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Articles avec #documentaire tag

La Sixième Face du Pentagone

Publié le par Rosalie210

Chris Marker et François Reichenbach (1968)

La Sixième Face du Pentagone

"Si les cinq faces du Pentagone te paraissent imprenables, attaque par la sixième" (proverbe zen). C'est par cet adage que s'ouvre le film documentaire de Chris MARKER consacré à la marche antimilitariste de Washington du 21 octobre 1967 contre la guerre du Vietnam, adage qui lui donne aussi son titre. Quelle est donc cette mystérieuse et invisible sixième face du Pentagone qui serait aussi son point faible?

Plusieurs réponses possibles:

- La désobéissance civile non-violente qui caractérise les agissements des manifestants: marche pacifique sur le Pentagone, sit-in, destruction par le feu de livrets militaires (ce qui pouvait valoir à leurs propriétaires cinq ans de prison). A plusieurs reprises, Chris MARKER montre le désarroi des soldats chargés de protéger le Pentagone face à cette marée humaine désarmée qu'ils ne savent pas gérer autrement que par la répression violente. On entend d'ailleurs un manifestant dire à un soldat "et tu as peur, mon gros". Chris MARKER insiste également sur la diversité des manifestants majoritairement composés d'étudiants dont les idées vont de "Gandhi à Fidel Castro" mais qui comprend aussi des apolitiques et des néo-nazis pro-guerre venus faire leur propagande ("Gazez les viets", "Tuez tous les cocos" etc.)

- Le quatrième pouvoir, celui des journalistes américains comme étrangers laissés en roue libre. On ne le mesure pas toujours mais la guerre du Vietnam a été médiatisée sans le filtre du contrôle étatique sur les images qui étaient produites et retransmises à la télévision (qui était alors le principal media d'information des américains). Par conséquent les médias ont enregistré et retransmis tout ce qu'ils voyaient, tout ce à quoi ils assistaient, sans être mis à l'écart ou repoussés hors du champ des événements, sans que leur matériel soit confisqué et sans que la censure ne s'abatte sur leur travail. Ils ont pu ainsi rendre compte de la la montée des contestations aux USA parallèlement à l'enlisement du conflit et à l'incapacité du gouvernement à trouver une issue. Ils ont également fait connaître à l'opinion publique la réalité du terrain au Vietnam, exactions américaines comprises. La comparaison avec la première guerre du Golfe où les seules images qui ont filtré dans les médias étaient les "frappes chirurgicales" au service de la propagande de la "guerre propre" avec "zéro morts" montre que depuis, l'Etat a verrouillé la communication en temps de guerre.

-Enfin Chris MARKER ne se contente pas d'enregistrer ce qu'il voit de la manière la plus réaliste et la plus prenante possible pour en conserver la mémoire. En tant qu'antimilitariste convaincu, il prend parti pour les contestataires et fait de son film un manifeste de résistance à l'oppression illustré par les saisissantes photographies de Marc Riboud montrant une jeune fille donnant une fleur à la rangée de soldats qui pointent leurs fusils sur elle et plusieurs slogans tels que "Si vous donnez tous les pouvoirs aux militaires pour vous défendre, qui vous défendra des militaires?"

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Taxi Téhéran (Taxi)

Publié le par Rosalie210

Jafar Panahi (2015)

Taxi Téhéran (Taxi)

"Taxi Téhéran" est un formidable témoignage du paradoxe dans lequel est plongé le cinéma iranien. D'un côté il existe dans ce pays une tradition d'éducation à l'image particulièrement poussée qui a fait éclore de grands cinéastes régulièrement primés dans les festivals. De l'autre, l'oppression du régime islamique sur le cinéma est très forte, imposant à l'ensemble du processus de création un code moral extrêmement contraignant et faisant peser sur les cinéastes comme sur le reste de la société une lourde chape de répression.

