Jean Vigo transfigurait tout ce qu'il touchait, rendant sensuel et poétique les films de commande qui en étaient a priori les plus éloignés. "Taris, roi de l'eau" (également connu sous le titre "La natation selon Jean Taris") est son second film. Il devait à l'origine être le premier volet d'une série sur le sport qui devait être diffusée en première partie de séance mais il resta finalement à l'état de prototype sans suite, le commanditaire (Gaumont) ayant entre temps changé de politique au profit des actualités. Vigo ne put réaliser son second projet autour du tennisman Henri Cocher alors classé premier joueur mondial.
Le principal intérêt de ce court-métrage documentaire mettant en scène le champion de natation français Jean Taris réside donc dans cette transfiguration d'un entraînement en piscine accompagné d'explications pédagogiques sur les techniques de nage en ode au corps. Un corps d'athlète que Vigo filme dans toute sa force, sa souplesse et sa sensualité, se déployant comme un félin et évoluant sur et sous l'eau comme un poisson. Vigo déploie tout son savoir-faire en innovant sur le plan formel et technique: gros plans sous l'eau (grâce aux hublots dont la piscine de la rue de l'Elysée était équipée), ralentis, marche arrière, surimpressions, travail sur les sons et les bruitages, science du montage. Le résultat est hypnotique.
"Il est interdit d'interdire", tel pourrait être la devise de Pixar avec ce court-métrage où l'équipe s'autorise à casser les codes et à mélanger les genres pour un résultat enlevé, déjanté, inventif, instructif et extrêmement divertissant.
"Notre ami le rat" est conçu comme un hommage aux films pédagogiques Disney des années cinquante-soixante et plus particulièrement à un de ses principaux réalisateurs et animateurs, Ward Kimball. "Notre ami le rat" s'inspire notamment très fortement de "C'est pas drôle d'être un oiseau" couronné par l'oscar du meilleur court-métrage d'animation en 1970. Le petit oiseau rouge est remplacé dans le rôle du professeur-présentateur par Rémy et Emile qui informent le spectateur de l'utilité du rat pour l'homme. Ils déroulent notamment l'historique des interactions entre les deux espèces où l'importance des échanges internationaux a joué un rôle capital. Le rat s'avérant de plus être une espèce quasi indestructible, vouloir les supprimer revient à s'autodétruire (ce dont on commence à s'apercevoir avec d'autres espèces comme les abeilles). Si bien qu'en dépit de sa source d'inspiration issue de la période des 30 glorieuses, le film évoque au final une question d'écologie contemporaine, celle de l'interdépendance des espèces au sein de l'écosystème que l'action de l'homme menace de détruire, en partie par ignorance.
Ce va et vient entre passé et présent se retrouve dans la forme. Le film mêle avec bonheur les trois principales techniques d'animation (2D, 3D et stop motion), parfois dans la même image. S'y ajoutent même des images live en noir et blanc dans le style des films muets des années 20 et même des images de jeu vidéo des années 80.
Alain Resnais, Chris Marker, Ghislain Cloquet (1953)
Respect, admiration totale pour ce documentaire sur ce que l'on nommait encore dans les années cinquante l'art nègre, un terme revendiqué avec fierté et non sans provocation par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor pour désigner l'identité africaine dans les années 30. Commandé par la revue "Présence africaine", il est réalisé par deux immenses cinéastes, Alain Resnais et Chris Marker, assistés du chef-opérateur Ghislain Cloquet.
La culture noire-africaine malmenée, menacée par la colonisation est au cœur de ce court-métrage qui allie la beauté esthétique au discours politique engagé. Les œuvres sont filmées de manière exceptionnelle, mises en valeur par l'éclairage et la science du montage dont Resnais et Marker ont le secret. Elles acquièrent ainsi une dignité que l'occident leur refusait à l'époque (le point de départ du documentaire n'est-il pas une interrogation sur le fait que l'art grec et égyptien se trouvaient au Louvre alors que l'art nègre devait se contenter du musée de l'Homme, comme un écho ségrégationniste à l'art "dégénéré" vilipendé par les nazis?) Quant au texte de Marker, lu par Jean Négroni, il s'interroge sur le mystère de ces œuvres, sur la culture qui les a produite "au temps de Saint Louis" et dont nous ne savons rien puisqu'elle était de tradition orale. Et il dénonce les ravages de la colonisation qui a mis sous vitrine (c'est à dire empaillé) les vestiges qui lui sont tombés entre les mains tout en éradiquant la source de nouvelles productions en imposant sa propre culture. Les monuments aux morts et la statuaire chrétienne ont balayé l'art africain sur le sol même de l'Afrique quand ce n'était pas l'islam qui le détruisait au nom de l'interdiction des images.
