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Articles avec #documentaire tag

Forza Bastia 78

Publié le par Rosalie210

Jacques Tati et Sophie Tatischeff (1978)

Forza Bastia 78

C'est à la demande de Gilbert Trigano, président du club bastiais de football, que Jacques Tati, passionné depuis toujours de sport, réalise ce documentaire autour d'un événement de taille : en effet, le 28 avril 1978, l'équipe locale est opposée au PSV Eindhoven sur le terrain de Furiani, à l'occasion du match aller de la finale de la coupe d'Europe de football de l'UEFA. C'est un moment historique pour la ville corse. Des semaines que la vie bastiaise est en suspens, on ne parle et on ne pense que foot, l'effervescence est à son comble. Ce matin-là, soleil radieux, comme le moral des Bastiais mais à midi, c'est le déluge. Bien que le stade de Furiani soit une mare de boue, le match a lieu, match nul : 0-0.

À défaut du match, Tati filme la montée de la ferveur puis le désenchantement bastiais avec le sens de l'observation qu'on lui connaît. Il y a beaucoup de points communs avec "Parade" son dernier long-métrage qui avait également pour sujet le déroulement d'un spectacle vivant.

C'est Sophie Tatischeff, fille de Jacques Tati, monteuse et elle-même réalisatrice, qui assurera le montage des rushes, redécouverts des années plus tard dans la cave de Sophie Tatischeff et jamais exploités jusqu'alors.

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Nick's Movie (Lightning Over Water)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders et Nicholas Ray (1980)

Nick's Movie (Lightning Over Water)

C'est une image forte qui revient à plusieurs reprises dans le film, du générique de début jusqu'au dénouement: une jonque chinoise qui traverse la baie de l'Hudson. A son bord, l'urne contenant les cendres de Nicholas Ray, cinéaste américain surtout connu en France pour "La Fureur de vivre" avec James Dean. Cette barque c'est le trait d'union entre la vie et la mort, les rites funéraires de l'Egypte antique et les "55 jours de Pékin", le rêve (de prendre la mer dans une jonque chinoise, de guérir, de réaliser un autre film avec son "fils d'élection", Wim) et la réalité (funèbre, forcément).

C'est en effet dans l'espoir de co-réaliser un film avec Nicholas Ray qu'il avait dirigé deux ans plus tôt dans "l'Ami américain" que Wim Wenders débarque à 6 heures du matin dans son loft à New-York. Mais très vite il doit se rendre à l'évidence: Nicholas Ray est trop malade pour faire un film et ce que la caméra capte c'est pour reprendre l'expression de Godard (reprise de Cocteau) "La mort au travail". Ray lui-même balaye les réticences de Wenders qui a peur d'être voyeuriste ou de l'épuiser et d'accélérer sa fin ("Je ne suis pas venu parler de la mort.", "Il le faudra peut-être".) Ray veut en effet Wim auprès de lui pour enregistrer ses derniers moments, comme une œuvre testamentaire. Ray s'était déconsidéré à Hollywood à cause de ses excès et comme ses anti-héros marginaux il espère se rassembler, "se reprendre avant de mourir, retrouver le respect de lui-même".

Comme beaucoup de films de Wenders, "Nick's Movie" est une réflexion sur les rapports entre le temps et le cinéma. Le temps qui fuit et le cinéma qui capte dans ses filets des moments qu'il grave dans le marbre pour l'éternité. Les films de Wenders ont une forte valeur mémorielle et testimoniale, comme le si bien-nommé "Au fil du temps" qui fournit un instantané de l'Allemagne des années 70 coupé par le rideau de fer ou "Les Ailes du Désir" avec son Berlin des années 80 coupé par le mur ou encore "l'Ami américain" qui se situe dans l'ancien port de Hambourg aujourd'hui disparu.