L'oppression subie par la société iranienne est plus que palpable dans "Taxi Téhéran". Il s'agit en effet d'un film réalisé clandestinement par un cinéaste, Jafar PANAHI qui depuis 2010 n'a plus le droit de réaliser des films, de donner des interviews et de quitter son pays. Face à ce verdict intolérable, Jafar PANAHI a choisi de résister pour ne pas se laisser détruire. Dans "Taxi Téhéran", il s'improvise chauffeur de taxi collectif afin de tromper les autorités mais aussi parce que l'habitacle du véhicule, intermédiaire entre public et privé est un espace de contact et de discussion idéal où la liberté est préservée. L'oppression du régime est évoquée également à la fin du film quand l'avocate Nasrin Sotoudeh spécialiste des droits de l'homme elle aussi interdite d'exercice de son métier monte à bord du véhicule pour donner des nouvelles de l'héroïne d'un ancien film de Jafar PANAHI, "Hors jeu" (2006) qui s'intéressait aux femmes qui bravent l'interdiction de se rendre dans un stade.

Car même s'il se nourrit d'une importante matière documentaire, "Taxi Téhéran" n'en est pas un. Plus exactement, il joue beaucoup sur la frontière ténue entre fiction et réalité. Ainsi on apprend assez vite que les clients du taxi sont en fait des acteurs non professionnels (dont l'anonymat a été préservé pour des raisons de sécurité). L'un d'entre eux démasque en effet le cinéaste et dévoile aussi le dispositif fictionnel du film. Cette volonté de transparence vis à vis du spectateur appuie le discours du film qui oppose les visées moralisatrices du régime à la responsabilité individuelle de juger du bien et du mal à travers le processus de création filmique. L'Etat définit des normes moralisatrices pour l'ensemble de la société qui s'appliquent également aux films "diffusables". Jafar PANAHI effectue une remarquable mise en abyme. Sa nièce munie de sa propre petite caméra doit réaliser un film selon ces normes. Elle se retrouve face à un petit voleur qu'elle essaye de moraliser pour fabriquer un héros positif recevable par les autorités islamiques. Bien entendu il refuse de rendre ce qu'il a pris et évoque pour sa défense les injustices sociales qui brouillent les frontières entre le bien et le mal. Il ne peut le faire que parce qu'il est filmé par Jafar PANAHI qui montre une réalité sociale là où sa nièce doit fabriquer de toutes pièces la fiction que veulent les autorités.

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Makala

Publié le par Rosalie210

Emmanuel Gras (2017)

Makala

"Makala" est le troisième long-métrage de Emmanuel GRAS, un jeune réalisateur français formé en tant qu'opérateur à l'institut Louis Lumière et plutôt engagé à l'extrême-gauche (d'où les thématiques très sociales de ses films). C'est en tant que chef opérateur qu'il s'est rendu en RDC (République démocratique du Congo) pour y tourner deux documentaires pour le cinéaste flamand Bram Van Paesschen en 2008 et 2010. Il découvre à cette occasion la région du Katanga où se situe "Makala" et le travail de forçat des charbonniers, arrimés à leurs vélos surchargés de sacs de charbon de bois qu'ils vont vendre en ville après l'avoir fabriqué artisanalement. L'idée de "Makala" (qui signifie en swahili "charbon de bois") était née. Restait à l'incarner. C'est en faisant des repérages pour le film que Emmanuel GRAS rencontra son personnage principal Kabwita Kasongo. Un contrat tacite fut scellé entre eux: en échange de sa participation au film, Kabwita recevrait une aide financière du réalisateur pour construire sa maison.

