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Articles avec #documentaire tag

Le procès d'Emma Bovary

Publié le par Rosalie210

Audrey Gordon (2020)

Le procès d'Emma Bovary

Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. "Emma Bovary", le premier roman de Gustave Flaubert a été les deux! En effet s'il a été acquitté au terme du procès qui lui a été intenté en 1857 pour "outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes moeurs", c'est parce que son avocat avait convaincu le jury d'interpréter le livre à l'envers, c'est à dire comme une défense des "bonnes moeurs", une mise en garde "contre les passions qui mènent au vice", le sort d'Emma étant vu comme une "expiation" de son comportement scandaleux. Au grand dam de Flaubert qui ne souhaitait pas que son roman soit jugé sur sa morale mais sur son esthétique et qui redoutait que son succès à venir en raison de la publicité du procès ne repose sur un malentendu. Il était trop en avance sur son époque, tout comme son héroïne, coupable de ne pas se satisfaire de son sort de "bonne épouse et bonne mère", régi par le patriarcat napoléonien et de désirer autre chose.

Le passionnant documentaire de Audrey GORDON revient sur la genèse du roman qui fait apparaître le soubassement sexuel qui bien qu'implicite dans la version définitive du roman, a été perçu par le tribunal l'ayant fait comparaître. La scène du fiacre avait d'ailleurs été censurée dans la publication du roman en feuilleton qui précédait le recueil (qui à la suite de l'acquittement, put paraître en intégralité). Flaubert utilisait un langage cru et avait besoin de ressentir ce qu'il décrivait ce qui conférait forcement une puissance érotique à sa plume (mon ami Pierrot). De plus, la mort d'Emma s'accompagnait de propos jugés athées puisqu'il évoquait "la survenue du néant". Or la religion était la garante de l'ordre moral qui contrôlait la société de même qu'avant 1789, elle était le fondement du pouvoir du roi. Tout cela est balayé par les désirs d'une femme nourrie de lectures romanesques en décalage total avec la médiocrité de la vie de province et l'enfermement domestique qui la condamnent à dépérir d'ennui après son mariage avec le terne Charles Bovary.

Ponctuée d'interventions d'écrivains "bovarystes" mais aussi d'actrices ayant joué Emma comme Isabelle HUPPERT et Mia WASIKOWSKA, l'analyse s'appuie sur un montage polyphonique des nombreuses adaptations audiovisuelles de l'oeuvre (près de 900 au total) qui se répondent entre elles à travers l'espace et le temps. Cela donne beaucoup de puissance au passage où Flaubert (représenté dans une version hollywoodienne par James MASON et une version argentine par Ricardo Galache) dit qu'il a écrit le livre pour toutes les femmes désabusées, insatisfaites par leur mariage, ayant vu s'effondrer leurs illusions une à une.

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Dans les oreilles de Alain Resnais

Publié le par Rosalie210

Géraldine Boudot (2019)

Dans les oreilles de Alain Resnais

Une approche du cinéma de Alain RESNAIS par le son. On retrouve dans les témoignages comme dans l'interview du réalisateur certains aspects de sa personnalité tels que l'importance de la musique dans son oeuvre, son éclectisme et sa recherche permanente de renouvellement.

L'importance de la musique dans son oeuvre se manifeste d'abord par ses films musicaux tels que "On connait la chanson" (1997) ou l'opérette "Pas sur la bouche" (2003). Mais aussi par les personnages de musiciens dans son oeuvre ("Melo") (1986) et son attention à la musicalité des voix. Personnellement, je suis particulièrement sensible à cette musicalité lors des longs monologues de Andre DUSSOLLIER dans "Melo" (1986) et de Pierre ARDITI dans "Smoking" (1992) dont les modulations sont lyriques au possible, en accord avec la corde intérieure qu'ils font vibrer. Et que dire du magnifique "L'Amour a mort" (1984) construit comme les touches d'un piano, les blanches étant privées de musique et les noires, d'image (hormis la neige qui tombe).

L'éclectisme musical de Alain RESNAIS se manifeste dans les choix des compositeurs de ses musiques comme dans la variété des morceaux choisis, allant de la musique contemporaine à la variété. De même, il change de compositeur d'un film à l'autre, faisant parfois des choix surprenants comme celui de Mark SNOW qui a signé la célèbre musique de la série "X-Files" (et qui témoigne dans le documentaire). Un point commun se dessine avec deux de ses scénaristes fétiches, Jean-Pierre BACRI et Agnes JAOUI (qui témoigne dans le documentaire): le refus de s'enfermer dans une chapelle. Ainsi le cinéma de Resnais est à la fois expérimental, exigeant et pour certains de ses films, populaires.

