"Okko et les fantômes" est le premier long-métrage de Kitaro Kosaka qui a été présenté en compétition au festival d'Annecy. En effet, ce dernier n'est pas le premier venu. Il a collaboré en tant que dessinateur à certains des films de Hayao MIYAZAKI tels que "Nausicaä de la vallée du vent (1984)", "Princesse Mononoké (1997)", "Le Voyage de Chihiro (2001)" et les films suivants avant de devenir directeur de l'animation pour "Le vent se lève (2013)". Il a également travaillé pour Isao TAKAHATA, notamment sur "Le Tombeau des lucioles (1988)" et "Pompoko (1996)". On ressent cette filiation dans le film. Le masque que porte Okko lorsqu'elle danse fait penser à celui de San, l'héroïne de "Princesse Mononoké (1997)".
Certes "Okko et les fantômes" adaptation du manga éponyme n'a pas le génie des œuvre précitées (et ne prétend pas l'avoir) mais il est au-dessus de "Mary et la Fleur de la sorcière (2017)", la première réalisation des studios Ponoc héritière de Ghibli. Il s'agit d'un film plein de charme, esthétiquement soigné et profondément ancré dans la culture japonaise. Si tout n'est pas maîtrisé dans le scénario (des personnages et des scènes sont survolés), il n'en reste pas moins que cette histoire d'apprentissage, de deuil et de pardon touche juste. On s'identifie à la petite héroïne qui en dépit de son apparence kawaii assez stéréotypée est dépeinte avec beaucoup de finesse. De plus, on plonge avec délices dans l'univers des traditions japonaises, l'histoire se déroulant dans le milieu des auberges situées près des sources thermales (onsen) très prisées des japonais. Okko et sa grande rivale Matsuki symbolisent les deux types d'auberges traditionnelles présentes au Japon. Matsuki travaille au sein d'un ryokan, une version luxueuse de l'auberge traditionnelle pensée pour offrir un maximum de confort et de prestations aux touristes (il y a même des pièces aménagées à l'occidentale). L'auberge tenue par Okko et sa grand-mère se rapproche davantage du minshuku, la chambre d'hôtes simple et familiale où l'on dort sur des futons à même le tatami et où l'on mange dans la chambre. Quant aux fantômes, ils sont une illustration de la circulation permanente entre visible et invisible, vie et mort, passé et présent, temporel et spirituel qui constitue l'ADN de ce pays. Leur présence soutient Okko dans son cheminement pour surmonter le traumatisme lié au décès de ses parents.
Comme une mise en abyme involontaire et ironique, c'est à cause d'une histoire de gros sous que le premier western de Sergio LEONE est devenu une trilogie. Le succès international inattendu de "Pour une poignée de dollars (1964)" eut l'effet paradoxal d'entraîner un procès avec Akira KUROSAWA qui estimait à juste titre que le film était un plagiait de "Yojimbo - Le Garde du corps (1960)". Akira KUROSAWA gagna le procès et obtint les droits de distribution du film de Sergio LEONE pour l'Extrême-Orient. La société de production américaine qui avait financé "Pour une poignée de dollars (1964)" se remboursa en privant Sergio LEONE de salaire: il ne toucha pas un centime sur son premier film. C'est ce qui le poussa à fonder sa propre société de production et à mettre en chantier un second opus en tous points supérieur à son prédécésseur.
