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Articles avec #drame tag

Les Quatre filles du Dr March (Little Women)

Publié le par Rosalie210

Gillian Armstrong (1994)

Les Quatre filles du Dr March (Little Women)

Depuis les origines du cinéma, on compte au moins une version cinématographique ou télévisuelle des "Quatre filles du docteur March" par génération. Celle de Gillian ARMSTRONG qui date des années 90 était la plus récente du moins au cinéma jusqu'à la nouvelle adaptation de Greta GERWIG attendue pour janvier 2020. On peut souligner qu'il s'agit dans les deux cas de versions réalisées par des femmes ce qui est la moindre des choses avec un roman écrit par une femme sur des femmes (Le titre en VO est d'ailleurs "Little Women"). S'il a fallu attendre si longtemps, c'est que la transposition s'est effectuée dans une forme d'art longtemps monopolisée par les hommes. Comme le dit la regrettée pionnière Agnès VARDA dans "Visages, villages (2017)", "Une femme pour 78 hommes [dans la réalisation au cinéma], c'est à peu près la proportion, oui". La "grande" littérature a elle aussi été longtemps accaparée par les hommes contrairement à la littérature dite "de genre/de gare" considérée comme moins prestigieuse qui a laissé plus de place aux femmes que ce soit par exemple le roman champêtre (George Sand), le roman policier (Agatha Christie, Patricia Highsmith, Elizabeth George, Fred Vargas, Mary Higgins Clark etc.), le romantisme gothique/horrifique (Daphné du Maurier) ou encore la littérature jeunesse (Enid Blyton, la Comtesse de Ségur, JK Rowling, Frances Hodgson Burnett etc.) genre dans lequel s'est également illustré Louisa May Alcott. La version de Gillian ARMSTRONG atténue au maximum les aspects les plus obsolètes du roman (la morale judéo-chrétienne béni oui oui) pour mettre le plus possible en valeur ce qu'il a de définitivement et d'inaltérablement moderne: la quête d'identité et de reconnaissance de jeunes filles qui veulent vivre, penser et se définir par elles-mêmes. Jo est bien évidemment la figure de proue de ce féminisme combatif avant la lettre. Double de l'auteur, elle se heurte à un monde de l'édition masculin qui veut la cantonner aux magazines féminins ou aux sous-genres pré cités. Ce rôle en or est bien servi par la fougue de Winona RYDER et face à elle, les personnages masculins sont particulièrement bien écrits. Laurie (Christian BALE qui l'interprète comme un jeune blanc-bec) est englué dans les conventions propres à son milieu et débite des platitudes sentimentales ce qui donne au refus de Jo tout son relief. Ce qu'elle refuse, c'est justement une vie dictée par les conventions. A l'inverse le professeur Bhaer joué de façon remarquable par Gabriel BYRNE est pétri d'humanité et il fait tout pour que Jo se réalise, quitte à s'effacer du paysage. C'est d'ailleurs cette attitude humble qui touche le cœur de Jo. Il faut dire qu'à l'inverse de Laurie, Bhaer n'est pas un héritier, il est même sans le sou ce qui le complexe. C'est Jo qui est l'héritière d'une maison qu'elle veut transformer en école et qui lui propose un travail à ses côtés en même temps que le mariage. Une approche très moderne! Les 3 autres personnages féminins sont en revanche moins bien mis en valeur. Meg l'aînée (Trini ALVARADO) est des quatre filles la plus formatée socialement et donc la moins intéressante. C'est la seule qui n'a d'ailleurs pas de violon d'Ingres. Il est donc logique qu'elle soit un peu sacrifiée, comme dans les autres versions. Claire DANES dans le rôle de Beth joue avec beaucoup de sensibilité mais son physique de belle plante s'accorde mal avec l'aspect souffreteux du personnage qui disparaît faute de trouver sa place dans le monde. Enfin Amy jeune est formidablement interprétée par Kirsten DUNST mais comme celle-ci n'avait que 12 ans au moment du tournage, elle est remplacée pour la deuxième partie de l'histoire par Samantha MATHIS qui n'a pas le même charisme.

