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Articles avec #documentaire tag

Les Nouveaux chiens de garde

Publié le par Rosalie210

Gilles Balbastre et Yannick Kergoat (2012)

Les Nouveaux chiens de garde

A sa sortie, le documentaire, librement adapté du livre éponyme de Serge Halimi sorti en 1997 et réactualisé en 2005 a été critiqué pour ses prises de position tranchées, s'en prenant aussi bien à la droite qu'à la "gauche caviar". Mais en le revoyant, je suis frappée surtout par sa pertinence, sa clairvoyance. Car ce qu'il décrit va au-delà d'une critique de la collusion entre hommes politiques, capitaines d'industries et journalistes aux ordres. Il décrit une lutte des classes de moins en moins larvée entre une élite qui sous le masque d'une apparente diversification des médias contrôle en réalité tous les rouages de l'information par le jeu de la concentration d'entreprises et de l'uniformité sociale (le film met en évidence l'interchangeabilité de ces hommes et de ces femmes issus du même milieu social et passé par le moule des mêmes grandes écoles ou universités prestigieuses) et une masse dangereuse qu'elle cherche à manipuler pour la dépouiller de ses acquis sociaux. Avec pour enjeu la "réforme" de la société française, la rhétorique progressiste étant devenue dans leur bouche une novlangue dissimulant un projet en réalité réactionnaire. En effet ce que cette élite a en ligne de mire, c'est l'Etat-providence de l'après-guerre mis en place par une Résistance dans laquelle les communistes exerçaient une forte influence. C'est cet héritage (services publics, sécurité sociale, régimes spéciaux) qu'il s'agit de liquider à coup de "réformes" néo-libérales présentées comme les seuls remèdes raisonnables face au chômage et au déficit. Et face à la résistance des classes moyennes et populaires, on brandit les supposées "rigidités" de la société française avec pour cible les fonctionnaires, accusés de s'accrocher à leurs "privilèges" et les syndicats ouvriers et jeunes des "quartiers" présentés comme de nouveaux barbares ne sachant exprimer leur colère que par la violence.

Mais ce constat salutaire permettant de mettre sur le devant de la scène des voix quasi absentes des médias (et pour cause) n'est pas pour autant un pensum rébarbatif. Au contraire, les réalisateurs ont opté pour un ton résolument satirico-ludique avec des incrustations et des effets de montage, de mise en abîme et de bande sonore hilarants. C'est ainsi que l'on suit avec autant d'amusement que d'effarement le parcours de Michel Field, ex-rebelle rentré dans le rang, celui du vieux briscard Alain Duhamel mangeant à tous les râteliers, les renvois d'ascenseurs entre le triumvirat Lagardère-Elkabbach-Drucker ou Isabelle Giordano et l'entreprise pour laquelle elle offre des prestations rémunérées, la réaction moqueuse de Anne Sinclair et de Christine Ockrent, femmes de ministres niant la continuité de la main-mise du pouvoir sur les médias depuis la fin de l'ORTF ou bien au contraire assumant à l'image de Franz-Olivier Giesbert qu'il est bien normal que "le pouvoir (du capital) s'exerce (sur les médias)". On se régale également devant l'obséquiosité du "journalisme de compagnie" devant les puissants au travers de l'exemple de Laurent Joffrin et de Jacques Chirac ou des révélations concernant les "experts", ces économistes, chercheurs, universitaires présentés comme des spécialistes objectifs alors qu'ils sont des émissaires des milieux économiques chargé de répandre la doxa libérale (les experts d'un autre avis sont quant à eux écartés des médias ce que le documentaire montre également). Et tout ce beau monde de se retrouver une fois par mois au dîner du Siècle à l'hôtel Crillon, place de la Concorde pour accorder leurs violons (et défendre leurs intérêts de classe) dans l'omerta la plus complète. A l'aune de ce documentaire de 2011, on comprend mieux pourquoi le débat démocratique est singé par de faux "contradicteurs" (Ferry/Julliard par exemple) en réalité copains comme cochons, pourquoi un Fillon ou un Delevoye cherchent à comprendre qui "les ont balancé" plutôt que de faire amende honorable devant les français ou bien pourquoi un Yves Calvi a autant de haine vis à vis des gilets jaunes, les enjoignant à se calmer avec le même ton condescendant (qui sent son mépris de classe) qu'en son temps David Pujadas à l'égard de Xavier Mathieu, le porte-parole syndical de Continental. Un ton mordant qui tranche avec celui, velouté et précautionneux employé avec les patrons. L'image du chien remuant la queue devant le su-sucre du maître et montrant les dents devant l'intrus s'impose tout naturellement.

