espace et dans le temps deviennent intemporels et universels. Par exemple dans le quatrième épisode, lorsque les personnages traversent un musée florentin dont les trésors sont emballés, on pense à toutes les destructions récentes du patrimoine moyen-oriental. Il en va de même lors des scènes de civils massacrés ou de partisans froidement exécutés. Les détails documentaires et le dépouillement de la narration donnent un accent de vérité unique à l'ensemble.

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Rome ville ouverte (Roma città aperta)

Publié le par Rosalie210

Roberto Rossellini (1945)

Rome ville ouverte (Roma città aperta)

Dans ce qui est le plan séquence le plus célèbre du premier volet de la trilogie de la guerre (les deux autres sont "Païsa" et "Allemagne année zéro"), Pina (Anna Magnani) court en hurlant derrière le camion qui emporte son fiancé Francesco avant de s'effondrer sur le sol, tuée d'une balle tirée depuis le camion. La caméra saisit l'instant de ce basculement en plein vol ce qui le rend inoubliable.

C'est en ce sens que "Rome ville ouverte" est l'un des films fondateurs du néoréalisme. Réalisé à la fin de la guerre avec des bouts de pellicule (au sens propre), il va chercher dans la rue une matière brute qu'il filme à la manière d'un reportage ou plus exactement d'une reconstitution historique à chaud, le film ayant été tourné à proximité des faits réels dont il s'inspire. Le résultat est saisissant de vérité ce qui explique l'influence que ce film a eu sur de nombreux réalisateurs (ceux de la Nouvelle Vague notamment). Et ce alors qu'en fait le film se détache bien souvent du réalisme pour atteindre une dimension mystico-religieuse. Les trois personnages principaux de l'histoire sont filmés comme des martyrs (il y a quelque chose d'iconique dans leurs postures et expressions de visage) et leur parcours relève plus de la tragédie que du documentaire. C'est de la dualité (vie-art, terre-ciel, documentaire-fiction, réalisme-romanesque, communisme-catholicisme) que naît la beauté singulière du film.

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L'Etat des choses (Der Stand der Dinge)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1982)

L'Etat des choses (Der Stand der Dinge)

"L'Etat des choses" est un film esthétiquement magnifique. Il bénéficie notamment d'une photographie noir et blanc d'Henri Alekan qui sublime les séquences de l'hôtel dévasté en bord de mer et d'une musique inspirée de Jürgen Knieper.

Mais hélas, toute cette beauté tourne à vide. On nage en plein ego trip. Wenders multiplie les mises en abyme qui ne renvoient qu'à lui-même et ses états d'âme du moment, dominés par l'amertume et la déprime. L'identité de son double de cinéma (joué par Patrick Bauchau) renvoie aux deux plus grands cinéastes allemands de l'histoire, Fritz (Lang) pour le prénom et Munro (Murnau) pour le nom. Ce sont deux figures tutélaires d'autant plus incontournables qu'entre eux et la génération de Wenders il y a un grand vide dans le cinéma allemand lié évidemment au nazisme. Fritz tourne (justement) un film de science-fiction post-apocalyptique au Portugal à l'intérieur du film de Wenders, les "Survivants" qui suscite l'intérêt. Hélas le tournage des "Survivants" est interrompu rapidement faute de pellicule et d'argent. A la place, on doit subir "l'Etat des choses", une interminable attente neurasthénique faite d'ennui et de vacuité pour toute l'équipe des "Survivants" mais aussi pour le spectateur. Le producteur, Gordon, étant introuvable, Munro finit par partir le chercher à Los Angeles. En fait il se cache car il est traqué par la mafia qui veut lui faire payer de s'être engagé sur un film tourné en noir et blanc et qui n'a donc (selon elle) aucune chance de retour sur investissement. Une intrigue digne d'un film noir, "l'Etat des choses" se voulant une réflexion sur le cinéma remplie de références aux genres cinématographiques et à ses grands réalisateurs.

Ce dispositif complexe et cette réflexion pessimiste sur la "mort du cinéma d'auteur" n'a en fait qu'un but, permettre à Wenders de régler ses comptes avec l'industrie hollywoodienne qui lui a confisqué "Hammett" sur lequel il travaillait depuis quatre ans. Tant de nombrilisme finit par devenir extrêmement lassant. Le manque de générosité du film se ressent dans son absence d'enjeux narratifs ("un film sans histoire c'est comme une maison sans murs") comme d'émotions ("je ne ressens rien, je n'ai pas de sentiments").