Le résultat est un film documentaire puissant, d'une grande beauté esthétique et dont les parti-pris radicaux interrogent. Ainsi Emmanuel GRAS choisit de s'effacer pour faire corps avec son personnage et ne jamais le lâcher. En résulte une immersion réussie dans son quotidien laborieux qui fait penser à la manière de filmer de Luc DARDENNE et de Jean-Pierre DARDENNE (et également à celle des films expérimentaux de GUS VAN SANT). Le spectateur éprouve les sensations de ce jeune homme qui déploie des efforts physiques surhumains pour arracher à la nature et à la société les moyens de sa subsistance. Le tout sur un rythme lent, contemplatif très éloigné de notre société de la vitesse et lié en partie à l'absence de moyens technologiques pour accélérer les processus de fabrication et de transport. Mais le cadre resserré isole Kabwita de son environnement ce qui nous coupe du contexte africain où l'homme est inséparable de sa communauté. On objectera qu'il s'agit d'un regard d'occidental (individualiste donc) sur l'Afrique et que Emmanuel GRAS a déclaré qu'il avait voulu faire une oeuvre de cinéaste plus que de documentariste. On peut également objecter que le contexte politique et social dans lequel vit Kabwita se devine à travers son parcours solitaire. Les conditions de vie misérables qui contraignent à de lourdes tâches physiques usant prématurément le corps, la démographie galopante et la déforestation, la corruption qui gangrène le pays, l'absence d'Etat pour assurer l'ordre et goudronner les routes défoncées, le pillage des ressources du pays par les grandes puissances tout cela est évoqué à un moment ou à un autre que ce soit par la vision fugitive d'une mine à ciel ouvert (sans doute exploitée par des chinois) ou du racket dont est victime Kabwita lorsqu'il veut entrer dans la ville. Mais la vision selon moi la plus puissante du film est celle de ces énormes camions fonçant sur la route et menaçant à chaque instant l'entreprise (voire la vie) de la fragile embarcation du héros. Plus qu'à Sisyphe auquel on l'a beaucoup comparé, il m'a fait penser à David contre Goliath ou au pot de terre contre le pot de fer. Et le message final que fait passer le réalisateur à savoir la non prise en compte du prix de la sueur renvoie aussi à la sous-estimation du travail manuel chez nous.

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A propos de Nice

Publié le par Rosalie210

Jean Vigo (1930)

A propos de Nice

"A propos de Nice" est le premier film tourné par Jean Vigo peu après sa rencontre avec le chef opérateur Boris Kaufman, frère du cinéaste russe Dziga Vertov, le théoricien de la caméra-œil. Il s'agit par conséquent moins d'un documentaire sur la ville de Nice qu'un "point de vue documenté" iconoclaste. La personnalité cinématographique de Vigo nous explose à la figure dès ce premier film au caractère expérimental affirmé (ralentis, plans tarabiscotés, jump-cuts etc.) Un bouillonnement créatif au service de ses thèmes de prédilection. D'une part la chair, qu'elle soit dénudée (Vigo est un cinéaste de la peau) ou en mouvement (les ralentis en contre-plongée sur les jeunes filles qui dansent juchées sur les chars du carnaval sont particulièrement fascinants). De l'autre les inégalités sociales criantes opposant les quartiers populaires du vieux Nice et la promenade des anglais bourgeoise filmées avec beaucoup de crudité. Le film est muet mais il est accompagné par l'accordéoniste Marc Perrone.

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La natation selon Jean Taris

Publié le par Rosalie210

Jean Vigo (1931)

La natation selon Jean Taris

Jean Vigo transfigurait tout ce qu'il touchait, rendant sensuel et poétique les films de commande qui en étaient a priori les plus éloignés. "Taris, roi de l'eau" (également connu sous le titre "La natation selon Jean Taris") est son second film. Il devait à l'origine être le premier volet d'une série sur le sport qui devait être diffusée en première partie de séance mais il resta finalement à l'état de prototype sans suite, le commanditaire (Gaumont) ayant entre temps changé de politique au profit des actualités. Vigo ne put réaliser son second projet autour du tennisman Henri Cocher alors classé premier joueur mondial.

Le principal intérêt de ce court-métrage documentaire mettant en scène le champion de natation français Jean Taris réside donc dans cette transfiguration d'un entraînement en piscine accompagné d'explications pédagogiques sur les techniques de nage en ode au corps. Un corps d'athlète que Vigo filme dans toute sa force, sa souplesse et sa sensualité, se déployant comme un félin et évoluant sur et sous l'eau comme un poisson. Vigo déploie tout son savoir-faire en innovant sur le plan formel et technique: gros plans sous l'eau (grâce aux hublots dont la piscine de la rue de l'Elysée était équipée), ralentis, marche arrière, surimpressions, travail sur les sons et les bruitages, science du montage. Le résultat est hypnotique.