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Les Dites Cariatides

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1984)

Les Dites Cariatides

Après "Mur murs" (1981), Agnès VARDA continue à filmer des décorations de façades non plus à Los Angeles mais à Paris. Autre temps, autres mœurs. Le soleil de la Californie des seventies cède la place à l'hiver et aux vestiges du second Empire que les passants des années 1980 ne savent plus décrypter. Car si la réalisatrice rappelle que l'origine des Cariatides (et de leurs équivalents masculins, les Atlantes) se situe dans l'antiquité grecque, elle filme un morceau d'architecture de la décennie 1860-1870 durant laquelle ce style faisait florès et l'accompagne de toute une culture, celle de la musique d'Offenbach et de Rameau et des poèmes de Charles Baudelaire qui selon elle "peuvent accompagner ce rêve de femmes de pierre". Car Agnès VARDA transforme ce qui est au départ une œuvre de commande en réflexion personnelle sur les relations entre l'art et la vie ainsi que sur le statut de la femme. Alors que l'Atlante porte le monde sur ses épaules, la Cariatide est perçue comme une esclave portant un lourd fardeau et la femme réelle n'a rien à voir avec le fantasme véhiculé par l'idéal de beauté grec.

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Mur murs

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1980)

Mur murs

Beaumarchais avait dit à la fin du XVIII° siècle que le mur murant Paris rendait Paris murmurant. Agnès VARDA fait murmurer les murs d'une ville californienne qui ne s'offre pas d'elle-même. En effet, débarrassée des clichés véhiculés par l'industrie hollywoodienne, la cité des anges apparaît comme une ville aussi immense que morcelée. De loin, une ville de bâtiments bas étendue à l'infinie, faite pour être traversée en voiture et non pour être "habitée" mais de près, une ville au contraire de "gated communities" étrangères voire hostiles les unes aux autres avec pour symbole la rivière asséchée marquant l'entrée de "l'East L.A.", le quartier-ghetto latino non incorporé au reste de la ville. C'est là que Agnès VARDA a posé sa caméra ainsi que dans d'autres quartiers habités par des minorités noires, asiatiques ou caribéennes. Car c'est dans ces quartiers non intégrés à l'image que la ville offre d'elle-même au reste du monde qu'elle a découvert un trésor caché: les "murals", d'immenses fresques peintes à même les murs exprimant l'identité culturelle de ces groupes privés de visibilité officielle. La dimension esthétique rejoint ainsi la réflexion politique, Agnès VARDA ayant une fascination pour la marge et la contre-culture, que ce soit dans ses documentaires (des "Black Panthers" (1968) à "Les Glaneurs et la glaneuse" (2000)) ou ses fictions ("Sans toit ni loi" (1985)). Les "murals" par leur forme même constituent une antithèse de l'art officiel (le street art est par définition gratuit, public et éphémère car destiné à se dégrader et à disparaître très rapidement) et c'est aussi en cela qu'ils sont particulièrement vivants. Agnès VARDA fait interagir les oeuvres et leurs auteurs et/ou modèles ce qui permet de mettre à jour des idées, des sensibilités, des cultures qui racontent une autre histoire des Etats-Unis et mettent en évidence son caractère fondamentalement métissé et multiculturel. En même temps le film de Agnès VARDA est très ancré dans son époque (la fin des années 70) avec ses coupes afro, son ambiance disco et le succès fulgurant du "roller skate" (patins à roulettes) qui avait inspiré à Jacques DEMY une idée de comédie musicale sur le thème de "Cendrillon" hélas retoqué par les studios, échaudés par l'échec de "Model shop" (1968) qui une décennie plus tôt montrait déjà Los Angeles sous un jour réaliste, comme le fera 30 ans plus tard Mathieu DEMY dans le film-hommage à ses parents "Americano" (2011).

