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Articles avec #demy (jacques) tag

Lady Oscar

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1978)

Lady Oscar

Comment expliquer le naufrage de ce film en bonne place sur le site Nanarland (tout comme Parking) alors qu'il avait tant d'atouts au départ? Trop d'écueils se sont dressés sur le chemin de Jacques Demy sans doute et trop de paramètres non maîtrisés.

- La barrière de la langue et de la culture japonaise tout d'abord. En 1978 qui connaît les mangas en France alors que les animés commencent tout juste à remplir les grilles des programmes jeunesse d'Antenne 2? Celui de Lady Oscar n'existe d'ailleurs pas encore puisqu'il sera diffusé au Japon l'année suivante et en France à partir de 1986 avec le succès que l'on sait. La grandeur tragique et le souffle épique du manga de Riyoko Ikeda ainsi que la touche shojo si particulière (ce mélange unique et délicieux d'androgynie, de kitsch et de raffinement) disparaissent complètement. On retrouve certes chez Demy le même raffinement, la même élégance (dans l'harmonie des couleurs ou les mouvements de caméra tourbillonants par exemple) mais il vide le scénario de tout élément dramatique pour le tirer du côté du divertissement à la française du style "les mariés de l'an II." La figure transgenre d'Oscar devient ainsi un simple effet de mode, exactement comme pour Marco enceint dans L'Evénement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune. Mal à l'aise avec un thème qui le touche manifestement de trop près, Demy désamorce ce qu'il peut avoir d'explosif. Or la transgression subversive est au coeur de l'histoire et donne un relief extraordinaire à la Révolution dans le manga et l'anime qui est aussi l'histoire d'une émancipation. Rien de tel ici.

-Les choix scénaristiques réduisent les personnages et situations à des caricatures. Oscar devient une potiche (le plus beau poireau de France en fait...), Marie-Antoinette, une idiote écervelée qui bécote Fersen sous les fenêtres de Louis XVI, Rosalie une fille facile, Girodet un gros pervers (fous rires garantis dans la salle).

- Le choix des décors et des acteurs. Tourner à Versailles en décors naturels était en soi une idée séduisante. Mais Demy l'a fait pour des raisons de contraintes budgétaires et a bien du mal à habiter ces vastes espaces auxquels il n'a pas le droit de toucher. De même il doit renoncer à Dominique SANDA qui aurait été parfaite pour le rôle d'Oscar parce qu'elle est trop chère. Il choisit une danseuse anglaise inconnue Catriona Mc Coll parce qu'elle est blonde, sait faire de l'escrime et monter à cheval. Problème: elle ne dégage aucun trouble d'aucune sorte et son jeu est disons...limité. Le reste de la distribution est à l'avenant. Conséquence de ce manque de moyens et d'une direction d'acteurs approximative: de nombreuses scènes deviennent ridicules comme la prise de la Bastille, les Etats Généraux ou les mouvements théatraux de Catriona Mc Coll et des autres (fous rires garantis dans la salle bis repetita). Quant à la fin qui s'inspire clairement de celle des Enfants du Paradis elle achève de dénaturer les personnages, privés de rôle actif dans les événements et au final séparés alors que dans la mémoire japonaise ils sont indissociables. Franchement quel sens aurait Roméo et Juliette si Juliette lui avait survécu?

Le film a été un nouvel échec cuisant pour Demy. Il n'a évidemment pas marché au Japon puisqu'il dénaturait trop l'oeuvre d'origine. En France il n'a tout simplement pas été distribué. Il a fallu attendre 1997 pour qu'il sorte enfin en salles. Cependant tout n'aura pas été négatif. Un lien est né entre deux mondes bien différents exactement comme avec Harrison Ford et Model Shop. Lorsque Riyoko Ikeda s'est reconvertie en chanteuse lyrique, elle a donné un récital des airs chantés par Marie-Antoinette dans son petit théâtre à Versailles et Agnès Varda est venue l'écouter.