En effet là où "Pour une poignée de dollars (1964)" faisait figure d'esquisse en raison notamment d'un budget et d'un scénario limités, "Et pour quelques dollars de plus" fait figure d'œuvre achevée. Sergio LEONE y affirme son style opératique, baroque et flamboyant, toujours aussi bien épaulé par la musique d'Ennio MORRICONE tout en développant un scénario beaucoup plus étoffé. Certes, il reprend le motif du méchant joué par Gian Maria VOLONTÉ dont les actes criminels particulièrement ignobles (viol et assassinat de femme et d'enfant) font passer les deux chasseurs de prime à la gâchette pourtant facile joués par Clint EASTWOOD et Lee Van CLEEF pour des saints. Une conception relative du bien et du mal très asiatique là où les occidentaux en ont une conception absolue et manichéenne ("Tu ne tueras point, point."). Mais la nouveauté réside justement dans le dédoublement de la figure du "héros" leonien. Clint EASTWOOD reprend les habits de "L'Homme Sans Nom" et joue peu ou prou le même rôle d'observateur-justicier-arbitre cynique et détaché que dans le film précédent. Mais Sergio LEONE lui adjoint Lee Van CLEEF dans un rôle qui préfigure celui de Charles BRONSON dans "Il était une fois dans l'Ouest (1968)". Le film y gagne en densité dramatique et humaine avec le thème de l'amitié virile et intergénérationnelle ainsi que celui de la vengeance. La scène finale dans l'arène préfigure quant à elle le film suivant "Le Bon, la brute et le truand (1966)". Sergio LEONE déploie un langage visuel souvent chargé d'une ironie jouissive. Le colonel Mortimer lisant la Bible alors qu'il va toucher la prime de l'homme qu'il vient de tuer en est un parfait exemple. Le vol du coffre-fort de la banque d'El Paso réputée imprenable en est un autre: le réalisateur insiste sur le très lourd dispositif mis en place dans la partie avant de la banque pour empêcher les malfaiteurs de s'emparer du coffre puis il montre que ceux-ci n'ont qu'à faire sauter le mur arrière pour s'en emparer.
"Pour une poignée de dollars" sorti en 1964 et devenu par la suite le premier volet de la "trilogie du dollar" est une petite bombe cinématographique. D'abord parce qu'il marque la naissance d'un nouveau genre: le western italien longtemps affublé du méprisant sobriquet de "spaghetti" (relent nauséabond d'une époque révolue mais pas si lointaine ou France et USA persécutaient leurs immigrés italiens qu'ils surnommaient les "macaronis"). Mais le qualifier d'italien est en réalité impropre. Ce nouveau western (ou plutôt renouveau, le genre étant alors moribond) est le fruit d' influences variées dont la mise en scène de Sergio LEONE réalise l'alchimie avec brio:
- Américaine pour le scénario inspiré d'un roman policier de Dashiell HAMMETT, "La Moisson rouge" sans parler du fait que le western est un genre enraciné dans l'histoire et la géographie des USA.
- Japonaise par le fait que "Pour une poignée de dollars" est le remake du film d'Akira KUROSAWA Yojimbo - Le Garde du corps (1960) lui-même inspiré du livre de Dashiell HAMMETT. Tous les western de Sergio LEONE sont imprégnés de l'esthétique des films japonais: la stylisation (le générique d'ombres animées en est un exemple frappant), une narration plus visuelle que dialoguée, la dilatation des plans, le poids des silences, le hiératisme des personnages, les gros plans sur leurs visages semblables à des masques.
-Italienne pour les baroquismes, la démesure opératique et l'influence de la commedia dell arte sur les personnages incarnés par des gueules plus grotesques les unes que les autres. Les westerns de Leone se caractérisent par leur amoralité et leur sauvagerie, celles-ci étant toutefois tempérées par la bouffonnerie et l'humour noir. "Pour une poignée de dollars" est toutefois sobre, sec et épuré comparativement aux deux autres volets de la trilogie, plus lyriques et flamboyants.
