Cyrano de Bergerac
Jean-Paul Rappeneau (1990)
"Cyrano de Bergerac" est un joyau cinématographique, une adaptation qui semble tellement couler de source que l'on en oublie ses origines théâtrales. Depuis près de 30 ans, on a eu le recul nécessaire pour analyser cet incroyable alignement de planètes ou plutôt de talents: la mise en scène minutieuse et enlevée de Jean-Paul RAPPENEAU, le brillant travail d'adaptation du texte en alexandrins du scénariste Jean-Claude CARRIÈRE, la musique de Jean-Claude PETIT, la photographie, les décors et costumes qui ont l'élégance et l'harmonie des toiles de maître et enfin le casting extrêmement bien dirigé avec en son sommet l'énorme performance de Gérard DEPARDIEU dans ce rôle de colosse aux pieds d'argile qui lui va comme un gant et dans lequel il se donne corps et âme. Tous rendent fluide, limpide, moderne (tout en conservant la poésie de la versification d'origine) et vivante l'œuvre d'Edmond Rostand. L'amour de Jean-Paul RAPPENEAU pour le grand cinéma hollywoodien transparaît dans un film qui est toujours en mouvement. Mouvements extérieurs liés aux scènes d'action qui rattachent "Cyrano de Bergerac" au genre d film de cape et d'épée et mouvements intérieurs liés aux tourments des personnages qu'à l'image des films de Alfred HITCHCOCK on voit penser. Contrairement au théâtre, le cinéma peut se passer de la parole si bien que de nombreuses scènes muettes s'intercalent entre les passages versifiés pour en accentuer la portée. Par exemple à la fin du dernier acte, Cyrano évoque le fait que sa mère ne l'a pas trouvé beau. Mais nous connaissons déjà la faille narcissique de Cyrano parce qu'elle est montrée bien plus tôt dans le film: on l'a vu renverser le miroir qui lui renvoyait son reflet juste avant qu'il découvre que Roxane (Anne Brochet) en aime un autre. On comprend alors pourquoi cet ogre maniant comme personne la langue et l'épée, capable d'embrocher 100 hommes et de rabattre le caquet de 100 autres ne puisse s'approcher d'une femme, ne pouvant s'épancher que par le biais de la plume sous une identité d'emprunt. Cyrano est par ailleurs un être entier et indomptable qui aime les actions d'éclat et refuse les compromissions et plus généralement tout ce qui peut entraver sa liberté de mouvement. Cette pureté d'âme est soulignée dans le film par un rôle muet qui vient ponctuer le film et qui est -comme par hasard- celui du Kid. Un enfant silencieux et admiratif qui donne encore plus de poids à la tirade finale du comte de Guiche (Jacques WEBER): "Il a vécu sans pacte, libre dans sa pensée autant que dans ses actes/Oui je sais, j'ai tout, il n'a rien, mais je lui serrerais volontiers la main/Oui parfois je l'envie, voyez-vous lorsque l'on a trop réussi sa vie, on sent […] mille petits dégoûts de soi dont le total ne fais pas un remord mais une gêne obscure."