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Jacquot de Nantes

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1991)

Jacquot de Nantes

La force de Jacquot de Nantes réalisé par Agnès Varda en 1990 vient du fait qu'il raconte l'enfance de Jacques Demy alors que celui-ci est en train de mourir. C'est aussi en creux l'histoire d'un couple qui après une longue séparation s'est retrouvé et uni face à la maladie et à la mort. Jacquot de Nantes est en effet le premier et le dernier film qu'ils ont fait ensemble. Jacques Demy écrivait ses souvenirs pendant qu'Agnès Varda les mettait en forme et les réalisait. Un film-transbordeur en quelque sorte de la rive du cinéma de Demy à celle du cinéma de Varda:

" A Varda, dont l'oeuvre est depuis l'origine hantée par la mort, Jacques Demy fait le cadeau du plus joyeux de ses films et du plus vibrant de confiance en la vie. A Demy dont le sable coule trop vite entre ses doigts, Varda offre d'arrêter le temps, de réinventer cette enfance dont il n'a jamais perdu la nostalgie, de devenir ce film qu'il n'aura plus le temps de faire. Jacquot de Nantes défie la mort et dit plus fort que tout l'amour de la vie et du cinéma". (JP Berthomé)

Le film reconstitue l'enfance et l'adolescence de Demy, souligne les influences biographiques de ses films (dont on voit des extraits), montre sa créativité à l'oeuvre ("l'évocation d'une vocation" dit le film). Mais il montre aussi la mort au travail dans toute sa crudité: "Dans la difficulté, dans ce chemin très dur qu'il parcourt, qu'est-ce que je pouvais faire d'autre sinon être au plus près de lui? Au plus près serré comme on dit." (Agnès Varda)
Des plans magnifiques et dérangeants jalonnent ainsi le film, des plans rapprochés de son visage, de ses mains et de ses yeux, des plans comme autant de caresses et de témoignages (on les retrouve aussi dans les Plages d'Agnès, réalisé en 2008).

"Il y a du sacré, dans Jacquot de Nantes, parce que l'amour y tend vers l'universel, vers l'union mystique. Il y a de la dévoration dans le rapport de Varda à Demy, mais parce que cette dévoration est exigée par le don de son corps, consenti par Demy. Il abandonne ses dernières forces à la caméra, mais c'est pour que celle-ci le fasse à son tour film, lui qui n'a jamais rêvé d'autre chose. Et derrière cette caméra qui le crucifie et le promet à l'éternité à la fois, l'épouse, la soeur, la mère, la compagne." (JP Berthomé)

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L'Evénement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune  

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1973)

L'Evénement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune  

Un beau gâchis ce film de Jacques Demy! En effet dès qu'il aborde la problématique transgenre il se prend les pieds dans ses contradictions. Résultat, Lady Oscar, Parking et L'événement... sont ses moins bons films.

Pourtant le sujet, celui d'un homme qui tombe enceint de sa femme était prometteur. La première demi-heure est
d'ailleurs irrésistible, on pense aux meilleures screwball comedies sauf que l'on est chez les français moyens de l'époque Pompidou. Jubilation suprême, le couple (un moniteur d'auto-école et une coiffeuse) est interprété par Marcello Mastroianni et Catherine DENEUVE qui étaient ensemble à l'époque.

Mais dès que la "bonne" société s'en mêle, le soufflé retombe, le rythme devient poussif et tout se termine par "le retour à l'ordre naturel des choses" (ouf, la morale est sauve). Il faut dire que la présence envahissante de Mireille Mathieu (qui chante le générique et que l'on voit en concert) ne donne pas une couleur très progressiste au film. Et ce n'est pas le douteux calembour de fin " L'homme enceint, c'était du bidon" (ah ah ah!) qui va relever le niveau. Pour poursuivre dans la métaphore, Demy s'est littéralement "dégonflé" car il avait tourné une autre fin (sa valse hésitation sur la fin de ses films est une de ses marques de fabrique) où il osait aller jusqu'au bout et où Marco-Marcello accouchait vraiment avec les cris du bébé en fond sonore!