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Les Disparus de Saint-Agil

Publié le par Rosalie210

Christian Jacque (1938)

Les Disparus de Saint-Agil

"Les Disparus de Saint Agil" sorti à la fin des années 30 appartient à un genre qui faisait fureur à l'époque dans le cinéma français, celui du film de pensionnat (pour n'en citer que quelques uns: "Zéro de conduite" (1933), "Merlusse" (1935), "La Cage aux rossignols" (1944) etc.). Ici cependant, le pensionnat devient la la métaphore d'une France xénophobe et repliée sur elle-même. Les professeurs ont des attitudes plus rances les unes que les autres, résumées par celui qui proclame que "Bons ou mauvais, c'est toujours avec les étrangers que nous auront la guerre" (le film est rempli de punchlines bien senties écrites mais non signées d'un certain Jacques PRÉVERT dont les idées antimilitaristes et antifascistes imprègnent le film). Bien que l'action se situe à la veille de la première guerre mondiale, il est évident que le film fait allusion à l'imminence d'un nouveau conflit ce que nul ne pouvait plus ignorer en 1938. Et ce qui est remarquable, c'est que le réalisateur Christian JAQUE prend parti pour l'étranger et contre les français comme s'il avait senti que le sauvetage de la France ne viendrait pas pour l'essentiel de ses habitants de souche mais de l'extérieur. Comme s'il avait le don de prédire l'avenir, il rend hommage dans son film à la fois aux Etats-Unis et aux réfugiés allemands anti nazis alors qu'il n'est pas difficile de deviner que les enseignants du pensionnat sont de futurs collaborateurs en puissance. Il y en a même un, Lemel joué par Michel SIMON qui annonce bien la couleur brune avec sa petite moustache et sa frustration de peintre raté ^^^^.

L'hommage de Christian JAQUE est aussi bien dans le contenu du film que dans sa forme. Les trois membres de la société secrète des "Chiche-Capons", Baume, Sorgue et Macroy ne rêvent que de s'échapper du pensionnat pour aller aux Etats-Unis. En attendant de s'évader pour de bon, ils quittent leur lit la nuit pour aller conspirer dans la salle de sciences naturelles sous l'orbite bienveillante du squelette Martin ^^. Il n'est guère étonnant que le quatrième membre de cette petite contre-société en rupture de ban devienne le professeur Walter qui bien qu'enseignant l'anglais symbolise l'Allemagne à travers son interprète, Erich von STROHEIM. Celui-ci est (ô surprise) la bête noire des autres professeurs et tout spécialement de Lemel. Dans une scène-clé, Walter propose aux enfants une dictée basée sur le livre de H.G. Wells "L'Homme invisible", métaphore de celui qui est rejeté par la société. Mais contrairement à Lemel qui est aigri et paranoïaque, Walter a conservé son âme d'enfant. Il est le seul membre de l'équipe à être capable de se mettre à leur place et à prôner des méthodes éducatives moins coercitives ce qui le fait encore plus mal voir des autres en le rendant décidément "inassimilable". En rejoignant les enfants, il choisit l'avenir alors que l'équipe professorale représente le passé gangrené par la haine et la corruption. Et Christian JAQUE d'appuyer cet hommage en situant son film à la lisière du fantastique avec des apparitions/disparitions inexpliquées qui donnent notamment au personnage joué par Robert LE VIGAN un caractère spectral (l'homme invisible, c'est lui!). La mise en scène suggère l'aspect quasi surnaturel de ces disparitions ainsi que les éclairages expressionnistes tout droit sortis des films muets allemands des années 20 qui rendent le pensionnat inquiétant et mystérieux, son prolongement étant le moulin dans la forêt, proche des contes de fées. D'autre part, le caractère policier de l'intrigue le rapproche aussi des films noirs américains qui étaient réalisés à la même époque.

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Dans la ville blanche

Publié le par Rosalie210

Alain Tanner (1983)

Dans la ville blanche

"Dans la ville blanche" est un film essentiellement contemplatif, un film en "creux" propice aux réflexions et aux déambulations. On y voit un homme, Paul, mécanicien sur un bateau qui lors d'une escale à Lisbonne met sa vie entre parenthèses. Il déserte le navire, prend une chambre d'hôtel, et décide de se mettre en retrait du monde. Son impuissance éclate lors les rares événements qui l'affectent tel le vol de son portefeuille, son agression ou la disparition de Rosa qu'il est condamné à subir. Le rôle a été écrit spécifiquement pour Bruno GANZ et il est vrai qu'on reconnaît dans cette errance, cette introspection et cette crise existentielle nombre de films des années 80 où il a tourné depuis "Le Faussaire" (1981) jusqu'aux "Les Ailes du désir" (1987).