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Ulysse

Publié le par Rosalie210

Ulysse

En 1954, Agnès VARDA prend une photographie à St-Aubin-sur-Mer sur une plage de galets avec un homme nu vu de dos, un enfant, nu lui aussi assis près de lui et à l'opposé au premier plan, une chèvre morte. 30 ans plus tard, elle interroge l'histoire de cette photographie mais aussi les traces qu'elle a pu laisser dans les souvenirs de ceux qui y ont participé (y compris elle-même). Ce faisant, elle fait revivre un moment d'histoire collective à l'aide d'images d'archives en même temps que différentes trajectoires individuelles à travers les témoignages de l'homme vieillissant et de l'enfant devenu adulte. Car la photographie a le pouvoir de fixer l'instant et de lui faire traverser le temps. En même temps, elle interroge aussi la photographie dans son rapport à l'art pictural (elle a fait dessiner à l'enfant la photographie qu'elle avait prise et interroge ainsi les différences entre le cliché et l'interprétation picturale qu'il en a donné) et plus généralement à l'imaginaire. La photo est en effet composée comme un tableau suffisamment évocateur et énigmatique pour susciter différentes interprétations, notamment mythologiques. Si le film s'appelle Ulysse, c'est autant en référence au prénom de l'enfant sur la photo qu'à l'homme nu de dos qui regarde la mer. Il y a d'ailleurs de l'Œdipe dans cet Ulysse puisque le matin, le midi et le soir (l'enfance, l'âge adulte et le cadavre) se retrouvent sur la même image, une autre façon de souligner le rôle mémoriel de la photographie. Mais c'est aussi un cliché qui renvoie à toute l'œuvre cinématographique à venir de Agnès VARDA: on pense notamment à "Daguerréotypes" (1975) par le fait que le petit garçon appartient à une famille de réfugiés espagnols habitant à côté de la réalisatrice au temps où la rue Daguerre était populaire. On pense à "Jacquot de Nantes" (1991) par le lien établi entre l'enfance et la mort et ces plans dans lesquels un Jacques DEMY moribond bien réel est allongé sur la plage tandis que d'autres caressent le tableau qu'il a peint montrant un couple nu sur une autre plage (là encore un matin, un midi et un soir). On pense aussi bien sûr à "Les Plages d Agnès" (2007) puisque outre l'amour de la réalisatrice pour les bords de mer, il a ce retour en arrière sur les débuts de sa carrière quand elle s'apprêtait à basculer de photographe à cinéaste avec le tournage de "La Pointe courte" (1954).

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Black Panthers

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1968)

Black Panthers

Durant son premier séjour californien à la fin des années 60, Agnès VARDA a réalisé plusieurs films dont un documentaire consacré aux Black Panthers, tourné durant l'été 1968 à Oakland (commune proche de San Francisco) avec une simple caméra 16 mm prêtée par des activistes de l'université de Bekerley. Son objectif est à la fois politique et esthétique.

Politique car son film est engagé en faveur de ce mouvement radical noir, marxiste et révolutionnaire qu'elle filme au moment où l'un de ses fondateurs, Huey Newton est jugé pour le meurtre d'un policier blanc. Par son montage impeccable, Agnès VARDA alterne des extraits de l'entretien qu'elle a réussi à obtenir du leader en prison et des rallyes organisés chaque dimanche dans un parc d'Oakland pour le soutenir et informer la population noire du programme du mouvement. Par ce biais, Agnès VARDA dresse un portrait édifiant du racisme dont les afro-américains sont victimes aux USA et dont on mesure à quel point il a depuis peu changé que ce soit au niveau des brutalités policières ou du nombre de jeunes noirs en prison (plus nombreux qu'à l'université!) Le recul du temps permet donc de mesurer l'échec du mouvement qui s'il pouvait prendre l'apparence d'une milice paramilitaire fasciste et sécessionniste (ce que certains suprémacistes blancs craignaient par dessus tout) était surtout un réseau d'auto-défense organisé pour défendre les noirs victimes d'agressions policières dans le ghetto d'Oakland (d'où sa référence à la panthère noire qui n'attaque pas mais se défend férocement).

Sur le plan esthétique, "Black Panthers" par son caractère de ciné-reportage pris sur le vif au cœur de l'histoire en train de se faire n'est pas sans rappeler "La Sixième Face du Pentagone" (1968) réalisé la même année par un grand ami de Agnès VARDA, Chris MARKER. Et ce d'autant plus qu'il s'agit également d'une œuvre qui prend le parti des contestataires face au pouvoir établi dans une époque où les journalistes et les documentaristes pouvaient travailler sur le terrain sans crainte d'être censurés ou écartés des événements. De plus par le choix de ses images, la réalisatrice va au-delà de la simple retranscription d'une manifestation politique et montre l'affirmation de l'identité noire (le "Black is beautiful") avec la profusion de coiffures afro (dites "naturelles"), de tenues traditionnelles africaines colorées et de chants gospels qui n'entrent manifestement pas dans le cadre idéologique du mouvement d'extrême-gauche qui tente de les canaliser (ou plutôt de les récupérer).