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Model Shop

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1969)

Model Shop

Le succès international des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort a ouvert à Jacques Demy la possibilité de réaliser son rêve d'enfance: tourner aux USA. Mais le malentendu est total. Les producteurs de la Columbia attendent de lui une comédie musicale hollywoodienne à gros budget alors que Demy souhaite prendre le pouls du Los Angeles de 1968, faire une oeuvre quasi documentaire et en décors naturels.

Le film, proche de la nouvelle vague et des films néoréalistes de Rossellini prend la forme d'une déambulation, celle de George, un chômeur désoeuvré et angoissé à la perspective de devoir aller au Vietnam. Sur son chemin, il croise une femme vêtue de blanc qui le fascine et qu'il décide de suivre. Il découvre alors qu'elle travaille dans un Model Shop, une sorte de peep-show où les hommes prennent en photo dans des poses suggestives des jeunes femmes choisies sur catalogue. Il noue avec cette femme une relation aussi intense qu'éphémère.

Or cette femme c'est Lola mais une Lola vidée de son énergie par les épreuves qu'elle a subi depuis le premier film: divorce d'avec Michel qui la trompait avec Jackie Demaistre de la Baie des anges, mort de Frankie, départ du petit Yvon pour la France... Demy revisite ses premiers films pour leur donner un tour funèbre, tragique.

Le film est une rupture dans la carrière de Demy. Il a été son premier gros échec commercial aussi bien aux USA qu'en France où sa sortie a été confidentielle. Il marque aussi la fin de ses tentatives pour créer un univers balzacien de personnages récurrents, trop complexe à mettre en oeuvre. Bref Model Shop est le film des rêves fracassés contre le mur de la réalité. D'autant que les américains n'accorderont pas une seconde chance à Demy: son projet d'un Cendrillon en patins à roulette (la mode de L.A en 1978-79) tombera à l'eau.

A noter qu'à l'origine, Demy voulait engager Harrison Ford (alors inconnu) dans le rôle de George mais la Columbia lui a imposé Gary Lockwood tout juste sorti de 2001 l'Odyssée de l'espace. Harrison Ford a conservé une reconnaissance éternelle vis à vis de Demy qui est le premier à avoir cru en lui.

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Lola

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1961)

Lola

Lola est le premier long-métrage de Jacques Demy. Celui-ci rêvait (déjà) d'une comédie musicale en Technicolor mais il a dû se contenter pour des raisons budgétaires d'un film noir et blanc tourné en décors naturels dans sa ville natale de Nantes. Néanmoins il pose toutes les bases de son univers:

- Une héroïne hybride à la fois danseuse-entraîneuse-allumeuse et religieusement fidèle au souvenir de Michel, son premier amour dont elle attend le retour. Demy oscille lui-même clairement entre puritanisme et attraction irrésistible pour les lieux de "débauche" (maisons closes, tripots, peep-show, boîtes glauques...) héritage à la fois de son éducation catholique et de son désir pour la vie de bohème.

- Un entrelacement de plusieurs destins à un carrefour de leur existence qui se (re)trouvent et/ou se ratent. La rencontre entre la jeune Cécile et le marin Frankie fait écho à celle de Lola jeune (dont le vrai prénom est Cécile) et de Michel déguisé en marin américain. La petite Cécile veut d'ailleurs devenir danseuse alors que sa mère qui l'élève seule est elle-même une ancienne danseuse. Cécile, Lola et Mme Desnoyers sont trois versions de la même femme, au passé, au présent et au futur. Jacques Demy s'attache dès ce premier film à un type de femme rejeté par la bonne société de l'époque: la mère célibataire (il venait alors de se mettre en couple avec Agnès Varda qui avait un enfant en bas âge, Rosalie qu'elle élevait seule).