Heureusement, la sensation d'impasse ressentie par Wenders sur ce film lui permettra de magnifiquement rebondir par la suite.

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Harry, un ami qui vous veut du bien

Publié le par Rosalie210

Dominik Moll (2000)

Harry, un ami qui vous veut du bien

C'est en regardant "l'Ami américain" de Wim Wenders que j'ai repensé à "Harry, un ami qui vous veut du bien" de Dominik Moll. Et pour cause, les deux films ont une origine commune qui se nomme Patricia Highsmith. "L'Ami américain" s'inspire de deux de ses romans et Dominik Moll avoue avoir été très influencé par "L'inconnu du Nord-Express". Ce qui évidemment souligne le caractère très hichcockien de son film, une vraie pépite du cinéma français, hélas trop avare de ce genre de thriller psychanalytique. Le titre fait penser à "Mais qui a tué Harry?", les plans de la maison ont des relents de "Psychose" tout comme l'œil qui espionne par le trou de la serrure, Le nom de Harry, Ballesteros est très proche de celui de Manny Balestrero, le personnage principal du "Faux Coupable" etc.

Ce qui rapproche également le film de Moll et celui de Wenders, c'est le concept de double (selon Freud) ou encore d'ombre de la personnalité (selon Jung). Une partie refoulée de la personnalité d'un personnage apparemment sans histoire mais en réalité miné par la frustration surgit comme par magie dans le monde réel et bouleverse sa vie. Celle-ci devient plus excitante mais aussi plus dangereuse, jalonnée de crimes. Dans "Harry, un ami qui vous veut du bien", Michel (Laurent Lucas) est entravé dans son accomplissement personnel par la présence envahissante de ses parents, la jalousie de son frère, sa vie de famille qui le "bouffe" et les soucis d'argent. Harry (Sergi Lopez), son inconscient se matérialise dans les toilettes (une des nombreuses allusions à "Shining" de Kubrick, une autre des grandes références du film de Moll), non pour lui suggérer -du moins dans un premier temps- d'assassiner sa femme et ses filles mais pour lui parler de ses talents d'écrivain. Talents bien enfouis au fond d'un vieux carton oublié et laissés en friche depuis des années. Plus le film avance, plus on jubile de voir les désirs refoulés de Michel jaillir à la surface et briser la fragile barrière du moi et de la "normalité". Une pièce symbolise le basculement progressif de Michel dans une autre dimension: la salle de bains dans laquelle il se retranche pour reprendre l'écriture. Sa couleur rose qui contraste violemment avec le reste de la maison fait penser à l'intérieur d'un cerveau. On peut y voir l'influence de Lynch et également de Kubrick (la fin de "2001, l'Odyssée de l'espace".)

La remontée à la surface de ce qui est enfoui a toujours un aspect ambivalent et "Harry, un ami qui vous veut du bien" ne fait pas exception à la règle. Harry est un tueur (altruiste certes mais cela ne change rien au caractère mortifère de son personnage) mais c'est aussi une bête de sexe pleine aux as. Sa remontée à la surface permet à Michel de se reconnecter à sa libido et à sa créativité en berne, de retrouver sa puissance personnelle perdue pour aller de l'avant (l'œuf étant le symbole de ce renouveau). L'enjeu est cependant d'empêcher cette pulsion vitale de se transformer en pulsion autodestructrice en la renvoyant à temps dans les tréfonds du subconscient (bien au fond du puisard enfin rebouché).

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Lisbonne Story (Lisbon Story)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1994)

Lisbonne Story (Lisbon Story)

A l'origine, "Lisbonne Story" devait être un documentaire sur la capitale du Portugal. Il est devenu une fiction aux allures de retour aux sources pour Wenders qui reprend énormément d'éléments de ses films précédents. La ville, le cinéaste (Friedrich Monroe joué par Patrick Bauchau), le principe du film dans le film et l'Isetta BMW de "L'Etat des choses", l'écrivain-photographe Philip Winter de "Alice dans les villes" devenu ingénieur du son (mais toujours joué par Rüdiger Vogler), un hommage à un grand cinéaste disparu (Federico Fellini) comme dans "Faux Mouvement" (John Ford), les intermèdes musicaux avec des artistes du cru (Madredeus, groupe de fado qui livre deux chansons envoûtantes), le thème de la frontière (abolie) lors d'un générique mémorable.