Il se dégage une certaine poésie de ce film notamment lorsque le réalisateur et son personnage filment les pulsations et les méandres de la ville, l'un en 35 mm et l'autre avec une caméra super 8. Mais son intérêt reste tout de même limité tant le travers de l'ego trip occidental masculin viril (comme dans "Le Faussaire") (1981) a tendance à tout recouvrir. Il y a un effet "posture" désagréable dans ce film où le personnage principal se regarde beaucoup trop filmer et s'écoute beaucoup trop penser. Paul est même un avant-gardiste du selfie et de la sex tape. Un personnage qui veut vraiment se perdre entre dans un pays "sans langage" comme le dit Travis dans "Paris, Texas" (1984)". Sans langage et sans miroirs. De ce point de vue, Paul échoue sur toute la ligne. Si Rosa prend le large en comprenant qu'elle n'a rien à attendre d'un homme indécis qui se laisse dériver sans but en contemplant son petit nombril, on plaint sa femme restée au pays qui n'est pour lui que le réceptacle de ses lettres et vidéos où il étale ses "réflexions" et "expériences" souvent à caractère sexuel sans tenir compte de ce que peut ressentir son destinataire (qui est furieuse mais le film survole le personnage). On comprend pourquoi il n'a guère envie de revenir chez lui et de se confronter au réel où il ne sera plus son propre centre (il casse d'ailleurs son miroir et vend ses enregistreurs vidéo juste avant de quitter son hôtel). Le film laisse percevoir cette dimension mais il n'a aucune vraie dimension critique, dommage.

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Green Book: Sur les routes du sud (Green Book)

Publié le par Rosalie210

Peter Farrelly (2018)

Green Book: Sur les routes du sud (Green Book)

Comme ses héros en mouvement, Peter FARRELLY ne sait pas rester à la place qui lui a été assignée. Après avoir réalisé pendant quinze ans des comédies délirantes et provocantes avec son frère mettant en scène Jim CARREY ou Ben STILLER, le voilà qui se lance en solo dans le drame humaniste, un cheminement qui peut faire penser en France à celui de Albert DUPONTEL. Mais bien qu'ayant changé de genre, Peter FARRELLY ne renonce pas à son humour très physiologique. Rien de tel qu'une bonne dose de subversion pour déjouer (du moins en grande partie) les pièges du film à grand sujet pétri de bons sentiments. Dans cette nouvelle histoire d'Intouchables tirée d'une histoire vraie, tous les repères sont inversés. le (petit) blanc, Tony Lip est un prolétaire brutal confiné dans son ghetto rital du Bronx et son ignorance crasse. Mais il a envie d'aller voir ailleurs et son appétit est sans borne (il est champion de concours de hot-dog ^^). Et Viggo MORTENSEN, inattendu dans ce rôle, d'enfiler continuellement des tonnes de junk food en y initiant son patron tout en recrachant avec mépris les canapés servis dans les grandes maisons bourgeoises. Le reste est à l'avenant: siège avant transformé en poubelle, flingue à la ceinture, billets de banque bien en évidence dégainés au moindre problème, tendance à confondre sa poche et celle des autres, langue bien pendue et poings prompts à partir. Derrière lui, son employeur, le Docteur Shirley (Mahershala ALI) se définit par ce qu'il n'est pas "pas assez noir, pas assez blanc, pas assez homme". Cette identité par soustraction varie selon les lieux où il passe. A New-York, il est surtout un grand bourgeois raffiné et un pianiste virtuose proche des cercles du pouvoir. Dans le sud profond du début des années 60 où il décide courageusement de se produire, il n'est plus aux yeux des blancs qu'un "nègre" qui se prend de plein fouet la violence de la ségrégation et de la discrimination raciale, ceux-ci ne l'acceptant comme l'un des leurs que dans le cadre étroit de la salle de concert. Pour aggraver son malheur, il ne peut pas davantage se fondre dans la masse de ses "congénères" (comme ne cesse de lui dire Tony Lip dont le racisme essentialisant est partagé par les bourgeois se voulant ouvert d'esprit, persuadés que tous les noirs aiment le poulet frit), car il est trop différent d'eux. Il est donc condamné à rester seul et à se faire rejeter de tous les côtés. Ou presque, la cohabitation avec le remuant Tony Lip dans l'habitacle de la voiture s'avérant au final un havre de douceur et de délicatesse comparée aux grandes maisons de maître et aux commissariats du sud. De quoi décoincer un peu le si guindé et snob Docteur Shirley alors que sous sa direction, Tony Lip se met à articuler et à écrire du Shakespeare à sa femme ("putain, c'est romantique!" ^^). Il y a même une scène où Tony, surprenant son patron dans une situation délicate révèle des trésors de tact alors qu'il aurait pu verser (et Peter FARRELLY avec lui) dans la lourdeur.