- Un ancrage dans une ville portuaire de province qui permet à Demy de dresser un portrait de la francité tout en ouvrant sur l'ailleurs via les oiseaux de passage, marins et forains. Cet ailleurs est l'Amérique présente par Michel devenu un self made man roulant en Cadillac, par Frankie et son accent, par la musique jazz et par les intrusions de genres tels que le film noir et la comédie musicale même réduite à l'état de résidu.

- Une atmosphère de conte de fée avec Michel en prince charmant. Le film offre un cadre réaliste mais on décèle déjà le goût de Jacques Demy pour le déguisement voire le travestissement (hyperféminité en guêpière et boa que l'on retrouve avec Jeanne Moreau dans la Baie des anges, costume de cow-boy et de marin...)

- Une forte influence d'Ophüls à qui le film est dédicacé et à qui Lola doit son pseudo en référence à Lola Montes. Le film doit beaucoup à La Ronde et au Plaisir. De même, Demy rend hommage à Bresson en reprenant son actrice des Dames du bois de Boulogne, Elina Labourdette pour lui faire jouer le même personnage vieilli.

Lola contient donc en germe les films ultérieurs de Demy. Celui-ci voulait d'ailleurs à l'origine créer une oeuvre de 50 films aux personnages récurrents. Il a dû renoncer à son ambition mais a réussi à donner deux suites à Lola. Les parapluies de Cherbourg tout d'abord où revient le personnage de Roland Cassard joué par Marc Michel. Et Model Shop tourné en 1968 à Los Angeles avec le retour de Lola joué par Anouk Aimé dans un contexte assombri.

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Americano

Publié le par Rosalie210

Mathieu Demy (2011)

Americano

En 2012 sort sur les écrans le premier long métrage de Mathieu Demy, Americano, hanté par des souvenirs d'enfance, le cinéma de ses parents et la question de la filiation (les principaux partenaires de Mathieu Demy dans le film sont Géraldine Chaplin et Chiara Mastroianni).Le film joue sur les deux héritages et entremêle pure fiction et éléments autobiographiques comme dans les films d'Agnès Varda.

Martin Cooper/Mathieu Demy âgé de 40 ans apprend que sa mère est morte. Il renoue alors avec les lieux de son enfance à Los Angeles, filmés dans Documenteur (1980) qu'Americano cite abondamment façon film dans le film. Mais si dans le film d'Agnès Varda, la mère prénommée Emilie Cooper était jouée par Sabine Mamou, dans le film de Mathieu Demy elle a bien la voix d'Agnès Varda. Par bien des côtés, Americano aurait pu s'intituler Comment j'ai tué ma mère (Agnès Varda qui était interdite de plateau a d'ailleurs reconnu de le film était un moyen pour son fils de se réapproprier des images qui lui avaient été volées dans son enfance).

Si Américano est indiscutablement hanté par Agnès Varda et son cinéma, Jacques Demy n'est pas oublié puisque une certaine Lola, ancienne amie de sa mère vient se glisser dans l'histoire. Pour la retrouver, Martin franchit la frontière américano-mexicaine (entre le cinéma de sa mère et celui de son père?) et parvient jusqu'à la boîte de striptease où celle-ci se produit, tout à fait à la manière du héros de Model Shop (qui est rappelons-le la suite de Lola). Martin doit remettre à Lola la clé de l'appartement de sa mère qu'elle lui a légué ainsi que ses peintures. En réalité, ce sont celles de Jacques Demy. Avant de mourir ce dernier a légué son premier film, Lola à Mathieu Demy et à lui seul alors qu'il partage l'héritage de tous ses autres films avec sa demi-soeur, Rosalie.
Comme si cela ne suffisait pas on entend également la voix de Jim Morrison, l'ami de son père...

Americano a donc beaucoup de sens pour Mathieu Demy, on peut le considérer comme une sorte d'auto-analyse. Le problème est que le film manque cruellement d'une personnalité propre comme si Demy fils était dévoré de l'intérieur par ses écrasants géniteurs. 