"Pour une poignée de dollars" doit également son identité reconnaissable entre mille à Clint EASTWOOD alors peu connu et qui impose une nouvelle icône archétypique universelle de héros/antihéros charismatique à poncho mexicain et bout de cigarillo au coin des lèvres, taiseux mais doté d'un regard perçant et dont la nonchalance laisse place à une rapidité d'exécution foudroyante. Un héros ambigu, cynique, cupide, éliminant froidement ses adversaires mais qui n'est pas dénué d'humanité ni de faiblesse (surtout en comparaison de ses adversaires). Surgissant de nulle part, n'allant nulle part, sans aucune attache ni identité (grâce au surnom gagné lors de la promotion américaine du film "l'Homme Sans Nom"), il est entouré de mystère et a également quelque chose de christique et de surnaturel. En témoigne la célèbre scène où il se relève après avoir été criblé de balles, révélant sous son poncho un gilet pare-balles improvisé ou le sadisme avec lequel il se fait lyncher pour avoir sauvé les victimes des Rojos. La dégaine classieuse de Clint EASTWOOD, le contraste marqué entre sa beauté solaire et son expression taciturne, son magnétisme et sa minéralité font que l'on ne peut imaginer d'autre acteur dans le rôle.
Enfin le troisième homme sans lequel les westerns de Sergio LEONE n'auraient pas la même saveur c'est le compositeur Ennio MORRICONE dont l'osmose avec le réalisateur produit une série de BO exceptionnelles à base de sifflements, de chœurs, de coups de feu, de guitare électrique. Ennio MORRICONE fait subir aux codes de la musique de western le même genre de détournement que Leone avec sa mise en scène pour le plus grand plaisir du spectateur.
Exemple réussi de fusion entre deux cultures, "Le château de l'Araignée" est la transposition du "Macbeth" de Shakespeare dans le Japon du XVI° siècle dévoré par les guerres civiles et les félonies. Kurosawa construit une œuvre très fidèle à la pièce d'origine tout en étant profondément ancrée dans la culture de son pays.
La réussite du film repose sur un subtil équilibre entre des émotions et sentiments exacerbés jusqu'à la folie et un traitement ascétique inspiré des codes du théâtre no. Kurosawa procède en effet par soustraction et compression. La soustraction est en effet partout: les personnages et les lieux sont réduits au minimum, les décors sont épurés, le spectaculaire (batailles et assassinats) est évacué en hors-champ, les mouvements de caméras sont limités de même que les déplacements, les expressions et les gestes des personnages. Leurs visages sont figés de façon à ressembler aux masques portés par les acteurs du no. On notera particulièrement le contraste entre l'expression grimaçante de Washizu alias Macbeth (Toshirô MIFUNE) qui le fait ressembler à un démon et celle, hiératique et spectrale de son épouse Asaji alias Lady Macbeth (Isuzu YAMADA), son âme damnée. On remarquera aussi qu'ils oscillent entre une immobilité redoutable, celle de l'animal prêt à bondir par laquelle ils concentrent au maximum leur énergie et une agitation désordonnée qui symbolise l'égarement de leur cerveau envahi par la folie furieuse. Un égarement également symbolisé par la brume omniprésente dans lesquelle ils se débattent comme dans une toile d'araignée, celle de la forêt qui entoure le château et lui donne son nom.
"Gerry" est sans doute le film le plus expérimental de Gus Van SANT. Il constitue le premier chapitre de sa trilogie (voire tétralogie si on ajoute Paranoïd Park (2007) de la mort dont le deuxième "Elephant (2003)" lui vaudra la palme d'or en 2003 et permettra la sortie à postériori de "Gerry" en France. Les deux films entretiennent des rapports étroits, Gus Van SANT ayant tissé entre eux des jeux de correspondances. Ainsi dans "Gerry", Casey AFFLECK porte un T-Shirt noir avec une étoile jaune, dans "Elephant (2003)" John porte un T-Shirt jaune avec un taureau noir. Dans les deux films, des adolescents errent sans fin dans un espace labyrinthique et sont promis à la mort sur fond de mythologie grecque. De plus dans "Elephant (2003)" lorsque l'un des deux adolescents tueurs joue à un jeu vidéo, on s'aperçoit que celui-ci reproduit l'une des scènes de "Gerry". Car dans les deux films, centrés sur des jeunes fans de jeux vidéos, la perte des repères entraîne un effacement progressif entre réel et virtuel. L'un des Gerry doit sauter d'un rocher comme s'il s'agissait d'un jeu de plateforme et à la fin du film, les deux garçons à bout de forces et victimes d'hallucinations avancent d'une démarche tellement saccadée que la séquence inspirera le premier film des Daft Punk "Daft Punk s Electroma (2006)" sur l'histoire de deux robots en quête d'humanité.