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Orange mécanique, les rouages de la violence

Publié le par Rosalie210

Benoît Felici, Elisa Mantin (2023)

Orange mécanique, les rouages de la violence

Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. Comme "Lolita" de Nabokov, autre roman incompris (et adapté au cinéma par Stanley KUBRICK), "Orange mécanique" est un roman "extralucide" qui s'avère aujourd'hui d'une brûlante actualité. Hélas, il a voyagé dans le temps avec le contresens tenace consistant à y voir une apologie du crime. Contresens qui pour mémoire (le documentaire ne l'évoque pas) avait conduit à la censure du film jusqu'à la mort de Stanley KUBRICK. Un contresens largement basé sur une vision tronquée de l'oeuvre. Que ce soit le livre ou le film, c'est la première partie, celle des exactions de Alex et de sa bande qui absorbe la lumière alors que la suite montre la violence infiniment plus grande qu'exerce l'Etat vis à vis des individus déviants. Une occultation significative puisqu'elle permet aux sécuritaires d'instrumentaliser l'oeuvre (par exemple dans "La France Orange Mécanique") pour réclamer d'un Etat supposé laxiste davantage de mesures coercitives. Or nous dit Anthony Burgess dont le catholicisme irrigue philosophiquement le livre, qu'est ce qu'un individu privé de la liberté de choisir sinon un être privé d'humanité?

Le documentaire se penche sur l'histoire personnelle de l'auteur marquée par plusieurs drames (dont une agression sur son épouse qui fait écho à celle de l'écrivain dans "Orange Mécanique" et ce d'autant plus que cet écrivain est en train de rédiger le roman que l'on est en train de lire, une redoutable mise en abyme) mais aussi sur le contexte socio-culturel du Royaume-Uni des années cinquante et soixante marqué par l'acculturation américaine et la fin de l'Empire colonial. Une crise existentielle qui a favorisé la montée en puissance d'une jeunesse rebelle et nihiliste avec la formation de gangs violents, le tout attisé par la consommation de drogues. Une énergie créative retournée en pulsion destructrice, voilà comment Anthony Burgess définit Alex et sa bande qui n'incarne pas seulement la jeunesse britannique. Le fameux argot "nadsat" étant une manière d'effacer le rideau de fer ou plutôt de le déplacer d'une frontière géopolitique vers une frontière générationnelle, Anthony Burgess ayant remarqué lors d'un séjour en URSS que le mal-être de la jeunesse était tout aussi important à l'est qu'à l'ouest. Mais la plus grande préoccupation de Burgess et ce qui rend son oeuvre intemporelle est son profond humanisme. Le documentaire se penche sur un manuscrit inachevé retrouvé récemment, "A Clockwork Condition", dans lequel Burgess livre son inquiétude sur le monde à venir. Un monde "freak control" où le mécanique (dont fait partie le conditionnement pavlovien ayant servi de modèle au programme Ludovico) réussirait à dompter l'organique. Avec à la clé certes, la disparition du "mal" mais aussi du "bien", l'un n'allant pas sans l'autre et l'être humain ne l'étant que parce qu'il est doté de la capacité de choisir. En inhibant le mal chez Alex, le programme étouffe également le bien en lui, son potentiel artistique lié à son amour de la musique. Cette réflexion n'est pas très éloignée de celle du géographe François Terrasson qui montrait dans ses livres sur la civilisation anti-nature que l'homme occidental détruisait tout ce qu'il ne pouvait contrôler et que son idéal était un monde minéral et non un monde vivant. Il suffit de regarder l'allure de nos métropoles avec leurs alignements de tours de verre et d'acier pour comprendre ce que cela signifie. Burgess était tout simplement visionnaire.