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Peau d'Ane

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1970)

Peau d'Ane

Peau d'âne, mi-princesse mi-souillon, mi-humaine mi-animal tout comme sa marraine "un peu poule un peu fleur" est à l'image de la personnalité et de l'oeuvre de Jacques Demy: hybride.

D'une part Peau-d'âne est étroitement lié à son enfance durant laquelle il assistait à des spectacles de marionnettes où le conte l'avait enchanté. Plus tard il découvrit la magie du cinéma et Blanche-Neige dont il a repris l'image du cercueil de verre pour les funérailles de la mère de Peau d'âne. D'autre part le thème de l'inceste, central dans Peau d'âne, est récurrent dans son oeuvre jusqu'à être consommé dans son dernier film 3 places pour le 26.

Sur le plan des références aussi Peau d'âne est hybride. Tradition et poésie d'un côté avec le Moyen-Age (la barbe fleurie), la Renaissance (coiffures), les contes de Perrault du XVII°, le XVIIl° (robes de princesse) mais aussi Cocteau et la Belle et la Bête à qui Demy rend hommage en lui empruntant Jean Marais dans le rôle du roi et en reprenant certaines de ses idées de mise en scène ou de trucages. Modernité voire avant-gardisme de l'autre avec des allusions (la fumette) et des éléments visuels empruntés au pop art et au psychédélisme. Jacques Demy a réalisé Peau d'âne peu après son retour de Los Angeles où il a notamment fréquenté la Factory d'Andy Warhol et s'est fait un ami en la personne de Jim Morrison le leader des Doors qui est venu assister au tournage de l'une des dernières séquences du film tournée à Chambord.

Le résultat de tous ces mélanges est d'une splendeur visuelle et poétique rarement égalée dans le cinéma français sans parler des chansons de Michel Legrand toutes passées à la postérité. Pas étonnant que les époques se télescopent si harmonieusement dans le film avec une marraine au look de Jean Harlow rapportant des poésies mais aussi un hélicoptère du futur!

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Parking

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1985)

Parking

Comme le disent les Inrockuptibles "Pour aimer Parking, il faut passer par-dessus beaucoup de choses" à commencer par une esthétique visuelle et musicale eighties qui n'est pas du meilleur goût (sauf celle des Enfers très réussie avec un contraste noir/blanc/rouge et reflets bleus-verts) sans parler de la voix catastrophique de Francis Huster censé représenter une rock-star qui déplace les foules et déchaîne l'hystérie (quoiqu'au second degré, ça peut être très drôle de l'écouter, il existe un montage assez hilarant sur Youtube d'ailleurs).

Blague à part le film vaut quand même la peine d'être vu car il constitue en quelque sorte la descente aux enfers de Demy. En proie à des difficultés aussi bien professionnelles que personnelles depuis plusieurs années, Demy touche en effet le fond avec ce film laid, glauque et torturé qui reprend une trame orphique qui lui est chère: outre Orphée et Eurydice, on retrouve Caron, le Styx et l'Enfer déjà aperçus dans son deuxième film La baie des anges. Le tout transposé dans les années quatre-vingt où plane l'ombre de la drogue et du sida (dont on sait aujourd'hui que c'est la maladie dont est mort Demy en 1990).

Néanmoins comme tous les Demy, Parking est hybride. D'un côté donc le contexte très lourd des années quatre-vingt dans lequel il s'enfonce irrémédiablement, de l'autre, l'héritage du mythe et de Cocteau. Si Peau d'Ane était la fille (certes bigarrée de Flower Power, de Pop Art...) de La Belle et la Bête, Parking est le fils (certes un peu raté...) d'Orphée et du Testament d'Orphée. Avec dans les deux cas la présence de Jean Marais qui joue dans Parking le rôle d'Hadès le dieu des Enfers, marié à sa nièce "Claude" Perséphone. A l'inceste s'ajoute donc l'androgynie des couples Hadès/Perséphone et Orphée/Eurydice: hommes efféminés et femmes masculinisées. C'est bien évidemment pour cette raison qu'il avait pensé dans un premier temps au couple Bernard Giraudeau/Annie Duperey.