Ce qui vaut pour les lieux historiques vaut bien sûr aussi pour les gens. Wenders a filmé le vieillissement de ses acteurs-fétiches au fil des décennies: Bruno Ganz, Rüdiger Vogler, Patrick Bauchau, Nastassja Kinski. "Nick's Movie" va plus loin. C'est un film qui se fait pendant qu'une vie se défait mais qui en l'enregistrant, la rend immortelle, exactement comme l'a fait Agnès Varda dans "Jacquot de Nantes" avec les derniers instants de Jacques Demy. Dans les deux cas, le film capte les ravages de la maladie sur le corps d'un cinéaste tout en restituant son esprit, immortel forcément, puisque gravé à jamais dans ses films. Et ce travail est accompli par un proche. Bien que l'ayant nié farouchement, Wenders a dû accepter le fait que Nicholas Ray était pour lui une figure paternelle de substitution dont le cinéma (c'est à dire l'âme) était proche du sien. Wenders, comme tous les cinéastes allemands de sa génération a dû se construire une filiation sur les ruines laissées par le nazisme et il l'a fait, du moins en partie, aux USA.

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Parade

Publié le par Rosalie210

Jacques Tati (1974)

Parade

C'est pour honorer une dette envers la télévision suédoise qui l'avait aidé à terminer "Trafic" que Jacques Tati a conçu "Parade", tourné au Stockholm Cirkus en 1973. Le spectacle alterne numéros de cirque comiques, acrobatiques ou musicaux et pantomimes assurées par M. Loyal, alias Tati himself. Il s'agit pour l'essentiel d'extraits de son numéro de music-hall des années 30 "Impressions sportives", littéralement ressuscité, revivifié d'autant qu'à 67 ans, Tati jouissait encore d'une forme olympique et rayonnait de bonheur. Même s'il savait qu'il s'agissait de son dernier tour de piste et qu'il émane du film une certaine nostalgie, il nous offre un vrai bouquet final plein de joie et de couleurs.

Produit par et pour la télévision, "Parade" est un drôle d'objet filmique, tourné en vidéo mobile comme une émission de télévision mais conçu pour le cinéma. C'est aussi un superbe hommage au spectacle vivant. Pour une fois, la mode seventies s'accorde parfaitement avec le propos et on est émerveillé devant cette débauche de motifs et de couleurs d'autant qu'une partie du public est déguisée. En effet Tati a fait en sorte d'abolir les frontières entre la salle, la scène et les coulisses, leur permettant d'interagir. Les dons d'observation de Tati font merveille et permettent de saisir de vraies petites pépites. Parmi les meilleurs moments, celui du dressage comique de mule, version poétique de la vachette d'"Interville" où deux spectateurs inattendus font partie des plus motivés pour se mesurer à la "bête": un monsieur rondouillard d'un certain âge sans cesse bridé par sa femme et un petit garçon déguisé en cow-boy. Ou encore celui du tennis, l'un des numéros de Tati où le public tourne la tête d'un côté puis de l'autre comme si l'échange de balles avait lieu pour de vrai...jusqu'à ce gros plan où un jeune homme tourne la tête alternativement en direction de deux jeunes et jolies jeunes femmes.

Il y a une si belle énergie dans "Parade", tant de fraîcheur, de passion, de simplicité et de moments de grâce qu'on lui pardonne ses petits moments de faiblesse, surtout dans les 20 dernières minutes. D'autant que la dernière scène où deux enfants s'emparent de la scène pour recréer le spectacle à leur manière est la plus belle façon de tirer sa révérence: en passant le relai aux jeunes générations.

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Les Temps morts

Publié le par Rosalie210

René Laloux (1964)

Les Temps morts

Un court-métrage mêlant habilement le documentaire en noir et blanc et prise de vues réelles et le dessin à l'encre noire à peine animé. Le tout forme une satire au vitriol des pulsions meurtrières de l'être humain.

Dès les premières images, le ton antimilitariste du film est donné. On voit des gamins jouant à la bagarre et à la guerre pendant que le commentaire affirme de façon un peu provocante que "sur ce monde vivent des êtres pourvus de quatre membres. Deux pour avancer ou reculer, les inférieurs. Deux pour tuer, les supérieurs. Principale ressource de l'homme, la mort. Il en vit, il en meurt aussi." Les dessins surréalistes de Topor qui montrent une humanité fracassée, mutilée par la violence sont à la fois beaux et dérangeants. La séquence où Marianne, debout sur des cadavres embroche un innocent au bout de son épée s'inspire sans doute de la Une du journal satirique anticolonialiste du début du vingtième siècle "L'Assiette au beurre" montrant un soldat français tenant une épée avec deux enfants africains empalés dessus et son supérieur lui disant "Deux d'un coup! C'est superbe, tu auras la croix".

