" Rétines et pupilles
Les garçons ont les yeux qui brillent
Pour un jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles
Et la vie toute entière
Absorbés par cette affaire
Par ce jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles
(...)
On en fait beaucoup
Se pencher, tordre son cou
Pour voir l'infortune
À quoi nos vies se résument ".
Oui il y a beaucoup de ça dans "Une sale histoire", récit d'une obsession racontée d'abord par un comédien professionnel (Michael LONSDALE) puis par celui qui est censé l'avoir sinon vécue du moins écrite (Jean-Noel PICQ) de façon quasiment identique ce qui redouble l'obsession tout en brouillant les repères entre documentaire et fiction. Les deux mots clés, "sale" et "trou" sont polysémiques. Ils renvoient au lieu du récit, les toilettes, plus précisément à leur cuvette. Ils renvoient au sexe féminin observé par le voyeur alors que la femme est en train d'uriner sans parler d'un autre trou jamais évoqué directement, celui de la défécation. Ils renvoient au trou de la serrure par lequel en se prosternant sur le sol souillé, le voyeur peut satisfaire sa pulsion scopique. Ils renvoient aussi à un trou noir, celui de la dépression qui guette le voyeur, enfermé dans sa névrose et au néant de ses relations avec les femmes, réduites à leur trou. Le trou, c'est aussi celui d'une représentation impossible autrement que par la parole, l'ouïe étant selon les dires de Jean-Noel PICQ qui cite Sade l'organe majeur de l'érotisme.
L'intérêt du film réside moins dans son contenu qui fleure bon les conversations d'il y a cinquante ans où il était de bon ton de choquer le bourgeois avec des propos crus mais énoncés avec une diction parfaite, un niveau de langue recherché et par la bouche de dandys germanopratins raffinés et décadents que dans ses interrogations sur les limites du cinéma et également de la libération sexuelle. Le besoin de recréer une forme de transgression dans une société l'ayant officiellement abolie ainsi que la description pathétique des collègues de bistrot s'adonnant à la même addiction perverse laisse entrevoir un paquet de frustrations non résolues. D'ailleurs le café est comparé à un cinéma porno, royaume de la masturbation. Les critiques envers les femmes "constipées" qui exigent tout un protocole social avant de se dénuder ne donne pas une image très heureuse des rapports entre les sexes. Enfin en prenant le parti de tout dire et de ne rien montrer, le film interroge la difficulté du cinéma à retranscrire visuellement la sexualité. Ainsi aussi scabreux soit-il, "Une sale histoire" renvoie au mal-être de "Mes petites amoureuses" (1974) d'autant que le poème de Rimbaud qui donne son titre au film donne une vision sadique et répugnante de la sexualité:
" Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou :
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs
Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères
Mes laiderons !
Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !
Un soir, tu me sacras poète
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron;
J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !
Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !
Piétinez mes vieilles terrines
De sentiments;
Hop donc ! Soyez-moi ballerines
Pour un moment !
Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent,
Tournez vos tours !
Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !
Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
− Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !
Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons."
"Ce n'est pas une femme, c'est une apparition". Ces mots prononcés par Antoine Doinel/Jean-Pierre LEAUD à propos de Fabienne Tabard/Delphine SEYRIG vont comme un gant à Gene TIERNEY dont l'image la plus célèbre est le portrait que contemple fasciné le flic joué par Dana ANDREWS dans "Laura" (1944) de Otto PREMINGER. Réalisé par les soeurs Clara KUPERBERG et Julia KUPERBERG, le documentaire tente d'expliquer pourquoi cette sublime actrice qui tourna dans 34 films principalement dans les années 40 et 50 fut si peu reconnue de son vivant (une seule nomination aux Oscars et aucun prix) et ensuite relativement oubliée. Sa discrétion sans doute mais aussi son refus de s'enfermer dans un type de rôles, son caractère insaisissable, son goût pour la retenue et les silences, un jeu subtil plus européen qu'américain, des prestations souvent teintées d'exotisme. Ses drames personnels (une enfant lourdement handicapée suite à une rubéole contractée pendant la grossesse, des amours malheureuses, des dépressions, des internements) qui provoquèrent sa décision d'abandonner le cinéma jouèrent sans doute également un rôle. Mais à défaut d'avoir marqué la mémoire du grand public, Gene TIERNEY est adulée par les cinéphiles dont Martin SCORSESE qui lui voue un culte. Mais on se rend compte qu'en dehors de ses films, Gene TIERNEY a laissé peu de traces publiques. Le documentaire s'appuie donc essentiellement sur des témoignages (ceux de ses petits-enfants notamment) et sur son autobiographie dont certains doutent qu'elle en soit l'autrice. Une énigme de plus?