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Notre ami le rat (Your Friend the Rat)

Publié le par Rosalie210

Jim Capobianco (2007)

Notre ami le rat (Your Friend the Rat)

"Il est interdit d'interdire", tel pourrait être la devise de Pixar avec ce court-métrage où l'équipe s'autorise à casser les codes et à mélanger les genres pour un résultat enlevé, déjanté, inventif, instructif et extrêmement divertissant.

"Notre ami le rat" est conçu comme un hommage aux films pédagogiques Disney des années cinquante-soixante et plus particulièrement à un de ses principaux réalisateurs et animateurs, Ward Kimball. "Notre ami le rat" s'inspire notamment très fortement de "C'est pas drôle d'être un oiseau" couronné par l'oscar du meilleur court-métrage d'animation en 1970. Le petit oiseau rouge est remplacé dans le rôle du professeur-présentateur par Rémy et Emile qui informent le spectateur de l'utilité du rat pour l'homme. Ils déroulent notamment l'historique des interactions entre les deux espèces où l'importance des échanges internationaux a joué un rôle capital. Le rat s'avérant de plus être une espèce quasi indestructible, vouloir les supprimer revient à s'autodétruire (ce dont on commence à s'apercevoir avec d'autres espèces comme les abeilles). Si bien qu'en dépit de sa source d'inspiration issue de la période des 30 glorieuses, le film évoque au final une question d'écologie contemporaine, celle de l'interdépendance des espèces au sein de l'écosystème que l'action de l'homme menace de détruire, en partie par ignorance.

Ce va et vient entre passé et présent se retrouve dans la forme. Le film mêle avec bonheur les trois principales techniques d'animation (2D, 3D et stop motion), parfois dans la même image. S'y ajoutent même des images live en noir et blanc dans le style des films muets des années 20 et même des images de jeu vidéo des années 80.

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Les statues meurent aussi

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais, Chris Marker, Ghislain Cloquet (1953)

Les statues meurent aussi

Respect, admiration totale pour ce documentaire sur ce que l'on nommait encore dans les années cinquante l'art nègre, un terme revendiqué avec fierté et non sans provocation par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor pour désigner l'identité africaine dans les années 30. Commandé par la revue "Présence africaine", il est réalisé par deux immenses cinéastes, Alain Resnais et Chris Marker, assistés du chef-opérateur Ghislain Cloquet.

La culture noire-africaine malmenée, menacée par la colonisation est au cœur de ce court-métrage qui allie la beauté esthétique au discours politique engagé. Les œuvres sont filmées de manière exceptionnelle, mises en valeur par l'éclairage et la science du montage dont Resnais et Marker ont le secret. Elles acquièrent ainsi une dignité que l'occident leur refusait à l'époque (le point de départ du documentaire n'est-il pas une interrogation sur le fait que l'art grec et égyptien se trouvaient au Louvre alors que l'art nègre devait se contenter du musée de l'Homme, comme un écho ségrégationniste à l'art "dégénéré" vilipendé par les nazis?) Quant au texte de Marker, lu par Jean Négroni, il s'interroge sur le mystère de ces œuvres, sur la culture qui les a produite "au temps de Saint Louis" et dont nous ne savons rien puisqu'elle était de tradition orale. Et il dénonce les ravages de la colonisation qui a mis sous vitrine (c'est à dire empaillé) les vestiges qui lui sont tombés entre les mains tout en éradiquant la source de nouvelles productions en imposant sa propre culture. Les monuments aux morts et la statuaire chrétienne ont balayé l'art africain sur le sol même de l'Afrique quand ce n'était pas l'islam qui le détruisait au nom de l'interdiction des images.

Produit peu de temps avant la décolonisation de l'Afrique, le documentaire de Resnais et Marker est censuré pendant 11 ans car la France n'admet pas les critiques sur son modèle colonialiste assimilationniste (même si cet assimilationnisme reste largement une chimère) et tente d'empêcher ses colonies d'obtenir leur indépendance, soit par la ruse, soit par la force comme en Algérie. Elle ne lâchera prise que lorsque la décolonisation de son Empire africain sera achevée.