"Lisbonne Story" est une réflexion sur le temps au cinéma et sur le cinéma dans le temps (son passé, son présent et son avenir incertain). Un très beau passage montre Manoel de Olivera (l'intervention de cinéastes dans les films de Wenders est également un élément récurrent, l'exemple le plus célèbre se trouvant dans "L'Ami américain") se livrant à une imitation du Vagabond de Chaplin, la caméra qui le filme n'étant autre que celle de Buster Keaton dans "Le Caméraman". Parallèlement, on l'entend réfléchir sur le rôle mémoriel du cinéma "Au cinéma, la caméra peut fixer un moment mais ce moment est déjà passé. Le cinéma garde la trace d'un fantôme de ce moment. Nous ne sommes plus certains que ce moment existe en dehors de la pellicule ou la pellicule garantit-elle l'existence de ce moment? Je ne sais plus." Quant aux plus jeunes, leur manie de tout filmer machinalement au camescope pousse Winter à les traiter de "Vidiots"! Alors que Friedrich est comme sa voiture en panne d'essence (et de sens). Après avoir sans succès tourné en noir et blanc et en muet pour tenter de retrouver l'innocence originelle du cinéma, il en arrive à filmer sans regarder, tout regard étant selon lui pollueur (un cinéma sans point de vue c'est la négation du cinéma!)

Cependant, "Lisbonne Story" échoue à incarner toutes ces idées. Contrairement à d'autres films de Wenders, le film reste trop théorique et manque cruellement d'une dimension humaine. Le cinéma mémoriel prenait vie dans le petit film de famille de "Paris, Texas", la scène du train de "L'Ami américain" ressuscitait les grandes heures du burlesque muet, les artistes (musiciens et cinéastes) étaient aussi de vrais personnages dans les films et pas simplement des citations. "Lisbonne Story" tient trop à distance le spectateur, c'est dommage.

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Un Tueur dans la foule (Two-Minute Warning)

Publié le par Rosalie210

Larry Peerce (1976)

Un Tueur dans la foule (Two-Minute Warning)

"Un tueur dans la foule" est un film catastrophe paranoïaque qui reflète la crise de la société américaine des années 70. Une société qui doute d'elle-même, fragilisée par un double traumatisme: l'assassinat du président Kennedy et la défaite du Vietnam. Ces deux événements ne sont pas mentionnés explicitement mais ils sont omniprésents dans le film. Le tueur dont on ne connaîtra ni le visage, ni les motivations attend visiblement l'arrivée du président pour passer à l'action. Et les forces de police tout en déployant des moyens impressionnants et dernier cri s'avèrent non seulement impuissantes à empêcher le drame mais elles le précipitent voire le provoquent.


La maîtrise de l'espace et du temps est une des caractéristique du film. Il s'agit d'un huis-clos à ciel ouvert, l'action se déroulant presque uniquement dans un seul lieu, le stade du Los Angeles Memorial Coliseum, quasiment en temps réel pendant le match de football (américain) opposant Los Angeles à Baltimore. Le film commence et se termine d'ailleurs par un plan aérien du stade dont on se rapproche au début et que l'on quitte à la fin. Ce dispositif scénique des 3 unités (lieu, temps, action), dramatise fortement les enjeux. Le seul passage qui fait exception se situe juste après le générique et montre les différents protagonistes du drame qui se préparent à "entrer en scène". Les plans en caméra subjective du tueur tout d'abord qui de ce fait se réduit à l'oeil de la lunette de son fusil et à des mains gantées. Ce morcellement et cette deshumanisation produisent un effet de malaise réel. On le voit d'ailleurs abattre froidement un passant pour "se faire la main" puis embarquer son matériel à bord de son véhicule pour se rendre sur les lieux. La facilité avec laquelle il gagne son poste de tir donne un assez bon aperçu des failles sécuritaires de la première puissance mondiale. Parallèlement au tueur, le film nous présente une dizaine de personnages secondaires qui se rendent au stade et dont le point commun est de donner une vision malade de la société américaine: un parieur compulsif, un pickpocket, une famille apparemment modèle mais en réalité conflictuelle, des couples fragiles voire sur le point d'exploser etc.