Couronné aux César du prix du meilleur documentaire, "Les filles d'Olfa" présente un dispositif original et réflexif qui ne se contente pas de s'adresser au spectateur mais qui facilite la démarche introspective voire thérapeutique suivie par Olfa et ses deux plus jeunes filles. Elles ne font pas que raconter leur vie, elles la reconstituent avec des comédiens et comédiennes professionnelles qui jouent le père et le beau-père, les deux autres filles absentes mais aussi Olfa dans les scènes les plus sensibles afin de l'aider à les mettre à distance. L'objectif est de comprendre ce qui a pu amener les deux filles aînées d'Olfa, Ghofrane et Rhama à rejoindre les rangs de Daech à l'adolescence. Olfa qui occupe tour à tour toutes les places est ainsi invitée à réfléchir sur des mécanismes appris dans l'enfance et reproduits sur ses filles une fois celle-ci devenue mère, notamment sa volonté de contrôler leurs corps et leur morale par la violence de peur de les voir sombrer dans la débauche. Sans penser qu'en leur barrant l'accès à l'occidentalisation et en les brimant, elles allaient se "libérer" de l'emprise de leur mère en devenant bien plus fanatiques qu'elle au point d'en arriver à souhaiter mourir. D'autant que les pères brillant par leur absence de génération en génération, ce sont les femmes qui doivent endosser leur rôle, ne pouvant pas tout le temps surveiller leur progéniture. Olfa elle-même est pleine de paradoxes, très masculine voire castratrice, tout en ayant intégré le puritanisme le plus rétrograde sans parler de l'introduction d'un amant abuseur dans la famille. Paradoxe également d'un contexte politique et social qui n'est pas oublié avec une révolution dont les effets ont été parfois inverses de ceux qui étaient attendus. Une véritable malédiction semble planer sur cette famille où les filles se retrouvent seules et brimées de génération en génération, le dernière ne faisant pas exception. La démarche de Olfa pour briser le cercle vicieux de de Kaouther Ben HANIA pour l'y aider mérite d'être saluée.
"They shot the Piano Player" est la deuxième collaboration du réalisateur Fernando TRUEBA et du dessinateur Javier MARISCAL après "Chico & Rita" (2010). On y retrouve l'animation et la musique latino mais "They shot the Piano Player" est aussi un film politique au travers d'une enquête sur la disparition d'un pianiste de jazz brésilien virtuose, Francisco Tenório Júnior, à la veille du coup d'Etat en Argentine en 1976. Plus de 30 ans après les faits, le journaliste américain fictif Jeff Harris (l'alter ego de Fernando TRUEBA) qui doit écrire un livre sur la bossa nova découvre un enregistrement du musicien disparu. Subjugué, il part à la recherche de ceux qui l'ont connu et ressuscite l'âge d'or de la musique brésilienne au travers de ses représentants les plus prestigieux dont on entend la voix au travers de leur avatar animé. Même moi qui ne suis pas une spécialiste, j'ai reconnu Chico BUARQUE, Gilberto GIL ou encore Caetano VELOSO. Et si d'autres me sont inconnus, je les connais en réalité à travers leurs oeuvres (Vinicius de MORAES qui accompagnait le pianiste lors de la tournée durant laquelle il a disparu est l'auteur des paroles de "The girl from Ipanema"). Des anecdotes impliquant également de grands noms du jazz afro-américain comme Ella FITZGERALD sont évoquées. Et le parallèle créatif avec la nouvelle vague française (bossa nova se traduit par nouvelle vague), l'influence de Francois TRUFFAUT surtout se retrouve à travers le titre, hommage à "Tirez sur le pianiste" (1960). Mais en parallèle de cette effervescence de sons et de couleurs, le film évoque la terrible période des dictatures militaires s'étant abattues en Amérique latine avec la complicité de la CIA et leur coordination au travers de l'opération condor pour traquer leurs opposants communistes ou supposés tels. Car Tenório n'étant pas politisé, il peut être considéré comme une victime collatérale de ce terrorisme d'Etat se trouvant au mauvais endroit et au mauvais moment, embarqué à cause de son apparence l'assimilant aux révolutionnaires, torturé puis exécuté pour l'empêcher de témoigner de ce qu'il avait vu et vécu. L'enquête de Jeff Harris l'amène donc à reconstituer les lieux de détention, de torture et d'exécution, la disparition des corps, les bébés enlevés à leur mère pour être adoptés par des familles soutenant le régime et les séquelles sur les survivants (la femme de Tenório privée du statut de veuve et des ressources allant avec par exemple). Un peu ardu à suivre par moments avec quelques redites et longueurs mais on y apprend beaucoup, on y voit et y entend beaucoup et on repart avec une question lancinante "Comment tant de douceur et de beauté ont pu cohabiter avec tant de barbarie?".