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Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1975)

Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock)

"Pique-Nique à Hanging Rock", le deuxième film de Peter WEIR a conservé intact plus de quarante ans après sa sortie son pouvoir d'envoûtement et son mystère. Le dépoussiérage du film en 1999 (deuxième partie raccourcie, étalonnage neutre au lieu de la teinte jaunâtre d'origine, remixage du son en Dolby stéréo) a contribué à lui garder toute sa fraîcheur. Il a été souvent comparé à un autre chef d'oeuvre du cinéma fondé sur une énigme métaphysique "2001, l'odyssée de l'espace" (1968). Mais à titre personnel, c'est à un autre film de Stanley KUBRICK qu'il me fait penser, "Shining" (1980). L'Australie, comme les Etats-Unis se sont fondés sur l'appropriation du territoire des indigènes dont la culture a été détruite et la population en grande partie massacrée. Hanging Rock comme le cimetière sur lequel a été construit l'hôtel Overlook sont des sites indigènes sacrés immémoriaux transformés par les colons européens en vulgaires espaces de loisirs au XIX° ou au début XX° après que la population locale en ait été chassée. Mais la mémoire des lieux, elle, demeure, et peut ressurgir à tout moment. Les flots de sang jaillissent de l'ascenseur de l'hôtel (en référence à tous les crimes commis en ce lieu depuis son origine), le grondement de la terre fait entendre sa voix et les rochers semblent animés de vie. Les êtres humains qui s'en approchent de trop près finissent non par les posséder mais par être possédés au son d'une ensorcelante flûte de pan. Dans l'un et l'autre cas, on assiste à une sorte de vengeance des lieux (des Dieux?) ainsi bafoués. Dans "Pique-Nique à Hanging Rock", l'offense faite aux indigènes se double en effet d'une offense faite à la nature. Ceux-ci avaient intuitivement ressenti un épicentre spirituel dans le site volcanique de Hanging Rock ce que les colons anglo-saxons qui se prennent pour le centre du monde nient. Et ce d'autant mieux qu'ils se sont coupés de la nature en se barricadant dans des vêtements corsetés et des bâtiments fortifiés pour mieux refouler leurs instincts et leurs émotions. "Pique-nique à Hanging Rock" est une parfaite illustration des pires travers de la civilisation occidentale anti-nature qui a conquis le monde durant les révolutions industrielles. Certes, le film ne montre pas de désastre écologique mais il montre ce qui le rend possible: des êtres humains dont on s'ingénie à nier la nature animale, le siècle victorien en étant en quelque sorte l'acmé. Les jeunes filles de bonne famille du pensionnat d'Appleyard apprêtées comme de fragiles bibelots anciens semblent aussi déplacées dans le bush australien qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Jusqu'à ce que plusieurs d'entre elles faussent compagnie à leurs chaperons et s'aventurent au cœur des méandres du chaos rocheux (un parcours labyrinthique qui n'est pas sans rappeler là encore celui de "Shining" (1980), l'aspect géométrique en moins). Plus elles s'approchent de l'épicentre du rocher, plus leur corps se libère du carcan qui l'oppresse. Après les gants et les chapeaux, elles enlèvent leurs chaussures, leurs bas et (hors-champ) leurs corsets, libérant la sensualité et l'érotisme qui font défaut à tant de films occidentaux faute de lien avec les forces de la nature. Comme si elles étaient sous hypnose (hypothèse renforcée par le fait que les survivantes sont amnésiques), on les voit s'engouffrer dans une ouverture dont elles ne ressortiront plus: une fin tragique car quelle que soit la croyance en ce qu'il y a derrière, la plénitude de la vie ne peut s'accomplir dans l'ici et le maintenant qui conditionne le futur. Ajoutons que le même phénomène touche indifféremment les femmes et les hommes, les jeunes et les vieux. Parce que c'est sur elles que s'exerce le plus le contrôle social étouffant de la période victorienne, l'histoire est focalisée sur des adolescentes en plein éveil amoureux, sensuel et sexuel. Mais leur professeure plus âgée dont les tourments inavouables sont révélés à la fin du film subit le même sort. Et plus tard, il arrivera la même chose à Michael (Dominic GUARD), un jeune anglais amoureux de Miranda (Anne-Louise LAMBERT), la Vénus Boticellienne du pensionnat que sa beauté rayonnante prédestinait à être engloutie par le rocher. Parti à sa recherche, on le voit également se défaire des vêtements qui l'engoncent et se perdre jusqu'aux limites de la démence dans les défilés rocailleux. Le film réussit à distiller sa troublante ambiguïté en se situant toujours à la frontière du réalisme et du fantastique, de l'art et de la vie, de la nature et de la culture, du charnel et de l'éthéré sans jamais basculer de manière décisive dans l'une ou l'autre de ces dimensions mais en brouillant au maximum les frontières.