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Lolita, méprise sur un fantasme

Publié le par Rosalie210

Olivia MOKIEJEWSKI (2021)

Lolita, méprise sur un fantasme

Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. "Lolita, méprise sur un fantasme" revient sur la fabrication de toutes pièces d'une icône populaire de la littérature et du cinéma à partir du livre "le plus incompris de toute l'histoire de la littérature", à savoir "Lolita" de Vladimir NABOKOV. Un contresens lourd de sens en réalité. Son auteur apatride n'ayant pu publier son sulfureux livre aux USA, c'est un éditeur français de roman érotiques qui s'en chargea en 1955. L'adaptation du livre par Stanley KUBRICK fit le reste. Contrairement aux intervenants du documentaire, je ne trouve pas le film (trop superficiellement analysé) si éloigné du véritable sens du livre. Mais passé à la moulinette du puritanisme américain, avec une actrice Sue LYON trop âgée pour le rôle et une affiche aguicheuse, l'imagerie attachée au film de Stanley KUBRICK effaça le contenu du livre au profit de photos de couvertures montrant de jeunes femmes aux poses suggestives. Celui-ci devint ainsi le support de fantasmes masculins porté à l'extrême au Japon avec le phénomène "Lolicon" ou "Lolita complex" (l'attirance d'hommes adultes pour les écolières). Un contresens lié à la subtilité dans le procédé d'écriture du livre où l'auteur se place du point de vue du narrateur qui est Humbert Humbert mais sans se confondre avec lui. Une incompréhension qui a poussé certains à penser que le livre faisait l'apologie de la pédophilie. Un contresens surtout lié à une interprétation du livre dominée durant des décennies par le "male gaze" ce qui poussa Vladimir NABOKOV à faire une mise au point sur le plateau du magazine "Apostrophes" en 1975. Mise au point qui ne fut pas entendue par Bernard PIVOT puisque 15 ans plus tard, il recevait sur son plateau Gabriel Matzneff avec le même regard égrillard et le même vocabulaire sur les "nymphettes" emprunté aux fantasmes de Humbert Humbert pris pour argent comptant. Sans se rendre compte que contrairement à Nabokov, il n'y avait aucune différence entre Matzneff le narrateur et Matzneff l'auteur, ce dernier se servant de la littérature pour assouvir une perversion bien réelle. Les mouvements Metoo et Metoo inceste qui ont permis aux femmes victimes d'abus d'accéder à une bien plus grande visibilité ont démystifié Matzneff et au contraire rendu au roman de Nabokov sa signification première. Vanessa Springora, ancienne victime de Matzneff témoigne du rôle que le livre a joué dans sa vie et si celui-ci n'avait pas été réalisé en 2021 mais aujourd'hui, il inclurait sûrement le témoignage de Neige Sinno qui dans "Triste Tigre" se livre à une relecture radicale du roman qui rejoint les mots que l'écrivain avait prononcé en 1975 mais qui n'avaient alors pas été entendus.

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Les scandales de la Religieuse

Publié le par Rosalie210

Fanny Belvisi (2023)

Les scandales de la Religieuse

Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. C'est dans cette dernière catégorie que se situe "La Religieuse" de Denis Diderot, publié à titre posthume et de façon confidentielle en 1796. Mais si le titre est au pluriel, c'est parce que son adaptation cinématographique par Jacques RIVETTE en 1966 fit l'objet d'une censure gouvernementale avant que celui-ci ne rétropédale face à la mobilisation du monde de la culture. Il est intéressant également de souligner qu'à sa sortie en 1967, il était interdit aux moins de 18 ans. A sa première ressortie en 1988, il n'était plus interdit qu'aux moins de 16 ans. Et à sa deuxième ressortie en version restaurée en 2018, il était classé tous publics.

On le constate donc, l'histoire du livre et de son adaptation suit de près l'histoire de la libération des moeurs en relation avec l'affaiblissement de l'influence du clergé catholique dans la société. En effet l'aspect scandaleux du roman est lié à la description des turpitudes au sein d'une institution contre-nature qui loin d'élever l'être humain comme elle le prétend le pervertit à force de nier ses besoins les plus élémentaires. De plus, c'est également une critique d'un ordre social instrumentalisant la religion pour des raisons financières et juridiques. Au XVIII°, le couvent était en effet un moyen de se débarrasser des filles cadettes que les familles aristocrates ne pouvaient pas ou ne voulaient pas doter, a fortiori si elles étaient illégitimes. Par-delà la satire d'une institution religieuse hypocrite et perverse, le livre est donc un plaidoyer en faveur de la liberté des femmes. Ce qui était au départ une mystification dans lequel Diderot s'était fait passer pour une jeune femme bien réelle ayant été placée au couvent contre son gré s'est transformé en un roman dans lequel il a pu outre ses convictions de libre-penseur et son anticléricalisme dépeindre sa propre expérience de l'enfermement et celle de sa soeur religieuse qui devint folle et mourut très jeune.