Un portrait très intéressant de Jodie FOSTER mais pouvait-il en être autrement avec une personnalité aussi riche? On associe Jodie FOSTER à l'intelligence, à la précocité, à sa maîtrise parfaite du français qui l'a même fait passer
pour franco-américaine ou new-yorkaise. Pourtant, c'est plus compliqué et Jodie FOSTER est une énigme, à la fois un pur produit hollywoodien et en même temps complètement à part. Le documentaire apporte quelques éléments de réponse à cette énigme. La mère de Jodie FOSTER apparaît déjà comme quelqu'un de paradoxal. D'un côté, elle a été une "stage mother" c'est à dire l'agent de la carrière de ses propres enfants si bien que Jodie FOSTER a été une enfant-star, jouant dès l'âge de 3 ans dans les publicités ou pour des programmes familiaux "american way of life" à la télévision. De l'autre, elle lui a fait connaître les films européens de la nouvelle vague dont elle était fan, a milité pour les droits des minorités, s'est installée en couple avec une femme (surnommée "tante Jo" d'où est né le surnom de l'actrice) après s'être séparée du père de ses enfants et a mis Jodie FOSTER au lycée français de Los Angeles. C'est de cette éducation multiculturelle qu'est issue la capacité de Jodie FOSTER à se réinventer et ce dès l'adolescence où par chance elle croise la route du nouvel Hollywood en la personne de Martin SCORSESE qui lui donne un rôle dans "Alice n'est plus ici" (1974) avant celui d'Iris dans "Taxi Driver" (1976) qui casse son image et la propulse sur la scène internationale: la petite américaine jouant dans le Doris Day Show devient l'égérie du festival de Cannes. Par la suite, l'actrice multiplie les cordes à son arc, devenant réalisatrice, productrice, s'inscrivant à l'université de Yale dont elle sort diplômée, tournant dans des films américains mais aussi français (sous la direction de Claude CHABROL notamment un pilier de la nouvelle vague, est-ce étonnant?) Au sein même des films américains, sa filmographie oscille entre des rôles insignifiants de femmes traditionnelles et d'autres au contraire extrêmement signifiants de femmes pionnières ou vengeresses qui lui valent ses deux Oscar. J'aime beaucoup en particulier dans le documentaire l'analyse de "Le Silence des agneaux" (1989), le soutien que lui apporte Hannibal Lecter contre les autres hommes montrés comme les vrais prédateurs (c'est toujours comme cela que j'ai perçu le film). Enfin, le documentaire évoque le fardeau de sa notoriété publique, de l'affaire John Hinckley aux pressions des mouvements LGBT lui reprochant sa discrétion quant à sa vie privée vue comme un moyen de ne pas se mouiller, un choix pleinement assumé et qu'elle a défendu en dénonçant le devoir de transparence.
Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. "Les liaisons dangereuses", le roman épistolaire de Choderlos de Laclos est analysé à la fois comme une oeuvre de son temps, la fin du XVIII° siècle et comme une oeuvre intemporelle, ce qu'illustrent les différentes adaptations qui en ont été faites au cinéma. Si les plus célèbres sont ancrées dans le pays et l'époque de Laclos, d'autres se situent dans le même pays mais dans un contexte contemporain comme la version de Roger VADIM alors que d'autres conservent l'époque mais changent de lieu, par exemple, "Untold scandal" (2003) qui transpose l'intrigue en Corée au XVIII° siècle. Enfin, plusieurs versions changent l'ensemble des paramètres comme l'adaptation américaine et teenager "Sexe Intentions" (1998) ou la dernière en date "Dangerous Liaisons" (2012) qui se déroule à Shanghai dans les années 30. Priscilla PIZZATO a eu donc l'idée pour illustrer cette "plasticité" spatio-temporelle du roman de ponctuer le documentaire de passages lus par deux acteurs, Elsa LEPOIVRE et Eric GENOVESE qui dans leur tenue vestimentaire comme dans les décors qui les environnent mélangent le XVIII° siècle et notre époque.
Par ailleurs, si le parallèle entre séduction et stratégie militaire est souligné, en relation avec le métier de Choderlos de Laclos, le documentaire souligne les aspects les plus modernes et les plus sulfureux du roman. Notamment l'esprit des Lumières qui imprègne la vision des femmes. La description physiologique des états de leur corps est directement relié à un réalisme scientifique puisé dans l'Encyclopédie mais surtout, la revendication d'égalité portée par Mme de Merteuil qui est un personnage résolument neuf. Une femme jouant aux mêmes jeux libertins que son partenaire tout en le manipulant grâce à l'intelligence supérieure qu'il lui a fallu déployer pour surmonter l'handicap d'être née femme. La guerre des sexes prend ainsi tout son sens quand Valmont lui dévoile qu'il en aime une autre tout en prétendant avoir des droits sur elle sans voir qu'il transforme celle qu'il prend pour sa complice en ennemie mortelle. Enfin, la question brûlante du consentement est posée à travers le personnage de Cécile de Volanges qui est violée et celui de Mme de Tourvel qui est abusée. Et de rappeler que Choderlos de Laclos écrivit en 1783 un essai sur l'éducation des femmes qui fit grand bruit.
Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. "Emma Bovary", le premier roman de Gustave Flaubert a été les deux! En effet s'il a été acquitté au terme du procès qui lui a été intenté en 1857 pour "outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes moeurs", c'est parce que son avocat avait convaincu le jury d'interpréter le livre à l'envers, c'est à dire comme une défense des "bonnes moeurs", une mise en garde "contre les passions qui mènent au vice", le sort d'Emma étant vu comme une "expiation" de son comportement scandaleux. Au grand dam de Flaubert qui ne souhaitait pas que son roman soit jugé sur sa morale mais sur son esthétique et qui redoutait que son succès à venir en raison de la publicité du procès ne repose sur un malentendu. Il était trop en avance sur son époque, tout comme son héroïne, coupable de ne pas se satisfaire de son sort de "bonne épouse et bonne mère", régi par le patriarcat napoléonien et de désirer autre chose.
Le passionnant documentaire de Audrey GORDON revient sur la genèse du roman qui fait apparaître le soubassement sexuel qui bien qu'implicite dans la version définitive du roman, a été perçu par le tribunal l'ayant fait comparaître. La scène du fiacre avait d'ailleurs été censurée dans la publication du roman en feuilleton qui précédait le recueil (qui à la suite de l'acquittement, put paraître en intégralité). Flaubert utilisait un langage cru et avait besoin de ressentir ce qu'il décrivait ce qui conférait forcement une puissance érotique à sa plume (mon ami Pierrot). De plus, la mort d'Emma s'accompagnait de propos jugés athées puisqu'il évoquait "la survenue du néant". Or la religion était la garante de l'ordre moral qui contrôlait la société de même qu'avant 1789, elle était le fondement du pouvoir du roi. Tout cela est balayé par les désirs d'une femme nourrie de lectures romanesques en décalage total avec la médiocrité de la vie de province et l'enfermement domestique qui la condamnent à dépérir d'ennui après son mariage avec le terne Charles Bovary.