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Hantise (Gaslight)

Publié le par Rosalie210

George Cukor (1944)

Hantise (Gaslight)

George CUKOR est surtout connu pour ses comédies."Gaslight" réalisé pendant la guerre révèle une autre facette de son talent. Il s'agit d'un sommet du thriller psychologique et gothique qui doit absolument être redécouvert tant pour sa valeur intrinsèque que pour l'influence qu'il a exercé par la suite. Il est passionnant d'analyser par exemple la relation étroite qu'il nourrit avec les films de Alfred HITCHCOCK situés dans la même période. Comme "La Corde" (1948), l'histoire est tirée d'une pièce de théâtre de Patrick Hamilton qui avait déjà été adaptée au cinéma par les anglais en 1939. La résidence lugubre et hantée ainsi que la servante maléfique rappellent "Rebecca" (1939) alors que le comportement du mari fait penser à " Soupçons" (1941). Mais à l'inverse, "Les Amants du Capricorne" (1949) découle du film de George CUKOR. Tout d'abord parce que l'on retrouve dans les rôles principaux Ingrid BERGMAN et Joseph COTTEN et ensuite parce que des thèmes, des images voire des scènes entières font écho à "Gaslight": la femme malade et cloîtrée, la connivence entre la servante et le mari, les gros plans sur le visage apeuré de Ingrid BERGMAN, la séquence mondaine qui tourne au fiasco par la faute du mari. Quant au thème de la demeure victorienne hantée et maléfique, il se prolonge bien au-delà des années 40. "Psychose" (1960) toujours de Alfred HITCHCOCK en est l'exemple le plus évident (le plan de l'ombre de la mère qui passe devant la fenêtre est repris d'ailleurs de "Gaslight") mais beaucoup plus récemment dans le domaine littéraire, la sinistre demeure londonienne des Black située au 12 Square Grimmaurd dans la saga "Harry Potter" de JK Rowling est la copie conforme du 9 Square Thorton de "Gaslight".

Comme d'autres films gothiques de la même période tels que "Dragonwyck" (1946) de Joseph L. MANKIEWICZ, "Gaslight" est une remarquable description des mécanismes de l'emprise conjugale. Tellement remarquable que le terme "gaslighting" a pris un nouveau sens après le film: celui d'une technique de manipulation consistant à faire douter la victime de sa propre santé mentale. Grégory, le personnage du mari manipulateur joué de façon remarquable par Charles BOYER commence par fondre sur sa proie et ne plus la lâcher. George CUKOR nous fait comprendre dès le départ qu'il s'agit d'un prédateur. Lorsque Paula (Ingrid BERGMAN) lui demande de lui laisser faire un voyage seule pour prendre le temps de décider si elle l'épouse ou non il fait semblant d'acquiescer mais au moment où elle sort du train, on voit soudain sa main surgir dans le cadre et l'agripper par le bras. On comprend alors qu'il ne lui laissera aucun répit. Lors de leur lune de miel, Cukor filme Grégory au premier plan comme une silhouette noire floue et de dos, contemplant tel un oiseau de proie sa future victime vêtue de blanc dormir dans le fond du champ. La manipulation peut commencer. Grégory obtient sans difficulté de Paula d'aller vivre dans la maison où dix ans plus tôt la tante de cette dernière a été assassinée. Il s'ingénie à la couper de l'extérieur et à lui faire perdre confiance en elle et en ses facultés mentales. Il lui fait croire qu'elle a des visions, qu'elle perd la mémoire, qu'elle a des absences. Il souffle sans arrêt le chaud et le froid pour mieux la déstabiliser et l'affaiblir, le tout avec la complicité de Nancy, la servante dévergondée avec laquelle il joue un jeu de séduction assez pervers (pour son premier rôle à seulement 17 ans, Angela LANSBURY future héroïne de la série "Arabesque" crève l'écran). On flirte avec le fantastique suggéré par l'atmosphère expressionniste et le fait que Grégory et Paula rejouent l'histoire de Boris et d'Alice dix ans plus tôt dont ils sont les "réincarnations". L'un joue sur sa double identité, l'autre est la nièce de la défunte et lui ressemble trait pour trait comme Brian (Joseph COTTEN, l'admirateur d'Alice et le sauveur de Paula) le lui fait remarquer. Néanmoins cet aspect de l'histoire n'est que survolé et sera beaucoup mieux exploité par... Alfred HITCHCOCK, encore lui dans "Vertigo" (1958).