Produit peu de temps avant la décolonisation de l'Afrique, le documentaire de Resnais et Marker est censuré pendant 11 ans car la France n'admet pas les critiques sur son modèle colonialiste assimilationniste (même si cet assimilationnisme reste largement une chimère) et tente d'empêcher ses colonies d'obtenir leur indépendance, soit par la ruse, soit par la force comme en Algérie. Elle ne lâchera prise que lorsque la décolonisation de son Empire africain sera achevée.
Wenders s'interroge une fois de plus sur son identité en tant que cinéaste. Il est inquiet de l'évolution de son métier qui à l'aube des bouleversements numériques (nous sommes en 1989) semble menacer de dissoudre le cinéma d'auteur dans les métiers d'images manufacturées de consommation de masse (publicité, jeux vidéos, clips). Mais plutôt que de se plaindre ou de se regarder le nombril, il préfère interroger le créateur de mode japonais Yohji Yamamoto en plein travail et lors de défilés entre Paris et Tokyo avec lequel il se découvre de profondes affinités.
Elles sont d'abord biographiques évidemment, les deux hommes sont de la même génération, nés dans l'après-guerre dans deux pays agresseurs, tortionnaires, vaincus et en ruines. La mère de Yamamoto était d'ailleurs veuve de guerre (dans le film, Yamamoto explique que son père a été envoyé à la guerre contre sa volonté). Cette histoire a profondément influencé leur art respectif ce que soit dans la quête des origines pour Wenders ou le brouillage de la frontière entre les sexes pour Yamamoto.
Yamamoto recherche la vérité dans la représentation. Bien qu'artiste d'avant-garde, il puise son inspiration dans des photographies anciennes représentant des artisans ou des ouvriers (l'un de ses livres de chevet est "Hommes du XXeme siècle", un recueil de portraits du photographe allemand August Sander) parce qu'il veut justement échapper aux effets de mode ce qui fait de lui selon Wenders un paradoxe vivant. Yamamoto est fasciné par les gens qui ne font qu'un avec leurs vêtements, les gens qui ne portent pas des vêtements par désir de les consommer mais par besoin, pour se protéger du chaud ou du froid. Toute la filmographie de Wenders étant travaillée par la question de l'incarnation, il n'est guère étonnant qu'il soit fasciné lui aussi par les clichés d'August Sander d'autant qu'il est à l'origine photographe.
La recherche de la vérité est indissociable de la quête identitaire. Comme Yamamoto, Wenders est hybride, écartelé entre plusieurs villes, plusieurs langues, plusieurs cultures, plusieurs espaces et plusieurs temps. Il l'exprime dans le film en insérant des images vidéo dans les images tournées en 35 mm. L'écran est fragmenté en deux, trois, parfois quatre parties avec un écran cinéma, un écran vidéo, une fenêtre (l'extérieur), un miroir (l'intérieur). Yamamoto ne travaille qu'en noir et blanc et défend l'asymétrie comme symbole de l'imperfection humaine. Mais l'alliance du noir et du blanc ressemble au ying et au yang, facteur d'harmonie.
Ne pas se fier à l'apparence décousue d'un documentaire qui saute sans arrêt du coq à l'âne et d'un lieu à l'autre. Tout est affaire de résonance, de correspondance et de leitmotiv. Le champ (chant) lexical musical est omniprésent, en témoigne cet aparté sur Tokyo " cette ville se déchiffre comme une partition. Ses grandes masses orchestrales renvoient à l'image vulgaire de Tokyo, mégapole surpeuplée, mégalomane, inhumaine. Lui croyait percevoir des cycles plus ténus, des rythmes, des clusters de visages attrapés au passage comme des grappes." Marker arrive à combiner cette poésie mystérieuse avec celle des îles du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ainsi qu'avec des images venues d'Islande et un pèlerinage à San Francisco sur les lieux du tournage de "Vertigo" le film d'Hitchcock qui est au cœur de son film le plus célèbre "La Jetée". Quels points communs relient ces lieux du bout du monde?