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Oncle Yanko

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1967)

Oncle Yanko

Pendant ses deux séjours californiens (le premier à la fin des années 60 et le deuxième à la fin des années 70, à chaque fois liés à des projets de Jacques DEMY) Agnès VARDA a réalisé de son côté six films, passés inaperçus à leur sortie mais que l'on redécouvre aujourd'hui au sein de son oeuvre. "Oncle Yanko" fait partie de la première vague, celle de la contestation de la guerre du Vietnam, de la lutte pour les droits civiques, de la montée en puissance du mouvement hippie et des débuts du cinéma du nouvel Hollywood.

"Oncle Yanko" (Yankee?) est la déconstruction du mythe de l'oncle d'Amérique par Agnès VARDA. Il n'est ni tout à fait son oncle (elle est la fille de son cousin), ni tout à fait d'Amérique (c'est un réfugié grec qui a échappé au massacre de Smyrne perpétré par les turcs en 1922 et ne peut envisager de retourner dans une Grèce sous la botte de la dictature des colonels en 1967, date du tournage du film), et encore moins richissime (il vit à San Francisco dans une communauté hippie habitant dans un bidonville flottant sur l'eau). "Oncle Yanko" narre donc moins une histoire de retrouvailles familiales (celle-ci est d'ailleurs tournée en dérision par des procédés de mise à distance très brechtiens) que la rencontre de deux artistes qui partagent une même expérience du déracinement. Jean/Yanko comme le dit poétiquement Agnès VARDA est sa "racine flottante". Lui vit sur l'eau dans sa cabane improbable faite de bric et de broc et navigue dans une barque à voile latine, elle se définit par la succession de plages près desquelles elle a successivement vécu, sans point d'ancrage autres que ceux qu'elle s'est créé elle-même. Il peint façon patchwork des Jérusalem célestes d'inspiration byzantine, elle fait de lui un portrait-reportage en forme de collage coloré et bigarré. Leurs univers se rejoignent en effet aussi par une certaine philosophie dans laquelle la vie et la mort se rejoignent au point d'inverser les rôles.

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L'Ile au trésor

Publié le par Rosalie210

Guillaume Brac (2018)

L'Ile au trésor


"L'île au trésor" est un film documentaire de Guillaume BRAC qui est fondé sur le même principe que celui de l'UE, "L'unité dans la diversité". L'unité, c'est celle d'un lieu, l'île des loisirs de Cergy Pontoise et d'un temps, la période estivale, parenthèse "enchantée" où les vacanciers se libèrent (relativement) des contraintes sociales qui pèsent le reste du temps sur eux. C'est d'ailleurs ce qui a fait dire à Guillaume BRAC qu'il avait filmé "la banlieue sans la banlieue". L'île fonctionne d'ailleurs comme un refuge bien au delà de ceux qui cherchent à s'évader de leur bitume quotidien. Elle accueille aussi soit en tant qu'usager, soit en tant qu'employé de vrais réfugiés dont la vie était menacée dans leur pays d'origine. Elle fonctionne aussi comme une "usine à fantasmes" où chacun projette son imaginaire, un imaginaire que réussit remarquablement à capter Guillaume BRAC avec un art du montage remarquable qui renforce la cohésion du film. La question qui l'innerve est la suivante: quelle marge de manœuvre reste-t-il pour la liberté humaine dans un monde hyper contrôlé et hyper aménagé? Guillaume BRAC oppose tant visuellement que narrativement des personnages épris de liberté et d'aventures (il va jusqu'à filmer en plan serré certaines parties de l'île comme s'il s'agissait d'une nature sauvage) aux clôtures et portillons qui entourent l'espace de loisirs, ainsi qu'aux règlements et à leurs gardiens. Il filme des enfants cherchant des astuces pour entrer en fraude, des adolescents qui sautent dans l'eau depuis le pont dès que les vigiles ont le dos tourné, des jeunes employés qui jouent au chat et à la souris dans le parc avec les veilleurs de nuit, un baigneur qui se souvient d'une sortie scolaire dans son enfance dans un milieu qui n'était pas encore aménagé et qui regrette sa transformation en Lunapark. C'est pourquoi en dépit de la très grande variété (générationnelle, ethnique et sociale) des intervenants et de la manière de les capter (certains par le témoignage face caméra, d'autres par la voix off, d'autres par des scènes de jeux partagés autour de la drague ou de la négociation prises sur le vif où la caméra semble invisible), en dépit de la variété des aspects de l'île (certaines parties très bétonnées et contrôlées, d'autres abandonnées et retournées à l'état de nature) le film est irrigué tout entier par la nostalgie de l'enfance vue comme un Eden dont l'île est la métaphore.