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Meryl Streep, Mystères et Métamorphoses

Publié le par Rosalie210

Charles-Antoine de Rouvre (2020)

Meryl Streep, Mystères et Métamorphoses

A travers ce titre composé d'allitérations en M, le documentaire rend hommage à une actrice dont le demi-siècle de présence sur les écrans a fait oublier justement à quel point sa carrière est atypique et exceptionnelle. Comment expliquer sa longévité et le fait qu'elle se soit bonifiée en vieillissant alors que la majorité des actrices ne parviennent pas à franchir l'étape de la cinquantaine? Comment expliquer que nombre des personnages qu'elle a incarné soient restés dans les mémoires alors qu'ils marquent généralement moins les esprits que leurs homologues masculins? A toutes ces questions, le documentaire apporte quelques éléments de réponse, même s'il n'épuise pas le sujet:
- Ses débuts au cinéma, fortement liés à sa relation avec John CAZALE rencontré sur les planches et qui est mort d'un cancer peu de temps avant la sortie de "Voyage au bout de l'Enfer (1978).
- La combativité de l'actrice qui a dû souvent convaincre les cinéastes de lui donner des rôles dans lesquels ils ne la voyaient pas (Alan J. PAKULA et Sydney POLLACK en particulier).
- Son implication dans ses rôles, au point parfois de participer à leur écriture. Robert BENTON a par exemple été bien inspiré de lui demander de rédiger la plaidoirie de Johanna dans "Kramer contre Kramer" (1979) car il ne parvenait pas à adopter le point de vue féminin.
- Son oreille musicale et sa facilité à apprendre les langues étrangères grâce à laquelle elle a pu jouer de façon crédible des immigrées comme la polonaise Sophie dans "Le Choix de Sophie" (1982) ou l'italienne Francesca dans "Sur la route de Madison" (1995).
- L'éventail de son jeu a également été très utile pour lui permettre de se reconvertir dans la comédie durant les années 80 où son succès dans le registre dramatique était moindre. Elle a ensuite alterné avec bonheur les deux genres, de "Sur la route de Madison" (1995), l'un de ses plus grands rôles à "Mamma Mia !" (2008).
- Enfin son talent pour donner à ses personnages une richesse émotionnelle qui les entraîne hors des clichés, qu'ils soient aimables ou détestables de prime abord.

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Les Hommes le dimanche (Menschen am Sonntag)

Publié le par Rosalie210

Robert Siodmak, Edgar George Ulmer (1930)

Les Hommes le dimanche (Menschen am Sonntag)

Voilà un film qui sidère par sa pépinière de talents, son avant-gardisme autant que par sa restitution documentaire du Berlin de la République de Weimar. D'un côté un monde disparu, de l'autre un monde qui n'est pas encore né. Le tout imaginé par un groupe de jeunes artistes débutants de la Mitteleuropa, juifs pour la plupart et devenus célèbres une fois passés de l'autre côté de l'Atlantique: Robert SIODMAK et son frère Curt SIODMAK, Edgar G. ULMER, Billy WILDER et enfin Fred ZINNEMANN. "Les hommes, le dimanche" est considéré comme le premier film indépendant de l'histoire, le précurseur des cinémas néo-réalistes et nouvelle vague en Italie, en France, aux USA. Notamment par le tournage en décors naturels, avec des non-professionnels, entre documentaire et fiction. C'est le reflet de petits moyens budgétaires (le film est muet alors que le cinéma parlant existait déjà depuis quelques mois) mais pas seulement. La scène où Erwin et Annie déchirent des photos de stars glamour (parmi lesquelles Greta GARBO et Marlene DIETRICH) a la même valeur iconoclaste que l'article de Francois TRUFFAUT dans les Cahiers du cinéma intitulé "Une certaine tendance du cinéma français".