C'est bien entendu Marker lui-même, photographe, cinéaste et grand voyageur. Trois passions mêlées dans un carnet de voyages poétique où une narratrice (Florence Delay) lit les lettres d'un caméraman free-lance fictif Sandor Krasna. Par delà l'hétérogénéité du matériau, ce sont les mêmes obsessions qui reviennent en boucle:
-La relation entre l'histoire et la mémoire et le rôle des images dans la fabrication de cette dernière. Une mémoire en images (celle qu'ont le pouvoir de fabriquer le photographe et le cinéaste) qui donne à l'humain l'illusion de l'immortalité mais qui est foncièrement fragile car soumise aux aléas des catastrophes naturelles ou humaines.
-La relation entre l'espace et le temps. Le film s'ouvre sur une citation de Racine "L'éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps." auquel fait écho cette réflexion "Au XIX°, on avait réglé son compte à l'espace, le problème du XX° était la cohabitation des temps".
-La relation entre la vie et la mort, l'être et le non-être, le dit et le non-dit, la lumière et l'ombre (un des sens du titre) en opposition avec la vanité occidentale qui a privilégié les premiers sur les seconds. Ces relations sont au cœur des "deux pôles extrêmes de la survie" que sont la Guinée-Bissau et les îles du Cap Vert d'un côté menacés par la famine, le Japon de l'autre. Le Japon est en effet le seul pays riche à ne pas avoir oublié (à cause de l'épée de Damoclès qui pèse sur l'existence de l'archipel) ce qu'est l'état de survie et à chercher de ce fait à vivre, relier, transmettre par delà ce qui est visible, par delà ce qui est impermanent. D'où l'omniprésence du chat et de la chouette, et plus généralement des animaux médiateurs entre visible et occulte. Et l'importance accordée aux films d'épouvante asiatiques témoignant d'une "longue intimité des peuples d'Asie avec la souffrance" (voir le catalogue de la très belle -et éprouvante- exposition "Enfers et fantômes d'Asie" visible en ce moment au musée du Quai Branly à Paris).
A noter que dans la version japonaise, c'est Riyoko Ikeda, l'auteure du manga "La Rose de Versailles" (alias "Lady Oscar") qui est la narratrice du documentaire de Chris Marker.
Le voyage à Tokyo de Wim Wenders 30 ans après celui de Yasujiro Ozu est une quête des traces du Tokyo filmé par ce grand cinéaste japonais que Wenders admire pendant ses quarante années de carrière. Le désir d'aller découvrir une ville parce qu'un cinéaste vous l'a rendue proche est un sentiment que je connais bien. Par un bel effet de miroir, c'est le film de Wim Wenders "Les Ailes du désir" qui a créé une impression d'intimité avec Berlin et m'a donné envie de partir à sa découverte.
Néanmoins ce qui domine dans le documentaire de Wenders est le sentiment d'étrangeté, exactement comme dans le "Lost in Translation" de Sophia Coppola. Même s'il interroge longuement des collaborateurs d'Ozu (Chishu Ryu, son acteur phare et Yuharu Atsuta, son assistant caméra devenu caméraman principal) il peine à retrouver le regard d'Ozu (et notamment ses fameux plans à hauteur de tatami qui donnent à ses films leur caractère profondément humaniste) à travers son périple tokyoïte. La mégapole lui apparaît inhumaine, à la fois bruyante et pleine de solitude. En témoigne tous les passages un peu mécanistes du film autour du pachinko, du golf ou de la confection des mets en cire pour décorer les vitrines des restaurants. Néanmoins la méditation autour du kanji "mu" ("impermanence") qui orne la tombe de Ozu, la déambulation dans les cimetières où les japonais font l'hanami (pique-nique sous les cerisiers en fleur), la rencontre dans un bar de Shinjuku avec le photographe et cinéaste Chris Marker qui a réussi à créer un lien intime avec la culture japonaise ou encore l'entretien avec son compatriote Werner Herzog en déplacement à Tokyo en même temps que lui l'aident à surmonter sa déception et à apprivoiser la ville et sa poésie particulière.