L'hypocrisie de la bonne société qui se nourrit de chair à canon est dénoncée. 40 avant la fameuse formule de Patrick Le Lay sur le temps de cerveau humain disponible pour manipuler ses comportements de consommateur dans une société capitaliste on est frappé par la similitude de cette phrase formulée dans un contexte de société belliciste: "Il reste toujours des vivants. Il en faut pour recommencer. Que faire pour ces cadavres du futur? Leur donner l'oubli donc des loisirs." Lesquels ("les temps morts") consistent à continuer le massacre sur d'autres victimes, les animaux par exemple ou bien la criminalité domestique. "L'homme pense, donc il vise bien!" (Quel détournement de la formule de Descartes "Je pense donc je suis"). Et le film de se terminer sur cette forme d'assassinat légal qu'est la peine de mort, sous toutes ses formes.

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Et les mistrals gagnants

Publié le par Rosalie210

Anne-Dauphine Julliand (2016)

Et les mistrals gagnants

Ce film m'a fait penser à la série documentaire de 2006 "L'hôpital des enfants" dans laquelle Gilles de Maistre s'immergeait dans le quotidien du personnel soignant et des patients de l'hôpital Robert Debré. La série de Gilles De Maistre alternait les séquences dans les services de soins aux enfants malades et celles dans la maternité. Qui pouvaient également être éprouvantes (accouchements difficiles, bébés prématurés ou morts-nés...) Le film en partie à cause de la différence de format est resserré sur cinq enfants, tous atteints de maladies graves. On les suit à l'hôpital Robert Debré mais aussi chez eux. Cela permet de constater qu'ils viennent de milieux très différents mais qu'ils ont beaucoup en commun. Ce sont les héros d'un film qui se place juste à leur hauteur.

Et ils ont beaucoup à nous dire. Non seulement ils sont plus matures que les enfants de leur âge mais ils sont bien plus courageux que la plupart des adultes qui fuient devant la maladie et la mort. Plus courageux, plus altruistes, plus philosophes, bref de meilleures personnes. Il y a Imad qui souffre entre autre d'insuffisance rénale et a dû quitter l'Algérie pour se faire soigner en France. Tugdual qui souffre d'un cancer. Ambre qui souffre de problèmes cardiaques et pulmonaires et doit porter sur elle une pompe reliée à son cœur et cachée dans un sac à dos. Charles, atteint d'une maladie génétique de la peau qui la rend très fragile et doit porter d'importants pansements sur une grande partie du corps. Et enfin Camille qui a un cancer.

On suit chacun d'eux dans son parcours de soin mais aussi dans sa vie d'enfant. Celle-ci est perturbée par la maladie (aucun ne peut suivre une scolarité normale par exemple) mais chacun parvient à préserver l'essentiel, ce qui rend la vie digne d'être vécue. Ambre est passionnée de théâtre et adore porter des robes de princesse, Tugdual qui vit à la campagne fait du piano et se ressource en jardinant, Imad rêve d'être pompier, Charles s'est trouvé un copain plus fragile moralement que lui et qu'il soutient (la partie de dobble où il le laisse gagner témoigne de cette solidarité enfantine), enfin Camille passionné de foot a cette phrase prémonitoire "Quand je serai mort, je ne serai plus malade."

Dans un tel contexte la chanson de Renaud prend un relief particulier, surtout la fin "Il faut aimer la vie/Et l'aimer même si/Le temps est assassin et emporte avec lui le rire des enfants/Et les mistrals gagnants."