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Carnets de notes sur vêtements et villes (Aufzeichnungen zu Kleidern und Städten)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1989)

Carnets de notes sur vêtements et villes (Aufzeichnungen zu Kleidern und Städten)

Wenders s'interroge une fois de plus sur son identité en tant que cinéaste. Il est inquiet de l'évolution de son métier qui à l'aube des bouleversements numériques (nous sommes en 1989) semble menacer de dissoudre le cinéma d'auteur dans les métiers d'images manufacturées de consommation de masse (publicité, jeux vidéos, clips). Mais plutôt que de se plaindre ou de se regarder le nombril, il préfère interroger le créateur de mode japonais Yohji Yamamoto en plein travail et lors de défilés entre Paris et Tokyo avec lequel il se découvre de profondes affinités.

Elles sont d'abord biographiques évidemment, les deux hommes sont de la même génération, nés dans l'après-guerre dans deux pays agresseurs, tortionnaires, vaincus et en ruines. La mère de Yamamoto était d'ailleurs veuve de guerre (dans le film, Yamamoto explique que son père a été envoyé à la guerre contre sa volonté). Cette histoire a profondément influencé leur art respectif ce que soit dans la quête des origines pour Wenders ou le brouillage de la frontière entre les sexes pour Yamamoto.

Yamamoto recherche la vérité dans la représentation. Bien qu'artiste d'avant-garde, il puise son inspiration dans des photographies anciennes représentant des artisans ou des ouvriers (l'un de ses livres de chevet est "Hommes du XXeme siècle", un recueil de portraits du photographe allemand August Sander) parce qu'il veut justement échapper aux effets de mode ce qui fait de lui selon Wenders un paradoxe vivant. Yamamoto est fasciné par les gens qui ne font qu'un avec leurs vêtements, les gens qui ne portent pas des vêtements par désir de les consommer mais par besoin, pour se protéger du chaud ou du froid. Toute la filmographie de Wenders étant travaillée par la question de l'incarnation, il n'est guère étonnant qu'il soit fasciné lui aussi par les clichés d'August Sander d'autant qu'il est à l'origine photographe.

La recherche de la vérité est indissociable de la quête identitaire. Comme Yamamoto, Wenders est hybride, écartelé entre plusieurs villes, plusieurs langues, plusieurs cultures, plusieurs espaces et plusieurs temps. Il l'exprime dans le film en insérant des images vidéo dans les images tournées en 35 mm. L'écran est fragmenté en deux, trois, parfois quatre parties avec un écran cinéma, un écran vidéo, une fenêtre (l'extérieur), un miroir (l'intérieur). Yamamoto ne travaille qu'en noir et blanc et défend l'asymétrie comme symbole de l'imperfection humaine. Mais l'alliance du noir et du blanc ressemble au ying et au yang, facteur d'harmonie.

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Sans soleil

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1983)

Sans soleil

Ne pas se fier à l'apparence décousue d'un documentaire qui saute sans arrêt du coq à l'âne et d'un lieu à l'autre. Tout est affaire de résonance, de correspondance et de leitmotiv. Le champ (chant) lexical musical est omniprésent, en témoigne cet aparté sur Tokyo " cette ville se déchiffre comme une partition. Ses grandes masses orchestrales renvoient à l'image vulgaire de Tokyo, mégapole surpeuplée, mégalomane, inhumaine. Lui croyait percevoir des cycles plus ténus, des rythmes, des clusters de visages attrapés au passage comme des grappes." Marker arrive à combiner cette poésie mystérieuse avec celle des îles du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau ainsi qu'avec des images venues d'Islande et un pèlerinage à San Francisco sur les lieux du tournage de "Vertigo" le film d'Hitchcock qui est au cœur de son film le plus célèbre "La Jetée". Quels points communs relient ces lieux du bout du monde?