C'est à la demande de Gilbert Trigano, président du club bastiais de football, que Jacques Tati, passionné depuis toujours de sport, réalise ce documentaire autour d'un événement de taille : en effet, le 28 avril 1978, l'équipe locale est opposée au PSV Eindhoven sur le terrain de Furiani, à l'occasion du match aller de la finale de la coupe d'Europe de football de l'UEFA. C'est un moment historique pour la ville corse. Des semaines que la vie bastiaise est en suspens, on ne parle et on ne pense que foot, l'effervescence est à son comble. Ce matin-là, soleil radieux, comme le moral des Bastiais mais à midi, c'est le déluge. Bien que le stade de Furiani soit une mare de boue, le match a lieu, match nul : 0-0.
À défaut du match, Tati filme la montée de la ferveur puis le désenchantement bastiais avec le sens de l'observation qu'on lui connaît. Il y a beaucoup de points communs avec "Parade" son dernier long-métrage qui avait également pour sujet le déroulement d'un spectacle vivant.
C'est Sophie Tatischeff, fille de Jacques Tati, monteuse et elle-même réalisatrice, qui assurera le montage des rushes, redécouverts des années plus tard dans la cave de Sophie Tatischeff et jamais exploités jusqu'alors.
C'est une image forte qui revient à plusieurs reprises dans le film, du générique de début jusqu'au dénouement: une jonque chinoise qui traverse la baie de l'Hudson. A son bord, l'urne contenant les cendres de Nicholas Ray, cinéaste américain surtout connu en France pour "La Fureur de vivre" avec James Dean. Cette barque c'est le trait d'union entre la vie et la mort, les rites funéraires de l'Egypte antique et les "55 jours de Pékin", le rêve (de prendre la mer dans une jonque chinoise, de guérir, de réaliser un autre film avec son "fils d'élection", Wim) et la réalité (funèbre, forcément).
C'est en effet dans l'espoir de co-réaliser un film avec Nicholas Ray qu'il avait dirigé deux ans plus tôt dans "l'Ami américain" que Wim Wenders débarque à 6 heures du matin dans son loft à New-York. Mais très vite il doit se rendre à l'évidence: Nicholas Ray est trop malade pour faire un film et ce que la caméra capte c'est pour reprendre l'expression de Godard (reprise de Cocteau) "La mort au travail". Ray lui-même balaye les réticences de Wenders qui a peur d'être voyeuriste ou de l'épuiser et d'accélérer sa fin ("Je ne suis pas venu parler de la mort.", "Il le faudra peut-être".) Ray veut en effet Wim auprès de lui pour enregistrer ses derniers moments, comme une œuvre testamentaire. Ray s'était déconsidéré à Hollywood à cause de ses excès et comme ses anti-héros marginaux il espère se rassembler, "se reprendre avant de mourir, retrouver le respect de lui-même".
Comme beaucoup de films de Wenders, "Nick's Movie" est une réflexion sur les rapports entre le temps et le cinéma. Le temps qui fuit et le cinéma qui capte dans ses filets des moments qu'il grave dans le marbre pour l'éternité. Les films de Wenders ont une forte valeur mémorielle et testimoniale, comme le si bien-nommé "Au fil du temps" qui fournit un instantané de l'Allemagne des années 70 coupé par le rideau de fer ou "Les Ailes du Désir" avec son Berlin des années 80 coupé par le mur ou encore "l'Ami américain" qui se situe dans l'ancien port de Hambourg aujourd'hui disparu.
Ce qui vaut pour les lieux historiques vaut bien sûr aussi pour les gens. Wenders a filmé le vieillissement de ses acteurs-fétiches au fil des décennies: Bruno Ganz, Rüdiger Vogler, Patrick Bauchau, Nastassja Kinski. "Nick's Movie" va plus loin. C'est un film qui se fait pendant qu'une vie se défait mais qui en l'enregistrant, la rend immortelle, exactement comme l'a fait Agnès Varda dans "Jacquot de Nantes" avec les derniers instants de Jacques Demy. Dans les deux cas, le film capte les ravages de la maladie sur le corps d'un cinéaste tout en restituant son esprit, immortel forcément, puisque gravé à jamais dans ses films. Et ce travail est accompli par un proche. Bien que l'ayant nié farouchement, Wenders a dû accepter le fait que Nicholas Ray était pour lui une figure paternelle de substitution dont le cinéma (c'est à dire l'âme) était proche du sien. Wenders, comme tous les cinéastes allemands de sa génération a dû se construire une filiation sur les ruines laissées par le nazisme et il l'a fait, du moins en partie, aux USA.