Mais "Gerry" est surtout une expérience sensorielle assez fabuleuse pour qui accepte de se laisser embarquer dans cette série de plans-séquence étirés jusqu'à l'hypnose où l'on voit ces deux jeunes garçons qui ont perdu leur chemin marcher, marcher, marcher et encore marcher dans d'époustouflants décors désertiques. La photographie est sublime et la bande-son, particulièrement travaillée que ce soit au niveau des bruitages (le crissement des pas par exemple) ou de la musique magnifique de Arvo PÄRT. S'agit-il d'ailleurs de deux personnages ou d'un seul qui sous l'effet de l'expérience limite qu'il est en train de vivre se dédouble? Le doute est d'autant plus permis qu'ils sont tous les deux surnommés "Gerry" (qui signifie "raté") et que comme dans toute histoire de passage à l'âge adulte, la métaphore de la gémellité sert à exprimer le sentiment de perte, symbolisée par la mort du Gerry joué par Casey AFFLECK (l'autre étant joué par Matt DAMON) .
Ce qui est également fascinant dans ce film, c'est qu'en dépit de son dépouillement et de son austérité extrême, en dépit des grands espaces, de la solitude, du silence et du vide qui dominent l'écran, il s'agit d'un film "plein", c'est à dire une antithèse de la vacuité véhiculée par tant de films commerciaux grands publics. Il y a d'abord l'observation prosaïque de la survie des Gerry en milieu hostile, leur progressive dégradation physique et morale sous les coups de boutoir de la faim, de la soif, de la chaleur, de la fatigue et du désespoir. Leur incapacité à dominer leur environnement est d'autant plus tangible qu'ils se sont engagés dans le désert démunis de tout. Par inconscience, par légèreté? Pas seulement. Car l'un des Gerry prononce une phrase clé "on se fait notre chemin à nous". Cette phrase fait le lien entre la dimension concrète, physique de l'expérience et sa dimension abstraite, philosophique et métaphysique (proche du film de Kubrick "2001, l'Odyssée de l'espace"). On peut y voir au-delà de la quête initiatique de l'adolescent qui erre à la recherche de sa place dans le monde le destin de l'humanité toute entière face à la nature, l'origine de la civilisation et son stade terminal.
"Mala Noche" est le premier film de Gus Van SANT. Tourné en 1985 en 16 mm et noir et blanc, il n'est sorti en France qu'en 2006. Bien qu'étant l'adaptation du journal intime de Walter Curtis, c'est une premier film personnel qui pose les bases de l'œuvre à venir du cinéaste, sombre, romantique et fébrile.
D'abord par le choix du lieu, Portland, la ville d'origine de Gus Van SANT et de Walter Curtis. Un Portland clandestin et underground car le sujet qui intéresse Gus Van Sant, ce sont les modes de vie interlopes des jeunes marginaux et leurs "very bad trip".
Cependant les marginaux de Gus Van Sant sont en même temps beaux comme des dieux et mis en valeur par une esthétique raffinée. Walt (Tim STREETER) Le personnage principal qui tient une épicerie tout comme Johnny (Doug COOEYATE), le jeune clandestin mexicain qu'il désire semblent sortis tout droit de tableaux de la renaissance et le travail expressionniste sur l'ombre et la lumière magnifie leur visage. La photographie à fleur de peau du film est pour beaucoup dans le pouvoir magnétique du film tout comme la voix-off, très littéraire.