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L'Univers de Jacques Demy

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1995)

Agnès Varda et Harrison Ford sur le tournage de "L'Univers de Jacques Demy".

Agnès Varda et Harrison Ford sur le tournage de "L'Univers de Jacques Demy".

Troisième et dernier volet de la trilogie que Agnès Varda a consacré à son époux, Jacques Demy décédé en 1990, "L'Univers de Jacques Demy" est le pendant documentaire de "Jacquot de Nantes" qui est une fiction (Agnès Varda avait au départ imaginé plutôt un diptyque qu'une trilogie ce qui correspondait mieux à sa personnalité hybride). Il s'agit d'une visite guidée de la filmographie de Jacques Demy non en fonction de leur ordre chronologique (certes le premier film évoqué est "Lola" mais le deuxième est en fait son dernier, "Trois places pour le 26") mais en fonction des liens qui les unissent (le troisième film évoqué, "Peau d'Ane" est relié à "Trois places pour le 26" par la question de l'inceste, le quatrième "L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune" est relié à "Peau d'Ane" par une scène où Catherine Deneuve sort un plat du four etc.) Le film, émaillé d'entretiens avec Jacques Demy à diverses époques de sa vie, des membres de sa famille (sa sœur qui évoque son désir d'apprendre tout au long de sa vie, ses enfants et Agnès Varda bien entendu), d'amis cinéastes (Bertrand Tavernier, Claude Berri), de collaborateurs, de biographes, de fans etc. évoque aussi son enfance et la naissance de sa vocation de cinéaste. On y découvre également les excroissances internationales de la carrière du cinéaste avec d'une part sa carrière hollywoodienne avortée à la fin des années 60 à cause de l'échec de "Model Shop" (qu'il rebaptise avec humour "Model Flop") qui lui a cependant permis de rencontrer un jeune acteur alors inconnu dont il voulait faire une star et qui n'était autre que Harrison Ford (son amitié avec Jacques Demy est aussi méconnue que les liens de ce dernier avec Jim Morrison, le leader des Doors que l'on aperçoit sur le tournage de "Peau d'Ane"). Aux antipodes, le documentaire évoque également son aventure japonaise avec l'adaptation du manga "La Rose de Versailles" en 1978 sous le titre "Lady Oscar" à l'époque où les mangas n'étaient pas exportés en France (et donc pas traduits). Comme pour "Les Demoiselles ont 25 ans", Agnès Varda mélange les images d'archives et des images tournées exprès pour le film ce qui donne à l'ensemble un aspect patchwork comme le sera plus tard "Les Plages d'Agnès".

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Les Demoiselles ont eu 25 ans

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1966 et 1992)

Les Demoiselles ont eu 25 ans

La devise du film, "Le souvenir du bonheur c'est peut-être encore du bonheur" fait écho à la célèbre phrase du premier film de Jacques Demy où Lola disait que  "Vouloir le bonheur c'est peut-être déjà le bonheur". Deuxième des trois films que Agnès Varda a consacré à la mémoire de son époux Jacques Demy disparu en 1990 après "Jacquot de Nantes" (1991) et avant "L'univers de Jacques Demy" (1995), "Les Demoiselles ont eu 25 ans" se réfère au film le plus heureux (à tous les sens du terme) du cinéaste, "Les Demoiselles de Rochefort" tourné en 1966. A l'occasion des 25 ans de la sortie du film, la ville de Rochefort a organisé une fête en son honneur qui a permis à Agnès Varda de retrouver d'anciens figurants (motards, élèves, passants) et de leur demander quelle empreinte le film a laissé sur eux. Elle interroge également les membres de l'équipe toujours en vie en 1992 et s'étant déplacé à Rochefort comme Catherine Deneuve (visiblement très émue de revenir sur les traces de sa sœur disparue de laquelle elle s'était rapprochée pendant le tournage), Jacques Perrin ou Michel Legrand. A ce travail d'investigation, elle mêle des séquences de making-of qu'elle avait réalisées pendant le tournage du film en 1966 et où ceux qui avaient déjà disparus en 1992 (Jacques Demy mais aussi Françoise Dorléac) réapparaissent miraculeusement avant que leur mémoire ne soit honorée par les plaques de rue que la ville inaugure en 1992. Passé et présent, histoire et mémoire se mêlent donc inextricablement le temps d'un documentaire hybride (comme Agnès Varda) à la fois rayonnant et nostalgique.