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Visages, villages

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda et JR (2017)

Visages, villages

C'est un drôle de road movie documentaire qui l'air de rien ausculte la mémoire et le temps. Et qui questionne le regard. Un regard pluriel, fait de rencontres successives avec des lieux (le plus souvent en sursis) et des gens (humbles, marginaux et souvent âgés donc eux-mêmes en sursis). On roule ainsi d'une rue de corons dont la démolition est suspendue à la mort de sa dernière résidente à un village côtier à demi-construit puis abandonné en passant par un empilement de conteneurs, un bunker échoué sur une plage etc. De ces rencontres sans lendemain et de ces installations vouées à disparaître, Agnès Varda et JR tirent des instants d'éternité et rendent visibles l'invisible. JR, le jeune photographe plasticien magnifie par des collages géants sur les murs les visages des ceux qui vivent et travaillent dans ces lieux. Agnès Varda filme comme elle l'a toujours fait la mort au travail pour paradoxalement lui voler ces moments en les fixant pour toujours sur pellicule. Le passage le plus emblématique est celui où elle filme le collage sur le bunker d'une photo géante de Guy Bourdin jeune qui semble dormir dans un berceau et aussitôt après le même bunker balayé par la marée et le collage totalement effacé.

La relation entre Agnès et JR, tendre et humoristique est le fil conducteur de l'histoire. Agnès Varda aime les tandem à la Laurel et Hardy (comme dans "Jeanne B. par Agnès V.") Leur duo assez insolite est intrigant et attachant. Et tourne lui aussi autour de la question du temps, de la mémoire et du regard. JR vit au présent, Agnès Varda vit dans le passé. Comme dans son précédent film "Les plages d'Agnès", elle retrouve au hasard de ses pérégrinations ses chers disparus: Nathalie Sarraute, Guy Bourdin, Henri Cartier-Bresson. Et aussi les fantômes de Jacques Demy et de Jean-Luc Godard dont l'opacité lui rappelle JR. En effet si le regard d'Agnès est de plus en plus flou à cause de la maladie dégénérative qui lui voile les yeux, celui de JR est caché par d'épaisses lunettes noires qu'il ne veut pas enlever devant sa caméra. Sauf à la fin lorsque pour consoler Agnès il lui donne cette part de lui-même. Son visage devient alors celui de son regard à elle: flou.   

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Les Invisibles

Publié le par Rosalie210

Sébastien Lifshitz (2012)

Les Invisibles

"Les Invisibles" est un documentaire intimement lié au besoin de combler un vide mémoriel. Le réalisateur, Sébastien Lifshitz confie dans les bonus du DVD que l'idée du film est partie d'une dizaine d'albums photos qu'il a trouvé dans une brocante qui appartenaient à un couple de femmes vivant dans les années 50. Des photos en décalage avec "l'histoire officielle" (moi je dirais plutôt les clichés) attachés à l'homosexualité qui aurait été en ce temps là forcément tragique. Poussé par le besoin de combler l'absence de transmission générationnelle liée à l'invisibilité sociale des homo seniors (sans parler du vide laissé par la génération fauchée par le sida), il décida de mener une enquête auprès d'hommes et de femmes âgés de 60 à 80 ans venant de tous les milieux sociaux et géographiques et capables de produire du sens c'est à dire ayant un recul sur leur vie, des archives et vivant dans un environnement signifiant.

Le résultat, passionnant démonte un certain nombre de clichés sur l'homosexualité mais aussi sur la vieillesse. Tout d'abord et à sa grande surprise, Sébastien Lifshitz a découvert que la plupart des témoins vivaient au sein de couples de longue durée, qu'ils étaient plutôt épanouis et que leur parole était franche voire crue sur la sexualité. Certains ont toujours su qu'ils étaient homosexuels, d'autres l'ont découvert sur le tard. Certains sont passés par la voie du militantisme pour s'affirmer, d'autres non. A cause de leur différence et de la forte répression familiale et sociale qu'ils ont vécu pour la plupart, ces hommes et ces femmes ont dû aller plus loin que les autres sur le chemin de leur vérité intime afin de vivre en harmonie avec leur nature. Ce qui frappe d'ailleurs dans ce documentaire, c'est justement l'omniprésence de la nature, qu'elle soit filmée ou évoquée. A contre-courant de l'idée reçue selon laquelle la ville serait le milieu "naturel" des homos, une partie d'entre eux ont vécu toute leur vie ou trouvé refuge à la campagne. Les propos de Pierrot sur les pratiques sexuelles des animaux vont dans le même sens. A savoir que l'homosexualité est naturelle, que sa place est dans la nature et que ce sont les constructions sociales qui sont à l'origine de son bannissement.