Leurs relations sont complexes, marquées à la fois par des clivages irréconciliables (fracture culturelle, sociale, sexuelle) et des similitudes (le statut d'outcast et des moments volés d'insouciance adolescente filmés en couleur). La dynamique du film repose toute entière sur l'ambivalence d'une relation faite d'attirance (du côté de Walt) et de rejet (du côté de Johnny et son compatriote, Roberto joué par Ray MONGE). Walt, américain "inverti" ne cesse de se faire humilier par les deux adolescents mexicains. Il est en effet esclave de ses désirs qui l'avilissent alors que les jeunes mexicains se comportent en petits durs bien macho en dépit de la précarité de leur situation. Leur relation vis à vis de Walt est vénale, marquée par le mépris voire la violence. Mais en leur faisant des avances insistantes, voire en les harcelant, Walt n'apparaît pas plus moral qu'eux.
"Ce qui importe, c'est de rester humble devant la nature. Cela ne sert à rien de lui résister". Occidental arrogant, toi qui pense que tu peux dominer la nature et triompher de la mort, prends-toi cette phrase dans les dents et tout le film de Naomi KAWASE avec. Un film inégal certes mais d'une intensité et parfois d'une grandeur indéniable. Un film qui aide à repenser sa place dans le monde et à accepter la mort avec sérénité.
"Still the water" puise sa force dans les croyances et rites des habitants des îles du Japon ainsi que dans la beauté des plans filmés par la réalisatrice, particulièrement ceux de la mer dans tous ses états. L'histoire se déroule pour l'essentiel dans l'archipel d'Anami même s'il fait aussi une incursion à Tokyo car la philosophie du film consiste à montrer que tout est relié et que tout est cyclique. Le principe de ces croyances est en effet celui d'une grande circulation qui efface les frontières entre la vie et la mort, la ville et la campagne, les jeunes et les vieux, la nature et l'humanité, le spirituel et le temporel. Avec pour courroies de transmission les manifestations de la nature et le chamanisme. C'est en communion avec elle que deux adolescents, Kaito (Nijirô Murakami) et Kyoko (Jun Yoshinaga) s'éveillent au sentiment amoureux et à la sexualité alors même que Kaito découvre le cadavre d'un homme sur la plage qu'il croit être l'un des amants de sa mère et que la mère de Kyoko (Miyuki MATSUDA) s'éteint en contemplant depuis sa fenêtre un grand banian, arbre sacré qui par sa configuration rappelle la grande circulation entre le visible et l'invisible. La mort de celle-ci est sans doute le climax du film. Elle n'est pas filmée comme un moment sinistre mais comme une célébration spirituelle du passage vers un autre monde avec de la musique traditionnelle, des chants et des danses. Un moment pleinement vécu et dénué d'aspect tragique car Kyoko peut continuer à communiquer avec sa mère dans l'au-delà à travers le chant.
Quatrième film de Takeshi KITANO, "Sonatine, mélodie mortelle" est le premier à avoir été distribué en France. Il est une bonne introduction à son style, décalé voire déconcertant. La quintessence du cinéma kitanien peut être résumée en quelques traits:
- Une dynamique filmique fondée sur le principe d'opposition, de paradoxe, de contradiction. "Sonatine" alterne ainsi de longues plages contemplatives bercées par la musique de Joe HISAISHI et de fulgurantes explosions de violence sèche, l'un se nourrissant de l'autre. L'opposition réside aussi dans toute une série de contrastes: entre le jour et la nuit, la ville et la campagne, la paix et la guerre, l'eau et le feu, le jeu et la mort, le fixe et le mobile, le champ et le hors-champ.