C'est bien entendu Marker lui-même, photographe, cinéaste et grand voyageur. Trois passions mêlées dans un carnet de voyages poétique où une narratrice (Florence Delay) lit les lettres d'un caméraman free-lance fictif Sandor Krasna. Par delà l'hétérogénéité du matériau, ce sont les mêmes obsessions qui reviennent en boucle:

-La relation entre l'histoire et la mémoire et le rôle des images dans la fabrication de cette dernière. Une mémoire en images (celle qu'ont le pouvoir de fabriquer le photographe et le cinéaste) qui donne à l'humain l'illusion de l'immortalité mais qui est foncièrement fragile car soumise aux aléas des catastrophes naturelles ou humaines.

-La relation entre l'espace et le temps. Le film s'ouvre sur une citation de Racine "L'éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps." auquel fait écho cette réflexion "Au XIX°, on avait réglé son compte à l'espace, le problème du XX° était la cohabitation des temps".

-La relation entre la vie et la mort, l'être et le non-être, le dit et le non-dit, la lumière et l'ombre (un des sens du titre) en opposition avec la vanité occidentale qui a privilégié les premiers sur les seconds. Ces relations sont au cœur des "deux pôles extrêmes de la survie" que sont la Guinée-Bissau et les îles du Cap Vert d'un côté menacés par la famine, le Japon de l'autre. Le Japon est en effet le seul pays riche à ne pas avoir oublié (à cause de l'épée de Damoclès qui pèse sur l'existence de l'archipel) ce qu'est l'état de survie et à chercher de ce fait à vivre, relier, transmettre par delà ce qui est visible, par delà ce qui est impermanent. D'où l'omniprésence du chat et de la chouette, et plus généralement des animaux médiateurs entre visible et occulte. Et l'importance accordée aux films d'épouvante asiatiques témoignant d'une "longue intimité des peuples d'Asie avec la souffrance" (voir le catalogue de la très belle -et éprouvante- exposition "Enfers et fantômes d'Asie" visible en ce moment au musée du Quai Branly à Paris).

A noter que dans la version japonaise, c'est Riyoko Ikeda, l'auteure du manga "La Rose de Versailles" (alias "Lady Oscar") qui est la narratrice du documentaire de Chris Marker.

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Tokyo-Ga

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1985)

Tokyo-Ga

Le voyage à Tokyo de Wim Wenders 30 ans après celui de Yasujiro Ozu est une quête des traces du Tokyo filmé par ce grand cinéaste japonais que Wenders admire pendant ses quarante années de carrière. Le désir d'aller découvrir une ville parce qu'un cinéaste vous l'a rendue proche est un sentiment que je connais bien. Par un bel effet de miroir, c'est le film de Wim Wenders "Les Ailes du désir" qui a créé une impression d'intimité avec Berlin et m'a donné envie de partir à sa découverte.

Néanmoins ce qui domine dans le documentaire de Wenders est le sentiment d'étrangeté, exactement comme dans le "Lost in Translation" de Sophia Coppola. Même s'il interroge longuement des collaborateurs d'Ozu (Chishu Ryu, son acteur phare et Yuharu Atsuta, son assistant caméra devenu caméraman principal) il peine à retrouver le regard d'Ozu (et notamment ses fameux plans à hauteur de tatami qui donnent à ses films leur caractère profondément humaniste) à travers son périple tokyoïte. La mégapole lui apparaît inhumaine, à la fois bruyante et pleine de solitude. En témoigne tous les passages un peu mécanistes du film autour du pachinko, du golf ou de la confection des mets en cire pour décorer les vitrines des restaurants. Néanmoins la méditation autour du kanji "mu" ("impermanence") qui orne la tombe de Ozu, la déambulation dans les cimetières où les japonais font l'hanami (pique-nique sous les cerisiers en fleur), la rencontre dans un bar de Shinjuku avec le photographe et cinéaste Chris Marker qui a réussi à créer un lien intime avec la culture japonaise ou encore l'entretien avec son compatriote Werner Herzog en déplacement à Tokyo en même temps que lui l'aident à surmonter sa déception et à apprivoiser la ville et sa poésie particulière.

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