Ponctuée d'interventions d'écrivains "bovarystes" mais aussi d'actrices ayant joué Emma comme Isabelle HUPPERT et Mia WASIKOWSKA, l'analyse s'appuie sur un montage polyphonique des nombreuses adaptations audiovisuelles de l'oeuvre (près de 900 au total) qui se répondent entre elles à travers l'espace et le temps. Cela donne beaucoup de puissance au passage où Flaubert (représenté dans une version hollywoodienne par James MASON et une version argentine par Ricardo Galache) dit qu'il a écrit le livre pour toutes les femmes désabusées, insatisfaites par leur mariage, ayant vu s'effondrer leurs illusions une à une.
Une approche du cinéma de Alain RESNAIS par le son. On retrouve dans les témoignages comme dans l'interview du réalisateur certains aspects de sa personnalité tels que l'importance de la musique dans son oeuvre, son éclectisme et sa recherche permanente de renouvellement.
L'importance de la musique dans son oeuvre se manifeste d'abord par ses films musicaux tels que "On connait la chanson" (1997) ou l'opérette "Pas sur la bouche" (2003). Mais aussi par les personnages de musiciens dans son oeuvre ("Melo") (1986) et son attention à la musicalité des voix. Personnellement, je suis particulièrement sensible à cette musicalité lors des longs monologues de Andre DUSSOLLIER dans "Melo" (1986) et de Pierre ARDITI dans "Smoking" (1992) dont les modulations sont lyriques au possible, en accord avec la corde intérieure qu'ils font vibrer. Et que dire du magnifique "L'Amour a mort" (1984) construit comme les touches d'un piano, les blanches étant privées de musique et les noires, d'image (hormis la neige qui tombe).
L'éclectisme musical de Alain RESNAIS se manifeste dans les choix des compositeurs de ses musiques comme dans la variété des morceaux choisis, allant de la musique contemporaine à la variété. De même, il change de compositeur d'un film à l'autre, faisant parfois des choix surprenants comme celui de Mark SNOW qui a signé la célèbre musique de la série "X-Files" (et qui témoigne dans le documentaire). Un point commun se dessine avec deux de ses scénaristes fétiches, Jean-Pierre BACRI et Agnes JAOUI (qui témoigne dans le documentaire): le refus de s'enfermer dans une chapelle. Ainsi le cinéma de Resnais est à la fois expérimental, exigeant et pour certains de ses films, populaires.
Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. Comme "Lolita" de Nabokov, autre roman incompris (et adapté au cinéma par Stanley KUBRICK), "Orange mécanique" est un roman "extralucide" qui s'avère aujourd'hui d'une brûlante actualité. Hélas, il a voyagé dans le temps avec le contresens tenace consistant à y voir une apologie du crime. Contresens qui pour mémoire (le documentaire ne l'évoque pas) avait conduit à la censure du film jusqu'à la mort de Stanley KUBRICK. Un contresens largement basé sur une vision tronquée de l'oeuvre. Que ce soit le livre ou le film, c'est la première partie, celle des exactions de Alex et de sa bande qui absorbe la lumière alors que la suite montre la violence infiniment plus grande qu'exerce l'Etat vis à vis des individus déviants. Une occultation significative puisqu'elle permet aux sécuritaires d'instrumentaliser l'oeuvre (par exemple dans "La France Orange Mécanique") pour réclamer d'un Etat supposé laxiste davantage de mesures coercitives. Or nous dit Anthony Burgess dont le catholicisme irrigue philosophiquement le livre, qu'est ce qu'un individu privé de la liberté de choisir sinon un être privé d'humanité?