- Des plans fixes composés comme des tableaux sur lesquels Takeshi KITANO s'attarde longuement. Certains de ces plans fonctionnent comme des arrêts sur image: on y voit un ou plusieurs personnages immobiles qui regardent fixement la caméra. D'autres sont animés au ralenti comme ces trois personnages mitraillés qui s'écroulent l'un après l'autre. D'autres enfin ressemblent à des vues Lumière, enregistrant les mouvements au naturel à l'intérieur d'un cadre fixe. La première image du film est d'ailleurs un tableau: on y voit un poisson bleu embroché par un harpon sur fond rouge. C'est une image-programme, elle résume la situation de ces yakuzas exilés sur une île où le temps d'une parenthèse enchantée ils s'amusent comme des gamins avant que la mort ne les rattrape.
- Des personnages indéchiffrables dont le visage ressemble à un masque. Le visage neutre fait partie intégrante de la culture japonaise aussi bien dans la culture de l'estampe qu'au théâtre. Chez Takeshi KITANO, les personnages sont particulièrement peu expressifs et quand ils le sont, leurs expressions restent énigmatiques. Il en va ainsi du personnage de Murakawa joué par Takeshi KITANO dont les sourires sont plutôt annonciateurs de mort que de joie.
- Le caractère énigmatique des personnages est renforcé par la rareté de leur parole. Takeshi KITANO est un représentant d'une culture japonaise qui sait admirablement mettre en relief le poids dramatique du silence. Il n'est guère étonnant qu'il y ait des séquences burlesques dans les films de Takeshi KITANO, ce genre étant associé au muet.
- Des personnages aux prises avec un monde qui se défait. Dans "Sonatine", le fils a tué le père si bien que le milieu n'a plus de règle. Le monde devient lui-même absurde, indéchiffrable. Murakawa et ses hommes préfèrent prendre la tangente, profiter des instants qui leur reste en renouant avec leur enfance avant de disparaître (voir les plans post-générique qui filment les paysages vidés de toute présence). Car la mort est toujours au bout du chemin.
Le ciel, c'est la villa du riche industriel Kingo Gondo (Toshirô MIFUNE) qui surplombe la ville de Yokohama. Elle est le théâtre du premier morceau de bravoure du film, un huis-clos d'une cinquantaine de minutes où les personnages réunis dans le salon aux rideaux tirés puis ouverts s'agitent en tous sens sous l'impulsion d'un maître-chanteur qui les observe de l'extérieur. Celui-ci, par désir de vengeance sociale a fait enlever celui qu'il pense être le fils de Kingo. Mais coup de théâtre, l'enfant qui portait son déguisement est celui de son chauffeur. Cet imbroglio brouille les pistes: la dichotomie riche/pauvre et haut/bas n'est plus si évidente. D'autant que Kingo qui est issu d'un milieu modeste pense et agit en artisan amoureux du travail bien fait alors que les actionnaires qui l'entourent se comportent en prédateurs, soucieux du profit immédiat. Kingo se trouve face à un véritable dilemme moral: s'il délivre la rançon, il se met sur la paille avec sa famille ce qui au-delà de sa déchéance personnelle livre l'entreprise qu'il souhait racheter aux requins. S'il refuse, il devient responsable de la mort d'un enfant.
La deuxième partie du film, beaucoup plus dynamique, descend dans l'arène et prend la forme d'une enquête policière pour retrouver la fortune de Kingo qu'il a remis au malfaiteur en échange de la restitution de l'enfant. Cette partie fait la part belle aux méthodes d'investigation de la police et ménage de très belles scènes de suspense hitchcockien. Enfin la troisième partie descend en enfer, jusque dans les bas-fonds de la ville pour filmer des séquences assez sordides du milieu dans lequel vit le malfaiteur. Un milieu entrevu lors de l'enquête policière mais sur lequel Akira KUROSAWA s'attarde et qui s'oppose en tous points à celui dans lequel vit Kingo. Il s'agit d'un taudis sombre et insalubre où s'entassent les bicoques dans une sorte de cloaque à ciel ouvert écrasé par la chaleur de l'été et où survivent moins des hommes que des zombies abrutis par la misère et par la drogue. Le malfaiteur vit au milieu de cette misère tout en lui étant quelque peu étranger de par son statut d'étudiant en médecine. Il fait tache dans son milieu, tout comme Kingo dans le sien. Pourtant la scène finale de dialogue avorté montre qu'aucune réconciliation n'est possible.