Sorti en 1930, le film a été tourné en 1929, juste avant que la crise économique ne frappe l'Allemagne. On y voit donc un Berlin années folles en pleine effervescence artistique, jeune, actif et prospère où converge la jeunesse bohème. A l'image du groupe situé derrière la caméra, le film suit cinq jeunes gens et jeunes filles situés en marge du monde du spectacle (une figurante, une mannequin, une vendeuse de disques, un chauffeur de taxi et un colporteur ayant expérimenté divers emplois dont gigolo, métier rappelons-le alors pratiqué par Billy WILDER dans les grands hôtels berlinois sous le titre de "danseur mondain" en alternance avec ses activités de journaliste). A l'exception d'Annie la mannequin neurasthénique qui se morfond dans sa mansarde, tout ce petit monde profite de son dimanche pour partir pique-niquer et se baigner dans la banlieue de Berlin, au bord du lac du grand Wannsee. On fait alors un bond dans le futur car si l'on fait abstraction du gramophone en lieu et place du transistor, du walkman ou du MP3 sur la plage, on se croirait catapulté dans "Conte d'ete" (1996) de Eric ROHMER ou dans "Les Roseaux sauvages" (1994) de Andre TECHINE. A l'exception d'Erwin qui est marié à Annie et reste à l'écart, ça marivaude à qui mieux mieux dans l'eau et dans les bois entre le beau Wolf (l'ex-gigolo) et les deux amies, Brigitte et Christl, la blonde et la brune, toutes deux d'une beauté juvénile très moderne avec leurs coupes à la garçonne et filmées de très près. La première des deux a un visage qui se situe quelque part entre Jean SEBERG et Scarlett JOHANSSON et est complètement fascinante. Tout cela respire la fraîcheur et la liberté, même si ce n'est qu'une parenthèse, assombrie par le retour du quotidien, de la mansarde et de son occupante dépressive et par le fait que nous savons que ce monde est au bord du gouffre.

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Elsa la rose

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1966)

Elsa la rose

Dans un style qui rappelle celui de "Cleo de 5 a 7" (1961) (un plan répété trois fois pour souligner l'émotion du souvenir cristallisé et reconstitué de la rencontre du couple Aragon/Triolet) mais aussi celui de "Les Plages d'Agnes" (2007) (le portrait-collage à base de fragments), Agnes VARDA utilise le pouvoir que lui donne sa caméra pour rendre à Elsa Triolet sa place de sujet aux côtés de Louis Aragon, elle qui fut trop souvent réduite au rôle de muse du poète. C'est d'ailleurs entre deux films sur le thème du couple "Le Bonheur" (1965) et "Les Creatures" (1966) qu'elle a réalisé "Elsa la rose". Des films montrant des épouses-objets ou des épouses-fonctions, sans aucune autonomie ni droit à la parole. Si on entend les mots de Louis Aragon, récités par Michel PICCOLI, on entend aussi ceux de Elsa Triolet et on la voit filmée et photographiée par d'autres yeux. Cela ne dit pas forcément qui elle est mais cela donne d'elle une image plus complexe et plus tangible avec un corps et une histoire, un passé qui lui appartient. D'ailleurs un des passages-clés du film réside dans ce petit dialogue:

"Varda : Tous ces poèmes sont pour vous. Est-ce qu’ils vous font vous sentir aimé ?
Triolet : Oh non ! Ce n’est pas ce qui me fait me sentir aimée. Pas la poésie. C’est le reste, la vie. Écrire l’histoire d’une vie, avec ses arrêts, ses aiguillages, ses signaux, ses ponts, ses tunnels, ses catastrophes..."

Première lauréate du prix Goncourt, Elsa Triolet est une artiste en couple avec un autre artiste et on ne peut s'empêcher de penser qu'à travers eux, Agnes VARDA interroge son propre couple avec Jacques DEMY.

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Salut les Cubains

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1963)

Salut les Cubains

Brillantissime court-métrage dans lequel Agnes VARDA prend le pouls de Cuba, quatre ans après la révolution ayant chassé Batista, le dictateur pro-américain au profit de Fidel Castro, le leader communiste. Elle emboîte ainsi le pas de son ami Chris MARKER qui avait réalisé peu après la révolution castriste un documentaire "Cuba si!" qui selon les propres dires du réalisateur tentait " de communiquer, sinon l’expérience, du moins le frémissement, le rythme d’une révolution qui sera peut-être tenue un jour pour le “moment décisif” de tout un pan de l’histoire contemporaine". Se gardant intelligemment de prendre parti (ce qui aurait tiré son film vers l'oeuvre de propagande), Agnes VARDA réussit à insuffler à son court-métrage un rythme endiablé et ce alors que celui-ci ne se compose que d'une suite de photographies. Là encore, on pense à Chris MARKER qui avec "La Jetee" (1963) presque entièrement composé d'images fixes était parvenu à tutoyer les cimes. Agnes VARDA donne vie aux milliers de clichés, pris sur le vif qu'elle a rapporté de l'île. Grâce au procédé du banc-titre utilisé dans le cinéma d'animation, elle parvient à recréer l'illusion du mouvement mais sans sa fluidité, celui-ci épousant le rythme saccadé des percussions accompagnant les musiques cubaines: rumba, son, guaguancó, guaracha… Un mélange d'Afrique, d'Espagne et de France (via les anciens esclaves évadés d'Haïti) que Agnes VARDA restitue à l'aide d'images et de sons se répondant parfaitement, scandé également par le commentaire off à deux voix, la sienne et celle de Michel PICCOLI. Le résultat est d'une vitalité à toute épreuve et témoigne également des talents d'observatrice de la réalisatrice qui revient à ses premières amours, la photographie et le documentaire tout en y insufflant une pulsation qui fait ressentir la joie de cette période d'émancipation collective.