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Philomena

Publié le par Rosalie210

Stephen Frears (2013)

Philomena

"Philomena", comme "The Magdalene Sisters" (2001) s'appuie sur la tragédie vécue par des milliers de jeunes irlandaises. Du début du XX° siècle jusqu'en 1996, elles furent cloitrées et réduites en esclavage par des institutions religieuses catholiques avec la complicité de leur propre famille et de la société toute entière. Leur crime? Avoir "provoqué" le "péché de chair" (parce que dans l'Eglise catholique, le sexe est un "péché" et c'est toujours la femme la "tentatrice") et devoir l'expier par le travail et les souffrances, notamment de l'enfantement pour celles qui donnèrent naissance à des enfants hors-mariage.

Rien qu'à lire ce préambule, on mesure la terrifiante emprise de cette institution sur les esprits, diabolisant un instinct vital et faisant de la femme son bouc-émissaire tout cela dans un but de domination. Car la répression sexuelle sert toujours les intérêts d'argent et de pouvoir ce que démontre très bien "Philomena". L'exploitation des "pécheresses" s'est étendu en effet à leurs enfants qui ont fait l'objet d'un trafic lucratif avec de riches couples d'américains en mal de progéniture. Pour camoufler leurs activités mafieuses criminelles, les institutions religieuses ont ensuite détruit les preuves. L'emprise du couvent de Roscrea sur Philomena perdure dans le temps et s'étend à son fils ce que le film montre très bien lorsqu'il évoque les efforts infructueux de l'un et de l'autre pour se retrouver, les obligeant à toujours revenir à Roscrea et se heurtant toujours aux secrets et mensonges savamment entretenus par les religieuses du couvent. Le journaliste "cynique" qui accompagne Philomena dans sa quête est en réalité le double du réalisateur, témoin indigné devant ce gâchis humain provoqué sciemment. Il doit cependant accepter le choix de Philomena qui est celui du pardon dont on ne sait s'il est libre ou lié à l'imprégnation de son éducation religieuse qui lui a imposé le silence durant 50 ans. Cependant le film de Stephen FREARS échappe au pathos et à la lourdeur grâce à l'interprétation remarquable de Judi DENCH et de Steve COOGAN (également auteur du scénario et coproducteur du film qui est une idée de lui à l'origine) ainsi qu'au dosage savant entre drame et comédie. La relation piquante qui s'établit entre deux êtres que tout oppose mais qu'une même humanité réunit fournit un contrepoint salvateur à la gravité du thème abordé par le film.

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Saint Cyr

Publié le par Rosalie210

Patricia Mazuy (2000)