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Sculptrices, ni muses ni modèles

Publié le par Rosalie210

Emilie Valentin (2018)

Sculptrices, ni muses ni modèles

Ce passionnant documentaire diffusé en 2018 sur ARTE et disponible en DVD brise l'idée reçue sexiste selon laquelle "L'homme créé, la femme procréé" et analyse les mécanismes sociaux et culturels qui ont entraîné la raréfaction et l'invisibilisation des femmes dans le deuxième art. La sculpture occidentale est le fruit d'une société patriarcale qui a donc défini dès l'antiquité le rôle passif de la femme dans l'art. Celle-ci devait se cantonner à un rôle de muse ou de modèle c'est à dire d'inspiratrice, le créateur étant forcément masculin. Le judéo-christianisme en identifiant le divin au père a encore davantage ancré dans les mentalités cette répartition des rôles au point que des œuvres parfois très connues créées par des femmes ont été attribuées à des hommes ou bien sont longtemps restées dénuées de "paternité" et pour cause puisque le patriarcat est également inscrit dans le langage et que celui-ci structure la pensée. Enfin les préjugés liés aux différences biologiques ont décrété que la sculpture était une technique artistique trop "physique" pour les femmes ce qui s'est avéré être une absurdité.

A ce conditionnement mental, il faut ajouter une discrimination sociale qui s'est doublée au XIX° d'une discrimination juridique avec le code Napoléon à la suite duquel les femmes ont été interdites aux Beaux-Arts. Le poids des moeurs catholiques a joué un rôle important dans cette interdiction. Même lorsque les femmes ont été admises aux Beaux-Arts en 1897 à la suite de l'action d'une sculptrice, Hélène Bertaux, il est resté compliqué pour une femme artiste (non mariée la plupart du temps ou veuve) de croquer des nus masculins ou de gagner le prix de Rome qui impliquait d'aller séjourner à la villa Médicis au milieu des hommes. Enfin un préjugé tenace tendait à ne pas prendre les femmes au sérieux, leur activité artistique étant considérée comme un simple passe-temps.

Enfin, le film analyse également comment l'histoire écrite par les hommes a effacé les femmes artistes, leurs œuvres sombrant dans l'oubli ou étant attribuées à des artistes masculins. Il fait donc un travail considérable de réécriture historique pour redonner aux femmes leur juste place dans la création artistique. Il ne se contente pas de sortir des noms de l'oubli mais il les resitue dans leur contexte historique par ordre chronologique et analyse en détail plusieurs œuvres fascinantes dont voici quelques exemples:

- Le bas relief de Joseph et la femme de Putiphar de Properzia de' Rossi conservé dans la basilique de San Petronio à Bologne est une œuvre du XVI° de la plus ancienne sculptrice dont le nom ait été conservé grâce à Giorgio Vasari. On y voit une femme qui tente de retenir l'homme qu'elle désire pour l'entraîner dans son lit: une expression particulièrement directe du désir féminin libéré de toute entrave!

- La Pythie qui se niche dans le foyer de l'opéra Garnier est une œuvre de Adèle d'Affry qui pour échapper aux préjugés liés au genre a tout comme George Sand signé ses œuvres d'un nom masculin, Marcello.

- La gracieuse et androgyne Psyché sous l'empire du mystère de Hélène Bertaux bouleverse la représentation du corps féminin longtemps accaparée par les hommes tout comme l'expression du désir.

- Camille Claudel est l'une des rares sculptrices aujourd'hui célèbre mais ses œuvres n'ont pas atteint le degré de notoriété de celles de Rodin. Elles se caractérisent par leur déséquilibre qui exprime bien son tourment intérieur, notamment la poignante sculpture de l'âge mur où elle voit partir pour toujours l'homme qu'elle aime.

- Enfin les monumentales nanas colorées de Niki de Saint Phalle ont valeur de manifeste histoire de donner aux femmes la visibilité dont elles ont été privées dans l'espace public. 

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