"Rocky" sorti en 1976 est le reflet de son auteur: un film fauché, tourné dans des conditions précaires sur un prolétaire galérant depuis des années dans la boxe/le cinéma qui à force de persévérance finit par accrocher un bout du rêve américain. Car l'histoire d'Apollo Creed (Carl WEATHERS), ce champion confirmé qui décide de donner sa chance à un inconnu c'est Sylvester STALLONE écumant les studios pour leur faire accepter l'histoire qu'il vient d'écrire et les convaincre de lui confier le rôle principal qui le sortira d'années de vaches maigres.
Sylvester STALLONE a écrit le scénario de "Rocky" après avoir assisté au match de boxe entre Mohammed Ali et Chuck Wepner: "Chuck Wepner était un boxeur honnête et courageux qui n'avait jusque-là jamais vraiment fait parler de lui, et ce combat n'était pas tellement pris au sérieux. Contre toute attente, Wepner s'accrochait, et lorsque Mohammed Ali est tombé le public est devenu fou. Quand le dernier round est arrivé, Wepner ne saignait même pas. En tenant jusqu'au quinzième round, il entrait dans le club très fermé des boxeurs qui ont réussi à tenir la distance avec Mohammed Ali. Je suis sûr que, pour lui, c'est ce qui a compté le plus dans ce combat. Voilà que toutes ces années passées à s'entraîner prenaient soudain un sens. Quoi qu'il arrive, il pourrait garder la tête haute jusqu'à la fin de ses jours. Je venais d'être le témoin du triomphe de la volonté et j'en étais totalement bouleversé."
En dépit de sa success story (magnifiée par la musique devenue culte de Bill CONTI), L'univers que décrit "Rocky" est âpre. Le film saisit sur le vif la vie d'un quartier défavorisé de Philadelphie, un quasi-taudis où règnent la débrouille et la précarité. Cette tonalité puissante de réalisme urbain qui s'en dégage est liée au choix effectué par le chef opérateur de tourner en steadycam, un outil révolutionnaire à l'époque. Attachée au corps du technicien, cette caméra légère est dotée d'une suspension qui limite les chocs et mouvements ce qui permet une grande mobilité de filmage et notamment de longs travellings fluides. Beaucoup de plans ont été tournés à la sauvette sans autorisation ni permis avec un équipement réduit ce qui renforce encore le caractère naturaliste des scènes filmées.
En dépit des conditions de vie difficiles que l'on devine à l'aspect miteux des appartements, la saleté des rues, les bandes qui traînent la nuit, l'aspect mal fagoté des personnages, leur air de chien battu "Rocky" est aussi un film tendre envers ces oubliés du rêve américain. Rocky se définit lui-même comme un simple d'esprit dont on se moque (dans et hors du film) lorsqu'il appelle sa bien-aimée Adrian (Talia SHIRE, la sœur de Francis Ford COPPOLA qui s'était illustrée auparavant dans la saga du "Parrain") en public. Mais Adrian qualifiée par ceux pour qui travaillent Rocky "d'attardée" (et requalifiée par lui de "timide") est encore plus méprisée que lui si possible. Son frère Paulie (Burt YOUNG) qui travaille dans un entrepôt frigorifique et l'entraîneur de la salle locale Mickey (Burgess MEREDITH) complètent le tableau. Rocky ne s'entraîne pas pour gagner mais pour prouver sa valeur et restaurer sa dignité et par là même, celle du milieu dont il est issu.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.