Saint Cyr

Le cinéma regorge d’histoires de jeunes filles opprimées par des institutions. Pourtant le projet de départ de Mme de Maintenon à la fin du XVII° siècle était d’émanciper et d’élever culturellement et spirituellement les filles de hobereaux. Mais de bienfaitrice, elle devient peu à peu leur bourreau alors que son institution s’avère être une utopie dans un monde dominé par les hommes. Elle-même en dépit de son statut de respectabilité acquise est montrée comme étant d’abord au service des besoins sexuels du roi. Les contradictions dans lesquelles elle s’enferre sont liées au fait qu’elle ne trouve pas d’issue satisfaisante pour ses jeunes protégées. Le film de Patricia MAZUY sous couvert historique s’interroge sur la condition des femmes d’hier et d’aujourd’hui. Peuvent-elles réellement s’émanciper d’une tutelle masculine qui domine tous les rouages de la société ? Le film, divisé en deux parties montre qu’il n’y a guère que deux destins possibles pour ces jeunes femmes : courtisane comme l’a été autrefois Mme de Maintenon ou bien bonne sœur. Deux enfers en apparence antinomiques et en réalité jumeaux, le puritanisme et la débauche allant de pair. Deux mondes où les hommes dictent leur loi et soumettent les femmes à leur tyrannie. C’est d’ailleurs pour échapper à son étiquette de « putain » que Mme de Maintenon devient la « maman » des jeunes filles du pensionnat. Une maman abusive, manipulatrice et perverse dont l’emprise atteint un caractère tragique avec le personnage de Lucie de Fontenelle (Nina MEURISSE), plus dépendante de son regard que les autres. Pour qu’elles ne soient pas livrées en pâture aux appétits des messieurs de la cour, elle leur inculque la mortification, la haine de soi. Elle réprime leurs élans, brise leur vitalité jusqu’au "Virgin Suicides" (2000). Elle les coupe également du monde, son institution finissant par ressembler à un couvent voire à une secte. La manière dont elle se repaît du corps flagellé et sanglant de Lucie fait penser au personnage d’Elizabeth Bathory. Patricia MAZUY insiste, parfois de façon un peu lourde sur le caractère mortifère de l’école, construite sur un marécage et qui provoque une surmortalité chez les pensionnaires. Mais les rapports de domination et leur caractère destructeur sont extrêmement bien décrits. Le jeu stéréotypé de Isabelle HUPPERT convient bien à ce personnage même si elle n’a pas du tout le physique du rôle.

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L'Affaire Cicéron (Five Fingers)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1952)

L'Affaire Cicéron (Five Fingers)

La première incursion de Joseph L. MANKIEWICZ dans le thriller d'espionnage est aussi un bijou d'ironie, un des films où l'on voit le plus les personnages courir après des chimères et s'épuiser pour un résultat vain. Bien qu'ayant repris un projet qui avait été commencé sans lui, il lui a donné une orientation personnelle en donnant aux oppositions de classe sociale un rôle moteur qu'elles n'avaient pas à l'origine. D'autre part si le film est parsemé de brillants dialogues à la Ernst LUBITSCH, il comporte également de grandes séquences de suspense qui relèvent davantage du thriller hitchcockien. Bernard HERRMANN signe d'ailleurs la musique du film.

L'histoire, basée sur des faits réels tourne autour du fameux "Ciceron", nom de code donné à l'espion qui entre 1943 et 1944 a vendu des copies de documents confidentiels britanniques aux allemands ce qui leur aurait peut-être permis d'infléchir le cours de la guerre s'ils les avaient correctement exploités. Mais trop suspicieux avec une source qu'ils n'arrivent pas à cerner et encore moins à contrôler, ils laissent passer leur chance de saboter le débarquement allié. Ciceron a d'ailleurs d'autant moins de scrupules à leur livrer des documents top secret qu'il est persuadé qu'ils ne sauront pas s'en servir. Quant aux britanniques, ils sont tellement aveuglés par le souci de conserver leurs traditions archaïques qu'ils ne voient même pas que leur valet les dupe juste sous leur nez. Joseph L. MANKIEWICZ fait ainsi une satire des deux belligérants qui renvoie à celle qu'il fait de ses deux personnages principaux, Diello et Anna.

Car "Ciceron" n'est autre que Diello (James MASON) le valet de l'ambassadeur britannique de Turquie. Comme tous les personnages de Joseph L. MANKIEWICZ il est mû par un rêve: échapper à sa condition. L'appât du gain n'est pour lui qu'un instrument de revanche sociale qu'il espère concrétiser en imitant le mode de vie et l'apparence du milliardaire qu'il a aperçu un jour quand il était mousse sur un balcon à Rio. Il utilise également cet argent pour soumettre à ses désirs la comtesse Anna Staviska (Danielle DARRIEUX) qui le fascine et qu'il sait aux abois sur le plan financier. Mais celle-ci, obsédée par la préservation de son rang s'avère encore plus retorse que lui. Si elle est bien obligée d'accepter dans un premier temps les faveurs de l'ancien domestique de son mari, c'est pour mieux l'escroquer et le trahir ensuite. Elle lui fait ainsi payer l'humiliation d'avoir été sous sa dépendance financière et plus profondément encore, d'avoir eu du désir pour lui et qu'il s'en soit servi. A ce jeu de dupes, tous deux sortent perdants, leurs désirs ne s'avérant n'être que de la fausse monnaie laquelle finit éparpillée aux quatre vents, façon puzzle tout comme la copie des plans de l'opération Overlord.