Au final, le film dépasse son sujet initial pour évoquer le travail qu'il est nécessaire d'effectuer pour être soi c'est à dire être libre, heureux, vivant tout simplement. Pierrot, le chevrier philosophe évoque d'ailleurs le fait que renoncer à sa sexualité c'est comme s'assoir sur une chaise pour regarder la TV au moment de la retraite, cela conduit tout droit au cimetière.

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Human Flow

Publié le par Rosalie210

Ai Weiwei (2017)

Human Flow

"Qui trop embrasse mal étreint": le film de Ai Weiwei en forme d'état des lieux mondial de la pire crise des réfugiés depuis la fin de la seconde guerre mondiale est éclaté, fourre-tout, décousu. Par conséquent, il a tendance en dépit de ses 2h20 à survoler ses sujets (au sens propre comme au figuré) voire à s'égarer dans le hors-sujet lorsqu'il traite par exemple de la question des murs et des frontières plutôt que celle des réfugiés. Certes les deux questions se recoupent mais par exemple les palestiniens des territoires occupés ne sont pas des réfugiés contrairement à ceux qui sont partis vivre dans les pays voisins. Or le documentaire s'attarde un moment sur la bande de Gaza dont la problématique n'est pas la même que celle des cohortes de migrants fuyant leur pays exangue ou au contraire à feu et à sang. Il en est de même lorsqu'il mélange les réfugiés politiques et les migrants économiques qui ne relèvent pas des mêmes flux d'immigration ni des mêmes procédures d'admission (dans le cas de la frontière américano-mexicaine par exemple).

Mais en dépit de ce manque de rigueur, il atteint quand même sa cible qui est d'alerter l'opinion publique des pays développés sur l'effroyable tragédie qui se joue à leurs portes. Comme l'explique Ai Weiwei, la procédure de demande d'asile qui fonctionnait bien en Europe lorsque les réfugiés étaient peu nombreux n'a pu faire face à leur afflux massif. La réaction de la plupart des pays qui a été de se barricader est une bombe à retardement qui nourrit les catastrophes de demain. Comme le rappelle le film, ceux qui choisissent de s'exiler ne le font pas de gaieté de cœur mais parce qu'ils n'ont pas le choix. La faim, la pauvreté, la guerre, les persécutions les contraignent à tout quitter pour tenter de sauver leur vie ou en trouver une meilleure ailleurs. Et pendant qu'ils croupissent dans des no man's land souvent dans des conditions indignes (les tentes détrempées alignées le long d'une gare à la frontière entre la Grèce et la Macédoine font frémir), leurs enfants grandissent privés de tout et notamment d'éducation. Un terreau idéal comme le rappelle le film pour toutes les formes d'exploitation y compris la radicalisation.  

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Les Pépites

Publié le par Rosalie210

Xavier de Lauzanne (2016)

Les Pépites

Ce documentaire est une véritable pépite, en effet. Non il ne s'agit pas d'un feelgood movie (expression que je déteste parce qu'elle impose un ressenti) ni d'un film larmoyant comme j'ai pu le lire ici et là. Et ce même si on voit des enfants exposer face caméra leurs blessures physiques et psychiques. Cette prise de parole fait partie du processus de résilience dont le film se fait le témoin.

Car sa grande force est de relier le passé au présent et l'individuel à l'histoire collective à l'aide d'archives photographiques et filmées. En cela je rejoins la critique des Inrocks pour qui le film dépasse l'enregistrement d'une histoire édifiante pour devenir un vrai film de cinéma. Les pépites ce sont aussi bien les bienfaiteurs que leurs protégés. Ils sont reliés par une même histoire de destruction et de reconstruction. Christian De Pallières a vu le château familial partir en fumée à la fin de la seconde guerre mondiale alors qu'il était enfant. Déraciné, il a pris la route avec sa famille jusqu'au moment de sa retraite en 1996 où il s'est fixé au Cambodge. A cette époque, le pays subissait encore les effets dévastateurs de la dictature Khmer Rouge qui entre 1975 et 1979 avait décimé le pays et pulvérisé ses structures sociales et familiales. Au point que le traumatisme a été transmis à la génération suivante sous forme de carences et de maltraitances de toutes sortes. La décharge de Phnom Penh où le couple de retraités découvre des milliers d'enfants tentant de survivre dans la crasse et la puanteur est le fruit de cette histoire monstrueuse.