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Viva Varda !

Publié le par Rosalie210

Pierre-Henri Gibert (2023)

Viva Varda !

Un documentaire de plus sur la vie et la carrière de Agnes VARDA? Oui mais celui-ci a une particularité: Agnes VARDA n'en est pas l'instigatrice. En effet, celle-ci a multiplié les analyses de sa propre oeuvre, principalement à la fin de sa carrière. Aussi le film de Pierre-Henri GIBERT a un programme bien défini " Jusqu'au bout, elle a assuré elle-même un monopole du récit sur son propre travail, cadenassant toute parole alternative, réécrivant son histoire et peaufinant sa légende". Une légende noire en lieu et place de la légende rose (ou plutôt mauve) véhiculée par la cinéaste? Pas vraiment. Certes, le film égratigne son image. Il souligne l'insuccès public de la majorité de ses films "A part Sans toit ni loi où elle a fait son million, ça floppe". Il revient aussi sur sa réputation de "freak control" et de pingrerie "Elle avait la réputation d'être très radine, de faire des films avec des bouts de ficelle, en ne payant pas ou très peu. C'est ce que j'entendais de beaucoup de gens du métier. » (Sandrine BONNAIRE). En même temps, avait-elle vraiment le choix? Le film souligne combien elle a dû passer une partie de sa vie à la chasse au financement et en revanche il ne dit pas assez que nombre de ses projets ont échoué ou ont dû être réorientés parce que l'avance sur recettes lui a été refusé (pour "A Christmas Carol") (1965) ou parce que le producteur a exigé un film moins cher (comme pour "Cleo de 5 a 7") (1961). Un cinéaste qu'elle admirait pour son indépendance, John CASSAVETES avait dû lui aussi compter sur le bénévolat de son équipe pour réaliser "Faces" (1968) en dehors des heures de bureau et sur le fil du rasoir: le lui-a-t-on reproché? On peut faire la même remarque concernant son supposé mauvais caractère. Son assistant dans le film rectifie le tir en ajoutant "Et Jean-Luc GODARD ou Francois TRUFFAUT, ils avaient bon caractère peut-être?" Toujours ce "deux poids, deux mesures" dès qu'il s'agit d'une femme qui ne souhaitait pas transiger avec sa liberté artistique.

Ceci étant, le film montre surtout à quel point la réalisatrice était anticonformiste. Il revient sur son choix de s'extraire de son milieu social bourgeois (elle était la fille d'un riche industriel) pour embrasser le monde de l'art, au point d'engloutir l'héritage paternel dans son premier film "La Pointe courte" (1954) et d'épouser un fils de garagiste, lui aussi transfuge social en rupture familiale, Jacques DEMY. Ce dernier a évoqué dans son oeuvre l'impossibilité d'aimer quelqu'un n'appartenant pas à la même classe sociale. On retrouve également dans ses premiers films le thème de la mère célibataire comme un écho à sa rencontre avec Agnes VARDA qui avait décidé d'élever seule sa fille, Rosalie VARDA-DEMY à une époque où cela était mal vu. Par ailleurs, le documentaire évoque la bisexualité de Agnes VARDA, moins connue que celle de Jacques DEMY qui a été pourtant cachée jusqu'en 2008. Une relation complexe dont les moments les plus douloureux l'ont amené à réaliser son film le plus sensible, "Documenteur" (1981) où elle fend son armure d'éternelle Jeanne d'Arc du cinéma pour se mettre à nu. Son intérêt pour les combats et mouvements d'avant-garde, les marginaux et les minorités. Mais le plus réjouissant de tout c'est son côté "vieille dame indigne", quand, ayant atteint un âge avancé, elle envoie plus que jamais balader les convenances pour se faire plaisir en toute liberté, dansant en discothèque, se déguisant en patate, s'offrant la plus improbable des coiffures bicolores (le fou rire de Sandrine BONNAIRE commentant ce look est communicatif), le tout avec une telle joie de vivre qu'on a qu'une envie: la suivre!

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