C'est pour honorer une dette envers la télévision suédoise qui l'avait aidé à terminer "Trafic" que Jacques Tati a conçu "Parade", tourné au Stockholm Cirkus en 1973. Le spectacle alterne numéros de cirque comiques, acrobatiques ou musicaux et pantomimes assurées par M. Loyal, alias Tati himself. Il s'agit pour l'essentiel d'extraits de son numéro de music-hall des années 30 "Impressions sportives", littéralement ressuscité, revivifié d'autant qu'à 67 ans, Tati jouissait encore d'une forme olympique et rayonnait de bonheur. Même s'il savait qu'il s'agissait de son dernier tour de piste et qu'il émane du film une certaine nostalgie, il nous offre un vrai bouquet final plein de joie et de couleurs.
Produit par et pour la télévision, "Parade" est un drôle d'objet filmique, tourné en vidéo mobile comme une émission de télévision mais conçu pour le cinéma. C'est aussi un superbe hommage au spectacle vivant. Pour une fois, la mode seventies s'accorde parfaitement avec le propos et on est émerveillé devant cette débauche de motifs et de couleurs d'autant qu'une partie du public est déguisée. En effet Tati a fait en sorte d'abolir les frontières entre la salle, la scène et les coulisses, leur permettant d'interagir. Les dons d'observation de Tati font merveille et permettent de saisir de vraies petites pépites. Parmi les meilleurs moments, celui du dressage comique de mule, version poétique de la vachette d'"Interville" où deux spectateurs inattendus font partie des plus motivés pour se mesurer à la "bête": un monsieur rondouillard d'un certain âge sans cesse bridé par sa femme et un petit garçon déguisé en cow-boy. Ou encore celui du tennis, l'un des numéros de Tati où le public tourne la tête d'un côté puis de l'autre comme si l'échange de balles avait lieu pour de vrai...jusqu'à ce gros plan où un jeune homme tourne la tête alternativement en direction de deux jeunes et jolies jeunes femmes.
Il y a une si belle énergie dans "Parade", tant de fraîcheur, de passion, de simplicité et de moments de grâce qu'on lui pardonne ses petits moments de faiblesse, surtout dans les 20 dernières minutes. D'autant que la dernière scène où deux enfants s'emparent de la scène pour recréer le spectacle à leur manière est la plus belle façon de tirer sa révérence: en passant le relai aux jeunes générations.
Un court-métrage mêlant habilement le documentaire en noir et blanc et prise de vues réelles et le dessin à l'encre noire à peine animé. Le tout forme une satire au vitriol des pulsions meurtrières de l'être humain.
Dès les premières images, le ton antimilitariste du film est donné. On voit des gamins jouant à la bagarre et à la guerre pendant que le commentaire affirme de façon un peu provocante que "sur ce monde vivent des êtres pourvus de quatre membres. Deux pour avancer ou reculer, les inférieurs. Deux pour tuer, les supérieurs. Principale ressource de l'homme, la mort. Il en vit, il en meurt aussi." Les dessins surréalistes de Topor qui montrent une humanité fracassée, mutilée par la violence sont à la fois beaux et dérangeants. La séquence où Marianne, debout sur des cadavres embroche un innocent au bout de son épée s'inspire sans doute de la Une du journal satirique anticolonialiste du début du vingtième siècle "L'Assiette au beurre" montrant un soldat français tenant une épée avec deux enfants africains empalés dessus et son supérieur lui disant "Deux d'un coup! C'est superbe, tu auras la croix".
L'hypocrisie de la bonne société qui se nourrit de chair à canon est dénoncée. 40 avant la fameuse formule de Patrick Le Lay sur le temps de cerveau humain disponible pour manipuler ses comportements de consommateur dans une société capitaliste on est frappé par la similitude de cette phrase formulée dans un contexte de société belliciste: "Il reste toujours des vivants. Il en faut pour recommencer. Que faire pour ces cadavres du futur? Leur donner l'oubli donc des loisirs." Lesquels ("les temps morts") consistent à continuer le massacre sur d'autres victimes, les animaux par exemple ou bien la criminalité domestique. "L'homme pense, donc il vise bien!" (Quel détournement de la formule de Descartes "Je pense donc je suis"). Et le film de se terminer sur cette forme d'assassinat légal qu'est la peine de mort, sous toutes ses formes.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.