L'intelligence des De Pallières est d'avoir évité l'écueil du paternalisme à relents néo-colonialistes et ce en dépit du fait qu'ils sont devenus les Papy et Mamy de tous ces enfants (ils en ont d'ailleurs adopté). Ils ont joué le rôle de tuteur de résilience en se mettant à l'écoute de leurs besoins: un repas, une douche, un uniforme, une instruction et un refuge pour les plus maltraités d'entre eux. Mais surtout ils ont donné beaucoup d'amour. On est frappé par le contraste entre les enfants en grande souffrance et les adultes autonomes et construits qu'ils sont devenus. D'autant plus que les De Pallières ont été jusqu'au bout de leur mission de passeur en développant la formation professionnelle au sein du centre qu'ils ont construit et qu'ils ont légué à certains de leurs anciens protégés pour qu'ils poursuivent leur travail auprès des plus déshérités.

Symboliquement, plusieurs scènes montrent les anciens enfants chiffonniers devenus gérants du centre et les De Pallières se promenant sur le site de la décharge désormais fermé. Un lieu en voie de cicatrisation avec par dessus sa pollution une pellicule de verdure rappelant que la nature reprend toujours ses droits, même quand elle a été profondément abîmée. Un dessin d'enfant clôture le film de la même façon. Il montre deux moitiés d'une jeune fille, celle d'avant et celle d'après.

Ce documentaire est une véritable pépite, en effet. Non il ne s'agit pas d'un feelgood movie (expression que je déteste parce qu'elle impose un ressenti) ni d'un film larmoyant comme j'ai pu le lire ici et là. Et ce même si on voit des enfants exposer face caméra leurs blessures physiques et psychiques. Cette prise de parole fait partie du processus de résilience dont le film se fait le témoin.

Car sa grande force est de relier le passé au présent et l'individuel à l'histoire collective à l'aide d'archives photographiques et filmées. En cela je rejoins la critique des Inrocks pour qui le film dépasse l'enregistrement d'une histoire édifiante pour devenir un vrai film de cinéma. Les pépites ce sont aussi bien les bienfaiteurs que leurs protégés. Ils sont reliés par une même histoire de destruction et de reconstruction. Christian De Pallières a vu le château familial partir en fumée à la fin de la seconde guerre mondiale alors qu'il était enfant. Déraciné, il a pris la route avec sa famille jusqu'au moment de sa retraite en 1996 où il s'est fixé au Cambodge. A cette époque, le pays subissait encore les effets dévastateurs de la dictature Khmer Rouge qui entre 1975 et 1979 avait décimé le pays et pulvérisé ses structures sociales et familiales. Au point que le traumatisme a été transmis à la génération suivante sous forme de carences et de maltraitances de toutes sortes. La décharge de Phnom Penh où le couple de retraités découvre des milliers d'enfants tentant de survivre dans la crasse et la puanteur est le fruit de cette histoire monstrueuse.

L'intelligence des De Pallières est d'avoir évité l'écueil du paternalisme à relents néo-colonialistes et ce en dépit du fait qu'ils sont devenus les Papy et Mamy de tous ces enfants (ils en ont d'ailleurs adopté). Ils ont joué le rôle de tuteur de résilience en se mettant à l'écoute de leurs besoins: un repas, une douche, un uniforme, une instruction et un refuge pour les plus maltraités d'entre eux. Mais surtout ils ont donné beaucoup d'amour. On est frappé par le contraste entre les enfants en grande souffrance et les adultes autonomes et construits qu'ils sont devenus. D'autant plus que les De Pallières ont été jusqu'au bout de leur mission de passeur en développant la formation professionnelle au sein du centre qu'ils ont construit et qu'ils ont légué à certains de leurs anciens protégés pour qu'ils poursuivent leur travail auprès des plus déshérités.

Symboliquement, plusieurs scènes montrent les anciens enfants chiffonniers devenus gérants du centre et les De Pallières se promenant sur le site de la décharge désormais fermé. Un lieu en voie de cicatrisation avec par dessus sa pollution une pellicule de verdure rappelant que la nature reprend toujours ses droits, même quand elle a été profondément abîmée. Un dessin d'enfant clôture le film de la même façon. Il montre deux moitiés d'une jeune fille, celle d'avant et celle d'après.