Le documentaire se penche sur l'histoire personnelle de l'auteur marquée par plusieurs drames (dont une agression sur son épouse qui fait écho à celle de l'écrivain dans "Orange Mécanique" et ce d'autant plus que cet écrivain est en train de rédiger le roman que l'on est en train de lire, une redoutable mise en abyme) mais aussi sur le contexte socio-culturel du Royaume-Uni des années cinquante et soixante marqué par l'acculturation américaine et la fin de l'Empire colonial. Une crise existentielle qui a favorisé la montée en puissance d'une jeunesse rebelle et nihiliste avec la formation de gangs violents, le tout attisé par la consommation de drogues. Une énergie créative retournée en pulsion destructrice, voilà comment Anthony Burgess définit Alex et sa bande qui n'incarne pas seulement la jeunesse britannique. Le fameux argot "nadsat" étant une manière d'effacer le rideau de fer ou plutôt de le déplacer d'une frontière géopolitique vers une frontière générationnelle, Anthony Burgess ayant remarqué lors d'un séjour en URSS que le mal-être de la jeunesse était tout aussi important à l'est qu'à l'ouest. Mais la plus grande préoccupation de Burgess et ce qui rend son oeuvre intemporelle est son profond humanisme. Le documentaire se penche sur un manuscrit inachevé retrouvé récemment, "A Clockwork Condition", dans lequel Burgess livre son inquiétude sur le monde à venir. Un monde "freak control" où le mécanique (dont fait partie le conditionnement pavlovien ayant servi de modèle au programme Ludovico) réussirait à dompter l'organique. Avec à la clé certes, la disparition du "mal" mais aussi du "bien", l'un n'allant pas sans l'autre et l'être humain ne l'étant que parce qu'il est doté de la capacité de choisir. En inhibant le mal chez Alex, le programme étouffe également le bien en lui, son potentiel artistique lié à son amour de la musique. Cette réflexion n'est pas très éloignée de celle du géographe François Terrasson qui montrait dans ses livres sur la civilisation anti-nature que l'homme occidental détruisait tout ce qu'il ne pouvait contrôler et que son idéal était un monde minéral et non un monde vivant. Il suffit de regarder l'allure de nos métropoles avec leurs alignements de tours de verre et d'acier pour comprendre ce que cela signifie. Burgess était tout simplement visionnaire.
Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. "Lolita, méprise sur un fantasme" revient sur la fabrication de toutes pièces d'une icône populaire de la littérature et du cinéma à partir du livre "le plus incompris de toute l'histoire de la littérature", à savoir "Lolita" de Vladimir NABOKOV. Un contresens lourd de sens en réalité. Son auteur apatride n'ayant pu publier son sulfureux livre aux USA, c'est un éditeur français de roman érotiques qui s'en chargea en 1955. L'adaptation du livre par Stanley KUBRICK fit le reste. Contrairement aux intervenants du documentaire, je ne trouve pas le film (trop superficiellement analysé) si éloigné du véritable sens du livre. Mais passé à la moulinette du puritanisme américain, avec une actrice Sue LYON trop âgée pour le rôle et une affiche aguicheuse, l'imagerie attachée au film de Stanley KUBRICK effaça le contenu du livre au profit de photos de couvertures montrant de jeunes femmes aux poses suggestives. Celui-ci devint ainsi le support de fantasmes masculins porté à l'extrême au Japon avec le phénomène "Lolicon" ou "Lolita complex" (l'attirance d'hommes adultes pour les écolières). Un contresens lié à la subtilité dans le procédé d'écriture du livre où l'auteur se place du point de vue du narrateur qui est Humbert Humbert mais sans se confondre avec lui. Une incompréhension qui a poussé certains à penser que le livre faisait l'apologie de la pédophilie. Un contresens surtout lié à une interprétation du livre dominée durant des décennies par le "male gaze" ce qui poussa Vladimir NABOKOV à faire une mise au point sur le plateau du magazine "Apostrophes" en 1975. Mise au point qui ne fut pas entendue par Bernard PIVOT puisque 15 ans plus tard, il recevait sur son plateau Gabriel Matzneff avec le même regard égrillard et le même vocabulaire sur les "nymphettes" emprunté aux fantasmes de Humbert Humbert pris pour argent comptant. Sans se rendre compte que contrairement à Nabokov, il n'y avait aucune différence entre Matzneff le narrateur et Matzneff l'auteur, ce dernier se servant de la littérature pour assouvir une perversion bien réelle. Les mouvements Metoo et Metoo inceste qui ont permis aux femmes victimes d'abus d'accéder à une bien plus grande visibilité ont démystifié Matzneff et au contraire rendu au roman de Nabokov sa signification première. Vanessa Springora, ancienne victime de Matzneff témoigne du rôle que le livre a joué dans sa vie et si celui-ci n'avait pas été réalisé en 2021 mais aujourd'hui, il inclurait sûrement le témoignage de Neige Sinno qui dans "Triste Tigre" se livre à une relecture radicale du roman qui rejoint les mots que l'écrivain avait prononcé en 1975 mais qui n'avaient alors pas été entendus.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.