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Chaînes conjugales (A Letter to Three Wifes)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1949)

Chaînes conjugales (A Letter to Three Wifes)


"Chaînes conjugales" est exemplaire de l'œuvre de Joseph L. MANKIEWICZ. Il s'agit d'une satire sociale de l'american way of life qui a d'ailleurs inspiré la série "Desperate Housewives" (2004) mais le réalisateur va bien au-delà pour interroger des sentiments mis à l'épreuve par les normes sociales. Cette épreuve comme souvent chez Joseph L. MANKIEWICZ se présente sous forme d'une lettre. Une lettre signée d'une femme, Addie Ross, omniprésente dans les discours et dont on entend la voix (celle de Celeste HOLM) mais invisible dans la réalité. Au vu de son caractère omnipotent et de son emprise sur les trois couples du film, elle peut représenter le rêve inaccessible et oppressant de "l'American way of life" ("on n'épouse pas ses rêves" disait déjà la mère de Miranda dans "Dragonwyck" (1946) à propos de son fantasme de la vie de château lui aussi façonné par son éducation et lui aussi concrétisé par une lettre). Dans celle-ci, elle annonce qu'elle est partie avec l'un des maris de ses trois "amies" sans préciser lequel. Bien entendu la lettre arrive au moment où les trois femmes partent en excursion. Sur le bateau, puis sur l'île, elles sont coupées de toute possibilité de communication avec l'extérieur ce qui leur laisse toute latitude pour s'interroger sur la viabilité de leur couple sous forme de trois flashbacks. Ceux-ci permettent de mettre en évidence le poids que les normes de la société américaine fait peser sur les relations de couple en restreignant leur liberté et en polluant leurs sentiments avec des considérations matérialistes. Dans le premier cas de figure, Deborah Bishop (Jeanne CRAIN) souffre d'un manque de confiance en elle lié à son statut de déclassée. Elle a rencontré son mari à la Navy où l'uniforme gommait les différences sociales mais de retour à la vie civile, elle a de grandes difficultés à s'intégrer dans un milieu social qui n'est pas le sien (symbolisé par ses problèmes vestimentaires). Dans le deuxième cas de figure le couple formé par Rita Philipps (Ann SOTHERN) et son mari George (Kirk DOUGLAS) a inversé le schéma de répartition des rôles sexués: Rita qui travaille à la radio est ambitieuse et carriériste alors que son mari qui gagne moins qu'elle est un enseignant érudit qui considère son métier comme un sacerdoce et se fiche de la réussite. On mesure toute la clairvoyance avant-gardiste de Joseph L. MANKIEWICZ lorsque George 70 ans avant les stylos rouges se définit comme un "prolétaire dans le pays le plus riche du monde" et lorsque 56 ans avant "le temps de cerveau disponible" du PDG de TF1 il évoque les émissions radio fabriquées notamment par sa femme comme du vide entre deux pages de publicités manipulatrices. Enfin le troisième couple, formé par Lora Mae (Linda DARNELL) et son ex-patron, Porter (Paul DOUGLAS) plus âgé qu'elle est celui qui est le plus abîmé par les représentations sociales. Leur différence d'âge, leur différence de classe et de statut social sont autant de moyens d'introduire le poison du soupçon de vénalité dans une société obsédée par l'argent. Ce soupçon introduit la peur de l'autre (pour elle d'être "possédée" par lui comme un objet que l'on achète et pour lui de se faire "avoir" par elle en exploitant ses sentiments pour profiter de son argent), la peur empêche la communication des sentiments, chacun s'enfermant dans une coquille de (faux) cynisme pour se protéger de ce qu'il perçoit comme une menace pour son intégrité. Et voilà comment ce qui est à la base un malentendu peut détruire un couple. Par delà leurs différences, c'est le même mal qui ronge les trois couples et s'il pèse davantage sur les femmes que sur leurs maris c'est parce que l'oppression sociale et la tyrannie des apparences s'exerce davantage sur elles. Pourtant la démonstration de Joseph L. MANKIEWICZ est sans appel: leurs craintes ne sont pas fondées car elles ont confondu des fiascos purement sociaux avec la réalité de l'amour bien réel que leur porte leur mari. Addie Ross peut casser tous les verres qu'elle veut: elle n'est que du vent.

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