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Tous au Larzac

Publié le par Rosalie210

Christian Rouaud (2011)

Tous au Larzac

Avant Notre Dame des Landes il y a eu le Larzac. Deux luttes décalées dans le temps mais qui ont la même origine. La France des 30 glorieuses est aussi celle de l'aménagement du territoire. Au nom d'une supposée modernité, les grands projets mégalo fleurissent, imposés de façon autoritaire par un Etat ultra-centralisé. La mode est au béton, aux bagnoles et au nucléaire, support de la politique de grandeur voulue par le général de Gaulle. Son dauphin, George Pompidou lui succède en 1969 et continue dans la même voie. C'est dans ce contexte que le secrétaire d'Etat du ministre de la Défense annonce en 1971 l'extension du camp militaire du Larzac de 3000 à 17 000 hectares:

« Qu'on le veuille ou non, la richesse agricole potentielle du Larzac est quand même extrêmement faible. Donc je pense qu'il était logique de considérer que l'extension du Larzac ne présentait que le minimum d'inconvénients. Alors la contrepartie c'est le fait qu'il y a quand même quelques paysans, pas beaucoup, qui élevaient vaguement quelques moutons, en vivant plus ou moins moyenâgeusement, et qu'il est nécessaire d'exproprier. »

Ce discours que l'on entend dans le documentaire de Christian Rouaud révèle l'unilatéralisme d'une décision prise d'en haut et le mépris dans lequel l'Etat tient les paysans. Des manières qui ne sont pas sans rappeler celles de la colonisation algérienne où les indigènes avaient été chassés sans ménagement de leurs terres par l'Etat pour qu'elles soient réattribuées aux colons. Et de fait, le documentaire s'ouvre sur le témoignage d'un paysan qui se décrit lui-même comme un "indigène." Un paysan qui se décrivait avant la lutte selon les clichés qui collent au monde de la terre: peu éduqué, conservateur, catholique, individualiste. Mais qui face à l'adversité va faire à retardement sa "révolution soixante-huitarde" suivant en cela les traces de ceux qui avaient participé à la Résistance pendant la seconde guerre mondiale.

En effet face à la toute-puissance de l'Etat et à son bras armé qui les harcèle, les paysans concernés par l'expropriation vont entrer en résistance. Qu'ils soient de souche (les "pur porc") ou fraîchement installés , ils vont s'unir en signant le "pacte des 103" fermiers qui s'engagent à ne jamais céder leur terre à l'armée quel qu'en soit le prix. Mieux encore, ils vont être rejoints par une ribambelle de soutiens à priori aux antipodes d'eux et avec lesquels ils vont apprendre à cohabiter: maoïstes, hippies, écologistes, objecteurs de conscience. En s'ouvrant au monde, le Larzac devient ainsi à la fois le Woodstock français (l'affiche du film fait penser à un détournement de celle de "Full Metal Jacket" avec son mouton peace and love affublé d'un casque rempli de slogans) et le laboratoire de l'altermondialisme. José Bové est d'ailleurs un des leaders du mouvement avant d'aller démonter le McDo de Millau ou faucher le maïs OGM. Les zadistes de tous poils sont les héritiers des Larzaciens et sont d'ailleurs soutenus par une partie d'entre eux.

On est fasciné par la vitalité des témoignages de ces David qui durant 11 ans luttèrent contre Goliath avec détermination et inventivité. Ayant choisi la désobéissance civile non-violente à la manière de Gandhi, opposant la légitimité de leur combat à la légalité de l'Etat, ils multiplièrent les manifestations à Rodez et à Paris, le lâcher de brebis en pleine ville, les occupations illégales de fermes, la construction (illégale également) d'une bergerie, la publication d'un journal, l'achat de terres, l'infiltration dans le camp militaire pour détruire des documents relatifs à l'expropriation etc. Face à eux, l'armée sur la défensive semblait en état de siège alors que l'Etat tentait par tous les moyens de passer en force, de diviser le mouvement et de le pénaliser. En vain. 


 

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