"Chez Demy ce n'est pas la mort qui sépare Orphée et Eurydice mais plutôt la différence des sexes." Orphée et Eurydice sont en effet bisexuels mais cette bisexualité à résonance autobiographique est empreinte d'une lourde culpabilité: juste au moment où il embrasse enfin Calaïs (son ingénieur du son), Eurydice s'injecte une dose mortelle d'héroïne (reçue des mains de Bacchantes lesbiennes bien résolues à récupérer leur brebis égarée!)

L'ambivalence sexuelle d'Orphée-Demy trouve son aboutissement dans la chanson "Entre vous deux mon cœur balance" que Francis Huster interprète dans Parking. La chanson fait d'ailleurs allusion au signe astrologique de Demy comme dans la chanson des jumelles de Rochefort ("toi la vierge de mon cœur, toi mon gémeau venu d'ailleurs, vous êtes mes deux enfants de l'amour, vous êtes ma nuit et mon jour, pourquoi choisir?)
Bien évidemment c'est à Jim Morrison que Jacques Demy pensait en écrivant le rôle puis à John Lennon, puis à David Bowie. Mais le rêve s'est fracassé contre le mur de la réalité dans ce film définitivement désenchanté.

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La baie des anges

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1963)

La baie des anges

L'intrigue du deuxième film de Jacques Demy, La Baie des Anges est une métaphore d'un parcours transgressif du dedans vers le dehors: un modeste employé de banque d'allure janséniste sans perspective d'avenir, Jean Fournier est initié aux jeux d'argent par un de ses collègues, Caron (!) et y prend goût malgré l'opposition de son père qui le chasse de la maison.

Une fois le Styx traversé, Jean se retrouve enchaîné à une femme fatale, joueuse invétérée, Jackie Demaistre (jouée par une flamboyante Jeanne Moreau en guêpière, un fantasme fétichiste que Demy avait déjà concrétisé dans son premier film Lola). Sa vie n'est plus rythmée que par les montagnes russes de la roulette qui s'apparente vite à une descente aux enfers.

Et pourtant et là réside toute l'ambiguïté du film et de la passion qui l'anime, Jackie ne dit-elle pas que la joie qu'elle éprouve au jeu n'est comparable à aucune autre joie? Et Jackie Demaistre n'est-elle pas le quasi anagramme de Jacques Demy?
La baie des Anges nous place au carrefour d'une contradiction fondamentale: le monde des vivants apparaît vide, plat et sans âme alors que le monde des morts porte en lui les grandes émotions et le génie créatif. Pour goûter à cette forme de jouissance, les personnages sont prêts à en accepter le corollaire inévitable, la déchéance, l'avilissement.

Le jeu est bien évidemment une métaphore du cinéma: "La baie des Anges met en scène la violence qu'il y a à être accroché au royaume des ombres, des spectres et des morts quand la famille, la vie, le travail, la société, la normalité, la raison nous convoque de l'autre côté, vers l'horizon lumineux des vivants. La baie des Anges est un grand film de vampires, cette forme de transfusion artificielle de la vie et du sang dont ont aussi besoin les artistes. (Hélène Frappat).

Néanmoins parfois, Jacques Demy au prix de l'un des ces ultimes revirements dont il a le secret trace une ligne de fuite par où ses personnages peuvent s'échapper in-extremis et éviter la chute. " C'est à la charge des dénouements de dessiner soudain une ligne droite, un tracé qui brise la logique ressassante du cercle et semble conduire vers un ailleurs. Exemplairement, c'est le dernier plan de La baie des Anges (1962). Jackie rejoint Jean hors du casino, et ils se dirigent vers la mer et le ciel-l'horizon enfin. La caméra reste campée là où s'est déroulée l'action et les personnages s'éloignent, sortent du film par le fond, point de fuite par lequel on peut quitter les rondes, les manèges, les faux-semblants, la représentation, le cristal." (J.M Lalanne)

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