Le film se divise ensuite en deux parties d'inégale longueur: environ une heure d'attente où le malaise monte progressivement, chaque personnage étant tour à tour pris pour cible à son insu par le tueur. Le contraste entre la liesse collective et la mort qui rôde et peut frapper à tout moment est saisissant. C'est aussi durant cette période que le dispositif policier se met en place avec une exaspérante lenteur. Puis, quand la pression devient trop forte, le réalisateur fait exploser toutes les digues, déversant les flots incontrôlables de la foule lors de 20 dernières minutes terriblement impressionnantes (on pense au Heysel, à Furiani et à d'autres mouvements de panique du même genre ayant eu lieu dans un stade de football). L'interpréation est de tout premier ordre: Charlton Heston, John Cassavetes et Martin Balsam du côté des forces de l'ordre, Gena Rowlands et Walter Pidgeon côté spectateurs.

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Le trésor de la Sierra Madre (The Treasure of the Sierra Madre)

Publié le par Rosalie210

John Huston (1948)

Le trésor de la Sierra Madre (The Treasure of the Sierra Madre)

Immense film que ce "Trésor de la Sierra Madre" qui voit trois hommes en marge de la société s'improviser chercheurs d'or dans l'espoir de faire fortune... mais inconsciemment dans l'espoir de trouver un sens à leur vie et une place dans le monde. Face à cet or qui s'avère être un mirage, chacun va trouver sa vérité, douce pour certains, cruelle pour d'autres dans cette "Sierra Madre" qui est un sas entre la vie et la mort. C'est toute la noblesse, toute la profondeur, tout l'humanisme du cinéma de John Huston qui s'exprime dans cette œuvre admirable.

Les personnages sont si criants de vérité que l'on ne parvient pas à les détester, même quand ils commettent des actes haïssables. C'est le cas de Fred C. Dobbs (campé par un géant du cinéma, Humphrey Bogart qui plus est dans un de ses meilleurs rôles) que la soif maladive de l'or plonge dans une terrible paranoïa autodestructrice. L'ombre qui le recouvre, la barbe qui mange son visage et les ruines qui l'environnent expriment son effondrement intérieur et annoncent son destin tragique.

Le vieux briscard qui l'accompagne, Howard (campé par le propre père de John Huston, Walter qui n'a pas volé son Oscar) pose un regard plein de compréhension sur lui, exprimant sans détour qu'il est une version déchue de lui-même. Extraordinaire personnage que cet Howard, plein d'expérience, de sagesse et de ressources cachées. Il est l'âme du film, celui qui sait justement le mal que l'or peut faire à l'âme. Il sait également que l'activité de prospecteur est maudite. Et pourtant, la tentation est trop forte, il ne peut s'empêcher de recommencer à chercher cet or, sans doute parce qu'il n'a jamais réussi à s'accomplir et qu'il saisit ce qu'il considère comme une dernière chance de le faire. Y renoncer sera par conséquent une vraie épreuve pour lui mais il y gagnera ce qu'il a en réalité toujours cherché: sa place au soleil. La scène où il ranime un enfant symbolise sa renaissance. Sa guérison est complète quand il lâche prise en riant aux éclats de la perte de son "or".

Il y a enfin Curtin (Tim Holt) qui au début de l'histoire partage la misère et le désoeuvrement de Dobbs. Leur rencontre le sort de son marasme, ils font équipe ce qui les rend plus forts (c'est le sens de la scène où ils obligent leur employeur à les payer). Mais plus le film avance, plus Curtin s'avère être l'antithèse de Dobbs et le fils d'élection de Howard avec lequel il partage ce fantastique éclat de rire libérateur qui clôt le film. Contrairement à Dobbs que son vide intérieur rend progressivement fou, Curtin rêve d'utiliser son or pour se construire un foyer où il pourrait s'enraciner. De plus il se comporte de façon loyale et honnête. Son vœu sera exaucé mais pas tout à fait de la façon dont il l'imaginait.

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